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Art et Culture Publié le lundi 28 février 2011 | Le Temps

«Beyrouth Canicule» dépeint les affres de la vie de cette ville

Le Paris des années 1970. Un Paris qui vibre de conversations, rencontres, luttes et convictions. Un Paris prolétaire, émigré, engagé, qui a ses lieux de rencontres dont celui que s'est justement choisi "un petit groupe déluré" : le bar au confort ouaté de Madjid, à Ménilmontant. C'est là que se retrouvent, deux fois par semaine, Amar et son argot des faubourgs, sa compagne Maryse - "une provençale du cru" ; Arezki le philosophe et Kamal, le narrateur, modeste étudiant en droit économique répondant au sobriquet étrange de Nénuphar ("Une allusion à mes hésitations chroniques ?" s'interroge-t-il…). Tous unis par la cause palestinienne et par un homme : Nadir Benhila. Autant dire que lorsque le grand homme vient proposer à notre narrateur une mission à Beyrouth, sous couvert de tourisme mais avec valise à double fond, la valse des hésitations revient, accompagnée de quelques doutes de la part de celui qui "se voit mal dans la peau d'un agent secret engagé dans d'épiques aventures." (p. 32) Mais le charisme de Nadir sait agir, et voici Kamal, pas très rassuré, se précipitant cependant d'un bon pas dans la gueule du loup !
Car dès la douane, voici l'apprenti démasqué, découvrant à sa grande surprise ce qui se cache dans le ventre du double fond. Emprisonné, puis relâché- les réseaux amis sur le terrain sont puissants - le voilà livré à l'aventure, sorte de Candide en vadrouille sous la chaleur ardente de l'été qui imprime sa torpeur et une certaine étrangeté à toutes les situations… Et voici le lecteur, lancé à sa suite pour son plus grand plaisir, dans un Beyrouth où l'on peut imaginer les scenarii les plus fous. Perdu dans une capitale entre Orient et Occident, dans un arabe différent du sien, le narrateur hésite, joue les touristes, se délecte de kémia, du rire des filles en terrasse, arpente la rue Hamra… et se voit rattrapé par la cause alors qu'il songeait à rentrer tranquillement à la maison (la conscience cependant entachée de quelques scrupules).
Des rebondissements, il y en a dans ce récit de voyage décalé, à l'humour certain et transmis par une sorte d'anti-héros, flottant dans un costume trop grand pour lui, divaguant sans mode d'emploi dans un monde qui lui échappe. Pourtant, derrière ce récit assez désopilant, au ton badin et souriant un autre, peu à peu se fait jour, alors que la réalité politique vient se rappeler au voyage. Car, la cause palestinienne est bien là, si l'on avait presque cru pouvoir l'oublier. Et puis, c'est la tragédie qui pointe, avec son lot d'absurde et d'espoir écrasés, lorsque le happy end du retour à Paris est surpris par le sang. Reviennent alors se mêler le souvenir de Nadir - et derrière le personnage, la figure de Mohamed Boudia - victime de l'attentat qui lui arrache la vie. Les lieux de partage si lumineux de souvenirs et d'amitié prennent les couleurs du deuil, entre la rage de Rachid et les larmes du narrateur. Au cours de multiples interviews, Djilali Bencheikh n'a pas caché la large part autobiographique qui a inspiré ce roman - ce que son bel avertissement souligne d'ailleurs : nulle ressemblance ne saurait être fortuite, et tout le livre est construit en souvenir du dramaturge et militant que fut Mohamed Boudia, figure qui continue à brûler comme un soleil. Peut-être est-ce pour cela qu'un sentiment de profonde nostalgie - à la fois triste et lumineux - se fait sensible au travers des pages, le goût doux-amer des convictions et enthousiasmes brisés en plein vol. Et, dans ce clair-obscur des souvenirs de jeunesse, la force des mots qui concluent l'ouvrage : "Un geste oubli/ Un murmure hésité/Et le soleil dévorant / Tombe au pied de la muraille /De l'incompréhensible et stupide Renoncement au bonheur."
Des mots denses et vibrants, qui, dans leur poids d'absurde, ne peuvent cependant que se teinter d'une autre résonance, en regard des espoirs portés par le monde arabe, aujourd'hui…

Agricultures .com.
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