Le président de la République, Alassane Ouattara, a annoncé la mise en place d’une Commission dialogue, vérité et réconciliation en vue de restaurer la cohésion nationale. Calquée sur le modèle sud-africain, elle doit s’enrichir de l’expérience de son aînée pour atteindre ses objectifs tout en corrigeant ses insuffisances.
Se parler, sans faux-fuyants, pour vivre, à nouveau, ensemble. Le président de la République, Alassane Ouattara, a traduit en acte son désir de restaurer la cohésion nationale fragilisée par dix ans de pouvoir de Laurent Gbagbo. Il a créé à cet effet une Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) calquée sur le modèle sud-africain.
Depuis dimanche, une délégation des Elders (les Anciens)- qui est une organisation de dirigeants influents du monde entier qui veulent contribuer, par leur expérience et leur sagesse, à résoudre les problèmes les plus importants de la planète- composée des Prix Nobel Desmond Tutu et Kofi Annan et de l’ancienne présidente d’Irlande, Mary Robinson, est en Côte d’Ivoire. Avec pour objectif de poser les bases du succès de la commission. La présence de Mgr Desmond Tutu au sein de la mission est un atout considérable pour atteindre ce but. Dans la mesure où l’homme de Dieu était le président de la Commission vérité et réconciliation (Cvr) en Afrique du Sud dont se sont inspirées les autorités ivoiriennes pour la création de la Cdvr.
Pour panser les plaies de cinquantes ans du régime de l’Apartheid, la Cvr a été instaurée en Afrique du Sud. Avec pour principe que les auteurs de violations des droits de l’Homme confessent leurs crimes. Alors, s’ils apportaient la preuve que leurs actes étaient politiques, ils pouvaient, en échange d’excuses publiques, demander l’amnistie. Si leurs témoignages étaient édulcorés, ils retombaient dans le système judiciaire classique. « Nous avons pour mission de faire éclater la vérité sur notre sombre passé, d’enterrer les fantômes pour qu’ils ne reviennent pas nous hanter », déclarait son président, Desmond Tutu. En deux ans, plus de 7.000 auteurs de violences politiques ont demandé pardon, mais seulement 850 d’entre eux ont été amnistiés. La Cvr a été citée depuis comme un exemple de succès en matière de justice transitionnelle. Et, d’autres pays africains, dont aujourd’hui, la Côte d’Ivoire, ont copié le modèle.
Copier l’Afrique du Sud…
Cependant, des analystes lui ont trouvé des insuffisances qu’il est impérieux de relever afin d’assurer toutes les chances de réussite à la Cdvr. « Il est surprenant que la Cvr soit encore tant citée comme modèle de « justice transitionnelle » dans le monde… (Les pays) qui ont récemment fait part de leur intention de créer une commission semblable, devraient étudier plus attentivement les limites de ce modèle et tâcher d'en tirer des leçons », conseillait sur le blog Mediapart, Kora Andrieu, chargée d’enseignement « Justice Transitionnelle » à Sciences Po et allocataire de recherche à la Sorbonne Paris IV.
La vérité est la base de toute réconciliation. La crise post-électorale, c’est un secret de Polichinelle, trouve son origine dans le refus de Laurent Gbagbo et de son clan de reconnaître leur défaite. Pour bénéficier du pardon des Ivoiriens, ils doivent le faire. Paul Yao-N’Dré, Mamadou Koulibaly, Affi N’Guessan, Miaka Ouréto et tous les autres sbires doivent dire, enfin, la vérité sur les magouilles tendant à faire croire qu’il y a eu des fraudes dans le Nord. Ils doivent témoigner, voire professer, en des termes clairs, qu’Alassane Ouattara est bel et bien le vainqueur de la présidentielle. Et, non continuer à jouer avec l’intelligence des Ivoiriens en tenant un discours clair-obscur comme celui tenu récemment par Miaka Ouréto sur Onuci-fm : « nous estimons que dès lors que la communauté internationale et tout le monde ont bataillé dur pour que ce soit finalement le président Alassane Ouattara qui soit l’homme fort du pays, nous le reconnaissons comme tel ».
… Sans ses erreurs
En plus de la vérité, les coupables doivent reconnaître leur responsabilité personnelle. Il ne devra pas s’agir de chercher à se cacher derrière un prétendu commanditaire. Chacun est responsable de sa faute. En clair, ils devront faire leur mea culpa. En Afrique du Sud, il a été reproché à certains bourreaux de n’avoir pas affiché de remords lors de leur témoignage. Raison pour laquelle les parents des victimes ou elles-mêmes ne leur ont pas pardonné. Or, pas de réconciliation sans pardon.
Quel sort sera réservé à ceux qui avoueront leurs crimes et demanderont pardon ? La question est essentielle dans la mesure où il est à craindre que les victimes ou leurs proches ne supportent pas de voir leurs bourreaux se pavaner dehors. L’un des grands reproches fait à la Cvr est d’avoir voulu la réconciliation au prix du droit des victimes à bénéficier d’une réparation pénale. « Une lecture approfondie des témoignages des victimes à la CVR semble en effet montrer que beaucoup réclamaient en fait à la justice son sens plus «traditionnel» : la punition, plus que le pardon », relevait Kora Andrieu dans son article sur Mediapart. Qui cite Audrey Chapman, co-auteur d’un ouvrage récent sur la Cvr : « La Cvr a mis en avant une conception instrumentale de la justice comme outil au service de la réconciliation, alors que les victimes réclamaient la justice comme droit à part entière ». Pour ne plus vivre ce qui s’est passé, il est nécessaire de répondre à une question essentielle : pourquoi la Côte d’Ivoire en est-elle arrivée là ? Car, ce qui s’est passé est loin d’être le résultat de la présidentielle d’octobre 2010. Tout comme en Afrique du Sud, des analystes ont critiqué la « décontextualisation » de l’Apartheid- pour eux c’est plus un système pour dominer économiquement les Noirs qu’une manifestation de racisme ; ils estiment que cela continue puisque les Noirs sont toujours économiquement dominés- qui a eu pour conséquence de perturber la réconciliation. Il faut qu’en Côte d’Ivoire les causes ethnique, religieuse, identitaire de la déflagration du tissu social soient abordées. Avec courage.
La question du dédommagement des victimes doit être sereinement analysée. Il faut éviter de faire de la surenchère. Ne pas leur faire des promesses que l’Etat ne pourra pas honorer. La frustration qui pourrait en résulter pourrait avoir de graves conséquences sur la réconciliation. Au pays de Nelson Mandela, les promesses de dédommagement ont pris plusieurs années avant d’être satisfaites pour certaines victimes. Le gouvernement a été contraint de revoir à la baisse ce qu’il avait promis. Cet extrait de l’article de Kora Andrieu est éloquent : « Kalukwe Mawila est une victime en colère. Venue témoigner à la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) sud-africaine en 1996, elle a vu ses anciens bourreaux amnistiés et n’a jamais reçu un seul rand du gouvernement. « L’apartheid était mauvais », dit-elle, « mais ce qui me met encore plus en colère, c’est qu’ils m’ont forcée à pardonner ». Autant de leçons à tirer pour que la Cdvr réconcilie, effectivement, les Ivoiriens.
Bamba K. Inza
Se parler, sans faux-fuyants, pour vivre, à nouveau, ensemble. Le président de la République, Alassane Ouattara, a traduit en acte son désir de restaurer la cohésion nationale fragilisée par dix ans de pouvoir de Laurent Gbagbo. Il a créé à cet effet une Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) calquée sur le modèle sud-africain.
Depuis dimanche, une délégation des Elders (les Anciens)- qui est une organisation de dirigeants influents du monde entier qui veulent contribuer, par leur expérience et leur sagesse, à résoudre les problèmes les plus importants de la planète- composée des Prix Nobel Desmond Tutu et Kofi Annan et de l’ancienne présidente d’Irlande, Mary Robinson, est en Côte d’Ivoire. Avec pour objectif de poser les bases du succès de la commission. La présence de Mgr Desmond Tutu au sein de la mission est un atout considérable pour atteindre ce but. Dans la mesure où l’homme de Dieu était le président de la Commission vérité et réconciliation (Cvr) en Afrique du Sud dont se sont inspirées les autorités ivoiriennes pour la création de la Cdvr.
Pour panser les plaies de cinquantes ans du régime de l’Apartheid, la Cvr a été instaurée en Afrique du Sud. Avec pour principe que les auteurs de violations des droits de l’Homme confessent leurs crimes. Alors, s’ils apportaient la preuve que leurs actes étaient politiques, ils pouvaient, en échange d’excuses publiques, demander l’amnistie. Si leurs témoignages étaient édulcorés, ils retombaient dans le système judiciaire classique. « Nous avons pour mission de faire éclater la vérité sur notre sombre passé, d’enterrer les fantômes pour qu’ils ne reviennent pas nous hanter », déclarait son président, Desmond Tutu. En deux ans, plus de 7.000 auteurs de violences politiques ont demandé pardon, mais seulement 850 d’entre eux ont été amnistiés. La Cvr a été citée depuis comme un exemple de succès en matière de justice transitionnelle. Et, d’autres pays africains, dont aujourd’hui, la Côte d’Ivoire, ont copié le modèle.
Copier l’Afrique du Sud…
Cependant, des analystes lui ont trouvé des insuffisances qu’il est impérieux de relever afin d’assurer toutes les chances de réussite à la Cdvr. « Il est surprenant que la Cvr soit encore tant citée comme modèle de « justice transitionnelle » dans le monde… (Les pays) qui ont récemment fait part de leur intention de créer une commission semblable, devraient étudier plus attentivement les limites de ce modèle et tâcher d'en tirer des leçons », conseillait sur le blog Mediapart, Kora Andrieu, chargée d’enseignement « Justice Transitionnelle » à Sciences Po et allocataire de recherche à la Sorbonne Paris IV.
La vérité est la base de toute réconciliation. La crise post-électorale, c’est un secret de Polichinelle, trouve son origine dans le refus de Laurent Gbagbo et de son clan de reconnaître leur défaite. Pour bénéficier du pardon des Ivoiriens, ils doivent le faire. Paul Yao-N’Dré, Mamadou Koulibaly, Affi N’Guessan, Miaka Ouréto et tous les autres sbires doivent dire, enfin, la vérité sur les magouilles tendant à faire croire qu’il y a eu des fraudes dans le Nord. Ils doivent témoigner, voire professer, en des termes clairs, qu’Alassane Ouattara est bel et bien le vainqueur de la présidentielle. Et, non continuer à jouer avec l’intelligence des Ivoiriens en tenant un discours clair-obscur comme celui tenu récemment par Miaka Ouréto sur Onuci-fm : « nous estimons que dès lors que la communauté internationale et tout le monde ont bataillé dur pour que ce soit finalement le président Alassane Ouattara qui soit l’homme fort du pays, nous le reconnaissons comme tel ».
… Sans ses erreurs
En plus de la vérité, les coupables doivent reconnaître leur responsabilité personnelle. Il ne devra pas s’agir de chercher à se cacher derrière un prétendu commanditaire. Chacun est responsable de sa faute. En clair, ils devront faire leur mea culpa. En Afrique du Sud, il a été reproché à certains bourreaux de n’avoir pas affiché de remords lors de leur témoignage. Raison pour laquelle les parents des victimes ou elles-mêmes ne leur ont pas pardonné. Or, pas de réconciliation sans pardon.
Quel sort sera réservé à ceux qui avoueront leurs crimes et demanderont pardon ? La question est essentielle dans la mesure où il est à craindre que les victimes ou leurs proches ne supportent pas de voir leurs bourreaux se pavaner dehors. L’un des grands reproches fait à la Cvr est d’avoir voulu la réconciliation au prix du droit des victimes à bénéficier d’une réparation pénale. « Une lecture approfondie des témoignages des victimes à la CVR semble en effet montrer que beaucoup réclamaient en fait à la justice son sens plus «traditionnel» : la punition, plus que le pardon », relevait Kora Andrieu dans son article sur Mediapart. Qui cite Audrey Chapman, co-auteur d’un ouvrage récent sur la Cvr : « La Cvr a mis en avant une conception instrumentale de la justice comme outil au service de la réconciliation, alors que les victimes réclamaient la justice comme droit à part entière ». Pour ne plus vivre ce qui s’est passé, il est nécessaire de répondre à une question essentielle : pourquoi la Côte d’Ivoire en est-elle arrivée là ? Car, ce qui s’est passé est loin d’être le résultat de la présidentielle d’octobre 2010. Tout comme en Afrique du Sud, des analystes ont critiqué la « décontextualisation » de l’Apartheid- pour eux c’est plus un système pour dominer économiquement les Noirs qu’une manifestation de racisme ; ils estiment que cela continue puisque les Noirs sont toujours économiquement dominés- qui a eu pour conséquence de perturber la réconciliation. Il faut qu’en Côte d’Ivoire les causes ethnique, religieuse, identitaire de la déflagration du tissu social soient abordées. Avec courage.
La question du dédommagement des victimes doit être sereinement analysée. Il faut éviter de faire de la surenchère. Ne pas leur faire des promesses que l’Etat ne pourra pas honorer. La frustration qui pourrait en résulter pourrait avoir de graves conséquences sur la réconciliation. Au pays de Nelson Mandela, les promesses de dédommagement ont pris plusieurs années avant d’être satisfaites pour certaines victimes. Le gouvernement a été contraint de revoir à la baisse ce qu’il avait promis. Cet extrait de l’article de Kora Andrieu est éloquent : « Kalukwe Mawila est une victime en colère. Venue témoigner à la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) sud-africaine en 1996, elle a vu ses anciens bourreaux amnistiés et n’a jamais reçu un seul rand du gouvernement. « L’apartheid était mauvais », dit-elle, « mais ce qui me met encore plus en colère, c’est qu’ils m’ont forcée à pardonner ». Autant de leçons à tirer pour que la Cdvr réconcilie, effectivement, les Ivoiriens.
Bamba K. Inza