Koné Seydou ? Vous en avez certainement entendu parler. C’est cet enseignant de l’Inept (Institut pédagogique national professionnel et technique) que les services de renseignement du Centre de commandement des opérations de sécurité (CeCOS), dirigé par le général de brigade, Guiai Bi Poin, ont mis aux arrêts pour, dit-on, tentative de coup d’Etat. Après un séjour des plus tourmentés dans les locaux de ladite unité, dont la presse a fait largement écho, le malheureux a été déféré à la Maca. Des interrogatoires musclés – en réalité de la torture pure et simple – exercés sur le présumé coupable par les éléments du CeCOS, rien de bien concrets n’a été imputé à l’homme. Avec quels moyens d’action a-t-il tenté d’opérer ? Quel arsenal militaire comptait-il utiliser pour réaliser son coup ? Quelle était sa stratégie et ses hommes ? Brouillard !
Au bâtiment C de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, réservé aux grands criminels où il a été interné depuis le 16 octobre dernier, la réponse à ces questions suscite plutôt l’hilarité générale. C’est en pouffant de rire qu’on vous répond lorsque vous demandez après le sieur Koné Seydou : « Ah ! Vous cherchez l’enseignant qui a voulu faire un coup d’état avec son stylo ?», s’esclaffe-t-on.
Ce samedi 28 novembre, il est à peu près midi lorsque nous arrivons au parloir de ce terrible bâtiment. Le vacarme est si grand, la chaleur suffocante, qu’on se croirait dans un marché ouvert. Dans un petit box d’attente équipé d’un ventilateur, nous sommes invité à patienter quelques minutes, le temps qu’on retrouve cet intrépide enseignant qui, tout seul apparemment, voulait renverser un régime entier, celui de Gbagbo. Koné Seydou en est du coup devenu une star au sein de la Maca où les caïds des lieux lui vouent un certain respect. Un de ces derniers nous informe que l’homme que nous recherchons a déjà reçu cinq visites et que nous sommes la sixième. Après une vingtaine de minutes d’attente, apparaît pourtant une silhouette mal en point et visiblement déconfit. Vêtu d’un tee-shirt blanc, les yeux hagards, il tente de forcer le sourire. C’est la première fois que nous le rencontrons et il est prudent et réservé. Nous engageons tout de suite la conversation :
-Comment vas-tu, mon frère ?
-Bien
-Et le moral ?
- Ca va, grâce à Dieu. J’ai le soutien de ma famille, du Rdr, mon parti, de mes collègues et de mon avocat, Me Coulibaly Soungalo.
Comme nous sommes trois à partager le parloir, Koné Seydou surveille ses propos. Pas pour longtemps, dès lors que nous abordons un sujet qui semble l’avoir fortement traumatisé : les circonstances de sa torture au QG du CeCOS. Le voilà donc qui, malgré la gorge nouée par l’émotion, raconte sans discontinuer l’enfer, son enfer. Il confirme avoir été battu comme plâtre, au gourdin, au pilon, puis brûlé au fer à repasser. «Plusieurs éléments du CeCOS m’ont dit de reconnaître que je veux faire un coup d’Etat. Et chaque fois que je refusais d’admettre cette énormité, ils s’acharnaient sur moi. C’est ainsi qu’ils me trimballaient dans un couloir mal éclairé et me rouaient de coups. Mes cris de douleur semblaient les encourager et décuplaient leur rage. C’est ainsi qu’ils n’ont pas hésité à me marcher sur les testicules comme s’ils voulaient les écraser. Ces éléments m’ont fait savoir qu’ils ont les moyens de me faire dire ce qu’ils ont envie d’entendre», relate-t-il un trémolo mal refoulé dans la voix. «Je discutais de football avec mes amis quand des éléments armés arrivés à bord d’un véhicule de type 4x4 et d’un cargo du Cecos, m’ont demandé de les suivre pour nécessité d’enquête. Je n’ai pu emporter que ma carte de mutuelle». Sur ses mains qu’il nous montre, les dernières plaies tardent à se cicatriser. «Je ne demande qu’à retrouver ma famille et à vivre en paix», insiste le supplicié du Bâtiment C.
Dans cette terrible épreuve et dans l’attente d’un jugement hypothétique, le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle l’a décoré (il y a de cela quelques semaines) dans l’ordre du mérite, pour ses 23 ans de loyaux services à la République. La distinction lui a été emmenée par ses proches en prison. Et pendant que nous échangeons, il ne cesse de la contempler. Comme s’il voulait y trouver les explications du cauchemar qu’il vit. Comme si cette médaille avait pu lui expliquer l’absurdité de ce monde. Vous avez dit absurdité ? Un coup d’Etat perpétré, seul, avec …un stylo ! Il faut le faire.
A la vérité Koné Seydou est trituré par le sentiment d’avoir été une victime expiatoire de la méchanceté des hommes, celle qui habite les hommes politiques qui, aveuglés par le pouvoir, se croient propriétaires du destin de leurs compatriotes, pour peu que ceux-ci ne partagent pas les mêmes vues qu’eux. Il faut sauver Koné Seydou. Les organisations des droits de l’Homme, mais surtout le parti politique au nom duquel cette injustice s’abat sur lui, devraient prendre à bras-le-corps cette affaire. D’autant que la demande de mise en liberté provisoire introduite par son avocat a été rejetée par le procureur de Yopougon, Rouga Daleba.
Coulibaly Brahima
(Le Patriote du mercredi
09 décembre 2009)
Au bâtiment C de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, réservé aux grands criminels où il a été interné depuis le 16 octobre dernier, la réponse à ces questions suscite plutôt l’hilarité générale. C’est en pouffant de rire qu’on vous répond lorsque vous demandez après le sieur Koné Seydou : « Ah ! Vous cherchez l’enseignant qui a voulu faire un coup d’état avec son stylo ?», s’esclaffe-t-on.
Ce samedi 28 novembre, il est à peu près midi lorsque nous arrivons au parloir de ce terrible bâtiment. Le vacarme est si grand, la chaleur suffocante, qu’on se croirait dans un marché ouvert. Dans un petit box d’attente équipé d’un ventilateur, nous sommes invité à patienter quelques minutes, le temps qu’on retrouve cet intrépide enseignant qui, tout seul apparemment, voulait renverser un régime entier, celui de Gbagbo. Koné Seydou en est du coup devenu une star au sein de la Maca où les caïds des lieux lui vouent un certain respect. Un de ces derniers nous informe que l’homme que nous recherchons a déjà reçu cinq visites et que nous sommes la sixième. Après une vingtaine de minutes d’attente, apparaît pourtant une silhouette mal en point et visiblement déconfit. Vêtu d’un tee-shirt blanc, les yeux hagards, il tente de forcer le sourire. C’est la première fois que nous le rencontrons et il est prudent et réservé. Nous engageons tout de suite la conversation :
-Comment vas-tu, mon frère ?
-Bien
-Et le moral ?
- Ca va, grâce à Dieu. J’ai le soutien de ma famille, du Rdr, mon parti, de mes collègues et de mon avocat, Me Coulibaly Soungalo.
Comme nous sommes trois à partager le parloir, Koné Seydou surveille ses propos. Pas pour longtemps, dès lors que nous abordons un sujet qui semble l’avoir fortement traumatisé : les circonstances de sa torture au QG du CeCOS. Le voilà donc qui, malgré la gorge nouée par l’émotion, raconte sans discontinuer l’enfer, son enfer. Il confirme avoir été battu comme plâtre, au gourdin, au pilon, puis brûlé au fer à repasser. «Plusieurs éléments du CeCOS m’ont dit de reconnaître que je veux faire un coup d’Etat. Et chaque fois que je refusais d’admettre cette énormité, ils s’acharnaient sur moi. C’est ainsi qu’ils me trimballaient dans un couloir mal éclairé et me rouaient de coups. Mes cris de douleur semblaient les encourager et décuplaient leur rage. C’est ainsi qu’ils n’ont pas hésité à me marcher sur les testicules comme s’ils voulaient les écraser. Ces éléments m’ont fait savoir qu’ils ont les moyens de me faire dire ce qu’ils ont envie d’entendre», relate-t-il un trémolo mal refoulé dans la voix. «Je discutais de football avec mes amis quand des éléments armés arrivés à bord d’un véhicule de type 4x4 et d’un cargo du Cecos, m’ont demandé de les suivre pour nécessité d’enquête. Je n’ai pu emporter que ma carte de mutuelle». Sur ses mains qu’il nous montre, les dernières plaies tardent à se cicatriser. «Je ne demande qu’à retrouver ma famille et à vivre en paix», insiste le supplicié du Bâtiment C.
Dans cette terrible épreuve et dans l’attente d’un jugement hypothétique, le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle l’a décoré (il y a de cela quelques semaines) dans l’ordre du mérite, pour ses 23 ans de loyaux services à la République. La distinction lui a été emmenée par ses proches en prison. Et pendant que nous échangeons, il ne cesse de la contempler. Comme s’il voulait y trouver les explications du cauchemar qu’il vit. Comme si cette médaille avait pu lui expliquer l’absurdité de ce monde. Vous avez dit absurdité ? Un coup d’Etat perpétré, seul, avec …un stylo ! Il faut le faire.
A la vérité Koné Seydou est trituré par le sentiment d’avoir été une victime expiatoire de la méchanceté des hommes, celle qui habite les hommes politiques qui, aveuglés par le pouvoir, se croient propriétaires du destin de leurs compatriotes, pour peu que ceux-ci ne partagent pas les mêmes vues qu’eux. Il faut sauver Koné Seydou. Les organisations des droits de l’Homme, mais surtout le parti politique au nom duquel cette injustice s’abat sur lui, devraient prendre à bras-le-corps cette affaire. D’autant que la demande de mise en liberté provisoire introduite par son avocat a été rejetée par le procureur de Yopougon, Rouga Daleba.
Coulibaly Brahima
(Le Patriote du mercredi
09 décembre 2009)