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Société Publié le vendredi 9 septembre 2011 | Soir Info

Reportage / Eau et électricité : C`est l`enfer à Jean Folly

Des familles dans la galère depuis plus de 10 ans ; On charge les portables en ville et on boit de l`argile. Incroyable mais vrai. Des milliers de populations vivent régulièrement sans eau ni électricité à Jean Folly, dans la commune de Port-Bouët. Nous y avons fait un tour.

Samedi 20 août 2011. Il est 10 H 30 lorsque nous arrivons au carrefour Jeannot de Jean Folly, sous-quartier de la commune de Port-Bouët. Situé sur le côté gauche de l`axe Abidjan-Grand Bassam entre les quartiers Adjouffou et Gonzagueville, Jean Folly s`étend sur un rayon d`au moins deux kilomètres et n`a pas fière allure. Maisons en bois et en bisexuel sont construites dans un désordre savamment organisé, sans urbanisation élémentaire, dans le quartier balnéaire de Jean Folly. Ici, les fils électriques jonchent les rues qui ne possèdent pas de trottoir. Les vendeurs sont presque sur le chemin du reste très ensablé. Les automobilistes doivent faire attention pour ne pas être piégés par le sable. Avec la gentillesse des uns et des autres, nous réussissons à localiser notre contact, Amah Justine (ex-assistante sociale et transformatrice de soja). Venue quelques jours plus tôt à notre rédaction en Zone 4 C, cette dame nous a exposé les déboires et la galère des habitants de son quartier. « A Jean Folly, on ne vit pas. On survit. C`est vraiment l`enfer! Il n`y a pas de courant, il n`y a pas d`eau. Malgré les compteurs d`eau, les réparations de la Cie (Ndlr : Compagnie ivoirienne d`électricité) et de la Sodeci (Ndlr : Société de distribution d`eau de Côte d`Ivoire), nous sommes des laissés-pour-compte. Le gouvernement nous a oubliés. On ne peut même pas regarder la télévision parce le courant existe par intermittence. Nous sommes livrés à nous-mêmes. On paye la glace pour conserver nos produits», avait-elle relaté, ce jour-là. Le samedi 20 août 2011, avant d`arriver dans son univers, nous avons simplement imaginé un contexte simple : Amah Justine et ses voisins n`ont ni électricité ni eau potable simplement parce qu`ils ne sont pas abonnés. Que non! Le sous quartier que nous avons sous nos yeux compte des équipements pouvant alimenter la population en électricité et en eau. Pourtant, cette population se plaint du manque récurrent d`électricité et d`eau dans la zone. Justement ce samedi, on nous apprend que nous tombons à pic. Il n`y a pas d`électricité comme d`habitude. Un mouvement solidaire s`est créé autour de notre présence liée à la cause pour laquelle nous avons fait le déplacement : faire un reportage sur l`inaccessibilité en électricité et en eau à Jean Folly. «Vraiment, vous êtes bien arrivée. Vous voyez le camion et ces gens là-bas? Ils sont souvent ici pour travailler sur les fils électriques. Mais, à la fin, c`est plus noir qu`avant. A cause de l`électricité, lorsque je finis tard à Cocody, je préfère dormir en ville plutôt que de rentrer et de me faire agresser. Il y a beaucoup de travailleurs qui font comme moi. La présence des Frci (Ndlr : Forces républicaines de Côte d`Ivoire) installées dans l`hôtel d`un ancien collaborateur du Président Gbagbo ne règle pas le problème d`insécurité. C`est plus grave qu`avant », nous fait observer Awouté Jean, ébéniste travaillant à Cocody. A l`endroit où il nous indique, quatre personnes sont effectivement à la tâche, en train de manipuler avec vigueur des câbles électriques qu`elles ont pris soin de poser à même le sol. Plus loin, juchés sur des poteaux de la Cie à un carrefour, deux autres ont fait corps avec l`équipement du distributeur d`électricité en Côte d`Ivoire. Dans la salle d`un transformateur nouvellement installé au carrefour Jeannot, d`autres techniciens sont à la tâche. Un mouvement général donc pour ramener l`électricité. « On peut prendre des photos? ». A notre question, celui qui fait office de chef nous jette un regard méfiant. Suite à notre insistance, il lâche : « Ne mettez pas le visage des gens dans vos photos! ». Le message est clair quoique nous ne comprenons pas le sens de cette mise en garde. De 10 H 30 à 12 H 30, nous avons le temps d`interroger des dizaines d`habitants relativement au manque d`électricité. Selon Guéi Frédéric (retraité vivant à Jean Folly depuis une dizaine d`années), le défaut d`électricité est « un problème permanent ». «On a fini par s`habituer. C`est dans ces conditions qu`on reçoit des factures», dénonce-t-il. Et d`expliquer que les « courtes périodes de pseudo-électricité » sont facturées par la Cie. Ménagères, étudiants, retraités, coiffeurs, blanchisseurs, maîtres d`hôtel, etc. tout le monde est logé à la même enseigne. Selon Amah J., la population est obligée de s`offrir du courant parallèle pour survivre. « Le courant normal de la Cie ne fonctionne pas après 16 heures si on a beaucoup de chance. Avec la complicité de certains électriciens, des fois même des agents de la Cie, tu peux avoir du courant parallèle; c`est ce courant qui prend le relais. Mais, même avec ce courant, il y a encore problème», soutient-elle. «Il y a des gens qui sont ici depuis 1987 qui vivent ce problème. D`autres se découragent et s`en vont. Moi, je suis ici depuis 1989. C`est la même galère. Avec ma famille, nous continuons d`espérer que ça change un jour», confie le blanchisseur Pascal Morrison. Qui nous supplie, entre-temps, de ne pas oublier le problème d`eau du quartier. «Pour avoir de l`eau, il faut la tirer avec la Sodeci depuis le bitume de la route de Grand-Bassam, à au moins un kilomètre de la route. Ça fait au moins un million de francs Cfa pour les frais des tuyaux seulement. Vous voyez que dans ces conditions, il est mieux de faire des arrangements pour avoir de l`eau. Tu peux avoir de l`eau avec une personne qui est déjà abonnée ou une personne qui a un forage», explique son voisin.

Des forages artisanaux concurrencent la Sodeci

«Pour la plupart, les habitants de Jean Folly sont obligés de boire l`eau des puits et des forages. On ne sait pas ce qu`on boit. On ne sait pas ce que les opérateurs des forages prennent pour traiter l`eau mais on est obligé de boire parce qu`on n`a pas d`eau potable », soutient Kouakou Bernard, chauffeur des Travaux publics à la retraite. Jusqu`à 14 heures, nous constatons que les puits et les forages sont effectivement à plusieurs endroits de Jean Folly. Certains sont même installés à quelques deux (2) mètres de fosses septiques. Propriétaire de forage, Kocou Léopold (maître d`hôtel), nous sert de guide pendant quelques minutes. Nous avons l`occasion de visiter un forage jouxtant une fosse septique et dont les activités sont suspendues. Il est visible que l`appareil principal de ce forage est au même niveau que la fosse d`aisance. «Les gens se sont rendus compte que l`eau de ce forage n`était pas du tout bon. Il y avait toujours une couleur jaunâtre. On ne sait pas l`origine de cette couleur. Mais, ce sont les clients eux-mêmes qui ont préféré ne plus acheter de cette eau. Dans tous les cas, ici à Jean Folly, c`est Dieu qui nous sauve », commente notre guide. Selon lui, du fait du manque d`eau potable, des personnes ingénieuses et pas philanthropes ont déboursé des sommes allant de 500 000 au million de francs Cfa pour créer des entreprises de distribution d`eau. «A Jean Folly, il y a des dizaines de forages. Cependant, la population est consciente que la qualité de l`eau laisse souvent à désirer », fait observer le maître d`hôtel. Nous apprenons de Kocou Léopold qu`il faut être persévérant pour construire un forage à Jean Folly. « C`est la cinquième fois que j`ai réussi mon forage. Il faut creuser pour aller chercher l`eau à au moins vingt mètres du sol. C`est complexe. Des fois, à trente mètres, l`eau est imbuvable. Tu es obligé de remonter, de tout reprendre. Il faut être persévérant. Aujourd`hui, je peux dire que mon eau est buvable et je sers des gens. J`ai dépensé au moins 500 000 francs Cfa. En deux mois, j`ai pu récupérer mon argent. C`est comme cela qu`on se débrouille ici », nous raconte cet opérateur économique. A son domicile où est installé son forage, Kocou Léopold nous explique que l`équipement fonctionne à l`électricité ou au groupe électrogène. De sorte que dès que le groupe électrogène est mis en marche, les frais additionnels suivent au niveau du coût de l`eau. « En général, les clients ne se plaignent pas. On vend le bidon de 20 litres à 50 francs Cfa. Ça peut augmenter quelle que soit la qualité de l`eau», soutient Kocou L.. «On n`a pas d`autre choix que de boire. Quand les eaux des forages ne sont pas bien conservées, ça sent de l`argile. C`est souvent qu`on boit de l`argile à cause de l`eau provenant des forages artisanaux créés dans le quartier. Il faut souvent faire de multiples visites entre plusieurs forages pour trouver et payer l`eau qu`il est possible de boire sans avoir le goût de l`argile dans la gorge. J`ai demandé à ma femme d`arrêter de vendre de l`eau parce qu`elle était obligée de faire des kilomètres à pied à la recherche d`une eau plus propre qu`elle devait vendre quand même à 10 francs Cfa le petit sachet. Ce n`était pas rentable», évoque Awouté Jean, habitant le quartier depuis 2001. Selon lui, à cause de cette galère, sa femme et lui ont décidé de quitter les lieux avant la fin de l`année pour s`installer dans la commune de Koumassi.

Préoccupations communes

En l`absence du président du quartier, nous échangeons avec Assi Mathieu, le secrétaire général de la Jeunesse de Jean Folly. « Nous avons un gros problème d`électricité et d`eau ici. Il y a peut-être quatre ou cinq transformateurs pour une population entre 500 mille et le million d`habitants. Ce n`est pas possible que ça puisse suffire à tout le monde. Les techniciens disent que le problème n`est pas à leur niveau. Mais nous sommes conscients qu`il y a aussi le problème d`électricité parallèle », note ce représentant de Jean Folly. Qui nous reprend tous les déboires de la population, liés à l`eau et à l`électricité. Avec l`un des membres de son bureau, le secrétaire général de la Jeunesse de Jean Folly nous fait savoir que les transformateurs installés dans la zone ne sont pas suffisants pour la population. « Il y a souvent des coupures et des baisses de tension. Ici, les lampadaires qui sont installés ne fonctionnent plus depuis des années. La fraude aussi est courante ici. Ces problèmes d`électricité sont malheureusement profitables à des bandits qui nous agressent régulièrement», confie Assi Mathieu. Il nous fait savoir que depuis le début du mois d`août 2011 et jusqu`à fin septembre 2011, la Cie a lancé une opération de promotion en vue d`aider les habitants de Jean Folly à s`abonner en électricité. 52 000 francs Cfa sont exigés pour les 5 A et 77 000 francs Cfa pour les 10 A. « Il y a des modalités de paiement. Le souscripteur peut payer en trois modalités », nous confie un membre du bureau de la Jeunesse de Jean Folly. Qui nous informe que l`opération est à sa deuxième liste après une première liste établie de 224 souscripteurs intéressés par la promotion. Selon l`équipe de Assi Mathieu, les habitants du quartier sont régulièrement sensibilisés à s`abonner en eau et en électricité. Témoin de notre entretien avec Assi Mathieu, un habitant de Jean Folly nous a demandé de profiter de l`occasion pour évoquer les problèmes de transports et d`accès aux soins de santé de la population de Jean Folly. « Nous souhaitons que la Sotra (Société de transports abidjanais) nous desserve», plaide-t-il. Aussi, après 14 H 30, lorsque nous quittons Jean Folly, ce samedi 20 août 2011, nous comprenons que la population est confrontée à de multiples difficultés pourrons pas tout écrire. La réalité, en effet, est que Jean Folly renferme toutes les caractéristiques d`un quartier précaire sans infrastructure de base durable. Une question urgente de pauvreté à prendre donc au sérieux par le gouvernement ivoirien.

Par Hermance K-N
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