Le patron du parquet près le tribunal de Yopougon, Rouba Daléba soutient avoir identifié, sur la base des témoignages, plusieurs fosses communes à Yopougon liées aux violences post-électorales. Il explique aussi pourquoi le temple de Thémis a été au centre des combats en avril dernier. Entretien.
Comment se porte le parquet près le tribunal de Yopougon après la crise post-électorale?
Nous avons subi des dégâts très importants. L’ampleur des préjudices était telle que des gens pensaient que le tribunal de Yopougon n’allait pas être fonctionnel de si tôt. Mais le président de la République, Alassane Ouattara, président du conseil supérieur de la Magistrature, M. le Premier ministre et tout le gouvernement ont déployé les moyens au point qu’aujourd’hui notre tribunal est fonctionnel ainsi que le parquet. Je voudrais leur exprimer toute ma gratitude. Cependant, ce qu’ils ont fait ne m’étonne pas connaissant les uns et les autres. Ils ont démontré à toute la Côte d’Ivoire leur attachement au bon fonctionnement de la justice et de toutes les institutions de la République. En effet, pour un Etat comme la Côte d’Ivoire qui sort d’une situation de crise, le défi sécuritaire est important. Il faut conjuguer les efforts pour que la sécurité revienne à un bon niveau. Je sais que ce souci étant partagé, nos dirigeants n’ont ménagé aucun effort et ont donné les moyens nécessaires afin que le tribunal et le parquet de Yopougon soient opérationnels.
Combien a coûté la réhabilitation du tribunal ?
Je n’ai pas le prix exact. Nos autorités, le garde des sceaux, le ministre d’Etat, ministre de la Justice et le responsable technique du ministère de la Justice pourront mieux vous indiquer le coût exact de la réhabilitation. Je sais que l’Etat a dû investir d’énormes sommes d’argent pour pouvoir remettre le tribunal sur pied. Après les pillages, nous sommes venus constater les faits, le garde des sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice s’est déplacé pour voir de près l’ampleur des dommages. Lors de cette visite, ce jour-là, nous lui avons remis un constat d’huissier faisant l’état des lieux. Ce constat indiquait de façon exhaustive ce qui a été pillé ici au tribunal. Je ne peux vous l’énumérer mais je puis vous dire que tout ce qu’il y avait comme matériel de travail c’est-à-dire les ordinateurs et les mobiliers, tout avait été emporté. Les dossiers avaient été jetés par terre et leurs pièces mélangées, rendant toute reconstitution presque impossible. Bref, toute la mémoire du tribunal, du parquet et du greffe a été détruite.
C’est dire qu’une reconstitution des dossiers s’impose ?
Nous essayons de reconstituer à partir de ces débris la mémoire du tribunal. Il y a des dossiers que nous avons pu récupérer. Mais certains sont introuvables. Par exemple (il nous montre une pile de dossiers sur son bureau, ndlr), ce dossier relatif à un cas de divorce. On voit le nom des gens. Toutefois, à l’intérieur de la chemise, l’affaire traitée ne concerne pas les personnes dont les noms y figurent. Donc, notre problème, c’est qu’on voit des chemises de dossiers qui traînent, on voit également des documents à l’intérieur et lorsqu’on fouille, il n’y a aucun lien entre les personnes et l’affaire. Nos agents essaient tant bien que mal de reconstituer les dossiers. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient mais la grande partie de la mémoire du tribunal c’est-à-dire les archives, est perdue. Il va falloir penser à des procédures de reconstitution de dossiers. La mémoire du tribunal doit être totalement reconstituée.
Comment allez-vous procéder ?
Nous avons déjà reçu quelques ordinateurs. Nous espérons que d’autres matériels nous seront livrés dans les jours à venir pour que nous puissions désormais scanner, mettre dans une mémoire informatique les dossiers que nous allons recevoir. Non pas que nous souhaitons que la Côte d’Ivoire connaisse une autre crise mais je pense qu’il est important de tirer partie des progrès techniques. Personnellement, cela fait deux fois que j’ai été confronté à ce genre de problème. J’étais procureur à Man quand, en 2002, la guerre est arrivée. Tout ce qu’on avait là-bas comme dossiers s’est volatilisé. Des personnes qui étaient en procès ou qui avaient gagné leur procès n’avaient rien pour attester qu’elles les avaient effectivement gagnés. Je suggère qu’en plus du tribunal de Yopougon, l’on affecte des informaticiens dans tous les tribunaux de la Côte d’Ivoire, afin que ceux-ci s’attellent à mettre dans une mémoire électronique les documents les plus importants.
Ils doivent en faire deux exemplaires dont un exemple gardé à la bibliothèque ou au greffe dudit tribunal et l’autre copie de la décision transférée au ministère de la justice où la direction des affaires civiles et pénales pourra les conserver de sorte que si jamais ou par extraordinaire un sinistre frappe un tribunal quelconque et que les dossiers sont détruits alors ce qui a été sauvegardé au ministère permettra de reconstituer rapidement les faits. Il en est de même pour l’état civil. Lorsque les agents remplissent les registres de naissance, de mariage ou de décès, on envoie les doubles au tribunal qui sont conservés au greffe. Aujourd’hui, tous ces documents ont été emportés. Il aurait été bon que ce système soit mis en place pour tous les services d’état civil afin qu’il existe des fichiers informatiques qui seront sauvegardés. Une partie va rester à l’état civil, un autre exemplaire confié au tribunal et une autre partie au ministère de l’intérieur. De sorte que si on ne le retrouve pas le dossier dans un service qu’on puisse le récupérer ailleurs. L’Etat doit avoir des archives nationales qui doivent être informatisées et adopter les mêmes instruments de stockage des données pour que si quelque part, on ne retrouve pas un document important qu’on puisse recourir à cette mémoire nationale.
Les affaires dont les dossiers ont disparu sont-elles classées ?
Ces dossiers ne sont pas classés. La loi a prévu des procédures de reconstitution lorsque les pièces dans une procédure ont disparu. Il y a une procédure à suivre pour reconstituer lesdites pièces. Lorsqu’un justiciable viendra attirer notre attention sur une procédure qui l’intéresse et qu’on ne retrouve plus dans nos archives, on utilisera la procédure prévue par la loi pour la reconstitution des pièces de la procédure. Après cela, il faut remettre le dossier dans le circuit normal afin que les procédures suivent leur cours.
Lors des combats d’avril dernier, le tribunal de Yopougon a servi de base arrière aux miliciens et aux soldats sous l’ancien régime. Lors de la visite du garde des sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice Me Jeannot Ahoussou, vous avez déclaré que les scellés ont été pillés tout comme les autres services du tribunal et que des armes à feu ont été emportées. Pourquoi le tribunal a-t-il été un épicentre de la bataille d’Abidjan ?
Je ne sais pas de quel bord politique étaient les individus qui ont pillé le tribunal puisqu’après les dégâts, nous avons relevé écrits sur les murs dans certains bureaux, des slogans hostiles aux deux camps politiques. Pour moi le plus important si Dieu me le permettait, c’est de mettre rapidement la main sur les auteurs de ces pillages, afin de les obliger à restituer les biens volés. Je vous indique que je suis préoccupé par ces affaires. Pour l’heure, nous n’avons pas d’indices sérieux sur l’identité des personnes. Une instruction a été ouverte et nous sommes à l’œuvre. Cette préoccupation s’étend aussi à toutes les procédures d’enquêtes liées aux violences post-électorales qui se sont déroulées à Yopougon. Des dégâts ont été causés, nous l’avons constaté mais nous avançons. Des documents et des biens ont été récupérés. Cependant, les armes à feu sont introuvables. Heureusement qu’il ne s’agissait que d’armes artisanales et de fusil de chasse parce que nous ne gardons jamais d’armes de guerre dans nos scellés. Chaque fois que nous recevons une arme de guerre sous scellé, nous l’avons toujours remise à la police ou à la gendarmerie. Les enquêtes sont en cours.
Peut-on être rassuré qu’elles aboutissent ?
Le problème que nous avons, c’est que les auteurs de pillages ont disparu dans la nature. Des témoins viennent nous décrire les auteurs des faits. Certains témoins affirment avoir formellement identifié ces personnes. D’autres témoins nous confient que les auteurs de pillages et de violences qui étaient leurs voisins, ont quitté le quartier pour des destinations inconnues. C’est cela notre problème. Les auteurs des faits ont donc quitté Yopougon. Les enquêtes sont en cours et nous allons chercher l’identité de ces individus. Mais ceux qui viennent témoigner donnent les pseudonymes des suspects et rarement leurs vrais noms. Nous allons conjuguer nos efforts avec les services de police des autres juridictions et à la longue on les retrouvera. C’est un travail de longue haleine mais tôt ou tard ces individus seront rattrapés par la justice à moins qu’ils ne disparaissent à jamais. Quant à la raison pour laquelle les gens se sont acharnés sur le tribunal de Yopougon, je ne peux pas être formel là-dessus mais je pense qu’ils voulaient s’en prendre à un symbole de l’Etat. Il ne faut pas oublier qu’il y avait aussi des prisonniers en liberté. Comme la Maca d’où ils sont sortis est à Yopougon, ils ont dû penser qu’il fallait détruire la mémoire du tribunal de céans dans l’espoir de détruire un éventuel fichier qui pourrait aider à les retrouver.
Vous affirmez que des témoins se ruent au parquet. Peut-on connaître la nature des plaintes portées à votre connaissance ?
Ce que nous recevons, pour l’heure, comme plaintes résulte en majorité des cas de vols, de pillages liés aux violences post-électorales. Je suis sûr que nous allons recevoir davantage de plaintes à partir d’octobre, avec la fin des vacances judiciaires, quand l’activité judiciaire reprendra son cours normal. Certaines personnes pensent que la reprise n’est pas encore effective. Au niveau des plaintes, nous enregistrons aussi les faits d’assassinats, d’exécutions sommaires, des atrocités inouïes. Il y a plusieurs fosses communes qui ont été découvertes. Je ne voudrais pas, pour le moment, parler de charnier mais plutôt de sépultures communes dans des lieux qui nous ont été indiqués à Yopougon, bien entendu. Ces endroits sont susceptibles d’abriter des corps.
Quels sont précisément ces endroits où vous avez découvert ces fosses communes ?
Nous sommes très respectueux de la loi et l’article 11 du code de procédure pénale dit que la procédure de l’enquête et de l’instruction est sécrète. C’est pour cela que nous sommes circonspects. Ce n’est pas parce que nous voulons cacher quelque chose. Pour nous, quand on mène une enquête et qu’on se met à en révéler le contenu urbi et orbi en déclarant que vous avez découvert telle chose et à tel endroit, si celui qui a commis l’acte apprend cela, qu’il sait qu’il a été identifié et que vous allez l’arrêter, il n’est pas idiot pour rester-là et se laisser attraper sauf si consciemment ou inconsciemment l’enquêteur veut mettre la puce à l’oreille du suspect. C’est pour cela que le législateur a prévu le secret de l’enquête et de l’instruction. Le magistrat n’a aucun intérêt à cacher les choses mais il a le devoir de respecter et d’appliquer la loi. Je sais aussi par expérience que pour être plus efficace, il faut être discret. Nous ne fermons pas la porte aux journalistes. Certes, nous nous confions à la presse. Mais, il y a des détails que nous ne devons pas donner car après la publication de l’article, tout le monde saura le contenu de l’enquête y compris le délinquant qui va lire l’article. Nous avons aussi le devoir de protéger les témoins parce que des mis en cause sont encore armés. Il faut faire preuve de responsabilité lorsqu’on est magistrat du parquet. Ce n’est pas tout qu’on doit dire. Si nous sommes peu bavards, c’est pour l’efficacité de nos enquêtes. Parce que vous devons aller jusqu’au bout pour amener les uns et les autres à répondre de leurs faits. Je vous promets que le jour où les moyens nous seront donnés pour procéder à l’exhumation des corps reposant dans les fosses communes, nous inviterons toute la presse. Il n’y aura plus rien à cacher. Mais pour le moment, nous sommes obligés de protéger les témoins.
Une cellule spéciale d’enquête relative aux violences post-électorales a été mise en place pour recevoir les plaintes des victimes. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de chevauchement dans les procédures ?
Je ne vois pas de chevauchement. Je pense plutôt qu’il y a complémentarité et conjugaison des efforts. Parce que vous et moi avons vécu les violences et les atrocités liées à la crise. L’ampleur des dégâts est telle que le seul procureur de la République près le tribunal du Plateau ne peut tout régler. Pensez-vous qu’un seul procureur, fût-il, compétent et de bonne volonté, peut poursuivre toutes ces affaires ? Donc nous ne devons pas croiser les bras et le laisser seul ployer sous le poids de ces enquêtes. Les autres procureurs doivent s’y mettre et les moyens doivent leur être donnés pour cela. Le retour de la sécurité dans le pays et la réhabilitation de l’Etat de droit sont à ce prix.
Qui sont vos interlocuteurs dans les commissariats de police et dans les brigades de gendarmerie après la crise post-électorale ?
Les interlocuteurs du procureur de la République, ce sont les officiers de police judiciaire(Opj) et les agents de police judiciaire(Apj). Ils apportent leur concours au procureur dans la conduite des affaires pénales. Aujourd’hui, après la crise, nous avons des Opj en place dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie. Les gens voient dans les commissariats les Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, ndlr), mais sincèrement, elles ne font pas les procédures. Elles apportent leur concours au procédurier dans la conduite de la procédure. Elles prêtent main forte aux Opj qualifiés pour le faire. Les procès-verbaux que nous recevons sont faits et signés par les Opj. Pour la gendarmerie, c’est le commandant de brigade, ses adjoints et les gendarmes qualifiés officiers de police judiciaire. Pour les commissariats, c’est le commissaire de police et les officiers de police qui nous envoient ces procédures. Ce ne sont pas les Frci. Leur présence dans les commissariats est justifiée par la circonstance actuelle où la police elle-même a besoin de ces jeunes gens pour conduire la lutte contre l’insécurité ambiante parce qu’actuellement de nombreux policiers n’ont plus d’armes. Lorsque les choses redeviendront normales, ils retourneront dans leurs casernes. Même les unités où il n’existe que des Frci, quand les procédures y sont faites, nous remarquons qu’elles le sont par un Opj. Hier (jeudi, ndlr), j’ai reçu une procédure dressée par le groupement tactique 8 basé à la brigade anti-émeute mais elle a été faite par un capitaine de police que j’ai reçu à mon bureau, ce jour-là. Et d’ailleurs, nous veillons à cela. Il ne suffit pas pour un parquetier de recevoir des procédures et de les porter devant les juridictions. C’est le parquetier qui prend la parole devant la juridiction de jugement pour demander l’application de la loi. Il a donc intérêt à ce que la procédure ne soit pas entachée de nullité. Parce que si c’est le cas, les avocats ou les mis en cause pourront, le moment venu, soulever ces nullités. Elles sont souvent imparables si jamais elles sont découvertes.
Jusqu’où s’étendent vos compétences territoriales ?
La compétence territoriale du tribunal de Yopougon s’étend à toute la commune. Il y a une partie de la commune d’Attécoubé c’est-à-dire Locodjro avec le commissariat de police du 28ème arrondissement. Il y a enfin la commune de Songon. Notre compétence territoriale s’étend aussi aux territoires de nos sections détachées (Tiassalé et Dabou) . A travers ces sections, notre compétence va au-delà de Grand-Lahou et de Tiassalé. Mais les affaires sont d’abord examinées sur place à Tiassalé et à Dabou. Les substituts résidents nous rendent compte et nous leur donnons des instructions pour la bonne conduite des procédures. Cependant, si les circonstances obligent le président du tribunal de Yopougon et le procureur de la République près le tribunal de Yopougon à se transporter à Tiassalé ou à Dabou pour se charger eux-mêmes d’une affaire, la loi les y autorise.
Nombreux sont les justiciables qui se plaignent de la lourdeur de la justice dans le traitement des affaires ; que faites-vous pour briser ce handicap ?
Voyez-vous, le tribunal de Yopougon qui compte plusieurs magistrats compétents est confiné dans l’espace que je viens de vous présenter. Tout le reste relève du tribunal du Plateau. Parce qu’au moment où l’on définissait la compétence territoriale du tribunal de Yopougon, il était prévu que d’autres juridictions devaient être créées à Abidjan notamment à Abobo, à Port-Bouët.
Si ces juridictions avaient été créées, alors elles pouvaient alléger la tâche au tribunal du Plateau. Malheureusement, ces tribunaux n’ont pas vu le jour. Il est bon d’en tirer les conséquences pour revoir la compétence territoriale afin de décharger nos collègues du Plateau. Cela n’a pas été fait de sorte que tout ce qui concerne Abobo, Adjamé, Anyama jusqu’à vers Grand-Bassam et Bingerville, toutes ces affaires se retrouvent au tribunal du Plateau qui est aujourd’hui dépassé. Ils sont confinés dans des bureaux exigus. Ils sont obligés de faire tout ce travail. Les gens qui ne comprennent pas l’ampleur de la tâche, se plaignent de la lenteur dans le traitement des dossiers. Ils sont réellement débordés malgré leur bonne volonté.
Est-ce que l’informatisation des services n’est pas la solution ?
L’ordinateur ne rend pas les jugements. Ce n’est pas l’ordinateur qui décide. Il s’agit de la vie des gens. Je pense que ce qui serait urgent de faire si les moyens de l’Etat ne permettent pas de créer des tribunaux périphériques, il faut simplement par un décret revoir la compétence territoriale des deux juridictions d’Abidjan. De sorte que le tribunal de Yopougon devienne le tribunal d’Abidjan-nord et celui du Plateau le tribunal d’Abidjan-sud. Yopougon pourra alors connaître des affaires d’Abobo, d’Anyama, d’Adjamé. Cela va alléger la tâche du Plateau dans l’immédiat en attendant que les juridictions prévues soient effectives. Si vous allez à Bamako (Mali), il y a plusieurs tribunaux dans la capitale. Par conséquent, il est normal que les affaires soient traitées avec célérité. Et les gens travaillent bien, mais chez nous il n’y a pas ces possibilités. Quand nous voyageons et que nous voyons cela dans les autres pays, nous sommes peinés de voir que notre pays n’arrive pas à créer plusieurs tribunaux pour faciliter le travail. Si nos compétences sont accrues, nous pouvons faire mieux pour faciliter le travail à nos collègues du Plateau. Nous avons les ressources humaines mais elles ne sont pas utilisées comme il le faut. Je ne dis pas que nous chômons mais nous pouvons faire mieux. Cela permettra à la justice d’être un peu plus rapide.
La réalité, c’est que l’Ivoirien demande beaucoup à la justice mais il lui donne peu. Dites-moi où se trouve la cour suprême de notre pays. Notre cour suprême est disséminée aux quatre points cardinaux de la ville d’Abidjan ; cela n’est pas digne de nous. Quand vous allez au Bénin et que vous voyez la cour suprême du Bénin à Porto-Novo vous êtes content d’être magistrat et vous êtes fier pour eux. Dans le transfert des compétences de la capitale politique à Yamoussoukro, il est temps que nos autorités dotent notre pays d’une cour suprême ou d’autres juridictions supérieures dignes. J’ai servi durant trois ans à la cour d’appel de Bouaké où j’ai prêté serment le 26 mars 1989, plus de 20 ans après, Bouaké n’a pas encore une cour d’appel digne de ce nom. La cour d’appel est réduite à louer ou à squatter des locaux. Ce n’est pas digne de nous. Rappelez-vous l’adage : toute société a la justice qu’elle mérite. Si nous donnons des moyens médiocres à la justice, alors il ne faut pas s’étonner des résultats médiocres.
Interview réalisée par Ouattara Mouss
Comment se porte le parquet près le tribunal de Yopougon après la crise post-électorale?
Nous avons subi des dégâts très importants. L’ampleur des préjudices était telle que des gens pensaient que le tribunal de Yopougon n’allait pas être fonctionnel de si tôt. Mais le président de la République, Alassane Ouattara, président du conseil supérieur de la Magistrature, M. le Premier ministre et tout le gouvernement ont déployé les moyens au point qu’aujourd’hui notre tribunal est fonctionnel ainsi que le parquet. Je voudrais leur exprimer toute ma gratitude. Cependant, ce qu’ils ont fait ne m’étonne pas connaissant les uns et les autres. Ils ont démontré à toute la Côte d’Ivoire leur attachement au bon fonctionnement de la justice et de toutes les institutions de la République. En effet, pour un Etat comme la Côte d’Ivoire qui sort d’une situation de crise, le défi sécuritaire est important. Il faut conjuguer les efforts pour que la sécurité revienne à un bon niveau. Je sais que ce souci étant partagé, nos dirigeants n’ont ménagé aucun effort et ont donné les moyens nécessaires afin que le tribunal et le parquet de Yopougon soient opérationnels.
Combien a coûté la réhabilitation du tribunal ?
Je n’ai pas le prix exact. Nos autorités, le garde des sceaux, le ministre d’Etat, ministre de la Justice et le responsable technique du ministère de la Justice pourront mieux vous indiquer le coût exact de la réhabilitation. Je sais que l’Etat a dû investir d’énormes sommes d’argent pour pouvoir remettre le tribunal sur pied. Après les pillages, nous sommes venus constater les faits, le garde des sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice s’est déplacé pour voir de près l’ampleur des dommages. Lors de cette visite, ce jour-là, nous lui avons remis un constat d’huissier faisant l’état des lieux. Ce constat indiquait de façon exhaustive ce qui a été pillé ici au tribunal. Je ne peux vous l’énumérer mais je puis vous dire que tout ce qu’il y avait comme matériel de travail c’est-à-dire les ordinateurs et les mobiliers, tout avait été emporté. Les dossiers avaient été jetés par terre et leurs pièces mélangées, rendant toute reconstitution presque impossible. Bref, toute la mémoire du tribunal, du parquet et du greffe a été détruite.
C’est dire qu’une reconstitution des dossiers s’impose ?
Nous essayons de reconstituer à partir de ces débris la mémoire du tribunal. Il y a des dossiers que nous avons pu récupérer. Mais certains sont introuvables. Par exemple (il nous montre une pile de dossiers sur son bureau, ndlr), ce dossier relatif à un cas de divorce. On voit le nom des gens. Toutefois, à l’intérieur de la chemise, l’affaire traitée ne concerne pas les personnes dont les noms y figurent. Donc, notre problème, c’est qu’on voit des chemises de dossiers qui traînent, on voit également des documents à l’intérieur et lorsqu’on fouille, il n’y a aucun lien entre les personnes et l’affaire. Nos agents essaient tant bien que mal de reconstituer les dossiers. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient mais la grande partie de la mémoire du tribunal c’est-à-dire les archives, est perdue. Il va falloir penser à des procédures de reconstitution de dossiers. La mémoire du tribunal doit être totalement reconstituée.
Comment allez-vous procéder ?
Nous avons déjà reçu quelques ordinateurs. Nous espérons que d’autres matériels nous seront livrés dans les jours à venir pour que nous puissions désormais scanner, mettre dans une mémoire informatique les dossiers que nous allons recevoir. Non pas que nous souhaitons que la Côte d’Ivoire connaisse une autre crise mais je pense qu’il est important de tirer partie des progrès techniques. Personnellement, cela fait deux fois que j’ai été confronté à ce genre de problème. J’étais procureur à Man quand, en 2002, la guerre est arrivée. Tout ce qu’on avait là-bas comme dossiers s’est volatilisé. Des personnes qui étaient en procès ou qui avaient gagné leur procès n’avaient rien pour attester qu’elles les avaient effectivement gagnés. Je suggère qu’en plus du tribunal de Yopougon, l’on affecte des informaticiens dans tous les tribunaux de la Côte d’Ivoire, afin que ceux-ci s’attellent à mettre dans une mémoire électronique les documents les plus importants.
Ils doivent en faire deux exemplaires dont un exemple gardé à la bibliothèque ou au greffe dudit tribunal et l’autre copie de la décision transférée au ministère de la justice où la direction des affaires civiles et pénales pourra les conserver de sorte que si jamais ou par extraordinaire un sinistre frappe un tribunal quelconque et que les dossiers sont détruits alors ce qui a été sauvegardé au ministère permettra de reconstituer rapidement les faits. Il en est de même pour l’état civil. Lorsque les agents remplissent les registres de naissance, de mariage ou de décès, on envoie les doubles au tribunal qui sont conservés au greffe. Aujourd’hui, tous ces documents ont été emportés. Il aurait été bon que ce système soit mis en place pour tous les services d’état civil afin qu’il existe des fichiers informatiques qui seront sauvegardés. Une partie va rester à l’état civil, un autre exemplaire confié au tribunal et une autre partie au ministère de l’intérieur. De sorte que si on ne le retrouve pas le dossier dans un service qu’on puisse le récupérer ailleurs. L’Etat doit avoir des archives nationales qui doivent être informatisées et adopter les mêmes instruments de stockage des données pour que si quelque part, on ne retrouve pas un document important qu’on puisse recourir à cette mémoire nationale.
Les affaires dont les dossiers ont disparu sont-elles classées ?
Ces dossiers ne sont pas classés. La loi a prévu des procédures de reconstitution lorsque les pièces dans une procédure ont disparu. Il y a une procédure à suivre pour reconstituer lesdites pièces. Lorsqu’un justiciable viendra attirer notre attention sur une procédure qui l’intéresse et qu’on ne retrouve plus dans nos archives, on utilisera la procédure prévue par la loi pour la reconstitution des pièces de la procédure. Après cela, il faut remettre le dossier dans le circuit normal afin que les procédures suivent leur cours.
Lors des combats d’avril dernier, le tribunal de Yopougon a servi de base arrière aux miliciens et aux soldats sous l’ancien régime. Lors de la visite du garde des sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice Me Jeannot Ahoussou, vous avez déclaré que les scellés ont été pillés tout comme les autres services du tribunal et que des armes à feu ont été emportées. Pourquoi le tribunal a-t-il été un épicentre de la bataille d’Abidjan ?
Je ne sais pas de quel bord politique étaient les individus qui ont pillé le tribunal puisqu’après les dégâts, nous avons relevé écrits sur les murs dans certains bureaux, des slogans hostiles aux deux camps politiques. Pour moi le plus important si Dieu me le permettait, c’est de mettre rapidement la main sur les auteurs de ces pillages, afin de les obliger à restituer les biens volés. Je vous indique que je suis préoccupé par ces affaires. Pour l’heure, nous n’avons pas d’indices sérieux sur l’identité des personnes. Une instruction a été ouverte et nous sommes à l’œuvre. Cette préoccupation s’étend aussi à toutes les procédures d’enquêtes liées aux violences post-électorales qui se sont déroulées à Yopougon. Des dégâts ont été causés, nous l’avons constaté mais nous avançons. Des documents et des biens ont été récupérés. Cependant, les armes à feu sont introuvables. Heureusement qu’il ne s’agissait que d’armes artisanales et de fusil de chasse parce que nous ne gardons jamais d’armes de guerre dans nos scellés. Chaque fois que nous recevons une arme de guerre sous scellé, nous l’avons toujours remise à la police ou à la gendarmerie. Les enquêtes sont en cours.
Peut-on être rassuré qu’elles aboutissent ?
Le problème que nous avons, c’est que les auteurs de pillages ont disparu dans la nature. Des témoins viennent nous décrire les auteurs des faits. Certains témoins affirment avoir formellement identifié ces personnes. D’autres témoins nous confient que les auteurs de pillages et de violences qui étaient leurs voisins, ont quitté le quartier pour des destinations inconnues. C’est cela notre problème. Les auteurs des faits ont donc quitté Yopougon. Les enquêtes sont en cours et nous allons chercher l’identité de ces individus. Mais ceux qui viennent témoigner donnent les pseudonymes des suspects et rarement leurs vrais noms. Nous allons conjuguer nos efforts avec les services de police des autres juridictions et à la longue on les retrouvera. C’est un travail de longue haleine mais tôt ou tard ces individus seront rattrapés par la justice à moins qu’ils ne disparaissent à jamais. Quant à la raison pour laquelle les gens se sont acharnés sur le tribunal de Yopougon, je ne peux pas être formel là-dessus mais je pense qu’ils voulaient s’en prendre à un symbole de l’Etat. Il ne faut pas oublier qu’il y avait aussi des prisonniers en liberté. Comme la Maca d’où ils sont sortis est à Yopougon, ils ont dû penser qu’il fallait détruire la mémoire du tribunal de céans dans l’espoir de détruire un éventuel fichier qui pourrait aider à les retrouver.
Vous affirmez que des témoins se ruent au parquet. Peut-on connaître la nature des plaintes portées à votre connaissance ?
Ce que nous recevons, pour l’heure, comme plaintes résulte en majorité des cas de vols, de pillages liés aux violences post-électorales. Je suis sûr que nous allons recevoir davantage de plaintes à partir d’octobre, avec la fin des vacances judiciaires, quand l’activité judiciaire reprendra son cours normal. Certaines personnes pensent que la reprise n’est pas encore effective. Au niveau des plaintes, nous enregistrons aussi les faits d’assassinats, d’exécutions sommaires, des atrocités inouïes. Il y a plusieurs fosses communes qui ont été découvertes. Je ne voudrais pas, pour le moment, parler de charnier mais plutôt de sépultures communes dans des lieux qui nous ont été indiqués à Yopougon, bien entendu. Ces endroits sont susceptibles d’abriter des corps.
Quels sont précisément ces endroits où vous avez découvert ces fosses communes ?
Nous sommes très respectueux de la loi et l’article 11 du code de procédure pénale dit que la procédure de l’enquête et de l’instruction est sécrète. C’est pour cela que nous sommes circonspects. Ce n’est pas parce que nous voulons cacher quelque chose. Pour nous, quand on mène une enquête et qu’on se met à en révéler le contenu urbi et orbi en déclarant que vous avez découvert telle chose et à tel endroit, si celui qui a commis l’acte apprend cela, qu’il sait qu’il a été identifié et que vous allez l’arrêter, il n’est pas idiot pour rester-là et se laisser attraper sauf si consciemment ou inconsciemment l’enquêteur veut mettre la puce à l’oreille du suspect. C’est pour cela que le législateur a prévu le secret de l’enquête et de l’instruction. Le magistrat n’a aucun intérêt à cacher les choses mais il a le devoir de respecter et d’appliquer la loi. Je sais aussi par expérience que pour être plus efficace, il faut être discret. Nous ne fermons pas la porte aux journalistes. Certes, nous nous confions à la presse. Mais, il y a des détails que nous ne devons pas donner car après la publication de l’article, tout le monde saura le contenu de l’enquête y compris le délinquant qui va lire l’article. Nous avons aussi le devoir de protéger les témoins parce que des mis en cause sont encore armés. Il faut faire preuve de responsabilité lorsqu’on est magistrat du parquet. Ce n’est pas tout qu’on doit dire. Si nous sommes peu bavards, c’est pour l’efficacité de nos enquêtes. Parce que vous devons aller jusqu’au bout pour amener les uns et les autres à répondre de leurs faits. Je vous promets que le jour où les moyens nous seront donnés pour procéder à l’exhumation des corps reposant dans les fosses communes, nous inviterons toute la presse. Il n’y aura plus rien à cacher. Mais pour le moment, nous sommes obligés de protéger les témoins.
Une cellule spéciale d’enquête relative aux violences post-électorales a été mise en place pour recevoir les plaintes des victimes. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de chevauchement dans les procédures ?
Je ne vois pas de chevauchement. Je pense plutôt qu’il y a complémentarité et conjugaison des efforts. Parce que vous et moi avons vécu les violences et les atrocités liées à la crise. L’ampleur des dégâts est telle que le seul procureur de la République près le tribunal du Plateau ne peut tout régler. Pensez-vous qu’un seul procureur, fût-il, compétent et de bonne volonté, peut poursuivre toutes ces affaires ? Donc nous ne devons pas croiser les bras et le laisser seul ployer sous le poids de ces enquêtes. Les autres procureurs doivent s’y mettre et les moyens doivent leur être donnés pour cela. Le retour de la sécurité dans le pays et la réhabilitation de l’Etat de droit sont à ce prix.
Qui sont vos interlocuteurs dans les commissariats de police et dans les brigades de gendarmerie après la crise post-électorale ?
Les interlocuteurs du procureur de la République, ce sont les officiers de police judiciaire(Opj) et les agents de police judiciaire(Apj). Ils apportent leur concours au procureur dans la conduite des affaires pénales. Aujourd’hui, après la crise, nous avons des Opj en place dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie. Les gens voient dans les commissariats les Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, ndlr), mais sincèrement, elles ne font pas les procédures. Elles apportent leur concours au procédurier dans la conduite de la procédure. Elles prêtent main forte aux Opj qualifiés pour le faire. Les procès-verbaux que nous recevons sont faits et signés par les Opj. Pour la gendarmerie, c’est le commandant de brigade, ses adjoints et les gendarmes qualifiés officiers de police judiciaire. Pour les commissariats, c’est le commissaire de police et les officiers de police qui nous envoient ces procédures. Ce ne sont pas les Frci. Leur présence dans les commissariats est justifiée par la circonstance actuelle où la police elle-même a besoin de ces jeunes gens pour conduire la lutte contre l’insécurité ambiante parce qu’actuellement de nombreux policiers n’ont plus d’armes. Lorsque les choses redeviendront normales, ils retourneront dans leurs casernes. Même les unités où il n’existe que des Frci, quand les procédures y sont faites, nous remarquons qu’elles le sont par un Opj. Hier (jeudi, ndlr), j’ai reçu une procédure dressée par le groupement tactique 8 basé à la brigade anti-émeute mais elle a été faite par un capitaine de police que j’ai reçu à mon bureau, ce jour-là. Et d’ailleurs, nous veillons à cela. Il ne suffit pas pour un parquetier de recevoir des procédures et de les porter devant les juridictions. C’est le parquetier qui prend la parole devant la juridiction de jugement pour demander l’application de la loi. Il a donc intérêt à ce que la procédure ne soit pas entachée de nullité. Parce que si c’est le cas, les avocats ou les mis en cause pourront, le moment venu, soulever ces nullités. Elles sont souvent imparables si jamais elles sont découvertes.
Jusqu’où s’étendent vos compétences territoriales ?
La compétence territoriale du tribunal de Yopougon s’étend à toute la commune. Il y a une partie de la commune d’Attécoubé c’est-à-dire Locodjro avec le commissariat de police du 28ème arrondissement. Il y a enfin la commune de Songon. Notre compétence territoriale s’étend aussi aux territoires de nos sections détachées (Tiassalé et Dabou) . A travers ces sections, notre compétence va au-delà de Grand-Lahou et de Tiassalé. Mais les affaires sont d’abord examinées sur place à Tiassalé et à Dabou. Les substituts résidents nous rendent compte et nous leur donnons des instructions pour la bonne conduite des procédures. Cependant, si les circonstances obligent le président du tribunal de Yopougon et le procureur de la République près le tribunal de Yopougon à se transporter à Tiassalé ou à Dabou pour se charger eux-mêmes d’une affaire, la loi les y autorise.
Nombreux sont les justiciables qui se plaignent de la lourdeur de la justice dans le traitement des affaires ; que faites-vous pour briser ce handicap ?
Voyez-vous, le tribunal de Yopougon qui compte plusieurs magistrats compétents est confiné dans l’espace que je viens de vous présenter. Tout le reste relève du tribunal du Plateau. Parce qu’au moment où l’on définissait la compétence territoriale du tribunal de Yopougon, il était prévu que d’autres juridictions devaient être créées à Abidjan notamment à Abobo, à Port-Bouët.
Si ces juridictions avaient été créées, alors elles pouvaient alléger la tâche au tribunal du Plateau. Malheureusement, ces tribunaux n’ont pas vu le jour. Il est bon d’en tirer les conséquences pour revoir la compétence territoriale afin de décharger nos collègues du Plateau. Cela n’a pas été fait de sorte que tout ce qui concerne Abobo, Adjamé, Anyama jusqu’à vers Grand-Bassam et Bingerville, toutes ces affaires se retrouvent au tribunal du Plateau qui est aujourd’hui dépassé. Ils sont confinés dans des bureaux exigus. Ils sont obligés de faire tout ce travail. Les gens qui ne comprennent pas l’ampleur de la tâche, se plaignent de la lenteur dans le traitement des dossiers. Ils sont réellement débordés malgré leur bonne volonté.
Est-ce que l’informatisation des services n’est pas la solution ?
L’ordinateur ne rend pas les jugements. Ce n’est pas l’ordinateur qui décide. Il s’agit de la vie des gens. Je pense que ce qui serait urgent de faire si les moyens de l’Etat ne permettent pas de créer des tribunaux périphériques, il faut simplement par un décret revoir la compétence territoriale des deux juridictions d’Abidjan. De sorte que le tribunal de Yopougon devienne le tribunal d’Abidjan-nord et celui du Plateau le tribunal d’Abidjan-sud. Yopougon pourra alors connaître des affaires d’Abobo, d’Anyama, d’Adjamé. Cela va alléger la tâche du Plateau dans l’immédiat en attendant que les juridictions prévues soient effectives. Si vous allez à Bamako (Mali), il y a plusieurs tribunaux dans la capitale. Par conséquent, il est normal que les affaires soient traitées avec célérité. Et les gens travaillent bien, mais chez nous il n’y a pas ces possibilités. Quand nous voyageons et que nous voyons cela dans les autres pays, nous sommes peinés de voir que notre pays n’arrive pas à créer plusieurs tribunaux pour faciliter le travail. Si nos compétences sont accrues, nous pouvons faire mieux pour faciliter le travail à nos collègues du Plateau. Nous avons les ressources humaines mais elles ne sont pas utilisées comme il le faut. Je ne dis pas que nous chômons mais nous pouvons faire mieux. Cela permettra à la justice d’être un peu plus rapide.
La réalité, c’est que l’Ivoirien demande beaucoup à la justice mais il lui donne peu. Dites-moi où se trouve la cour suprême de notre pays. Notre cour suprême est disséminée aux quatre points cardinaux de la ville d’Abidjan ; cela n’est pas digne de nous. Quand vous allez au Bénin et que vous voyez la cour suprême du Bénin à Porto-Novo vous êtes content d’être magistrat et vous êtes fier pour eux. Dans le transfert des compétences de la capitale politique à Yamoussoukro, il est temps que nos autorités dotent notre pays d’une cour suprême ou d’autres juridictions supérieures dignes. J’ai servi durant trois ans à la cour d’appel de Bouaké où j’ai prêté serment le 26 mars 1989, plus de 20 ans après, Bouaké n’a pas encore une cour d’appel digne de ce nom. La cour d’appel est réduite à louer ou à squatter des locaux. Ce n’est pas digne de nous. Rappelez-vous l’adage : toute société a la justice qu’elle mérite. Si nous donnons des moyens médiocres à la justice, alors il ne faut pas s’étonner des résultats médiocres.
Interview réalisée par Ouattara Mouss