Pour la première fois depuis la mise au chômage technique de 322 agents, le patron de la RTI (Radiodiffusion Télévision Ivoirienne) parle. Dans cet entretien, Aka Sayé Lazare explique les raisons de cette mesure diversement interprétée par l’opinion publique, annonce un licenciement d’une partie du personnel, pour motifs économique et dévoile sa vision pour rendre davantage compétitive la RTI.
Le Patriote : Vous venez de sortir d’un séminaire de haut niveau animé par Alain de Pouzilhac, directeur de l’Audiovisuel Extérieur de la France. Quels enseignements tirez-vous de cette session de formation ?
Aka Sayé Lazare : Le premier enseignement que je tire et c’est le principal, c’est que nos entreprises de presse écrite ou de médias audiovisuels sont avant tout des entreprises. Par conséquent, elles ont besoin d’être gérées comme de vraies entreprises avec un management moderne surtout par ces temps de changement, de compétition et de concurrence. Si le management d’une entreprise quelle qu’elle soit, n’est pas au point, elle meurt. En ce qui concerne la RTI, notre état de santé est tel qu’il nous fallait aller à ce séminaire qui nous a permis de comprendre qu’on peut mieux gérer une entreprise comme la nôtre avec un peu plus de rigueur, de courage et d’audace.
L.P : Ce séminaire a-t-il changé votre vision managériale ?
AKS : Absolument. En termes de vision, il nous a été clairement indiqué que la RTI, comme toute la presse d’ailleurs en Côte d’Ivoire, vit à l’heure du changement. Cette ère de changement ne va pas durer une éternité. C’est le moment pour nous de changer aussi, notre façon de voir le monde, la Côte d’Ivoire, de gérer l’information. Ma vision managériale était déjà forgée avant, et ce séminaire n’a fait que la renforcer. J’ai toujours pensé qu’une entreprise, c’est d’abord le management des ressources humaines, ensuite celui des autres ressources. On n’oublie pas que le management, c’est aussi les relations entre l’entreprise et son environnement. Et surtout avoir clairement à l’idée, l’objectif qu’on s’est fixé. Et en fonction de ce cap, on identifie une stratégie, on l’écrit et en accord avec la vision, on essaie alors de faire en sorte que l’ensemble des travailleurs adhère à cette vision, à commencer par le comité de direction, les proches collaborateurs. Donc, sans vision et sans adhésion de l’équipe managériale à cette vision, il n’y a pas de résultats. Voila ce que j’ai tiré comme enseignements de cette formation. Et bien entendu, des choses vont changer.
L.P : Justement qu’est-ce qui va changer ?
ASL : Le changement a déjà commencé et il est en cours. Nous avons le devoir d’offrir aux Ivoiriens la RTI qu’ils méritent aujourd’hui, non seulement en termes de gestion de l’information et de la qualité de contenu de nos programmes, mais aussi en termes de gestion de l’entreprise. Parce que pour avoir des contenus de qualité, de l’information de qualité sur nos antennes, il faut un bon management. Il faut que le dirigeant que nous sommes, soit conscient que c’est tout l’ensemble des moyens dont nous disposons qui concourt à la qualité de nos programmes, que nous proposons à nos auditeurs et nos téléspectateurs. Et cette qualité, ce sont les hommes d’abord. Pour nous, la formation de nos agents sera au cœur de nos préoccupations, histoire de leur donner l’essentiel du métier, une amplitude plus importante de leur métier chacun dans son domaine : production, réalisation, journalisme, de sorte qu’au finish dans tous les départements de la RTI l’on ait conscience qu’on est au service de l’entreprise et que l’entreprise est au service des Ivoiriens et de toutes ses audiences.
L.P : Le vent de changement que vous annoncez vient déjà de souffler très fort en jetant hors des locaux de la RTI, 322 agents qui sont désormais au chômage technique. Si certains comprennent dans une logique de gestion cette mesure, en revanche, pour beaucoup de vos agents, elle tombe au mauvais moment surtout après la rentrée scolaire et avant les fêtes. Pourquoi n’avez-vous pas attendu, simplement début janvier 2012 ?
ASL : Vous savez, le mal était si profond que si on avait attendu un mois de plus, la RTI allait succomber.
L.P : Ah bon ?
ASL : Eh oui ! La RTI allait succomber de ce mal. On traîne des déficits chroniques de plus de 9 milliards de FCFA. Notre masse salariale absorbe presque que la totalité de notre chiffre d’affaires. Ecoutez, en tant que responsable de cette entreprise, je ne pouvais rester les bras croisés et regarder la RTI mourir. C’était un impératif. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte nouveau avec un gouvernement qui est plus exigeant en matière de performance et de rendement et de résultats. La RTI ne peut pas s’isoler sur cette scène en étant médiocre, une entreprise déficitaire de façon chronique. Il fallait faire quelque chose et le faire le plus rapidement possible. C’est ce que je suis en train de faire. Et ce que j’ai fait n’est que le premier grand signe du changement, mais il y a d’autres changements qu’on ne voit pas parce qu’ils se font en profondeur. Nous sommes en train de prendre des mesures pour réduire considérablement le train de vie de l’entreprise, supprimer beaucoup de charges d’exploitation que nous ne trouvons pas nécessaires. J’ai par exemple décidé de supprimer tous les perdiems des productions qui se font au sein de la RTI. Je pense que quand un agent vient à la RTI, c’est pour travailler. Que ce soit pour la production d’émissions, ou de magazines ou pour les reportages, il vient au travail. Il a son salaire. Il n’a pas besoin de prime pour cela. J’ai donc mis fin à cette culture de prime. Je suis aussi en train supprimer des frais généraux qui sont devenus de véritables charges pour l’entreprise, alors qu’elle doit être aujourd’hui redimensionnée. Et ce redimensionnement va l’amener à une sorte de cure d’amaigrissement qui fera qu’elle se portera mieux, fera moins de dépenses et produira plus. Lorsque le personnel est moins pléthorique, réajusté à un niveau qui correspond à la taille réelle de l’entreprise, chaque agent devient plus performant. Il sait qu’on le regarde. Il sait qu’on attend de lui un résultat. Il ne se repose pas sur son collègue. Il fait son travail correctement. Il est plus performant. Et quand on est plus performant, on produit plus, le rendement s’améliore et l’entreprise se porte mieux parce que les résultats sont meilleurs. Et alors, il y a un retour envers le travailleur en termes de récompenses, de bonus, et de primes. Il fallait que la RTI, d’ici l’année 2012, passe par là.
L.P : Comment cette liste a-t-elle été établie ?
ASL : Elle a été faite sur des critères objectifs. Il faut d’abord dire que deux semaines avant de passer à cette phase de mise en chômage technique, j’ai fait passer une circulaire demandant aux agents qui le souhaiteraient de s’inscrire pour un départ volontaire à la retraite. C’est-à-dire que les agents qui sont à cinq ans ou moins de la retraite pouvaient demander leur départ s’ils le voulaient. Et l’entreprise était prête à les accompagner. Cette circulaire est restée sans effet. Aucun agent ne s’est inscrit. Je n’avais pas d’autre choix que de passer à ce plan de chômage technique. Les critères, c’étaient ceux qui devaient aller à la retraite dans 5 ans au moins, ceux ne qui venaient plus au travail donc les absents chroniques qu’on payait à ne rien faire, les ex-responsables d’encadrement qui n’étaient plus à leur poste et qui flottaient parce que n’ayant pas de nouvelles attributions. Il fallait donc les mettre dans le lot. Il y a aussi les grands malades et toutes ces personnes que nous payons alors qu’elles sont sous des procédures judiciaires et puis nos propres agents qui ont commis des délits de pillages de vols ou de détournements de biens de l’entreprise. On a une liste d’au moins une dizaine de personnes qu’on a mises dans le lot, le temps que la procédure suive son cours et qu’on prenne une décision. Il y a également les incompétents. On a demandé aux directeurs de départements de nous donner les noms de leurs agents les plus incompétents. Et c’est eux qui ont donné les noms. Le directeur général n’a pas fait de choix en tant que tel. On a atteint donc le chiffre de 322 agents, que vous connaissez. Mais, comme j’ai eu à le dire, on va analyser la situation après les deux mois. Parmi ces 322, certains vont revenir si le poste qu’ils occupaient est un poste essentiel pour lequel, on ne peut pas les remplacer. Mais, on ne va pas faire revenir des masses de personnes. Ce qui est encore essentiel à dire, c’est que le licenciement pour motif économique va se faire, parce que 840 agents, c’est pléthorique. Nous ne faisons qu’appliquer une décision du Conseil d’Administration qui nous a demandé de réduire le personnel.
L.P : Comment d’agents sont-ils concernés par le licenciement économique ?
ASL : A ce jour, je ne peux pas vous indiquer de chiffres, mais je peux cependant vous dire que chaque organe de la RTI aura à la fin de la mesure la moyenne d’effectif qu’il mérite. Nous sommes donc en train de faire des études pour savoir combien d’agents, il faut à la rédaction de la Première chaîne pour fonctionner normalement. Le minimum qu’il faut. La même règle sera appliquée pour tous les organes de la RTI.
L.P : On a retrouvé sur cette liste des noms célèbres qui ont un vécu à la RTI et voire porté à un moment de leur carrière cette télé. D’aucuns vous reprochent, vous et vos proches collaborateurs, d’avoir profité de cette situation pour régler vos comptes avec certains agents...
ASL : Pensez-vous que j’ai des comptes à régler avec quelqu’un ? Non, pas du tout. Je répète que pour être le plus objectif possible, j’ai demandé que ce soit les directeurs eux-mêmes, qui connaissent mieux les forces et les faiblesses de leurs agents, qui donnent les noms. Ce qui a été fait. S’il y a des icônes qui se sont été retrouvées sur la liste, ce n’est pas le DG qui a fait le choix. Mais comme je l’ai dit, cette liste n’est pas la liste de licenciement, ce n’est qu’un chômage technique de deux mois. Certains pourraient revenir en fonction du rôle qu’ils jouaient à la RTI, de l’audience qu’ils donnent à la RTI, à travers leurs émissions. On pourrait revoir des situations et faire revenir certaines personnes. Le grand lot de ceux qui sont partis sera rejoint par une autre liste de licenciés pour motif économique. De 840 agents, nous devons savoir à quel effectif nous devons nous arrêter : 400 ? 300 ? 500 ? L’étude est en cours et bientôt j’aurai les résultats. Si elle me dit qu’il faut 400 agents pour faire tourner la RTI, les autres partiront, malgré moi, pour sauver l’entreprise.
L.P : Selon nos informations, vous visez le nombre de 300 agents…
ASL : Effectivement, en tant que Directeur général, je vise ce nombre. Pour moi, 300 agents peuvent faire tourner la RTI. Mais, des secteurs auront plus d’agents que d’autres. On a un parc automobile de plus de 50 véhicules, cela fait au moins 50 chauffeurs. Il faut savoir si tous ces chauffeurs sont indispensables pour l’activité que nous menons. Si on se rend compte qu’avec 25 chauffeurs, la RTI peut tourner, la moitié doit partir. Si on se rend compte qu’on a 20 réalisateurs et qu’avec 10 on peut simplement tourner, 10 doivent partir. C’est donc une étude qu’on fait avec les directeurs des organes eux-mêmes. Je leur demande de faire une description des tâches essentielles sans lesquelles, la RTI ne peut pas fonctionner. Une fois que cela sera fait, alors on passera au profil des hommes qui assumeront ces tâches. Voilà comment je procède. Ce n’est donc pas par baguette magique. C’est scientifique. Les ressources humaines, c’est comme le sang, quand il y en a trop, tu es malade. Quand il n’y en a pas assez, tu es malade. C’est donc le juste milieu qu’on va essayer de trouver.
L.P : Avec le départ des 322 agents, combien la RTI va-t-elle économiser ?
ASL : Si avec les 322 agents qui sont partis et à qui on ne paie que le demi-salaire, on réalise près de 90 millions d’économie par mois, imaginez alors que ce nombre soit un départ définitif, c’est le double de ce nombre qu’on aurait économisé. Et ce n’est pas rien. Pour une entreprise qui faisait des pertes, cette économie est substantielle. Et sur un an, je peux vous garantir que la RTI retrouvera les équilibres essentiels de sa gestion. Il y a aussi des mesures de rigueur financière que nous appliquons à nous-mêmes et à l’ensemble de l’entreprise. Aujourd’hui, par exemple, tous les budgets qui viennent sur mon bureau pour validation sont amputés de beaucoup de leurs lignes. J’estime par exemple qu’il n’est pas nécessaire de payer un cachet à un invité qui vient à une émission pour faire valoir ses connaissances. Ce n’est pas normal. L’invité ne vient pas pour un cachet, mais plutôt pour une contribution. Il vient faire partager son savoir et son expérience aux Ivoiriens. C’est un échange entre eux et nous. Nous leur donnons la notoriété de leur compétence, leur personnalité, leur savoir-faire. En retour, eux nous apportent leur expérience, leur connaissance. Voici un peu la vision que j’ai partagée avec mes collaborateurs et ils m’ont compris. Désormais, les budgets de production seront moins gourmands.
L.P : Comment expliquez-vous que la RTI soit depuis plusieurs années en difficultés financières ?
AKS : La RTI a connu plusieurs moments d’instabilité institutionnelle. Plusieurs directions se sont succédé. Les unes avec leurs manières de gérer, les autres avec leur vision, mais rare sont les directeurs qui ont le souci de gérer la RTI comme une entreprise. J’en connais un seul, sans le nommer, qui a eu ce souci. Depuis qu’il est parti, les autres n’ont eu d’autres soucis que de dépenser l’argent public, de servir eux-mêmes, de vivre sur le dos de l’entreprise sans se soucier du fait que l’entreprise doit elle-même vivre voire faire du profit. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle RTI. Ce n’est pas parce qu’on fait des JT et des émissions de variété, de jeux qu’on ne doit pas avoir la rigueur d’une entreprise. L’esprit fonctionnaire, c’est terminé à la RTI. Il y aura cette culture de résultats. Ceux qui travaillent bien seront récompensés, ceux qui travaillent mal seront sanctionnés.
L.P : Quel a été l’impact de la crise postélectorale sur la RTI ?
AKS : Il a été dramatique. Je ne peux pas vous décrire avec les mots ce que nous avons trouvé en mettant les pieds dans cette maison bleue. C’était un tas de ruine. Il n’y avait plus de bureaux, de mobilier, d’outil informatique. Il n’y avait rien. La RTI n’existait pas. C’est pourquoi TCI l’a accompagnée jusqu’à ce qu’elle retrouve ses moyens grâce à l’Etat. Je tiens à le souligner avec force. Nous avons bénéficié d’un programme d’urgence, qui a permis que des fournisseurs de matériel audiovisuel rééquipent tous les studios radio et télé. Si aujourd’hui si les chaînes de la RTI tournent, c’est grâce à l’Etat de Côte d’Ivoire. Mais son accompagnement s’arrête là. Nous devons nous donner nous-mêmes les moyens de faire une télé et une radio que les Ivoiriens aiment.
L.P : L’an prochain, ce sera la libéralisation de l’espace audiovisuel. Comment la RTI se prépare t-elle pour faire face à la concurrence ?
AKS : La conférence est déjà là, mais elle se verra plus visible dans quelques mois avec l’avènement des télés privées avec des moyens beaucoup plus performants que nous. Nous n’avons pas le droit de dormir. Nous voulons avoir des moyens qui surpassent ceux des autres. Cela passe d’abord par la qualité des hommes, puis celle du matériel. Nous avons déjà le matériel, c’est pourquoi nous mettrons l’accent sur la formation des hommes. Ceux qui vont rester à la RTI vont bénéficier de formation de haut niveau afin que chacun se sente là où il se trouve responsable de la qualité de la vie de l’entreprise. Je ferai donc la formation de mes agents une priorité : techniciens, réalisateurs, producteurs… Tout le monde passera par la formation pour être performant. Ensuite, nous aurons un cahier de charges bien précis, tous les rendez-vous avec les téléspectateurs seront respectés. Je mettrai l’accent sur les productions nationales, et à tout le moins sur celles qui véhiculent des valeurs proches de nous dans lesquelles nous nous reconnaissons. J’ai demandé à mes collaborateurs des productions et programmes, de voir comment nous pouvons inverser la tendance qui consiste à inonder nos écrans de feuilletons brésiliens ou indiens, en lesquels les Ivoiriens ne se reconnaissent pas parce que ce ne sont pas nos valeurs et notre culture. Je vais donc mettre l’accent sur les productions nationales et africaines de sorte que la RTI soit vraiment une télévision ivoirienne et que les rendez-vous soient des rendez-vous attendus et respectés.
L.P : Dans les couloirs de RTI, on vous dit austère, trop dur…
AKS : Je suis un produit de l’entreprise privée. Ce caractère que vous qualifiez d’austère vient peut-être de là. J’ai appris qu’une entreprise est comme un être humain. Il faut travailler pour qu’elle vive. Et si elle vit, elle fait vivre des familles. Pour moi, ce caractère est celui d’un chef d’entreprise. Dans le travail, je ne joue pas. Je n’ai pas d’amis, encore moins de frères et sœurs. Et tout collaborateur, quels que soient nos rapports, sera sanctionné sans état d’âme, s’il commet une faute de nature à compromettre le fonctionnement de l’entreprise. Lorsque ce collaborateur fait preuve de rigueur et de compétence, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas récompensé.
Réalisée par Y. Sangaré
Le Patriote : Vous venez de sortir d’un séminaire de haut niveau animé par Alain de Pouzilhac, directeur de l’Audiovisuel Extérieur de la France. Quels enseignements tirez-vous de cette session de formation ?
Aka Sayé Lazare : Le premier enseignement que je tire et c’est le principal, c’est que nos entreprises de presse écrite ou de médias audiovisuels sont avant tout des entreprises. Par conséquent, elles ont besoin d’être gérées comme de vraies entreprises avec un management moderne surtout par ces temps de changement, de compétition et de concurrence. Si le management d’une entreprise quelle qu’elle soit, n’est pas au point, elle meurt. En ce qui concerne la RTI, notre état de santé est tel qu’il nous fallait aller à ce séminaire qui nous a permis de comprendre qu’on peut mieux gérer une entreprise comme la nôtre avec un peu plus de rigueur, de courage et d’audace.
L.P : Ce séminaire a-t-il changé votre vision managériale ?
AKS : Absolument. En termes de vision, il nous a été clairement indiqué que la RTI, comme toute la presse d’ailleurs en Côte d’Ivoire, vit à l’heure du changement. Cette ère de changement ne va pas durer une éternité. C’est le moment pour nous de changer aussi, notre façon de voir le monde, la Côte d’Ivoire, de gérer l’information. Ma vision managériale était déjà forgée avant, et ce séminaire n’a fait que la renforcer. J’ai toujours pensé qu’une entreprise, c’est d’abord le management des ressources humaines, ensuite celui des autres ressources. On n’oublie pas que le management, c’est aussi les relations entre l’entreprise et son environnement. Et surtout avoir clairement à l’idée, l’objectif qu’on s’est fixé. Et en fonction de ce cap, on identifie une stratégie, on l’écrit et en accord avec la vision, on essaie alors de faire en sorte que l’ensemble des travailleurs adhère à cette vision, à commencer par le comité de direction, les proches collaborateurs. Donc, sans vision et sans adhésion de l’équipe managériale à cette vision, il n’y a pas de résultats. Voila ce que j’ai tiré comme enseignements de cette formation. Et bien entendu, des choses vont changer.
L.P : Justement qu’est-ce qui va changer ?
ASL : Le changement a déjà commencé et il est en cours. Nous avons le devoir d’offrir aux Ivoiriens la RTI qu’ils méritent aujourd’hui, non seulement en termes de gestion de l’information et de la qualité de contenu de nos programmes, mais aussi en termes de gestion de l’entreprise. Parce que pour avoir des contenus de qualité, de l’information de qualité sur nos antennes, il faut un bon management. Il faut que le dirigeant que nous sommes, soit conscient que c’est tout l’ensemble des moyens dont nous disposons qui concourt à la qualité de nos programmes, que nous proposons à nos auditeurs et nos téléspectateurs. Et cette qualité, ce sont les hommes d’abord. Pour nous, la formation de nos agents sera au cœur de nos préoccupations, histoire de leur donner l’essentiel du métier, une amplitude plus importante de leur métier chacun dans son domaine : production, réalisation, journalisme, de sorte qu’au finish dans tous les départements de la RTI l’on ait conscience qu’on est au service de l’entreprise et que l’entreprise est au service des Ivoiriens et de toutes ses audiences.
L.P : Le vent de changement que vous annoncez vient déjà de souffler très fort en jetant hors des locaux de la RTI, 322 agents qui sont désormais au chômage technique. Si certains comprennent dans une logique de gestion cette mesure, en revanche, pour beaucoup de vos agents, elle tombe au mauvais moment surtout après la rentrée scolaire et avant les fêtes. Pourquoi n’avez-vous pas attendu, simplement début janvier 2012 ?
ASL : Vous savez, le mal était si profond que si on avait attendu un mois de plus, la RTI allait succomber.
L.P : Ah bon ?
ASL : Eh oui ! La RTI allait succomber de ce mal. On traîne des déficits chroniques de plus de 9 milliards de FCFA. Notre masse salariale absorbe presque que la totalité de notre chiffre d’affaires. Ecoutez, en tant que responsable de cette entreprise, je ne pouvais rester les bras croisés et regarder la RTI mourir. C’était un impératif. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte nouveau avec un gouvernement qui est plus exigeant en matière de performance et de rendement et de résultats. La RTI ne peut pas s’isoler sur cette scène en étant médiocre, une entreprise déficitaire de façon chronique. Il fallait faire quelque chose et le faire le plus rapidement possible. C’est ce que je suis en train de faire. Et ce que j’ai fait n’est que le premier grand signe du changement, mais il y a d’autres changements qu’on ne voit pas parce qu’ils se font en profondeur. Nous sommes en train de prendre des mesures pour réduire considérablement le train de vie de l’entreprise, supprimer beaucoup de charges d’exploitation que nous ne trouvons pas nécessaires. J’ai par exemple décidé de supprimer tous les perdiems des productions qui se font au sein de la RTI. Je pense que quand un agent vient à la RTI, c’est pour travailler. Que ce soit pour la production d’émissions, ou de magazines ou pour les reportages, il vient au travail. Il a son salaire. Il n’a pas besoin de prime pour cela. J’ai donc mis fin à cette culture de prime. Je suis aussi en train supprimer des frais généraux qui sont devenus de véritables charges pour l’entreprise, alors qu’elle doit être aujourd’hui redimensionnée. Et ce redimensionnement va l’amener à une sorte de cure d’amaigrissement qui fera qu’elle se portera mieux, fera moins de dépenses et produira plus. Lorsque le personnel est moins pléthorique, réajusté à un niveau qui correspond à la taille réelle de l’entreprise, chaque agent devient plus performant. Il sait qu’on le regarde. Il sait qu’on attend de lui un résultat. Il ne se repose pas sur son collègue. Il fait son travail correctement. Il est plus performant. Et quand on est plus performant, on produit plus, le rendement s’améliore et l’entreprise se porte mieux parce que les résultats sont meilleurs. Et alors, il y a un retour envers le travailleur en termes de récompenses, de bonus, et de primes. Il fallait que la RTI, d’ici l’année 2012, passe par là.
L.P : Comment cette liste a-t-elle été établie ?
ASL : Elle a été faite sur des critères objectifs. Il faut d’abord dire que deux semaines avant de passer à cette phase de mise en chômage technique, j’ai fait passer une circulaire demandant aux agents qui le souhaiteraient de s’inscrire pour un départ volontaire à la retraite. C’est-à-dire que les agents qui sont à cinq ans ou moins de la retraite pouvaient demander leur départ s’ils le voulaient. Et l’entreprise était prête à les accompagner. Cette circulaire est restée sans effet. Aucun agent ne s’est inscrit. Je n’avais pas d’autre choix que de passer à ce plan de chômage technique. Les critères, c’étaient ceux qui devaient aller à la retraite dans 5 ans au moins, ceux ne qui venaient plus au travail donc les absents chroniques qu’on payait à ne rien faire, les ex-responsables d’encadrement qui n’étaient plus à leur poste et qui flottaient parce que n’ayant pas de nouvelles attributions. Il fallait donc les mettre dans le lot. Il y a aussi les grands malades et toutes ces personnes que nous payons alors qu’elles sont sous des procédures judiciaires et puis nos propres agents qui ont commis des délits de pillages de vols ou de détournements de biens de l’entreprise. On a une liste d’au moins une dizaine de personnes qu’on a mises dans le lot, le temps que la procédure suive son cours et qu’on prenne une décision. Il y a également les incompétents. On a demandé aux directeurs de départements de nous donner les noms de leurs agents les plus incompétents. Et c’est eux qui ont donné les noms. Le directeur général n’a pas fait de choix en tant que tel. On a atteint donc le chiffre de 322 agents, que vous connaissez. Mais, comme j’ai eu à le dire, on va analyser la situation après les deux mois. Parmi ces 322, certains vont revenir si le poste qu’ils occupaient est un poste essentiel pour lequel, on ne peut pas les remplacer. Mais, on ne va pas faire revenir des masses de personnes. Ce qui est encore essentiel à dire, c’est que le licenciement pour motif économique va se faire, parce que 840 agents, c’est pléthorique. Nous ne faisons qu’appliquer une décision du Conseil d’Administration qui nous a demandé de réduire le personnel.
L.P : Comment d’agents sont-ils concernés par le licenciement économique ?
ASL : A ce jour, je ne peux pas vous indiquer de chiffres, mais je peux cependant vous dire que chaque organe de la RTI aura à la fin de la mesure la moyenne d’effectif qu’il mérite. Nous sommes donc en train de faire des études pour savoir combien d’agents, il faut à la rédaction de la Première chaîne pour fonctionner normalement. Le minimum qu’il faut. La même règle sera appliquée pour tous les organes de la RTI.
L.P : On a retrouvé sur cette liste des noms célèbres qui ont un vécu à la RTI et voire porté à un moment de leur carrière cette télé. D’aucuns vous reprochent, vous et vos proches collaborateurs, d’avoir profité de cette situation pour régler vos comptes avec certains agents...
ASL : Pensez-vous que j’ai des comptes à régler avec quelqu’un ? Non, pas du tout. Je répète que pour être le plus objectif possible, j’ai demandé que ce soit les directeurs eux-mêmes, qui connaissent mieux les forces et les faiblesses de leurs agents, qui donnent les noms. Ce qui a été fait. S’il y a des icônes qui se sont été retrouvées sur la liste, ce n’est pas le DG qui a fait le choix. Mais comme je l’ai dit, cette liste n’est pas la liste de licenciement, ce n’est qu’un chômage technique de deux mois. Certains pourraient revenir en fonction du rôle qu’ils jouaient à la RTI, de l’audience qu’ils donnent à la RTI, à travers leurs émissions. On pourrait revoir des situations et faire revenir certaines personnes. Le grand lot de ceux qui sont partis sera rejoint par une autre liste de licenciés pour motif économique. De 840 agents, nous devons savoir à quel effectif nous devons nous arrêter : 400 ? 300 ? 500 ? L’étude est en cours et bientôt j’aurai les résultats. Si elle me dit qu’il faut 400 agents pour faire tourner la RTI, les autres partiront, malgré moi, pour sauver l’entreprise.
L.P : Selon nos informations, vous visez le nombre de 300 agents…
ASL : Effectivement, en tant que Directeur général, je vise ce nombre. Pour moi, 300 agents peuvent faire tourner la RTI. Mais, des secteurs auront plus d’agents que d’autres. On a un parc automobile de plus de 50 véhicules, cela fait au moins 50 chauffeurs. Il faut savoir si tous ces chauffeurs sont indispensables pour l’activité que nous menons. Si on se rend compte qu’avec 25 chauffeurs, la RTI peut tourner, la moitié doit partir. Si on se rend compte qu’on a 20 réalisateurs et qu’avec 10 on peut simplement tourner, 10 doivent partir. C’est donc une étude qu’on fait avec les directeurs des organes eux-mêmes. Je leur demande de faire une description des tâches essentielles sans lesquelles, la RTI ne peut pas fonctionner. Une fois que cela sera fait, alors on passera au profil des hommes qui assumeront ces tâches. Voilà comment je procède. Ce n’est donc pas par baguette magique. C’est scientifique. Les ressources humaines, c’est comme le sang, quand il y en a trop, tu es malade. Quand il n’y en a pas assez, tu es malade. C’est donc le juste milieu qu’on va essayer de trouver.
L.P : Avec le départ des 322 agents, combien la RTI va-t-elle économiser ?
ASL : Si avec les 322 agents qui sont partis et à qui on ne paie que le demi-salaire, on réalise près de 90 millions d’économie par mois, imaginez alors que ce nombre soit un départ définitif, c’est le double de ce nombre qu’on aurait économisé. Et ce n’est pas rien. Pour une entreprise qui faisait des pertes, cette économie est substantielle. Et sur un an, je peux vous garantir que la RTI retrouvera les équilibres essentiels de sa gestion. Il y a aussi des mesures de rigueur financière que nous appliquons à nous-mêmes et à l’ensemble de l’entreprise. Aujourd’hui, par exemple, tous les budgets qui viennent sur mon bureau pour validation sont amputés de beaucoup de leurs lignes. J’estime par exemple qu’il n’est pas nécessaire de payer un cachet à un invité qui vient à une émission pour faire valoir ses connaissances. Ce n’est pas normal. L’invité ne vient pas pour un cachet, mais plutôt pour une contribution. Il vient faire partager son savoir et son expérience aux Ivoiriens. C’est un échange entre eux et nous. Nous leur donnons la notoriété de leur compétence, leur personnalité, leur savoir-faire. En retour, eux nous apportent leur expérience, leur connaissance. Voici un peu la vision que j’ai partagée avec mes collaborateurs et ils m’ont compris. Désormais, les budgets de production seront moins gourmands.
L.P : Comment expliquez-vous que la RTI soit depuis plusieurs années en difficultés financières ?
AKS : La RTI a connu plusieurs moments d’instabilité institutionnelle. Plusieurs directions se sont succédé. Les unes avec leurs manières de gérer, les autres avec leur vision, mais rare sont les directeurs qui ont le souci de gérer la RTI comme une entreprise. J’en connais un seul, sans le nommer, qui a eu ce souci. Depuis qu’il est parti, les autres n’ont eu d’autres soucis que de dépenser l’argent public, de servir eux-mêmes, de vivre sur le dos de l’entreprise sans se soucier du fait que l’entreprise doit elle-même vivre voire faire du profit. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle RTI. Ce n’est pas parce qu’on fait des JT et des émissions de variété, de jeux qu’on ne doit pas avoir la rigueur d’une entreprise. L’esprit fonctionnaire, c’est terminé à la RTI. Il y aura cette culture de résultats. Ceux qui travaillent bien seront récompensés, ceux qui travaillent mal seront sanctionnés.
L.P : Quel a été l’impact de la crise postélectorale sur la RTI ?
AKS : Il a été dramatique. Je ne peux pas vous décrire avec les mots ce que nous avons trouvé en mettant les pieds dans cette maison bleue. C’était un tas de ruine. Il n’y avait plus de bureaux, de mobilier, d’outil informatique. Il n’y avait rien. La RTI n’existait pas. C’est pourquoi TCI l’a accompagnée jusqu’à ce qu’elle retrouve ses moyens grâce à l’Etat. Je tiens à le souligner avec force. Nous avons bénéficié d’un programme d’urgence, qui a permis que des fournisseurs de matériel audiovisuel rééquipent tous les studios radio et télé. Si aujourd’hui si les chaînes de la RTI tournent, c’est grâce à l’Etat de Côte d’Ivoire. Mais son accompagnement s’arrête là. Nous devons nous donner nous-mêmes les moyens de faire une télé et une radio que les Ivoiriens aiment.
L.P : L’an prochain, ce sera la libéralisation de l’espace audiovisuel. Comment la RTI se prépare t-elle pour faire face à la concurrence ?
AKS : La conférence est déjà là, mais elle se verra plus visible dans quelques mois avec l’avènement des télés privées avec des moyens beaucoup plus performants que nous. Nous n’avons pas le droit de dormir. Nous voulons avoir des moyens qui surpassent ceux des autres. Cela passe d’abord par la qualité des hommes, puis celle du matériel. Nous avons déjà le matériel, c’est pourquoi nous mettrons l’accent sur la formation des hommes. Ceux qui vont rester à la RTI vont bénéficier de formation de haut niveau afin que chacun se sente là où il se trouve responsable de la qualité de la vie de l’entreprise. Je ferai donc la formation de mes agents une priorité : techniciens, réalisateurs, producteurs… Tout le monde passera par la formation pour être performant. Ensuite, nous aurons un cahier de charges bien précis, tous les rendez-vous avec les téléspectateurs seront respectés. Je mettrai l’accent sur les productions nationales, et à tout le moins sur celles qui véhiculent des valeurs proches de nous dans lesquelles nous nous reconnaissons. J’ai demandé à mes collaborateurs des productions et programmes, de voir comment nous pouvons inverser la tendance qui consiste à inonder nos écrans de feuilletons brésiliens ou indiens, en lesquels les Ivoiriens ne se reconnaissent pas parce que ce ne sont pas nos valeurs et notre culture. Je vais donc mettre l’accent sur les productions nationales et africaines de sorte que la RTI soit vraiment une télévision ivoirienne et que les rendez-vous soient des rendez-vous attendus et respectés.
L.P : Dans les couloirs de RTI, on vous dit austère, trop dur…
AKS : Je suis un produit de l’entreprise privée. Ce caractère que vous qualifiez d’austère vient peut-être de là. J’ai appris qu’une entreprise est comme un être humain. Il faut travailler pour qu’elle vive. Et si elle vit, elle fait vivre des familles. Pour moi, ce caractère est celui d’un chef d’entreprise. Dans le travail, je ne joue pas. Je n’ai pas d’amis, encore moins de frères et sœurs. Et tout collaborateur, quels que soient nos rapports, sera sanctionné sans état d’âme, s’il commet une faute de nature à compromettre le fonctionnement de l’entreprise. Lorsque ce collaborateur fait preuve de rigueur et de compétence, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas récompensé.
Réalisée par Y. Sangaré