La scène a fait rire plus d’un, ce soir-là, au Palais de Kossiam, à Ouagadougou. J’ai demandé à Monsieur Blaise Compaoré de reprendre une photo avec moi. Je voulais que la photo nous montre en train de nous saluer comme des chefs d’Etat en face des photographes. Le Président de la République du Burkina Faso s’est plié, avec sourire, à ce petit exercice. Quel Palais immense que ce Kossiam dont j’ai plusieurs fois entendu parler sans y arriver malgré quelques séjours dans la capitale du pays des hommes intègre. Je reviens donc de Ouagadougou où j’étais dans lr cadre du Fespaco, le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou qui était à sa vingt-troisième édition. Moi, j’avais eu le privilège d’avoir déjà participé à quatre éditions. Le cinéma et le livre vont ensemble. De nombreux films, les mieux réussis, sont toujours adaptés d’un roman ou d’un recueil de nouvelles. Au cours de cette édition les organisateurs ont organisé, d’ailleurs, une table ronde sur l’adaptation des livres au cinéma. Et c’est le grand Wolé Soyinka, Prix Nobel de littérature, qui a animé ce débat. Une autre occasion de faire des photos avec le cousin de Féla. J’ai vu de nombreux films. Je pouvais rester dans une salle pendant plusieurs heures pour voir trois ou quatre films. J’ai pris un grand plaisir à faire moi-même mon classement. J’étais persuadé que « La Pirogue » du Sénégalais Moussa Touré obtiendra l’Etalon d’or du Yennéga. J’ai misé aussi sur « Le collier de Makoko », du Gabonnais Henri Joseph Koumba Bididi. Le réalisateur Missa Hébié, connu pour sa série «Le commissaire de Tampy », avec lequel je vais travailler sur une série tirée de mes nouvelles, tempérait constamment mon enthousiasme. Il m’affirmait que le jury du festival sortait toujours un «toquard» à la surprise générale. L’expérience compte vraiment dans la vie. C’est avec grande amertume que j’ai entendu «La pirogue» remporter la médaille de bronze. Et point de Makoko ! Je me suis vite ressaisi en pensant aux matches de football. L’arbitre a toujours raison. Il connaît mieux les règles du jeu. Il est plus proche des acteurs sur le gazon. Le supporter, le téléspectateur, a son choix mais cela ne signifie pas que son équipe doit absolument gagner. Dès qu’on choisit un jury, on accepte, d’avance, sa décision. Le cinéma est encore dans ce domaine semblable à la littérature. Les jurés, en choisissant une œuvre qui plaît au public se déconsidèrent. Il faut toujours aller contre le choix du grand public. Cela fait bien. Cela fait intellectuel. Le gros problème, c’est que les choix de ces spécialistes, de ces intellectuels, sont comme des roses qui, l’espace d’un matin, ne sont plus visibles. Pourquoi choisir un film que personne n’ira voir ou un livre que personne ne cherchera à lire ? Pas tous quand même. En plus, dans le domaine du cinéma il y a manque criard de salles. On a beaucoup parlé de l’absence des salles de cinéma dans les pays africains. Et cela depuis au moins douze éditions de ce festival de Ouagadougou. Faut-il continuer d’insister sur ce problème, cette difficulté ? Je crois qu’il faut trouver une nouvelle voie. Ici, dans le domaine du football, devant la désaffection du public, on a trouvé la solution de faire gratuit tous les matches du championnat. Je ne le demande pas absolument pour les cinéastes africains. Le financement du cinéma africain a, comme d’habitude, a été l’objet de débats, un débat à ne plus en finir. Les subventions se font rares. Et le nombre de réalisateurs s’accroissent à une vitesse vertigineuse. Nombreux parmi eux « bouffent » d’abord l’argent qu’on leur donne avant de penser au cinéma. Ce n’est pas propre au cinéma africain. Dans tous les domaines en Afrique, on pense d’abord à remplir sa poche qu’à l’œuvre pour laquelle l’argent ou la subvention a été donné. On ne va jamais loin quand on manque de sincérité et de loyauté. Dieu frappe toujours quand on veut profiter de ce qu’on vous donne pour les autres et que vous gardez pour vous. La justice imminente n’a pas besoin de magistrat. Avec l’honnêteté tout marche, tout réussit. La réussite est une traversée du désert. On découvre forcement au bout l’oasis qui peut se transformer en un long fleuve. Vivre la dolce Vita avant le travail finit par créer la rareté des ressources. Mais, que voulez-vous si les gens refusent de s’adonner, au quotidien, au cinquième genre de lecture, celui de l’élévation. Dans tous les domaines, sur notre continent, le passage de l’oralité à limage en sautant des siècles du livre et de la lecture restent notre handicap majeur pour le développement intégral personnel et collectif. Avec mon constat au cours des différents festivals auxquels j’ai assisté, il paraît indispensable de confier l’organisation à une structure privée après un appel d’offres. Avec un cahier de charges rigoureux. Je suis persuadé que la grande majorité des fonctionnaires africains ne sont pas encore aptes pour le leadership. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly
Par Isaïe Biton Koulibaly