«L’Appel de Daoukro», désormais la marque du politiquement correct, a coupé l’herbe sous les pieds des prédateurs de tout acabit et mis fin au printemps des groupes et mouvements spontanés dits de soutien à la candidature unique du Président Alassane Ouattara. A y voir de près, cet appel s’inscrit dans le cadre de l’application stricte de l’Accord-Cadre du RHDP. Il reste que le contexte dans lequel il a été lancé, sa formulation et son timing, qui ont réconcilié son auteur, plus que jamais, avec son sobriquet de «Sphinx», avaient fini par lui donner une dimension ou un statut historique manifestement surfait. Au surplus, l’émotion collective qu’il a suscitée dans l’opinion publique nationale était si forte que, sur le coup, la condition dont il a été assorti n’a pas été entendue. Aussi, à la faveur des missions d’explications envoyées par le PDCI sur le terrain, cette condition a-t-elle été chaque fois rappelée à ses militants, mais aussi à tous les ivoiriens, comme étant la contrepartie de l’appel : l’alternance, c’est-à-dire le retour du PDCI au pouvoir en 2020. A présent que l’émotion est passée, le temps est venu d’apprécier, sereinement, la conformité ou non de cette contrepartie, avec la lettre et l’esprit de l’Accord-Cadre du RHDP et les exigences de l’alternance démocratique entendue comme l’accession au pouvoir d’Etat d’une force ou une tendance politique à la suite d’une autre, par le jeu du suffrage.
D’emblée, il convient de noter que quelle que soit la contrepartie de «l’Appel de Daoukro», elle doit être appréciée en tenant compte du cadre dans lequel celui-ci est intervenu. A cet égard, il est incontestable que les signataires de l’Accord-Cadre du RHDP sont co-gestionnaires du pouvoir d’Etat. En toute logique, ils sont solidairement comptables du bilan du Gouvernement issu de leurs rangs et tenus de le défendre aux prochaines élections présidentielles.
N’est-ce pas pour cette raison qu’avant de lancer son appel, le Président Bédié a bien pris soin de donner quitus au pouvoir en place, eu égard aux acquis de sa gestion dont il a énuméré les plus significatifs, secteur par secteur. Pour être bien compris, il a réitéré l’appel, en déclarant, en forme de boutade, lors de l’inauguration du pont qui porte son nom, que ce «seul ouvrage vaut un second mandat» à son auteur. Comment ne pouvait-il pas en être autrement ? Ne dit-on pas qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Sauf si les règles du jeu, en l’occurrence la Constitution, imposent le changement.
A l’évidence, «l’Appel de Daoukro» ne pouvait pas et n’avait pas à être assorti de quelque contrepartie. Bien sûr, on comprend que ses adversaires, au sein du PDCI, avaient besoin d’être rassurés, quant au retour de leur parti au pouvoir d’Etat en 2020. La condition dont est assorti l’appel répond à ce besoin. Mais, peut-elle constituer, en fait et en droit, la voie garantie de ce retour au pouvoir ? Rien n’est moins sûr, pour ne pas dire plus.
En effet, ainsi qu’on l’a déjà indiqué, l’alternance démocratique se définit comme l’accession au pouvoir d’Etat d’une force ou une tendance politique à la suite d’une autre, par le jeu du suffrage.
En 2020, les quatre partis du RHDP pourraient se trouver dans l’une ou l’autre des deux situations suivantes : soit, ils demeurent en alliance, sous la forme actuelle ; soit, ils fusionnent pour donner naissance à un parti unifié. Dans les deux cas, la contrepartie de « l’appel de Daoukro » apparaît comme une voie sans issue pour l’accession au pouvoir de son bénéficiaire.
Dans le premier cas, il convient de rappeler que la Plate-Forme de l’alliance du RHDP repose sur le principe cardinal que chacun des partis alliés présente un candidat au premier tour de l’élection présidentielle et le candidat arrivé en tête, pour le second tour, est soutenu par les autres partis.
D’une part, le désistement de tous les autres partis, au profit d’un seul, à présenter un candidat au premier tour viole ce principe. D’autre part, même s’il est consenti, un tel désistement ne peut pas garantir l’accession au pouvoir et aboutir à l’alternance démocratique. Sauf si le candidat du parti qui en bénéficie n’a pas un autre adversaire en face.
Or, l’UDPCI a déjà annoncé, par anticipation, par la voix de ses plus hauts dirigeants, qu’il participera aux élections présidentielles de 2020 et qu’il ne se sent pas concerné par un quelconque arrangement relatif à une alternance démocratique en 2020 exigée en contrepartie de «l’Appel de Daoukro». De même, il est plus que probable que le MFA d’Anaky Kobenan adopte la même posture. Et pour cause… Au-delà, bien d’autres candidats prendront part aux joutes électorales de 2020, dont certains seront investis par des partis, notamment le FPI et l’UPCI, d’autres en tant qu’indépendants.
Dans le second cas, celui où les partis du RHDP fusionnent en un parti unifié, le choix du candidat devant défendre les couleurs de ce parti en 2020 devrait se faire, soit par voie d’élections primaires internes, soit par désignation en fonction de critères déterminés au préalable, et validé par son Congrès Ordinaire ou Extraordinaire ou sa Convention, conformément à ses Statuts et Règlement Intérieur.
Il est vrai, ce choix pourrait se faire aussi sur la base de la pratique, comme dans certains pays, qui consiste pour les groupes ethniques ou confessionnels majoritaires du pays à se relayer au pouvoir. On doit reconnaître que dans ces pays, cette pratique conduit, généralement, à l’alternance à l’issue des élections. Mais, on le sait aussi, durant chaque mandat ainsi obtenu, le prix à payer est prohibitif, à savoir les guerres inter-ethniques et inter-religieuses, dont BOKO HARAM peut apparaître comme un avatar, au Nigéria.
Au demeurant, dans un pays comme la Côte d’Ivoire, une telle pratique serait en contradiction flagrante avec la Loi Suprême, la Constitution, notamment en ses articles 13, alinéa 2 et 30, alinéa 2. Dans les faits, elle conduira à la dislocation du tissu social déjà très fragile et fragilisé davantage par les nombreuses crises résurgentes que le pays a connues. Pis, elle scellera le deuil de la démocratie, en même temps que celui des partis politiques, dont on sait qu’ils reposent sur des dosages et des équilibres instables entre les 60 ethnies composant la population ivoirienne.
De surcroît, elle ne pourra pas garantir l’accession au pouvoir et aboutir à l’alternance démocratique. A moins que, là également, le candidat du parti qui en bénéficie soit seul en lice. Or, on l’a déjà indiqué, il y aura bien d’autres candidats à ces élections de 2020, qui sont attendues.
Que conclure, si ce n’est que la contrepartie qui assortit «l’Appel de Daoukro» ne s’inscrit pas dans le cadre de l’application de la Plate-Forme de l’alliance du RHDP. De même, elle n’est pas conforme aux exigences de l’alternance démocratique. Enfin, elle pourrait constituer un grave péril pour l’Unité Nationale et la Cohésion sociale.
Mais, il y a des raisons d’espérer que l’intelligence et le sens élevé de l’Etat et de l’intérêt national des leaders des principales formations politiques permettront de trouver les meilleurs compromis possible, susceptibles de mettre, durablement, sinon définitivement, le pays à l’abri de tous les périls auxquels de nouvelles divisions dues à l’expression des ambitions mal maîtrisées pourraient l’exposer et porter un coup d’arrêt,- qu’à Dieu ne déplaise -, à sa marche entamée vers son développement.
« L’appel de Daoukro », un coup de maître, est une raison suffisante à cet égard.
PR. GBLIDJI Marc
Enseignant à l’Université Alassane OUATTARA,
Cadre de l’UDPCI