La crise qui menace le secteur du cacao ivoirien est au centre de cet entretien avec Mme Constance KOUAME, la secrétaire générale du GNI qui explique et propose des solutions pour en sortir.
Combien d’exportateurs ivoiriens membres du GNI sont menacés de faillite à court ou moyen terme?
Secrétariat Général du GNI (SG GNI) : Tous les transformateurs et exportateurs ivoiriens qui opèrent en propre, qu’ils soient du GNI ou pas, sont menacés de faillite, car ils ne peuvent plus acheter de fèves de cacao, qu’elles soient certifiées ou non (appelées fèves ordinaires ou conventionnelles). D’ailleurs plusieurs sont en train de fermer, le dernier étant le transformateur SUCSO.
Quelle est la raison principale de cette crise actuelle?
(SG GNI) : Il est aujourd’hui impossible pour un transformateur ou un exportateur, quel qu’il soit, ivoirien ou international, d’acheter du cacao non certifié, s’il ne dispose pas de primes de cacao certifié « durable », car tous les intermédiaires entre nous et les producteurs, que ce soit des gérants de coopératives ou des commerçants, imposent, pour livrer du cacao ordinaire, qu’on leur achète aussi du cacao certifié durable, et donc qu’ils reçoivent des primes de cacao certifié durable.
Or il se trouve que les chocolatiers donnent 97 à 99% des primes certifiées aux sociétés internationales installées en Côte d’Ivoire. Les sociétés internationales en Côte d’Ivoire sont donc les seuls à pouvoir acquérir tout le cacao, celui certifié et non certifié.
Ce problème se faisait déjà sentir auparavant, mais il était gérable, car la part de cacao certifié n’avait pas encore atteint le niveau actuel. Aujourd’hui, 50% de la production est dite certifiée « durable » et fait, donc, l’objet de ces paiements de primes au-dessus du prix de stabilisation, soit un million de tonnes par an sur un total annuel de deux millions de tonnes. L’autre moitié de la production, qui est NON certifiée durable (appelée « cacao ordinaire » ou « conventionnel), est payée au prix de stabilisation.
Vous comprenez donc, pour imager, que chaque intermédiaire a la moitié de son stock certifié durable et l’autre moitié NON certifié. Il vendra donc à celui qui peut acheter tout son stock de fèves, certifiées et non certifiées. De même tous les exportateurs internationaux qui bénéficient des primes de certification, achètent le cacao certifié durable seulement si l’intermédiaire qui leur vend ce cacao certifié, s’engage aussi à leur livrer son stock de cacao NON certifié.
Nous les transformateurs et exportateurs ivoiriens, sommes donc exclus de facto de tout le marché du cacao, certifié et non certifié.
Les primes du cacao certifié durable sont donc considérées par ces intermédiaires comme des bonus au-dessus du prix fixe de stabilisation, que ce soit pour l’ordinaire ou pour le certifié. Ces primes de certification provoquent par conséquent des sur-paiements et des distorsions sur le marché et permettent donc aux acteurs qui les payent, c’est-à-dire les sociétés internationales installées en Côte d’Ivoire, d’acheter tout le cacao au détriment des acteurs ivoiriens qui eux ne disposent pas de contrat de cacao certifié.
Ainsi les transformateurs et exportateurs ivoiriens ne peuvent pas acquérir de cacao du tout et donc honorer leur contrat d’exportation de cacao non certifié (appelé « contrats de déblocage).
La part de cacao qui devait revenir aux transformateurs et exportateurs ivoiriens est acquise par les exportateurs internationaux. Mais, heureusement, le Conseil café-cacao (CCC), dont nous saluons le professionnalisme, s’est saisi du problème et a pu faire appliquer la procédure prévue par la nouvelle réforme de 2012, qui impose à ceux qui ont acheté trop de stocks par rapport à leurs contrats d’exportation, de revendre leur surplus aux autres afin que ceux-ci puissent honorer leurs contrats d’exportation. Grace à cela, nous allons donc, cette année, être en mesure d’exporter le cacao et ne pas faire défaut.
A vous écouter, il est difficile de comprendre comment des exportateurs internationaux installés en Côte d’Ivoire peuvent, en utilisant du cacao certifié, acheter les stocks de cacao ordinaires des transformateurs et exportateurs ivoiriens qui ont des contrats d’export ou de déblocages. Comment ces groupes internationaux peuvent-ils ensuite exporter le cacao acheté en surplus puisqu’ils n’ont pas les contrats d’exportation (déblocage) pour ce surplus de stock ?
(SG GNI) : Cela constitue, en effet, la deuxième partie du problème. Mathématiquement, dès lors qu’un exportateur international muni de primes de certification, est en mesure de surpayer le cacao au point d’acheter plus de physique que ces contrats d’exportation (appelés déblocages), ce dernier se retrouve à acheter le cacao physique d’un autre exportateur, qui ne pourra pas honorer son contrat d’exportation, et qui sera donc en défaut, en général un transformateur ou un exportateur ivoirien.
Pour remédier à la situation, il existe deux solutions. D’abord, ce surplus de cacao physique acheté par l’exportateur international au détriment du transformateur et exportateur ivoirien, peut être vendu avant embarquement aux
acteurs sans cacao. C’est la règle de la réforme, c’est-à-dire que l’on n’autorise pas un acteur à acheter plus de cacao que ses contrats d’export, et donc à mettre un autre acteur en défaut. C’est l’option qu’a choisie le CCC que nous félicitons.
L’autre option est d’enlever les contrats d’exportation (déblocages) aux acteurs ivoiriens qui n’ont pas pu acheter le cacao en raison de l’avantage concurrentiel que confèrent les primes de certification aux acteurs internationaux installés en Côte d’Ivoire pour les réattribuer à ceux qui ont des surplus de stocks. En effet, les sociétés internationales réunies au GEPEX sont très demandeuses de ces contrats d’exportation.
Le respect des règles de la réforme est donc la position du GNI, et nous sommes en discussion avec le CCC et le GEPEX sur le respect des limites d’achat (110 000 tonnes maximum sur la campagne principale) et des règles d’obtention du cacao.
Un exportateur n’est normalement pas autorisé à surpayer pour acheter le cacao physique au point de léser un autre exportateur qui a des contrats d’export (déblocages) et ensuite se voir attribuer les contrats de ce derniers à bas prix, ce d’autant plus que le CCC a éliminé depuis 2017 une grande partie des transformateurs et exportateurs ivoiriens défaillants sans financements. Ce serait une prime au non respect des règles, surtout que les sur-paiements dont on parle sont faits à des intermédiaires et non pas aux producteurs.
Mais, ces acteurs internationaux installés en Côte d’Ivoire, qui achètent sur le marché intérieur des quantités de cacao physique supérieures aux volumes de leurs contrats d’exportation, notamment grâce aux primes de certification dont ils ont l’exclusivité, ne sont-ils pas basés en Côte d’Ivoire pour la transformation du cacao?
(SG GNI) : Vous savez, la politique nationale d’incitation à la transformation a, certes, contribué à un accroissement du taux de fèves transformées localement mais, à ce jour, seulement 35% de la production ivoirienne est transformée en Côte d’Ivoire et 65% est exportée en fèves de cacao. Par ailleurs, chaque société de transformation installée en Côte d’Ivoire cumule, à la fois, une licence d’exportation de produits transformés et une licence d’exportation de fèves. Ce dont il est question avec cette crise, c’est la volonté de ces multinationales d’exporter des fèves et non pas leur autre activité de transformation qui, elle, est régie par des conventions avec l’Etat de Côte d’Ivoire. Cette activité de transformation est la priorité pour tous et ne pose de problème à personne.
Concernant l’exportation de fèves, lorsqu’au cours de la campagne, le prix du marché à terme du cacao monte au-dessus du prix stabilisé qui, lui, est fixé sur la base du niveau du marché à terme avant l’ouverture de la campagne, il y a une forte pression du marché et des multinationales sur les stocks de fèves en Côte d’Ivoire pour qu’ils soient exportés. Leur intérêt est d’exporter ces fèves vers leurs maisons-mères au prix d’achat bas de stabilisation pour qu’elles soient ensuite revendues sur le marché international à un prix de marché beaucoup plus élevé. Elles achètent donc plus de stocks que leurs contrats au détriment des acteurs Ivoiriens. C’est ce à quoi nous assistons durant cette campagne 2019-2020.
Inversement lorsque les prix du marché à terme du cacao vont comme lors de la crise de 2016-2017, à un niveau beaucoup plus bas que le prix de stabilisation, il y a une forte pression des multinationales pour que le CCC remette en vente des stocks à un prix plus bas que le prix stabilisé, pour que les exportations se passent comme prévue et les stocks trouvent preneurs au port et ne s’entassent pas, comme on l’a vu en 2017.
Comme vous le voyez, les principes et les règles de stabilisation ne sont pas simples à appliquer lorsque le prix du marché à terme évolue à la baisse ou à la hausse par rapport au prix de stabilisation. D’ailleurs beaucoup s’étaient opposés à cette réforme avec un prix stabilisé.
Vous demandez donc que les règles de la réforme et de la stabilisation contre les positions dominantes soient respectées?
(SG GNI) : Oui, et nous savons le CCC très sensible sur ces questions. Nous sommes en discussion en ce moment avec tous les acteurs.
Nous sommes des acteurs nationaux dotés de financement, d’employés et d’expérience. Nous avons des capacités réelles d’achat de 250 000 tonnes au GNI, et de 150 000 tonnes pour les autres acteurs ivoiriens opérant en propre et non membres du GNI, soit 400 000 tonnes au total. Nous participons activement au pré-financement de la filière, et nous sommes essentiels pour le système, afin que l’Etat ivoirien et les producteurs ivoiriens ne se retrouvent pas à travailler avec 3 sociétés internationales, qui contrôlent déjà aujourd’hui 80% du marché, malgré l’existence d’exportateurs ivoiriens.
Vous expliquez aussi qu’il est impossible d’acquérir du cacao même non certifié sans faire de sur-paiement aux intermédiaires grâce aux primes de certification. Soit, mais les primes de certification ne sont-elles pas destinées aux producteurs et non pas à des intermédiaires?
(SG GNI) : Oui 90 % de leurs valeurs sont destinées aux producteurs. Mais, contrairement au Ghana, le marché en Côte d’Ivoire est organisé avec des intermédiaires qui sont, soit gérants de coopératives, soit des commençants appelés traitants.
Tous les organes de certification, comme Rainforest/Utz, Fairtrade, acceptent, depuis de longues années, de certifier des intermédiaires commerçants qui reçoivent les primes de certification des chocolatiers (via les exportateurs internationaux) et qui ont la responsabilité, dans ce schéma de certification propre à la Cote d’Ivoire, de remettre ces primes aux producteurs.
Sans rentrer dans ce débat, et tout en étant reconnaissants des efforts des chocolatiers, au GNI nous demandons depuis notre création, le paiement direct des primes de certification aux producteurs, notamment via le mobile money, pour ceux qui n’ont pas de comptes bancaires. Nous pourrions aussi imaginer que le CCC soit en charge de payer les producteurs directement, au lieu que les paiements soient faits à des intermédiaires par les transformateurs ou exportateurs, cela éviterait les conflits d’intérêts.
Qu’avez-vous obtenu au terme de ce début de négociations avec le GEPEX et le CCC?
(SG GNI) : Dans l’urgence, la vigilance du CCC a permis aux transformateurs et exportateurs ivoiriens de racheter les stocks de cacao ordinaire achetés en surplus par les exportateurs internationaux, afin que les acteurs ivoiriens puissent honorer leur contrat d’export. Il faut le souligner, c’est une procédure de rééquilibrage des stocks prévue dans les règles de fonctionnement de la réforme.
Pourquoi est-ce insuffisant?
(SG GNI) : Le CCC vient de remettre les stocks de cacao physique en adéquation avec les contrats d’exportation, afin d’éviter cette année des défauts et faillites des exportateurs ivoiriens. Mais, nous essayons d’éliminer cette distorsion de marché créée par l’exclusivité des primes de certification dont bénéficient les exportateurs internationaux, afin que cette situation ne se répète plus. Les discussions portent donc désormais sur l’attribution annuelle aux transformateurs et exportateurs ivoiriens de 20% des volumes de cacao certifié durable, soit 200.000 tonnes sur le million de tonnes annuel de cacao certifié durable. Cela permettra que cette distorsion de marché provoquée par les primes de cacao certifié cesse et que les transformateurs et exportateurs ivoiriens puissent survivre.
Qu’attendez-vous du CCC ?
Le CCC fait un travail efficace pour le respect des règles de la réforme et nous attendons du CCC une action ferme et renforcée pour une distribution équitable des primes de certification du cacao durable, cause principale de la disparition des transformateurs et exportateurs ivoiriens. Les discussions sont en cours.
Qu’est-ce que ces discussions donnent actuellement et qu’attendez-vous des chocolatiers?
Nous attendons des chocolatiers et de leurs partenaires internationaux en Côte d’Ivoire la décision d’attribuer 200 000 tonnes de cacao certifié durable aux transformateurs et exportateurs ivoiriens, soit seulement 20% du total.
Nous n’avons à ce jour aucun contact avec les chocolatiers. Nos seuls interlocuteurs sont, comme d’habitude, le GEPEX qui représente tous les exportateurs internationaux installés en Côte d’Ivoire et qui sont nos concurrents, mais aussi nos clients.
En effet les chocolatiers, pour 95% de leurs achats, n’achètent jamais de cacao en direct avec des transformateurs ou exportateurs ivoiriens. Nous sommes donc obligés de vendre à nos concurrents, qui revendent ensuite aux chocolatiers.
Cette absence de relation directe entre les acteurs ivoiriens et les chocolatiers et même avec la Fédération du commerce des cacaos (FCC) est un vrai problème et une autre raison de cette crise, qui devait arriver tôt ou tard. Dans leur mode de fonctionnement, les chocolatiers demandent à nos concurrents installés en Côte d’Ivoire d’être leurs intermédiaires pour tout leur besoin d’achat en Afrique, pourtant il y a un conflit d’intérêt manifeste.
Notre deuxième souhait est d’avoir des relations directes avec ces chocolatiers, qui ne devraient pas seulement financer des programmes de certification exclusivement à travers leurs partenaires internationaux, mais aussi acheter du cacao auprès des transformateurs et exportateurs nationaux.
Pourquoi les discussions bloquent donc avec le GEPEX?
(SG GNI) : D’une part, les exportateurs internationaux ne semblent pas prêts à partager les primes de certification des chocolatiers, même à hauteur de 20% du total. D’autre part, le GEPEX indique qu’avec le DRD (différentiel de revenu décent de 400 USD pour les producteurs) les primes de certification devraient s’arrêter pour être remplacée par le DRD. Mais personne n’en a la certitude, d’ailleurs dans ces discussions que nous avons eues avec le GEPEX, le fonctionnement même du DRD est remis en cause, et la fin des primes de certification n’est pas certaine. Enfin le GEPEX ne veut pas que le sur-paiement aux intermédiaires soit interdit, mais qu’il soit encadré. Ce qui, pour nous, est contraire à la réforme.
Les discussions continuent mais nous n’accepterons pas que ce monopole sur les primes de cacao certifié durable mettent fin aux activités des transformateurs et exportateurs ivoiriens que nous sommes. Cela est à l’opposé des objectifs de ces programmes dit « durables » et de l’intérêt de la filière cacao en Côte d’Ivoire.
Par A.N
Combien d’exportateurs ivoiriens membres du GNI sont menacés de faillite à court ou moyen terme?
Secrétariat Général du GNI (SG GNI) : Tous les transformateurs et exportateurs ivoiriens qui opèrent en propre, qu’ils soient du GNI ou pas, sont menacés de faillite, car ils ne peuvent plus acheter de fèves de cacao, qu’elles soient certifiées ou non (appelées fèves ordinaires ou conventionnelles). D’ailleurs plusieurs sont en train de fermer, le dernier étant le transformateur SUCSO.
Quelle est la raison principale de cette crise actuelle?
(SG GNI) : Il est aujourd’hui impossible pour un transformateur ou un exportateur, quel qu’il soit, ivoirien ou international, d’acheter du cacao non certifié, s’il ne dispose pas de primes de cacao certifié « durable », car tous les intermédiaires entre nous et les producteurs, que ce soit des gérants de coopératives ou des commerçants, imposent, pour livrer du cacao ordinaire, qu’on leur achète aussi du cacao certifié durable, et donc qu’ils reçoivent des primes de cacao certifié durable.
Or il se trouve que les chocolatiers donnent 97 à 99% des primes certifiées aux sociétés internationales installées en Côte d’Ivoire. Les sociétés internationales en Côte d’Ivoire sont donc les seuls à pouvoir acquérir tout le cacao, celui certifié et non certifié.
Ce problème se faisait déjà sentir auparavant, mais il était gérable, car la part de cacao certifié n’avait pas encore atteint le niveau actuel. Aujourd’hui, 50% de la production est dite certifiée « durable » et fait, donc, l’objet de ces paiements de primes au-dessus du prix de stabilisation, soit un million de tonnes par an sur un total annuel de deux millions de tonnes. L’autre moitié de la production, qui est NON certifiée durable (appelée « cacao ordinaire » ou « conventionnel), est payée au prix de stabilisation.
Vous comprenez donc, pour imager, que chaque intermédiaire a la moitié de son stock certifié durable et l’autre moitié NON certifié. Il vendra donc à celui qui peut acheter tout son stock de fèves, certifiées et non certifiées. De même tous les exportateurs internationaux qui bénéficient des primes de certification, achètent le cacao certifié durable seulement si l’intermédiaire qui leur vend ce cacao certifié, s’engage aussi à leur livrer son stock de cacao NON certifié.
Nous les transformateurs et exportateurs ivoiriens, sommes donc exclus de facto de tout le marché du cacao, certifié et non certifié.
Les primes du cacao certifié durable sont donc considérées par ces intermédiaires comme des bonus au-dessus du prix fixe de stabilisation, que ce soit pour l’ordinaire ou pour le certifié. Ces primes de certification provoquent par conséquent des sur-paiements et des distorsions sur le marché et permettent donc aux acteurs qui les payent, c’est-à-dire les sociétés internationales installées en Côte d’Ivoire, d’acheter tout le cacao au détriment des acteurs ivoiriens qui eux ne disposent pas de contrat de cacao certifié.
Ainsi les transformateurs et exportateurs ivoiriens ne peuvent pas acquérir de cacao du tout et donc honorer leur contrat d’exportation de cacao non certifié (appelé « contrats de déblocage).
La part de cacao qui devait revenir aux transformateurs et exportateurs ivoiriens est acquise par les exportateurs internationaux. Mais, heureusement, le Conseil café-cacao (CCC), dont nous saluons le professionnalisme, s’est saisi du problème et a pu faire appliquer la procédure prévue par la nouvelle réforme de 2012, qui impose à ceux qui ont acheté trop de stocks par rapport à leurs contrats d’exportation, de revendre leur surplus aux autres afin que ceux-ci puissent honorer leurs contrats d’exportation. Grace à cela, nous allons donc, cette année, être en mesure d’exporter le cacao et ne pas faire défaut.
A vous écouter, il est difficile de comprendre comment des exportateurs internationaux installés en Côte d’Ivoire peuvent, en utilisant du cacao certifié, acheter les stocks de cacao ordinaires des transformateurs et exportateurs ivoiriens qui ont des contrats d’export ou de déblocages. Comment ces groupes internationaux peuvent-ils ensuite exporter le cacao acheté en surplus puisqu’ils n’ont pas les contrats d’exportation (déblocage) pour ce surplus de stock ?
(SG GNI) : Cela constitue, en effet, la deuxième partie du problème. Mathématiquement, dès lors qu’un exportateur international muni de primes de certification, est en mesure de surpayer le cacao au point d’acheter plus de physique que ces contrats d’exportation (appelés déblocages), ce dernier se retrouve à acheter le cacao physique d’un autre exportateur, qui ne pourra pas honorer son contrat d’exportation, et qui sera donc en défaut, en général un transformateur ou un exportateur ivoirien.
Pour remédier à la situation, il existe deux solutions. D’abord, ce surplus de cacao physique acheté par l’exportateur international au détriment du transformateur et exportateur ivoirien, peut être vendu avant embarquement aux
acteurs sans cacao. C’est la règle de la réforme, c’est-à-dire que l’on n’autorise pas un acteur à acheter plus de cacao que ses contrats d’export, et donc à mettre un autre acteur en défaut. C’est l’option qu’a choisie le CCC que nous félicitons.
L’autre option est d’enlever les contrats d’exportation (déblocages) aux acteurs ivoiriens qui n’ont pas pu acheter le cacao en raison de l’avantage concurrentiel que confèrent les primes de certification aux acteurs internationaux installés en Côte d’Ivoire pour les réattribuer à ceux qui ont des surplus de stocks. En effet, les sociétés internationales réunies au GEPEX sont très demandeuses de ces contrats d’exportation.
Le respect des règles de la réforme est donc la position du GNI, et nous sommes en discussion avec le CCC et le GEPEX sur le respect des limites d’achat (110 000 tonnes maximum sur la campagne principale) et des règles d’obtention du cacao.
Un exportateur n’est normalement pas autorisé à surpayer pour acheter le cacao physique au point de léser un autre exportateur qui a des contrats d’export (déblocages) et ensuite se voir attribuer les contrats de ce derniers à bas prix, ce d’autant plus que le CCC a éliminé depuis 2017 une grande partie des transformateurs et exportateurs ivoiriens défaillants sans financements. Ce serait une prime au non respect des règles, surtout que les sur-paiements dont on parle sont faits à des intermédiaires et non pas aux producteurs.
Mais, ces acteurs internationaux installés en Côte d’Ivoire, qui achètent sur le marché intérieur des quantités de cacao physique supérieures aux volumes de leurs contrats d’exportation, notamment grâce aux primes de certification dont ils ont l’exclusivité, ne sont-ils pas basés en Côte d’Ivoire pour la transformation du cacao?
(SG GNI) : Vous savez, la politique nationale d’incitation à la transformation a, certes, contribué à un accroissement du taux de fèves transformées localement mais, à ce jour, seulement 35% de la production ivoirienne est transformée en Côte d’Ivoire et 65% est exportée en fèves de cacao. Par ailleurs, chaque société de transformation installée en Côte d’Ivoire cumule, à la fois, une licence d’exportation de produits transformés et une licence d’exportation de fèves. Ce dont il est question avec cette crise, c’est la volonté de ces multinationales d’exporter des fèves et non pas leur autre activité de transformation qui, elle, est régie par des conventions avec l’Etat de Côte d’Ivoire. Cette activité de transformation est la priorité pour tous et ne pose de problème à personne.
Concernant l’exportation de fèves, lorsqu’au cours de la campagne, le prix du marché à terme du cacao monte au-dessus du prix stabilisé qui, lui, est fixé sur la base du niveau du marché à terme avant l’ouverture de la campagne, il y a une forte pression du marché et des multinationales sur les stocks de fèves en Côte d’Ivoire pour qu’ils soient exportés. Leur intérêt est d’exporter ces fèves vers leurs maisons-mères au prix d’achat bas de stabilisation pour qu’elles soient ensuite revendues sur le marché international à un prix de marché beaucoup plus élevé. Elles achètent donc plus de stocks que leurs contrats au détriment des acteurs Ivoiriens. C’est ce à quoi nous assistons durant cette campagne 2019-2020.
Inversement lorsque les prix du marché à terme du cacao vont comme lors de la crise de 2016-2017, à un niveau beaucoup plus bas que le prix de stabilisation, il y a une forte pression des multinationales pour que le CCC remette en vente des stocks à un prix plus bas que le prix stabilisé, pour que les exportations se passent comme prévue et les stocks trouvent preneurs au port et ne s’entassent pas, comme on l’a vu en 2017.
Comme vous le voyez, les principes et les règles de stabilisation ne sont pas simples à appliquer lorsque le prix du marché à terme évolue à la baisse ou à la hausse par rapport au prix de stabilisation. D’ailleurs beaucoup s’étaient opposés à cette réforme avec un prix stabilisé.
Vous demandez donc que les règles de la réforme et de la stabilisation contre les positions dominantes soient respectées?
(SG GNI) : Oui, et nous savons le CCC très sensible sur ces questions. Nous sommes en discussion en ce moment avec tous les acteurs.
Nous sommes des acteurs nationaux dotés de financement, d’employés et d’expérience. Nous avons des capacités réelles d’achat de 250 000 tonnes au GNI, et de 150 000 tonnes pour les autres acteurs ivoiriens opérant en propre et non membres du GNI, soit 400 000 tonnes au total. Nous participons activement au pré-financement de la filière, et nous sommes essentiels pour le système, afin que l’Etat ivoirien et les producteurs ivoiriens ne se retrouvent pas à travailler avec 3 sociétés internationales, qui contrôlent déjà aujourd’hui 80% du marché, malgré l’existence d’exportateurs ivoiriens.
Vous expliquez aussi qu’il est impossible d’acquérir du cacao même non certifié sans faire de sur-paiement aux intermédiaires grâce aux primes de certification. Soit, mais les primes de certification ne sont-elles pas destinées aux producteurs et non pas à des intermédiaires?
(SG GNI) : Oui 90 % de leurs valeurs sont destinées aux producteurs. Mais, contrairement au Ghana, le marché en Côte d’Ivoire est organisé avec des intermédiaires qui sont, soit gérants de coopératives, soit des commençants appelés traitants.
Tous les organes de certification, comme Rainforest/Utz, Fairtrade, acceptent, depuis de longues années, de certifier des intermédiaires commerçants qui reçoivent les primes de certification des chocolatiers (via les exportateurs internationaux) et qui ont la responsabilité, dans ce schéma de certification propre à la Cote d’Ivoire, de remettre ces primes aux producteurs.
Sans rentrer dans ce débat, et tout en étant reconnaissants des efforts des chocolatiers, au GNI nous demandons depuis notre création, le paiement direct des primes de certification aux producteurs, notamment via le mobile money, pour ceux qui n’ont pas de comptes bancaires. Nous pourrions aussi imaginer que le CCC soit en charge de payer les producteurs directement, au lieu que les paiements soient faits à des intermédiaires par les transformateurs ou exportateurs, cela éviterait les conflits d’intérêts.
Qu’avez-vous obtenu au terme de ce début de négociations avec le GEPEX et le CCC?
(SG GNI) : Dans l’urgence, la vigilance du CCC a permis aux transformateurs et exportateurs ivoiriens de racheter les stocks de cacao ordinaire achetés en surplus par les exportateurs internationaux, afin que les acteurs ivoiriens puissent honorer leur contrat d’export. Il faut le souligner, c’est une procédure de rééquilibrage des stocks prévue dans les règles de fonctionnement de la réforme.
Pourquoi est-ce insuffisant?
(SG GNI) : Le CCC vient de remettre les stocks de cacao physique en adéquation avec les contrats d’exportation, afin d’éviter cette année des défauts et faillites des exportateurs ivoiriens. Mais, nous essayons d’éliminer cette distorsion de marché créée par l’exclusivité des primes de certification dont bénéficient les exportateurs internationaux, afin que cette situation ne se répète plus. Les discussions portent donc désormais sur l’attribution annuelle aux transformateurs et exportateurs ivoiriens de 20% des volumes de cacao certifié durable, soit 200.000 tonnes sur le million de tonnes annuel de cacao certifié durable. Cela permettra que cette distorsion de marché provoquée par les primes de cacao certifié cesse et que les transformateurs et exportateurs ivoiriens puissent survivre.
Qu’attendez-vous du CCC ?
Le CCC fait un travail efficace pour le respect des règles de la réforme et nous attendons du CCC une action ferme et renforcée pour une distribution équitable des primes de certification du cacao durable, cause principale de la disparition des transformateurs et exportateurs ivoiriens. Les discussions sont en cours.
Qu’est-ce que ces discussions donnent actuellement et qu’attendez-vous des chocolatiers?
Nous attendons des chocolatiers et de leurs partenaires internationaux en Côte d’Ivoire la décision d’attribuer 200 000 tonnes de cacao certifié durable aux transformateurs et exportateurs ivoiriens, soit seulement 20% du total.
Nous n’avons à ce jour aucun contact avec les chocolatiers. Nos seuls interlocuteurs sont, comme d’habitude, le GEPEX qui représente tous les exportateurs internationaux installés en Côte d’Ivoire et qui sont nos concurrents, mais aussi nos clients.
En effet les chocolatiers, pour 95% de leurs achats, n’achètent jamais de cacao en direct avec des transformateurs ou exportateurs ivoiriens. Nous sommes donc obligés de vendre à nos concurrents, qui revendent ensuite aux chocolatiers.
Cette absence de relation directe entre les acteurs ivoiriens et les chocolatiers et même avec la Fédération du commerce des cacaos (FCC) est un vrai problème et une autre raison de cette crise, qui devait arriver tôt ou tard. Dans leur mode de fonctionnement, les chocolatiers demandent à nos concurrents installés en Côte d’Ivoire d’être leurs intermédiaires pour tout leur besoin d’achat en Afrique, pourtant il y a un conflit d’intérêt manifeste.
Notre deuxième souhait est d’avoir des relations directes avec ces chocolatiers, qui ne devraient pas seulement financer des programmes de certification exclusivement à travers leurs partenaires internationaux, mais aussi acheter du cacao auprès des transformateurs et exportateurs nationaux.
Pourquoi les discussions bloquent donc avec le GEPEX?
(SG GNI) : D’une part, les exportateurs internationaux ne semblent pas prêts à partager les primes de certification des chocolatiers, même à hauteur de 20% du total. D’autre part, le GEPEX indique qu’avec le DRD (différentiel de revenu décent de 400 USD pour les producteurs) les primes de certification devraient s’arrêter pour être remplacée par le DRD. Mais personne n’en a la certitude, d’ailleurs dans ces discussions que nous avons eues avec le GEPEX, le fonctionnement même du DRD est remis en cause, et la fin des primes de certification n’est pas certaine. Enfin le GEPEX ne veut pas que le sur-paiement aux intermédiaires soit interdit, mais qu’il soit encadré. Ce qui, pour nous, est contraire à la réforme.
Les discussions continuent mais nous n’accepterons pas que ce monopole sur les primes de cacao certifié durable mettent fin aux activités des transformateurs et exportateurs ivoiriens que nous sommes. Cela est à l’opposé des objectifs de ces programmes dit « durables » et de l’intérêt de la filière cacao en Côte d’Ivoire.
Par A.N