Yao Noel, journaliste depuis plus de 40 ans, président de l’UJPLA, ancien vice-président de la CNDH, était l’Invité à la 8ème Session de ANP-Academy, hier jeudi 12 mai 2022. Conférencier, il a exposé sur le thème : « Journalisme et vie privée ». Avec pour partenaire La Radio de la paix, cette conférence était accessible sur des liens : Facebook-life et Zoum. De 9h à 12h, Yao Noel a développé son thème et a répondu à de nombreuses questions, le tout sous le contrôle de la modératrice, Regina Diplo, sous-directrice chargée du Monitoring à l’Autorité nationale de la presse (ANP).
Abordant le thème, le conférencier a fait savoir que « Nous sommes au cœur des droits de l’homme, car qui dit journalisme dit liberté de la presse, liberté des droits de l’homme. Et la vie privée est un droit fondamental. Le respect de la vie privée est en quelque sorte le respect de l’intimité de l’individu qui ne doit pas être livré en pâture ». Aussi a-t-il précisé qu’au-delà du code pénal, du code de la déontologie, la Constitution, la loi fondamentale en son article 2, consacre le respect de la vie privée. Et même au-delà de la Constitution, les normes internationales comme la Charte africaine des droits de l’homme, la Déclaration universelle des droits de l’homme, toutes ratifiées par la Côte d’Ivoire et au-dessus des lois nationales marquent un point d’honneur au respect de la vie privée.
La liberté de la presse, élément de la liberté d’expression, a-t-il dit, est aussi consacrée par la Constitution. Toutefois, « la liberté que j’ai d’écrire, de parler, d’imprimer est réelle, sacrée, mais elle va rencontrer le droit d’autrui. La liberté que vous avez va s’arrêter où commence celle des autres. Ce n’est pas recommandé que l’un l’emporte sur l’autre. Journalistes, vous avez la liberté, mais les autres en face ont les mêmes droits et liberté que vous. C’est là que le journaliste va rencontrer la vie privée. »
Cette vie privée, selon lui, est le respect de l’intimité. Mais, la définition n’est pas toujours évidente. C’est une marque jurisprudentielle, c’est-à-dire que la loi ne précise pas bien. C’est donc du cas par cas. Egrenant des exemples, le conférencier a fait référence au président français Georges Pompidou en 1974. Alors qu’il était très malade, la presse française à l’époque a fait chorus et n’a pas fait étalage de sa maladie. En 1981, selon lui, François Mitterrand élu souffrait de la Prostate, mais très peu de journaux en ont fait cas jusqu’ à ce que la situation s’empire. Le Watergate, l’affaire Monica Lewinsky, aux Etats-Unis ont aussi été évoqués par le conférencier tout en précisant que la situation peut s’apprécier selon qu’on soit en Europe ou aux Etats-Unis.
La délimitation entre les deux notions n’est pas très aisée pour le journaliste, a reconnu Yao Noel dont les positions ont été parfois appuyées par Me Réné Bourgoin. Mais, a-t-il indiqué, « la jurisprudence a inventé deux mécanismes : premier mécanisme : est-ce que le public a un intérêt à savoir ? Lorsque votre vie privée vient rencontrer votre vie publique. Là, il y a problème. Le journaliste est fondé à publier par exemple, quand un ministre qui passe la nuit chez sa maitresse et qui se réveille tard à 10 heures, finit par manquer le Conseil des ministres, un travail pour lequel il est nommé et payé. Le journaliste qui a cette information ne peut être poursuivi et condamné. Parce qu’il y a une relation causale entre la vie privée et la vie publique. »
Deuxième mécanisme : la dose de provocation et d’exagération. Si elle n’est pas outrepassée, c’est que le journaliste, selon la jurisprudence, bénéficie de cette dose. Si elle n’est pas dépassée, le journaliste ne peut être coupable d’atteinte à la vie privée. Cela sous-entend que le journaliste doit éviter de donner des détails qui viennent humilier, déshonorer la personne. Du genre, un tel est très malade, il a une prostate très avancée, il est plus proche de la mort que de la vie etc.
Rechercher, collecter et traiter des informations vraies, il ne faut pas inventer
En tout état de cause, le conférencier a demandé aux journalistes de retenir qu’il y a des exigences dans un Etat de droit. Ce qui veut dire qu’il faut rechercher, collecter et traiter des informations vraies, il ne faut pas inventer. En outre a-t-il conseillé, quand vous enregistrez quelqu’un, vous le photographiez, vous le filmez, même s’il a donné son accord, il faut avoir son consentement avant de publier. Si vous en fait une mauvaise utilisation plus tard, dans un autre contexte, vous commettez une atteinte.
En matière de sanction, même si en Côte d’Ivoire, la peine privative de liberté n’existe plus, il y a des amendes. Et parfois la décision du tribunal doit être publiée dans les colonnes du journal. Ce qui n’est pas honorable pour un journaliste. Mais ailleurs, il y a des peines de prisonlà où en Côte d’Ivoire, il y a les amendes, la suspension de parution, le retrait de la Carte professionnelle du journaliste.
En matière de vie privée, la protection des personnes publiques, a signalé le conférencier, est plus restreinte (vedettes, artistes, hommes politiques…) plus qu’un citoyen lambda. Donc, il faut retenir ce qui est vrai, véridique et ce qui est patriotique. Parce qu’il ne faut pas publier ce qui est juste véridique si cela n’arrange pas le pays. Dans le cas Pompidou, est-il revenu, les journalistes français ont eu un élan patriotique. Autrement dit : j’aime profondément mon pays, donc je dis ce qui est vrai et bon à dire pour consolider la paix, la cohésion dans mon pays. Répondant aux questions, Yao Noel a déconseillé aux journalistes de prendre les postes des influenceurs sur les réseaux sociaux, comme argent comptant. Il faut vérifier. Il a rappelé que la mission de vérification est marquée en lettres d’or par le code de déontologie des journalistes. Dans sa modeste contribution, en fin de conférence, Samba Koné, a ajouté que « tous les journalistes doivent être méfiants des réseaux sociaux. Car toutes les sources sont sujettes à manipulation. « Mettez-vous à la place des personnes sur qui vous voulez publier une information » a-t-il dit.
DIARRASSOUBA SORY