x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Art et Culture Publié le jeudi 8 janvier 2009 | Le Nouveau Réveil

"Le Paradis français" de Maurice Bandaman - Le roman de la tragédie des immigrés noirs

C'est l'histoire d'une étudiante ivoirienne. Elle s'appelle Mira, comme d'autres s'appellent Fanta, Maukla ou Gina. Son histoire : une relation amoureuse, par internet ; le soupirant débarque un jour à Abidjan, demande à l'épouser ; il satisfait même à la coutume en la matière en lui demandant la main. Ensuite, départ pour Rome avec le merveilleux fiancé blanc. Rome ! Le siège de la basilique et plus certainement celui des valeurs de l'humanisme chrétien. C'est pourtant là que commence la tragédie de Mira : le futur époux est un redoutable proxénète qui la livre à la prostitution. Sans papiers (il les lui a arrachés), enfermée dans une demeure remplie de femmes à vendre (des victimes, comme elle, de la même illusion), Mira mène trois mois d'une vie carcérale de damnée du sexe, livrée aux partouzes, à la zoosexualité, à l'alcool, à la drogue, aux films pornographiques et à maintes pratiques lubriques et sales. Un jour, la chance finit par frapper à la porte de la malheureuse : des âmes généreuses organisent son évasion de cet espace insupportable, et l'aident à pénétrer sur le territoire français.

La France, le pays des libertés et des droits de l'Homme ; la France, rêve de bonheur de milliers de Noirs africains ainsi que d'immigrés d'origines diverses. Et voilà donc Paris, lumineuse, attrayante, souriante et captivante. Mais Paris s'offre très vite à Mira comme une autre version de l'enfer : la promiscuité, le dévergondage sexuel, le vol, l'alcool, les illusions des amours fugitives, les milieux ''black'' et asiatiques fardés, le métro, les petits et pénibles métiers, etc. Au bout du compte, la police, le contrôle d'identité, les menottes, les sous-sols de Roissy Charles de Gaulle, les maltraitances infligées aux immigrés par la police aéroportuaire, l'humiliation, les vols charter :
la tragédie des rapatriés…

C'est l'histoire de Mira. Elle aurait pu être celle d'Aya, de Binta ou de Patricia. Elle est certainement celle de ces milliers de ressortissants de pays sous-développés pour qui le rêve d'une vie décente se trouve là-bas, de l'autre côté de la mer ; là-bas, sur les bords de la Seine, ou ceux du Lac léman ou des chutes du rhin. Pour Mira, comme pour la plupart d'entre ces aventuriers du bonheur, la course sera un mirage, et le rêve étoilé, un cauchemar dantesque.

Voilà ce que dit " Le paradis français ", le dernier roman en date, de Maurice Bandaman, que nous proposent les éditions Néi-Ceda. Le thème est connu ; il relève même aujourd'hui du fait divers, banal. Le mérite du romancier a consisté à le mettre en forme. Et il y a réussi de manière fort habile. C'est qu'il n'en est pas à ses débuts. Il est toujours bon de rappeler à cet effet, que Maurice Bandaman a été Grand prix littéraire d'Afrique noire, en 1993, avec un texte quelque peu déroutant, intitulé " Le fils de la femme mâle1 ". Si K.K. Man Jusu2 avait, en son temps, jugé précoce cette consécration (ce fut aussi mon opinion), on peut affirmer qu'après ce livre, les autres qui ont suivi l'ont pleinement justifiée en confirmant, sans aucune réserve, le talent de cet écrivain, sans doute le plus prolixe et un des plus convaincants d'entre les écrivains ivoiriens de la troisième génération que nous représentons.

Oui, Maurice Bandaman est un écrivain talentueux : il n'entretient aucun rapport conflictuel avec la syntaxe, ni avec l'axe paradigmatique - pas étonnant, c'est d'un professeur (et un bon) de lettres modernes), qu'il s'agit. Et il me plaît souvent de regretter que " Même au paradis, on pleure quelques fois3 " (roman qu'il a publié en 2001), n'ait pas connu la consécration ni le succès commercial qu'il mérite. Ce dernier livre cité est, à mon avis ainsi que de l'avis de nombreux lecteurs de Maurice Bandaman, le meilleur (jusque là) de la production romanesque de cet écrivain fécond : en plus du roman, Maurice Bandaman a exploré la poésie, le théâtre, l'essai.

Mais revenons à celui-là qui vient d'être publié.

La récurrence du sexe
Je parle de récurrence du sexe. Des lecteurs moins pudiques que moi parlent, quant à eux, d' " obsession du sexe " dans la production littéraire de Maurice Bandaman. Comportement freudien ou simple choix esthétique (y a-t-il même des choix esthétiques innocents) ? Toujours est-il que Maurice Bandaman semble avoir fait du sexe, le thème principal ou du moins, un des thèmes majeurs du spectre sémantique de ses textes. Depuis " Une femme pour une médaille4 "( son premier livre), jusqu'à celui-là, en passant par " Le fils de la femme mâle ", " La bible et le fusil5 " et plus nettement " Même au paradis on pleure quelques fois ", M. Bandaman n'a eu de cesse de proposer à ses lecteurs, des scènes érotiques (ça ne me gêne pas du tout), lubriques même (ça ne me gêne toujours pas), frôlant parfois la vulgarité (là, ça me dérange un peu) comme dans " Le sang de la République6 ".

A la manière d'Henry Miller (lire surtout l'étonnant " Tropique du cancer "), Maurice Bandaman n'observe aucune retenue dans ses choix lexicaux, quand il peint et créé des scènes et atmosphères érotiques. Ainsi, des mots comme ''pine'', ''con'', ''fesses'', etc., grouillent-ils dans ses textes ; de quoi effaroucher des correcteurs (surtout les correctrices) pudiques, soucieux, quant à eux, de l'usage normatif et élégant de la langue ; toute chose qui, comme on le sait dans le métier, entrave l'élan créateur : l'acte d'écriture est avant tout, une proclamation d'égocentrisme, de nature libertaire.

" Le paradis français " n'échappe pas à ces signes identificateurs et distinctifs de la prose romanesque ''bandamanienne''. Le verbe " baiser " y est ainsi abondamment utilisé et conjugué sous des modes et temps divers. Les chapitres 9 et 10 sont, à cet égard, très illustratifs, voire, expressifs. Lisez avec moi : " Je te dis qu'il a baisé toutes les nanas qui sont ici. Même moi (…).

Donc si le gars de Dany veut te sauter, et il saute bien parce qu'il a une belle queue, vas-y ! Prends ton pied ! (…). A Paris, on ne fait que ça, on baise trois fois plus que dans toute autre ville au monde. " (p. 136).

Un peu plus loin, nous suivons ce dialogue d'un réalisme incisif, entre deux personnages féminins :

- " Et toi Awa, t'as besoin de mouiller ton truc sans clitoris ?

- Ne m'insulte pas, Mouna, sinon tu vas me connaître, cette nuit !

- Mais je te connais déjà, ma puce, tu es une excisée !

- Et je baise mieux que toi ! " (P. 141).

Les mots ''con'' et ''pine'', qui fourmillaient dans les livres précédents de Bandaman, ont fait place, dans ce dernier roman, à ''truc'' et ''queue''. C'est déjà mieux ! Il y a du progrès. Prenons déjà ça, et n'en demandons pas trop à Maurice Bandaman. Et puis, dans le fond, quels mots aurait-on voulu qu'il utilisât pour dire le langage des milieux comme celui-là - l'espace des petits travailleurs immigrés ? En bon peintre de la vie sociale, Maurice Bandaman, sans tomber dans l'esthétique navrante du réalisme social qui a prospéré dans la Chine maoïste et en Russie ainsi que dans les pays de l'Est (pour des raisons plus idéologiques que littéraires), sait restituer à ses personnages, le langage qui leur sied. En cela, il se montre différent d'un Jean-Marie Adiaffi par exemple qui lui, ne se préoccupe pas souvent d'hiérarchiser les niveaux de langue de ses personnages7…

Un roman réussi

Tout plaît dans ce roman : la fable, le choix et la construction des personnages, le traitement des espaces, le style, la langue, même si la mise en page (peu réussie - c'est la faute de l'éditeur) perturbe le confort (déjà gagné) de la lecture d'un texte hautement méritoire. En écrivain averti et chargé d'expériences de l'écriture, Maurice Bandaman sait varier les registres émotionnels, en passant de la scène banale, au pathétique ; du pathétique au tragique ; et du tragique au comique, sans altérer ni la force ni la conduite de l'intrigue : il n'y a pas de digression inutile dans ce livre conduit avec une rigueur d'écrivain confirmé…

Tout le récit se déroule comme un film, empruntant ainsi, à maints passages, des allures de synopsis ou de plans filmiques. Le chapitre 8 (" Traverser les alpes ou mourir ", p. 45 à 69) est un bel exemple des qualités ''plastiques'' de l'écriture de ce romancier. Ici, Maurice Bandaman projette des scènes dont l'intérêt réside essentiellement en la qualité des images et de l'atmosphère sonore, qu'il décrit par économie de mots ; mais des mots forts qui éclatent comme des pétales de caïlcédra et irradient le texte de sensations multiples : auditives, olfactives, visuelles, tactiles. La séquence de la mort de Oumou (p.63), celle aussi de la mort de Mbarka (65-69), sont une véritable réussite littéraire et plastique. Fragments de texte :

" Et ses (Oumou) lèvres se referment. Ses mains tombent, se tordent faiblement. La petite fille de Kayes est étendue dans le noir, sur la neige, et j'entends comme le chant d'une cora siffler sur le Sahel, soulever le sable, et se répandre dans le ciel nu du Mali d'où me vient l'appel lointain d'un muezzin, appelant à la prière. Oumou ne tord plus les bras ; seul, entre les pierres nues, siffle le chant de l'angoisse. Et Oumou ne gigote plus. " (P. 63).

Parfait ! Le mot ''mort'' n'avait plus sa place sur l'axe syntagmatique, les images, fortes et très évocatrices, l'exprimant suffisamment. Je n'ai donc pas compris que, deux lignes après, Bandaman écrive cette phrase vraiment inutile : " Oumou est morte, vraiment morte ". Cette précision altère la force évocatrice de la scène si bellement peinte par économie de mots : pis, elle infantilise le lecteur...

" Le paradis français " est indiscutablement un beau roman. Aussi, faut-il considérer les quelques réserves que je viens d'émettre, comme une coquetterie ou une préciosité d'écrivain et de ''professionnel'' du livre. Une dernière remarque : le texte a été achevé depuis 2003, et déposé chez l'éditeur, en 2004. Et c'est maintenant, quatre après, qu'il paraît. Maurice Bandaman n'est pas un écrivain débutant dont un éditeur devrait retenir les épreuves pendant un si long temps ! Et nos éditeurs doivent savoir que le retard excessif accusé dans la publication du texte d'un auteur (surtout quand ce dernier a déjà fait ses preuves), créé le doute dans son esprit et retarde l'écriture d'autres livres. Non, Maurice Bandaman n'est pas un écrivain qu'on doit vraiment faire attendre. Le faisant, on prive le lectorat de beaux textes. Comme celui-là…

C'était l'histoire de Mira. Elle aurait pu être celle de Moya, de Prisca ou de Zéima. Une poignante tragédie. Un vrai amoureux de littérature doit lire ce livre. Les candidats à l'aventure en Occident, de même ; car c'est surtout pour ces derniers qu'a été écrite cette histoire tragique qui, au-delà de l'ambition littéraire, est une adresse dissuasive à l'endroit des candidats à l'immigration clandestine. Nos cinéastes (je songe plus particulièrement Roger Gnoan-Mbala) gagneront à le visiter, pour en faire un film.

Tiburce Koffi
Tél. 02-11-10-11/67-40-31-08
tiburce_koffi@yahoo.fr
tiburcekoffi.blogspot.com
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Art et Culture

Toutes les vidéos Art et Culture à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ