La date du scrutin est connue sans que le régulateur du fonctionnement des institutions soit associé.
Après deux reports (2005 et 2008), l’élection présidentielle aura lieu cette année. Par deux décrets pris, jeudi, en Conseil des ministres, le Chef de l’Etat a d’une part, fixé la date du premier tour de la présidentielle au dimanche 29 novembre prochain et d’autre part, convoqué le collège électoral pour ce scrutin qui va s’ouvrir à sept heures pour être clos à dix-sept heures.
Pour les puristes du droit, ces textes présidentiels sont frappés d’irrégularités. Car, depuis 2005, le mandat de cinq ans que les Ivoiriens ont donné au Président Laurent Gbagbo est arrivé, en principe, à son terme. Il demeure en fonction en conformité avec l’alinéa 1 de l’article 38 de la loi n°2000-513 du 1er août 2000 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire qui prévoit ce schéma “en cas d’événements ou de circonstances graves, notamment l’atteinte à l’intégrité du territoire” ivoirien, coupé en deux depuis le déclenchement de la rébellion armée dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002.
C’est au regard de cette situation que, saisi par le Chef de l’Etat, le Conseil constitutionnel avait déclaré l’impossibilité d’organiser les consultations générales. Parallélisme des formes obligeant, c’est cette même institution qui doit constater le retour à la normalité et autoriser la tenue des élections. L’alinéa 5 de la l’article 38 sus-visé est ainsi libellé: “Lorsque le Conseil constitutionnel constate la cessation de ces événements ou de ces circonstances graves, il fixe un nouveau délai qui ne peut excéder trente jours pour la proclamation des résultats et quatre-vingt-dix jours pour la tenue des élections.”
Aucune de toutes ces dispositions n’aura été respectée. Pour deux raisons. La première cause est exogène. Elle résulte des pressions politiques et diplomatiques que subissent les autorités ivoiriennes pour organiser au plus tôt la présidentielle. Les rendez-vous en relation avec ce scrutin sont aussi importants les uns que les autres. La Côte d’Ivoire a obtenu le point de décision de l’initiative Pays pauvres très endettés (Ppte) et est éligible à l’allègement de sa dette. Le pays a bénéficié, pour cela, du soutien de l’Organe consultatif international (Oci, structure membre du Comité d’évaluation et d’accompagnement qui comprend notamment les bailleurs de fonds et les représentants des principales puissances du monde). Il lui reste le point d’achèvement dont l’exécution suppose des autorités légitimes issues d’un scrutin crédible et incontestable.
Dans la même veine, la Côte d’Ivoire accueille, en mai 2010, les 45es assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (Bad) à Abidjan. Le retour de cette institution à son siège statutaire dépend presquexclusivement du retour à la normalité. Les participants à ces prochaines assises au bord de la lagune Ebrié attendent de fouler le sol d’un pays qui, débarrassé de ses com’zones et com’secteurs, de ses zones dites centre, nord, ouest (Cno, ex-zones assiégées), a recouvré toute son intégrité territoriale.
L’impatience de la communauté internationale, face aux lenteurs constatées dans le processus de sotie de crise, a fini par être mise sur la place publique. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a publiquement mis en doute la volonté de tous les acteurs ivoiriens d’aller aux élections. Dans ce cadre, le secrétaire d’Etat français à la Coopération internationale et à la Francophonie, Alain Joyandet, était récemment en Côte d’Ivoire pour encourager les Ivoiriens à passer à la vitesse supérieure.
C’est également le vœu de l’Onu. Le représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, Young-Jin Choi, avant le 6e Comité d’évaluation et d’accompagnement (Cea) qui s’est tenu à Ouagadougou le 16 février dernier, a longuement insisté pour l’élaboration d’un chronogramme clair, “avec des périodes” pour “faciliter nos efforts d’assistance”. Car, selon lui, “nous pourrons planifier plus facilement nos efforts puisque nous devons lancer des appels d’offres pour certaines choses, mobiliser aussi notre finance, les ressources matérielles et logistiques”.
“Il importe maintenant que la Commission électorale indépendante publie, sans plus tarder, un calendrier réaliste et détaillé pour les élections, assorti d’objectifs d’étapes clairement définis. Je tiens à souligner, à cet égard, combien il importe de fixer les échéances précises pour les cinq principales étapes (établissement de la liste électorale provisoire et de la liste électorale définitive, production des cartes d’identité et d’électeur ainsi que leur distribution, préparation des 11.000 bureaux et campagne électorale officielle)”, a renchéri, le 13 avril dernier, Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Onu, dans son vingtième rapport sur la Côte d’Ivoire.
La second raison de cette décision politique qui viole les dispositions constitutionnelles est endogène. La crise a entraîné partout des dysfonctionnements qui sont devenus… normaux. La Commission électorale indépendante (Cei) fonctionne en toute ignorance du Conseil constitutionnel auquel elle ne rend aucun compte. Or, “dans le cas où le Conseil constitutionnel ordonne l’arrêt des opérations électorales ou décide de la suspension de la proclamation des résultats, la Commission chargée des élections établit et lui communique quotidiennement un état de l’évolution de la situation”, selon l’alinéa 4 de l’article 38 de la Constitution. Pour tout dire, la Cei devait saisir le Conseil constitutionnel pour lui signifier que les raisons qui ont retardé l’organisation des élections n’existent plus. A son tour, le Conseil constitutionnel constate le retour de la normalité et autorise la tenue des consultations générales.
Ça, c’est pour les principes… constitutionnels. Mais il y a la réalité du terrain qui contredit le farouche combat des Ivoiriens pour empêcher la dissolution des institutions républicaines au lendemain de la rébellion armée. L’Assemblée nationale dont le Groupe de travail international (Gti, création de l’Onu) avait annoncé la mort, n’a pas disparu. Mais en fonctionnant par ordonnance notamment pour l’adoption des budgets, l’Exécutif le vide de son contenu; surtout que ni la Cei, ni l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) ne la consulte. Résultat, les députés sont payés presque pour rien. De son côté, le Conseil constitutionnel reste le régulateur du fonctionnement des institutions républicaines. Le poste de Haut représentant des Nations unies pour les élections, qui avait été créé pour le supplanter, a été supprimé. Purement et simplement. Mais cette institution n’existe plus que de nom. Aucune autorité ne la consulte pour avoir ses avis et ses animateurs se tournent désormais les pouces.
En définitive, tout se passe comme si les Ivoiriens s’étaient passés le mot pour emboucher la même trompette que la communauté internationale: l’utilité des institutions républicaines est sujette à caution. Comme pour dire que les détracteurs desdites institutions ont eu tort d’avoir eu raison trop tôt.
Ferro M. Bally
Après deux reports (2005 et 2008), l’élection présidentielle aura lieu cette année. Par deux décrets pris, jeudi, en Conseil des ministres, le Chef de l’Etat a d’une part, fixé la date du premier tour de la présidentielle au dimanche 29 novembre prochain et d’autre part, convoqué le collège électoral pour ce scrutin qui va s’ouvrir à sept heures pour être clos à dix-sept heures.
Pour les puristes du droit, ces textes présidentiels sont frappés d’irrégularités. Car, depuis 2005, le mandat de cinq ans que les Ivoiriens ont donné au Président Laurent Gbagbo est arrivé, en principe, à son terme. Il demeure en fonction en conformité avec l’alinéa 1 de l’article 38 de la loi n°2000-513 du 1er août 2000 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire qui prévoit ce schéma “en cas d’événements ou de circonstances graves, notamment l’atteinte à l’intégrité du territoire” ivoirien, coupé en deux depuis le déclenchement de la rébellion armée dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002.
C’est au regard de cette situation que, saisi par le Chef de l’Etat, le Conseil constitutionnel avait déclaré l’impossibilité d’organiser les consultations générales. Parallélisme des formes obligeant, c’est cette même institution qui doit constater le retour à la normalité et autoriser la tenue des élections. L’alinéa 5 de la l’article 38 sus-visé est ainsi libellé: “Lorsque le Conseil constitutionnel constate la cessation de ces événements ou de ces circonstances graves, il fixe un nouveau délai qui ne peut excéder trente jours pour la proclamation des résultats et quatre-vingt-dix jours pour la tenue des élections.”
Aucune de toutes ces dispositions n’aura été respectée. Pour deux raisons. La première cause est exogène. Elle résulte des pressions politiques et diplomatiques que subissent les autorités ivoiriennes pour organiser au plus tôt la présidentielle. Les rendez-vous en relation avec ce scrutin sont aussi importants les uns que les autres. La Côte d’Ivoire a obtenu le point de décision de l’initiative Pays pauvres très endettés (Ppte) et est éligible à l’allègement de sa dette. Le pays a bénéficié, pour cela, du soutien de l’Organe consultatif international (Oci, structure membre du Comité d’évaluation et d’accompagnement qui comprend notamment les bailleurs de fonds et les représentants des principales puissances du monde). Il lui reste le point d’achèvement dont l’exécution suppose des autorités légitimes issues d’un scrutin crédible et incontestable.
Dans la même veine, la Côte d’Ivoire accueille, en mai 2010, les 45es assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (Bad) à Abidjan. Le retour de cette institution à son siège statutaire dépend presquexclusivement du retour à la normalité. Les participants à ces prochaines assises au bord de la lagune Ebrié attendent de fouler le sol d’un pays qui, débarrassé de ses com’zones et com’secteurs, de ses zones dites centre, nord, ouest (Cno, ex-zones assiégées), a recouvré toute son intégrité territoriale.
L’impatience de la communauté internationale, face aux lenteurs constatées dans le processus de sotie de crise, a fini par être mise sur la place publique. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a publiquement mis en doute la volonté de tous les acteurs ivoiriens d’aller aux élections. Dans ce cadre, le secrétaire d’Etat français à la Coopération internationale et à la Francophonie, Alain Joyandet, était récemment en Côte d’Ivoire pour encourager les Ivoiriens à passer à la vitesse supérieure.
C’est également le vœu de l’Onu. Le représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, Young-Jin Choi, avant le 6e Comité d’évaluation et d’accompagnement (Cea) qui s’est tenu à Ouagadougou le 16 février dernier, a longuement insisté pour l’élaboration d’un chronogramme clair, “avec des périodes” pour “faciliter nos efforts d’assistance”. Car, selon lui, “nous pourrons planifier plus facilement nos efforts puisque nous devons lancer des appels d’offres pour certaines choses, mobiliser aussi notre finance, les ressources matérielles et logistiques”.
“Il importe maintenant que la Commission électorale indépendante publie, sans plus tarder, un calendrier réaliste et détaillé pour les élections, assorti d’objectifs d’étapes clairement définis. Je tiens à souligner, à cet égard, combien il importe de fixer les échéances précises pour les cinq principales étapes (établissement de la liste électorale provisoire et de la liste électorale définitive, production des cartes d’identité et d’électeur ainsi que leur distribution, préparation des 11.000 bureaux et campagne électorale officielle)”, a renchéri, le 13 avril dernier, Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Onu, dans son vingtième rapport sur la Côte d’Ivoire.
La second raison de cette décision politique qui viole les dispositions constitutionnelles est endogène. La crise a entraîné partout des dysfonctionnements qui sont devenus… normaux. La Commission électorale indépendante (Cei) fonctionne en toute ignorance du Conseil constitutionnel auquel elle ne rend aucun compte. Or, “dans le cas où le Conseil constitutionnel ordonne l’arrêt des opérations électorales ou décide de la suspension de la proclamation des résultats, la Commission chargée des élections établit et lui communique quotidiennement un état de l’évolution de la situation”, selon l’alinéa 4 de l’article 38 de la Constitution. Pour tout dire, la Cei devait saisir le Conseil constitutionnel pour lui signifier que les raisons qui ont retardé l’organisation des élections n’existent plus. A son tour, le Conseil constitutionnel constate le retour de la normalité et autorise la tenue des consultations générales.
Ça, c’est pour les principes… constitutionnels. Mais il y a la réalité du terrain qui contredit le farouche combat des Ivoiriens pour empêcher la dissolution des institutions républicaines au lendemain de la rébellion armée. L’Assemblée nationale dont le Groupe de travail international (Gti, création de l’Onu) avait annoncé la mort, n’a pas disparu. Mais en fonctionnant par ordonnance notamment pour l’adoption des budgets, l’Exécutif le vide de son contenu; surtout que ni la Cei, ni l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) ne la consulte. Résultat, les députés sont payés presque pour rien. De son côté, le Conseil constitutionnel reste le régulateur du fonctionnement des institutions républicaines. Le poste de Haut représentant des Nations unies pour les élections, qui avait été créé pour le supplanter, a été supprimé. Purement et simplement. Mais cette institution n’existe plus que de nom. Aucune autorité ne la consulte pour avoir ses avis et ses animateurs se tournent désormais les pouces.
En définitive, tout se passe comme si les Ivoiriens s’étaient passés le mot pour emboucher la même trompette que la communauté internationale: l’utilité des institutions républicaines est sujette à caution. Comme pour dire que les détracteurs desdites institutions ont eu tort d’avoir eu raison trop tôt.
Ferro M. Bally