x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Politique Publié le mardi 14 juillet 2009 | Le Nouveau Réveil

Entre nous : “Les Ivoiriens sont-ils dignes de voter ?”

Il y a tout juste cinquante ans, un Gouverneur Français en poste chez nous se demandait sérieusement si un Africain, fût-il ministre de la République, devait disposer d'une voiture de service. Dans son entendement, la réponse était bien évidemment : non ! Cette révélation peut surprendre et choquer nos contemporains. Sachons toutefois que cette histoire s'est effectivement passée ici même en Côte d'Ivoire, comme nous la rapporte, Henri Crouzat dans son célèbre roman écrit dans les années 60 et publié sous le titre évocateur : " Aziza de Niamkoko ". Bien plus tard, en 1996 à Abidjan lors du Colloque international organisé par l'Adir sur " Nationalité et Eligibilité en Côte d'Ivoire ", un professeur émérite comme Niangoran Bouah, se demandait avec beaucoup de pertinence et un rien de provocation si l'Ivoirien pouvait prétendre à une nationalité ?
Aujourd'hui, en 2009, au vu des contingences et des aléas répétés de notre quotidien, nous sommes fondé à nous interroger à l'instar de notre illustre devancier : "l'Ivoirien a-t-il, lui aussi, droit au vote ?". La réponse apparaît négative, si l'on se réfère, à -l'impossibilité ? - d'organiser des élections en Côte d'Ivoire, depuis cinq ans au moins. Cette situation, lourde de conséquences pour le présent, et surtout pour le futur, il faut le dire, ne nous honore guère, pour cinq principales raisons.

La toute première réside dans le fait que les Elections en Côte d'Ivoire, ont une histoire, qui date officiellement de 1945, dès la Libération. Conquêtes majeures, elles sont au commencement et au fondement de notre Histoire politique moderne. Voter, pour nous autres colonisés, constituait somme toute, la fin de l'inique ère coloniale et l'insertion dans le monde moderne qui s'esquissait alors. Voter signifiait donc pour nous autres " damnés de la Terre ", la fin de l'Hitlérisme, du pétainisme, des régimes d'exception qui avaient noms, le Travail Forcé, le Code de l'Indigénat, la traite… Suivrons d'autres conquêtes tout aussi nobles et déterminantes comme l'octroi de la citoyenneté et l'abrogation du Travail forcé. Aussi déterminantes soient-elles, toutes ces avancées n'auraient pu survenir sans le droit de voter, qui confère légitimité et légalité à tout gouvernant ! Dans l'immédiat-après-guerre avec le recouvrement planétaire de la Liberté et le rejet de toute forme d'assujettissement dont le colonialisme, pouvait-il en être autrement ? Non.
La deuxième raison, tout aussi importante, réside dans le fait que toute élection tient compte de l'environnement du moment. On se souvient encore de la réplique cinglante du sage Solon, à qui l'on demandait dans l'Antiquité, quelle était la meilleure des Constitutions ? "Dites-moi, rétorqua-t-il, à quelle époque et pour qui ?". Rappelons-nous c'était seulement hier, en 1946. Le corps électoral, selon les critères retenus à l'époque, comprenait 26.000 électeurs sur quelque 4 millions d'habitants de la Basse et Haute-Côte d'Ivoire. Pour les premières élections (les municipales de 1945), puis pour les élections à la Constituante, il a fallu, utiliser le fichier électoral de 1944, lesquels avaient déjà servi aux élections syndicales. Ces particularités n'occultèrent, ni n'enfreignirent la qualité de ce scrutin, ni le fait que les Ivoiriens offrirent au monde, un député talentueux comme Félix Houphouët-Boigny, appelé à devenir un des plus brillants Hommes d'Etat de tout le Tiers-monde ! Lorsque le régime de la Loi-cadre en 1956-57, qui introduisit le suffrage universel, porta du coup le corps électoral à plus de 1.600.000 électeurs, les grands équilibres ne furent guère rompus, puisque le PDCI-RDA remporta brillamment toutes les élections. Ceci explique en grande partie l'avènement du Parti unique de fait qui de 1959 à 1990, bâtit une Côte d'Ivoire, qui longtemps occupa une place de choix dans le concert des Nations africaines et du monde.

La troisième raison, tout aussi logique, tient au fait que les élections, en renouvelant la classe dirigeante, confère à ceux-ci légitimité et légalité. Au XIXème siècle, ce n'est pas uniquement le militarisme Japonais qui fit plier l'échine à l'orgueilleuse Russie (Défaite de Port-Arthur), qui conféra à ce pays la réputation d'une grande nation, ce fut en grande partie sa Constitution. Eclatante évidence, pour le Japon et les Japonais de dire aux nations industrialisées de l'époque, "Nous sommes désormais dans la Cour des Grands, car nos institutions sont crédibles, ouvertes et concurrentielles". En Amérique de même, ce fut grâce à la Constitution et au respect des Lois et des normes, que les Etats-Unis, construisirent les bases de leur puissance et se démarquèrent du reste du continent, ce qui n'était pas évident dès le départ. L'or récolté dans le Sud et le Centre des Amériques, le climat tropical favorable aux produits phares de l'époque (épices…), la quantité phénoménale d'esclaves déversés dans des pays comme le Brésil par exemple, ne faisaient pas des Etats-Unis, la grande puissance que l'on connut par la suite. La conscience d'être une exception, d'être surtout le phare du monde, le pays qui offrait à l'intelligence de tous, la toute première République moderne du monde avec le système de séparation des pouvoirs, firent davantage et mieux que les richesses matérielles (or, épices…) ! Dès lors, aussi faibles furent-ils à cette époque, les Pères-fondateurs étaient persuadés de ce que leur exemple éclairait et éclairerait le monde pour longtemps. D'aussi loin que l'on remonte dans leur histoire, de Washington à Obama, l'on sent à quel point, la réussite américaine fut, d'abord, cette "expérience consciente", d'Hommes et de Femmes, agissant pour le progrès et à terme, le Bonheur. Sous nos latitudes où le culte de l'oubli est "presque un sport national" et où on enterre facilement le Passé, fût-il significatif, on ne saurait comme les Américains admettre le fait qu'il faille accepter pour la sauvegarde de la nation, un consensus minimal jusqu'à la date où on décide d'adopter un autre consensus. On se souvient encore des railleries des "démocrates autoproclamés d'hier", devenus comme par enchantement des "néo-houphouétistes" aujourd'hui ! "Houphouët-Boigny, monsieur Consensus", disaient-ils alors. Aujourd'hui, le doute n'est plus permis, sans un " vrai consensus ", point de salut, point de sortie de crise…
Pr .Tiacoh Carnot, Secrétaire national du PDCI-RDA chargé de l'Education et de la Recherche Scientifique, membre du Bureau politique; Président de la Commission Formation du candidat Henri Konan Bédié.

Pr. Tiacoh Carnot
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Politique

Toutes les vidéos Politique à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ