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Politique Publié le mercredi 15 juillet 2009 | Le Patriote

Interview Patrick NGouan : “Nous ne sommes pas pour le report des élections”

Patrick Ngouan est le coordonnateur de la Convention de la société civile de Côte d’Ivoire. Sa structure, au terme des journées de consensus national, a préconisé la création d’un conseil national de sortie de crise pour juguler toutes les difficultés inhérentes à celle-ci. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il donne sa position sur le processus électoral.

Le Patriote: Récemment, vous avez lancé la mission d’observation électorale. A quoi répond une telle mission?
Patrick NGouan: Elle répond à la nécessité de la transparence. Lorsqu’il y a un processus électoral qui doit aboutir à l’élection d’un élu, qu’il soit un maire, un député, un président de la République, il faut la transparence qui caractérise tout processus électoral et l’élection elle-même. Alors il faut des observateurs étrangers pour témoigner de cette élection.

LP : Alors quels sont des objectifs que vous visez?
PN : Notre objectif fondamental est de faire en sorte que le processus se déroule dans de bonnes conditions, au niveau de sa préparation, de son déroulement et même au niveau de la période post électorale. Nous devons nous assurer qu’à chacune de ces étapes, le processus se déroule selon les standards nationaux et les dispositions légales nationales en vigueur, c’est-à-dire au niveau du code électoral, des accords signés et de la Constitution.

LP: Quelles ont été les difficultés que les missions que vous avez envoyées sur le terrain, ont relevées?
PN: Effectivement, il y a eu des difficultés. Nous les avons consignées dans un document et distribuées à la presse. Globalement, au niveau de l’enrôlement, tout s’est bien passé. Toutefois, nous avons relevé quelques petites faiblesses à certains niveaux, notamment au niveau de la gestion des files d’attente, du matériel qui arrivait souvent en retard sur les lieux d’enrôlement, au niveau de la démotivation qui a commencé à gagner certains agents enrôleurs en raison des retards de paiement de leurs émoluments. Nous avons également remarqué l’impatience de certains pétitionnaires qui n’arrivaient pas souvent à réunir toutes les pièces requises pour se faire enrôler. Généralement, nous avons constaté que les périmètres de sécurité étaient respectés. Parfois pour des problèmes d’électricité, certains centres d’enrôlement ont été déplacés. A part ces petits problèmes, je pense que globalement les opérations d’identification se sont bien déroulées. Malheureusement, cela a pris beaucoup de temps. On a pris neuf mois pour le faire, de septembre 2008 à juin 2009. On espère que toutes les autres étapes ne prendront pas autant de temps. Dans le cas contraire, on ne pourra pas faire les élections.

LP : Justement le 30 juin dernier, a pris fin l’opération d’identification. Cependant, les « jeunes patriotes », Mahan Gahé de la Confédération syndicale Dignité, réclament une prorogation de deux semaines. Qu’en pensez-vous ?
PN : Nous avons, en tant que société civile, convention de la société civile, demandé par deux fois le report de la date butoir. Les pouvoirs publics à travers la CEI nous ont écoutés. Nous avons, au cours de notre récente conférence de presse, présenté une simulation de chronogramme devant nous conduire jusqu’au 29 novembre 2009.

LP : Quel est le contenu de ce chronogramme?
PN : Cette simulation a pris en compte la loi électorale, les accords signés et la prochaine étape pour nous, c’est la publication de la liste électorale fixée au 31 août 2009. La publication de la liste électorale suppose que l’enrôlement est terminé. Il faudra faire le traitement informatique, le dédoublonnage, le croisement des fichiers avant de sortir une liste provisoire qui sera soumise à la vérification des parties prenantes. Evidemment, selon les règles de la loi électorale et des accords signés. Le 31 août, on doit sortir cette liste. Alors notre position est ceci : si la CEI est sûre de pouvoir accorder un délai supplémentaire aux pétitionnaires et de sortir la liste électorale au plus tard le 31 août, nous ne voyons pas d’inconvénient, mais si la CEI n’est pas sure de sortir les listes au plus tard le 31 août, je pense qu’elle devra s’en tenir aux dispositions du code électoral pour ne pas se compliquer la vie, parce qu’on a accordé par deux fois des délais supplémentaires. Il faut qu’à un moment donné, on puisse s’arrêter. Donc, nous ne sommes pas contre de la prorogation de la date de l’enrôlement, mais à condition que le 31 août on puisse sortir la liste provisoire afin de respecter les autres échéances jusqu’au 29 novembre.

LP : la prorogation de deux semaines aura nécessairement des conséquences sur le respect de la date du 29 novembre. Comment résoudre alors cette problématique ?
PN : Cela est à l’appréciation de la Commission électorale indépendante. Nous avons fait une simulation de chronogramme que nous avons remise à la CEI. Pour nous, il faut que la date du 29 novembre soit respectée. Il ne faut pas qu’à force de proroger les dates on soit amené à violer la date du 29 novembre 2009.

LP : Certaines organisations menacent en disant que sans la prorogation, ce sera « le chaos ». En tant que coordonnateur de la convention de la société civile, qu’est ce que vous avez à dire à propos de ces menaces ?
PN : Un observateur ne décide pas. Notre règle première, c’est la neutralité, l’objectivité et l’impartialité. Nous observons, nous constatons, nous faisons des rapports à toutes les personnes intéressées, c’est-à-dire les responsables chargés de l’organisation des élections, les pouvoirs publics, la communauté internationale. Maintenant c’est à chacun de s’en inspirer pour voir la meilleure orientation possible qu’il faudra adopter.

LP : La loi électorale stipule que les cartes électeurs doivent être distribuées deux semaines avant le scrutin. Alors que la CEI prévoit un délai de quarante huit heures. Cela ne va-t-il pas avoir des conséquences fâcheuses sur la transparence des élections ?
PN : Ce que nous disons, c’est qu’il faut que la CEI respecte scrupuleusement les dispositions légales en la matière. Il ne faut pas qu’elle sème le doute dans l’esprit des électeurs. La période est trop sensible, c’est pourquoi nous l’invitons au respect de différentes échéances. Parce que si on ajoute un ou deux jours sur l’échéance de l’enrôlement, on va se retrouver le dos au mur à quelques heures ou quelques jours de l’ouverture des bureaux de vote. Les électeurs qui n’auront pas eu leurs cartes, la CEI sera obligée de les leur distribuer. Ce qu’il faut absolument éviter. C’est pourquoi il faut respecter les différentes échéances. En effet, il sera désagréable que deux semaines avant le 29 novembre, la CEI soit confrontée à des demandes de prorogations de distribution de carte d’électeur. Si on respecte scrupuleusement les dates et les échéances, cela permettra de faire chaque opération dans les normes et cela évitera toute suspicion ; parce que si la CEI distribue quarante huit heures ou vingt quatre heures avant, les candidats qui auront perdu vont l’accuser d’avoir fait bouder des gens de manière irrégulière. Il faut s’en tenir aux délais. C’est le conseil que nous pouvons donner à la CEI.

L.P : Rentré de Paris dimanche, le président du RDR a dit que la fin de l’enrôlement était conforme à la décision du CPC. Le lendemain, les jeunes patriotes de la Conareci ont rétorqué en disant qu’il fallait absolument une prorogation, sinon c’est « le chaos ». Ne craignez-vous des tensions et que proposez-vous ?
P.N : Aux journées de consensus nationales que nous venons de finir, il y a à peine un mois, nous avons demandé la création d’un conseil national de sortie de crise qui devrait comprendre l’Etat, la classe politique et la société civile. Ce conseil devrait avoir pour rôle essentiel l’évaluation de toutes les opérations de sortie de crise : le désarmement des ex-rebelles, le démantèlement des milices, le redéploiement de l’administration, l’unicité des caisses de l’Etat, le commandement intégré et toutes les opérations électorales, c’est-à-dire l’enrôlement, la liste électorale, les cartes d’électeur, la campagne électorale, etc. Il faudrait alors faire des évaluations, apporter des corrections pour qu’on puisse tenir dans les délais. Si cela n’est pas fait et que chacun de manière unilatérale prend des positions, fait des défiances ou lance des défis comme cela est fait actuellement, on peut en arriver à des bras de fer qui ne nous amèneront nulle part, si ce n’est à l’affrontement.

L. P : Vous, en tant que société civile, quel est votre rôle pour prévenir ces tensions qui pointent à l’horizon ?
P. N : Notre rôle est de faire ce que nous avons fait, c’est-à-dire demander la création d’un organe tel que le Conseil national de sortie de crise, qui dépasse les seuls politiciens, parce que la vie d’une nation ne se limite pas aux seuls politiciens. Il faut que les travailleurs, la société privée, les religieux, les chefs coutumiers, tous, nous prenions à bras-le-corps les problèmes de la Nation.

L. P : Nonobstant vos appels répétés, pourquoi n’êtes-vous pas écoutés ?
P.N : Nous aurons fait notre travail d’alerte. Nous n’avons aucun moyen de coercition vis-à-vis des pouvoirs publics et de la classe politique. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’alerter, conseiller en privilégiant les intérêts généraux et non sectoriels ou unilatéraux. Maintenant, si on ne nous écoute pas et que chacun veut faire triompher sa position, alors le plus fort gagnera et cela peut l’être au détriment de la collectivité. Si chacun veut s’accommoder de sa vision en privilégiant ses intérêts, cela va nous amener à des situations que nous connaissons. Aujourd’hui, on a notre consensus national des Forces vives de la Nation. On a arrêté un certain nombre de principes. Et l’un de ces principes, c’est de créer un conseil national de sortie de crise pour lire et traiter les problèmes qui risquent de se poser.

L. P : Quand vous parlez de prévenir et traiter les différents problèmes, est-ce à dire que ces problèmes ne l’ont pas été par les différents accords, notamment celui de Ouagadougou ?
P. N : On avait donné dix mois à l’accord de Ouagadougou pour nous sortir de la crise. Je crois qu’on a multiplié par trois ce délai. Cela veut dire que certes des efforts ont été faits. Mais ces efforts ont été insuffisants. Donc par mesure de sagesse, il faut qu’on puisse s’asseoir dans le cadre du conseil national de sortie de crise, pour définir toutes les modalités consensuelles avec un calendrier consensuel du démantèlement des milices, du désarmement des ex-rebelles, du redéploiement de l’administration et de recherche de financement du processus électoral et de tous les problèmes en amont qui peuvent se dresser sur la route nous conduisant à la sortie de crise. C’est sage, c’est assez participatif.

L.P : Vous préconisez alors une mise en veilleuse de l’accord de Ouagadougou ?
P.N : C’est un renfort de l’accord de Ouagadougou. Cet accord a fait ses preuves, mais il montre que si on veut aller à son rythme, il nous faudra encore plus de temps. Or les Ivoiriens sont pressés de sortir de la crise. C’est pourquoi, nous ne sommes pas pour le report répété des élections. Il faut que tout le monde se sente concerné. Si on nous avait écoutés depuis longtemps, on serait sorti de la crise.

L. P : En tant que membre de la société civile, donc observateur, quels commentaires faites-vous des discours des candidats à l’élection présidentielle, qui sont en pré-campagne ?
P. N : C’est à la CEI de s’en saisir. Je crois bien qu’elle a édité et fait signer un code de bonne conduite par les leaders politiques. Au consensus national, nous avons demandé que les partis politiques respectent le code de bonne conduite. C’est à la CEI de veiller à son respect. Nous, société civile, ne faisons que regarder, constater. Si nous constatons des manquements quant au respect de ce code, alors, nous allons le signaler dans nos rapports. Nous dirons par exemple que dans tel lieu, tel parti politique a fait telle chose qui va contre le code électoral ou le code de bonne conduite.

L.P. Mme Bro Gbrébé a fait des sorties contre le candidat du RDR. Que pensez-vous de ces attaques contre des candidats à l’élection présidentielle?
PN : Justement, je ne veux pas que la convention de la société civile qui est composée d’institutions très respectables, de confessions religieuses, de chefferie traditionnelle, du secteur privé, descende dans ces erreurs-là. Si parce que un tel a insulté un tel autre, qu’on entre dans ces détails, on n’en sortira pas. C’est pourquoi nous disons qu’il faut mettre en place le conseil national de sortie de crise, sinon, à la veille des élections, on risque d’aller à des détails plus regrettables.

LP : Samedi 11 juillet, le président américain en visite au Ghana a parlé à l’Afrique. Quelle analyse en tant qu’intellectuel faites-vous de son discours au continent africain
PN : Ceux qui étaient aux journées du consensus national n’ont pas été surpris du discours tenu par le Président Obama. Je pense que 75 % du discours de Barack Obama a porté sur la bonne gouvernance. Quand Obama a été élu, j’ai dit à l’ambassadeur américain en Côte d’Ivoire de lui dire de ne recevoir à la Maison blanche aucun dictateur africain ; et de ne rendre visite à aucun pays mal gouverné en Afrique. J’ai ajouté que nous n’attendions aucun centime des Etats-Unis. Mais ce que Obama peut faire pour nous, c’est de faire comme Jimmy Carter, c’est-à-dire aider à implanter la démocratie en Afrique. Si nos pays sont bien gouvernés, on n’a pas besoin de dollars américains pour nous développer. Et Madame l’Ambassadeur m’a salué par rapport à ce langage de vérité que j’ai tenu. Elle dit que c’est ce genre de langage qu’elle voulait entendre. Le grand service qu’Obama puisse rendre à sa patrie d’origine, c’est de faire en sorte que cette patrie soit plus digne et plus respectée sur le plan international. Il faut que l’Afrique cesse d’être un continent de mendiant. Si les Etats-Unis nous aident à exploiter de manière optimale et rationnelle nos ressources, on sortira grandi et on vivra rayonnant sur le plan international.

LP : Aider l’Afrique à se démocratiser, qu’attendez-vous concrètement de Barack Obama?
PN : Encourager les pays bien gouvernés. Je lui ai donné trois noms, le Ghana, le Bénin et le Cap Vert. J’ai proposé que ces trois Présidents qui font honneur à l’Afrique soient reçus à la Maison blanche. Mais qu’Obama ne reçoive pas les dictateurs à la Maison Blanche, ceux qui mettent leur pays respectif dans le chaos et dans le désordre. Comment comprenez-vous que les trente pays les plus pauvres de la planète soient de l’Afrique. Sur quarante ou trente cinq pays les plus pauvres, à part le Bengladesh et Haïti, tous les autres sont de l’Afrique. C’est tout simplement parce que nous sommes mal gouvernés. Que les Américains tiennent compte de leurs intérêts, mais surtout de la vie des millions et des millions d’habitants privés de bonheur et de bien-être à cause de la mauvaise gouvernance de leurs dirigeants. En somme, Obama est notre seul espoir.


LP : Quel appel lancez-vous aux leaders politiques ivoiriens et à la société civile ivoirienne?
PN : Nous ne voyons d’autres appels à leur lancer que de leur dire de respecter l’esprit du consensus national et de l’intérêt général de la Côte d’Ivoire. Car, personne ne pourra, de manière unilatérale, discrétionnaire, même particulière, diriger ce pays. Il sera obligé d’une manière ou d’une autre de prendre en compte l’ensemble des intérêts. Il faut poser les questions pour savoir quels sont les problèmes post-crises, quels sont les futurs défis que la Côte d’Ivoire sera amenée à relever, comment trouver la solution à la misère qui frappe plus de la moitié des Ivoiriens, la question de la coopération internationale, la question du sous-développement, les droits de l’Homme, la sécurité, la santé, l’éducation, toutes ces questions doivent être traitées de manière collective. Il faut qu’ensemble on en trace les grandes lignes. C’est pourquoi j’invite les leaders politiques pour qu’en septembre, on se retrouve pour signer le nouveau contrat social que nous avons élaboré. Afin que quel que soit celui qui sera élu, il applique pour l’essentiel ce que nous avons décidé ensemble pour sauver le pays du sous-développement

Réalisée par
Ibrahima B. Kamagaté
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