Le chef de l'Etat guinéen a accordé samedi une interview inédite à une délégation de la presse ivoirienne. Dans cet entretien, le capitaine Moussa Dadis Camara se prononce avec un peu plus de précision sur son éventuelle candidature à l'élection présidentielle prévue le 31 janvier.
• M. le président, quels sont vos rapports avec le président de la République de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo ?
Ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire a été un très grave regret. Regret par rapport à son économie et pour sa performance. L'ethnocentrisme, le tribalisme, le népotisme, l'impossible régionalisme et l'esprit assoiffé du pouvoir, l'esprit de se sentir supérieur par rapport à une ethnie et la manipulation politique avaient conduit la Côte d'Ivoire dans une crise. Aujourd'hui, je suis très satisfait de ce qui se passe dans votre pays. La prise de conscience de la jeunesse ivoirienne est déjà un facteur extrêmement important. Car, sans cette jeunesse, la Côte d'Ivoire ne pourra pas aller de l'avant. J'ai eu à communiquer avec mon aîné le président Laurent Gbagbo. Je l'ai encouragé et surtout pour l'union qui règne en Côte d'Ivoire et ses bons rapports avec son Premier ministre Guillaume Soro. Je lui ai dit que la Côte d'Ivoire a une chance avec cette nouvelle génération de jeunes. Je lui ai également dit d'avoir le dos large et de ne pas écouter ceux qui, à longueur de journée, racontent n'importe quoi sur leurs rapports. S'il les écoute, la Côte d'Ivoire va se redéchirer une fois de plus. Car, ce sont les jeunes qui vont les accompagner à écrire les nouvelles pages de l'histoire du pays. Je lui ai également dit que si son jeune frère le Premier ministre Guillaume Soro arrivait à avoir des attitudes un peu déviées, qu'il lui dise la vérité. J'ai dit lors de son passage ici en Guinée, au ministre de l'Artisanat et du tourisme, Sidiki Konaté de dire à mon jeune frère le Premier ministre Guillaume Soro d'accepter tout ce que son aîné peut lui faire. Sinon la Côte d'Ivoire ne pourra pas avancer. Je n'ai pas encore eu la chance de voir les autres leaders, notamment MM Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara et les autres. Aujourd'hui, la division, l'intoxication n'ont plus leur place en Côte d'Ivoire. Je profite de l'occasion pour rendre hommage aux journalistes que vous êtes. Car, s'il y a un bon esprit en Côte d'Ivoire, c'est en partie grâce à vous.
• Vous avez pris le pouvoir il y a dix mois. Mais, depuis, un mystère demeure dans les esprits de vos concitoyens et de la communauté internationale. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est réellement passé ce 23 décembre 2008 ?
Celui qui est devant vous avait eu trois fois le pouvoir. On aurait pu prendre le pouvoir lors sous l'ère du Général Lansana Conté. Mais, nous ne l'avons pas fait pour éviter que le pays ne plonge dans la violence. Le pays allait connaître une guerre ethnique. Feu le Général Lanssana Conté avait eu le pouvoir parce qu'il était fidèle, loyaliste envers tout le peuple guinéen. C'est la Basse-côte qui a donné le pouvoir pendant 26 ans au temps de Sekou Touré. Il en était de même pour le Général Lanssana Conté. Au soir de son pouvoir, les choses se dégradaient. Est-ce qu'il fallait l'humilier ? Car, il n'avait plus la situation de l'Etat en main. Occasion d'ailleurs dont certaines personne ont profité pour faire des liquidations farfelues des sociétés d'Etat, telle que Air Guinée.
En ce qui concerne les évènements de décembre 2008, ils n'étaient pas hasardeux. Mon ministre de la Défense et moi, avions à un moment donné de la vie de notre pays procédé à la mise en place de grandes stratégies. C'est-à-dire qu'il ne fallait pas humilier le Général Lansana Conté. L'humilier ou le déposer allait avoir des conséquences très graves. Parce que ce serait un scandale culturel malgré tout ce qui s'était passé avec Sekou Touré. Nous avons patientés. Il savait que j'avais des ambitions, mais pas démesurées. Il savait qu'après lui, je serais le premier à bondir sur la prise du pouvoir. Et quand il est mort, je n'ai pas cherché à demander à Pierre ou à Paul ni, à la communauté internationale pour prendre mes responsabilités. Est-ce que j'ai demandé l'avis de cette communauté internationale pour donner la paix à mon pays aujourd'hui ? Qu'est-ce que cette communauté internationale a apporté lors des premières grèves en Guinée ? Où était-elle quand nous avons pris ce pouvoir sans effusion de sang ? Vous pensez que j'ai besoin de l'avis de celle-ci au cas où je veux me présenter aux élections présidentielles ? La Guinée nous appartient. Elle n'appartient à personne d'autre et surtout pas à la communauté internationale. La Guinée est un Etat souverain comme la France, le Japon, la Côte d'Ivoire, le Japon…et les autres pays. Parce que le jour de la mort du Général, je me suis rendu chez lui pour le saluer. Malheureusement, on m'a dit qu'il se reposait. J'ai aussitôt compris que la situation était grave. Parce que, ce n'était pas dans ses habitudes. J'étais l'une des rares personnes à le voir. A peine je suis parti de là qu'on m'a annoncé la mort du président. C'est en ce moment-là que j'ai pris la décision de prendre ce pouvoir.
• Pourquoi n'avez-vous pas appliqué la constitution ?
Quelle constitution ? Le mandat de l'Assemblée nationale avait expiré depuis deux ans. Au même moment où les véhicules 4x4 défilaient au Palais du peuple pour produire un communiqué, moi je suis allé au camp Alpha Yaya avec le ministre Sekouba pour rédiger le nôtre et nous avons pris nos responsabilités et les destinées de la nation.
• A vous entendre parler, et avec ce que nous attendons ici et là, il est clair que la communauté internationale s'acharne sur vous. Alors qu'à coté de vous en Mauritanie, il y a le président Abdelaziz élu après un coup d'Etat et qui est fréquentable aujourd'hui. Qu'est-ce qui peut expliquer selon vous cet acharnement?
Je n'ai pas la prétention d'être l'objet d'un acharnement de cette communauté et parfois cela me fait rire. Pour quelqu'un qui connaît la communauté internationale et les institutions de Bretton Woods, je crois que ce sont des données d'ordre classique. Et donc, on ne peut pas aujourd'hui obliger cette communauté internationale à changer sa position vis-à-vis du Capitaine Moussa Dadis Camara. Cependant, j'ai dit à Alain Joyandet, Secrétaire d'Etat à la Coopération française, que si la population le demande, je ne me présente pas aux élections. Mais, au même moment, il est allé à l'investiture de mon frère le Général Abdelaziz. Et donc, je ne peux que rire de ce fait. C'est le peuple qui va déterminer. La Guinée a ses réalités. Lorsque la communauté internationale parle, moi je suis dans l'esprit de mon peuple. Ce que la France ou la communauté internationale dit est un principe. Mais, est-ce que ce principe est accepté par le peuple ? Aujourd'hui, je peux dire que je suis candidat. Le peuple peut dire non même si cette communauté internationale me soutient.
• Au menu des attentes du peuple guinéen figure, en priorité, le renouvellement des institutions de la République. Quelle assurance pouvez-vous donner concernant le respect du chronogramme électoral, notamment l'élection présidentielle du 31 janvier 2010 ?
Je l'ai dit. Je ne suis pas de nature à faire repousser la date des élections. Là où il y a eu un léger retard, c'est lors de la composition de la Cnt (Commission nationale technique). Au départ, tout allait bien. Parce que, lors de la prise du pouvoir, j'ai dit que je ne me présentais pas comme candidat. Mais, à un moment donné, une partie du peuple, parce que je ne peux pas dire c'est le peuple tout entier, notamment l'intérieur et surtout les élus du peuple ont défié les leaders politiques en leur disant qu'ils me soutiennent. La situation a commencé à se détériorer. Les leaders politiques ont alors décidé de faire de la surenchère en nous demandant de leur donner 35 places sur les 120 que compte cette commission. Ils ont négligé la jeunesse, les Guinéens de l'étranger. C'est en ce moment-là que je me suis opposé pour leur faire comprendre qu'ils ne peuvent pas avoir ce nombre de sièges qu'ils demandent. Alors, ils ont manifesté leur désaccord. Ils ont décidé de faire la politique de la chaise vide. Ils ont allés tous à l'extérieur. Dans peu de temps, nous allons publier la liste. Ceux qui veulent accepter de venir faire le toilettage de la Constitution seront les bienvenus. Parce que ce toilettage de la Constitution n'est pas une affaire politique. J'insiste encore, les élections auront bel et bien lieu le 31 janvier 2010. Je vais donner un ultimatum à la cellule qui est une structure indépendante pour qu'elle respecte ce délai. Si elle ne le fait pas, je ne serais pas d'accord. Parce qu'il faut qu'on quitte dans cette confusion. Parce que ceux qui aujourd'hui crient ont perdu le terrain. C'est pourquoi, ils vont voir leurs petits copains et la communauté internationale pour faire de l'intoxication. Moi, je suis imperturbable. D'ailleurs, je ne me suis pas encore déclaré candidat. Non pas parce que j'ai peur de la communauté internationale. Pas parce que j'ai peur aussi des leaders politiques. Mais, je suis entrain de suivre mon peuple.
• Vous dites que les élections auront bel et bien lieu le 31 janvier 2010. Capitaine Moussa Dadis Camara, serez-vous parmi les candidats à l'élection présidentielle ?
La population va vous répondre dans les jours à venir si je suis candidat ou pas ?
• Des élus locaux, des associations de femmes, des jeunes et autres ont sollicité votre candidature. Allez-vous continuer de résister à tous ces appels là où la France et l'Union Européenne vous demandent de respecter vos engagements. C'est-à-dire, ne pas être candidat ?
Je n'ai pas pris ce pouvoir pour moi-même. C'est le peuple qui commande le chef que je suis. Je peux à l'instant déclarer ma candidature et personne ne peut m'envoyer devant la Cour internationale de justice. Je n'ai jamais tué quelqu'un. Aujourd'hui, on parle de démocratie autour de nous, mais c'est grâce aux militaires qui ont pris le pouvoir. Certains même l'ont fait avec effusion de sang. Pour le moment, je ne peux pas vous dire que je suis candidat. Mais, je ne veux pas la honte. Si aujourd'hui, je déclare que je suis candidat, est-ce que c'est le peuple qui m'a demandé de le dire ? Mais, si les populations de la capitale, celles de l'intérieur et celles qui sont à l'étranger me demandent de me présenter, je leur retournerais l'ascenseur. C'est en ce moment que je pourrais me déterminer. Et ce n'est pas la communauté internationale qui viendra faire les élections. Ce n'est pas elle non plus qui va dire au peuple que nous ne voulons pas que Dadis soit candidat. Ce n'est pas son rôle. Son rôle, c'est d'éviter la guerre. Elle ne peut pas s'immiscer dans les affaires d'un Etat souverain. Elle ne peut alors m'effrayer. Ce qui peux m'effrayer, c'est lorsque le peuple me dira un matin de quitter le pouvoir. En ce moment là, je ramasse mes affaires et je m'en vais. Ce ne sont pas les trafics d'influence de nature à perturber l'esprit du peuple guinéen qui vont me faire partir. D'ailleurs, à ce niveau, le peuple guinéen est tranquille et imperturbable. Parce que c'est un peuple mûr comme les Ivoiriens. On ne peut plus commander cette nation dans la barbarie et les trafics d'influence. Cette ère est terminée. C'est pourquoi, je suis tranquille dans une position qui me permettra de donner une réponse à la communauté internationale.
• Quel est l'état de santé de la Guinée que vous dirigez aujourd'hui?
Aujourd'hui, il faut redorer le blason de l'économie. Car, elle est sous perfusion.
• Que faites-vous pour lui redonner une meilleure santé?
Dès la prise du pouvoir, l'une de nos premières mesures a été d'assainir l'économie. Nous avons nommé un jeune Capitaine à la tête du ministère des Finances pour lutter contre la gabegie financière. Nous avons entamé une action contre les faux engagements et les bons de trésor. Parce que, c'est à partir des bons de trésor qu'on pouvait faire cette gabegie financière. Nous avons d'ailleurs reçu une lettre de félicitations et de remerciements du Gouverneur de la Banque centrale (de Guinée) pour les résultats positifs de cette campagne. Le détournement de fonds ne se fait pas au niveau des finances, mais au niveau des banques. Parce que c'est là-bas que se trouve la caisse. C'est à ce niveau que se font tous les engagements et les décaissements. Aux finances, ce sont des dossiers. On peut monter un dossier de 10 ou 20 milliards et le ministre peut le signer. Actuellement, il n'y a plus de détournement.
Dans le temps, un ministre pouvait rester dans son bureau et signer des contrats avec beaucoup de dessous de table. S'il y a un contrat, celui-ci doit être discuté en conseil des ministres et il faut aussi en informer le peuple. Ce qui a été fait pour le problème de l'eau et de l'électricité. On était obligé d'aller à Koloma (une région de la Guinée). Ça été l'objet d'une discussion. Il y a eu des appels d'offres. Là où le coût va être moindre, nous disons au peuple que nous sommes passés de tel montant à tel montant. Nous avons également mis fin aux escroqueries. Dans le temps, des gens pouvaient aller extorquer de l'argent aux entreprises au nom du Président. De même, je ne veux plus qu'un opérateur économique essaie de corrompre l'Administration. Tout cela est fini. J'ai dit que je ne veux pas que quelqu'un donne de l'argent à ma famille, à mes enfants. Je ne le fais pas, et aucun ministre ne le fait actuellement. Ceux qui le font peuvent le faire. Mais, s'ils sont repérés ils vont répondre.
• Où en êtes-vous avec les audits que vous avez engagés dans l'administration publique ?
Nous aurions pu beaucoup progresser sur cette opération depuis longtemps si le peuple avait pris conscience un peu plus tôt. Nous l'avons suspendue quelques mois après pour plusieurs raisons. De hauts fonctionnaires ont engagé l'Etat et ont pris des responsabilités au moment où ''le vieux'' (Conté) était malade. Vous avez parlé de la question ethnique. Des gens auraient dit que le Président a braqué l'arme contre leur fils ou leur ethnie ou réglé des comptes avec un citoyen ou un leader politique. C'est pour cette raison que j'ai fait suspendre tous les dossiers. J'ai attendu jusqu'au moment où les élus, les journalistes, toute la population guinéenne demandent les audits. J'étais bien obligé de demander pardon. Si je n'ai pas poursuivi c'est parce qu'il fallait les préparer. Si j'avais poursuivi et que certains leaders politiques avaient été arrêtés, l'on aurait dit aujourd'hui que je l'avais fait pour éliminer des adversaires à mon profit au moment où le peuple réclame ma candidature. Le peuple n'aurait pas compris le message réel que je voulais faire passer. Et puisque le peuple lui-même a compris ce message maintenant, cette commission d'audit est en place et travaille. Si certains leaders sont épinglés par les enquêtes, je demanderai au peuple de les laisser aller librement aux élections.
• Certains leaders épinglés par les audits ne seraient-ils pas un peu défavorisés aux élections ?
Tout dépendra du peuple et de la justice. Si j'accepte d'être candidat, même étant à Jakarta, ces leaders ne peuvent plus commander ce pays pour beaucoup de raisons. Pensez-vous que si la population leur faisait confiance, elles m'auraient demandé d'être candidat ? Non. La population insiste et c'est ce qui m'inquiète. Si je dis non et que demain il y a des troubles, la Haute cour de justice peut me condamner parce que j'aurais refusé d'accéder à la demande du peuple. Voilà pourquoi je dis que je suis dans un dilemme. En ce qui concerne les audits, nous allons poursuivre. Ce sont ces audits qui nous ont permis de faire des recouvrements. Le peuple a beaucoup confiance en moi parce qu'il sait que je suis très honnête. Même si je défends un ou des citoyens, je suis sûr que ce peuple peut m'accepter.
• Vous avez initié une lutte contre les trafiquants. Quel soutien avez-vous reçu de la communauté internationale dans ce combat ? Et dix mois après, êtes-vous satisfait ?
Cette communauté ne nous a jamais donné de moyens pour nous aider. Les grandes puissances ne l'ont jamais fait. Le Conseil national de développement et de la démocratie et le gouvernement ont pris un engagement patriotique. Parce que la Guinée était devenue un carrefour de cartel international. Notre ambition était de débarrasser la nation des grands fléaux afin que la sous-région ne soit pas gangrenée. Parce que la drogue déstabilise une nation. Il y a le terrorisme, le financement des guerres et des rebellions parce que c'est l'argent facile. Vous en savez mieux que moi. Aujourd'hui, nous sommes satisfaits. Puisque cette lutte a permis de près ou de loin à la sous-région de respirer. On a même découvert récemment un laboratoire de fabrication de bombe. C'est en ce moment là que la communauté internationale est intervenue pour essayer de voir comment dégager ces déchets. La population guinéenne est très satisfaite. Nous ne l'avons pas fait pour des intérêts financiers mais pour donner un nouveau cadre de vie à notre société et à la jeunesse. La Guinée nous appartient et elle nous est chère. Si la communauté internationale juge nécessaire de nous apporter de l'aide, tant mieux. Si elle ne le fait pas, nous la poursuivrons tout en sachant que cette lutte est aussi à son avantage. Parce que, là où il y a la drogue, il y a le terrorisme. Et là je voudrais remercier la communauté internationale, c'est la reconnaissance qu'elle m'a exprimée à travers le prix (Prix du Conseil international des managers africains, Cima) qui m'a été décerné récemment pour mon combat contre les narcotrafiquants et le grand banditisme. Ce n'est pas de l'argent, mais c'est un encouragement. Et c'est pour cela que nous allons redoubler d'ardeur afin d'éradiquer complètement ce fléau. Car quand vous les pourchasser au fur et à mesure ils se préparent pour revenir. Mais, nous n'allons jamais laisser le terrain aux narcotrafiquants.
• Que comptez-vous faire pour corriger le problème crucial de l'électricité et de l'eau ?
Vous savez, le peuple guinéen est un peuple patient et courageux. C'est ce qui me donne le courage de continuer. C'est un peuple patient qui ne veut pas d'un démagogue, d'un menteur à sa tête. C'est un peuple qui ne veut plus des discours pour endormir les consciences. C'est pourquoi le CNDD s'est prononcé en disant qu'on a un projet d'électricité et d'eau. Moi je ne suis pas un théoricien, je suis un homme pragmatique. Pour l'instant je ne veux pas dire qu'on a acquis certaines choses. Mais, quand tous les équipements que nous sommes en train d'acquérir seront là, nous ferons une déclaration à la télévision pour annoncer officiellement l'arrivée des groupes électrogènes et les présenter au peuple guinéen. Il en sera de même pour l'eau. Le Cndd tient toujours ses engagements. Le peuple ne veut plus de démagogie, de verbiage, de la langue de Molière. Ce peuple a besoin d'un homme naturel, honnête et simple, d'un homme qui est dans leur esprit.
• La Côte d'Ivoire exporte de l'électricité. En attendant de réaliser tous vos chantiers, pourquoi ne pas vous approvisionner en Côte d'Ivoire pour l'instant ?
C'est vrai. C'est mon frère et ami Sidia Touré que j'avais coopté pour s'occuper de ce dossier. Je l'avais choisi devant le peuple comme mon conseiller économique. Il devait conduire une mission sur la Côte d'Ivoire à cet effet. Malheureusement, depuis que la question de ma candidature a été soulevée, je ne l'ai plus revu. Même quand il partait en voyage, il ne m'a pas tenu informé. Il a fait pareil quand il est rentré de voyage. Depuis lors, on ne s'est plus revu. Mais très prochainement, une délégation guinéenne séjournera en Côte d'Ivoire afin de demander à mon frère Laurent Gbagbo et à son gouvernement les possibilités d'approvisionnement en électricité, pour essayer de soulager le peuple guinéen.
• Autant la Guinée peut avoir besoin de la Côte d'Ivoire dans certains domaines, autant des opérateurs économiques ivoiriens s'intéressent de plus en plus à votre pays. La Sotra pour l'organisation du transport urbain en Guinée mais aussi le jeune opérateur économique ivoirien, Touré Ahmed Bouah, Pca de Sophia Immobilier pour la réalisation d'un pole universitaire. Où en sommes-nous avec ces dossiers ?
Vous savez que la Cote d'Ivoire peut apporter beaucoup à la Guinée dans tous les domaines. Le peuple ivoirien a connu le vrai libéralisme et non un libéralisme sauvage. La Côte d'Ivoire a réalisé beaucoup de performances et est beaucoup avancée surtout dans le domaine agricole. En matière de construction, la plupart des matériaux proviennent de ce pays frère. Beaucoup de citoyens ivoiriens ont de grandes réalisations ici. Ceux d'entre eux qui sont de ma région n'ont pas eu besoin du ciment de la Guinée. En toute sincérité, nous sommes un pays ouvert et nous attendons les investisseurs ivoiriens. Nous avons besoin de l'expérience de nos frères Ivoiriens dans les domaines agricole, commercial, technique, administratif. Nous voulons aussi créer un département de l'économie maritime comme il en existe au Port autonome d'Abidjan. Au vue des recettes réalisées au port d'Abidjan, nous pensons que la Côte d'Ivoire a eu raison de créer ce département. Sur le plan fiscal, des mécanismes de lutte contre la corruption. De sorte que les recettes fiscales et douanières sont bien recouvrées. En toute sincérité, la Côte d'Ivoire a su profiter des opportunités qu'offrait l'ère des indépendances. Au niveau infrastructurel, la Côte d'Ivoire n'a rien à envier aux autres pays. Dans le domaine de la culture, il suffit de voir les artistes ivoiriens pour comprendre que le pays regorge de potentialités, de diversités culturelles. Nous avons besoin de vivre toutes ces expériences. On n'a plus besoin d'expériences occidentales. Avant de penser à l'Occident, il faut d'abord penser à la Côte d'Ivoire, au Mali, au Sénégal etc. C'est cela l'intégration. Il ne faut pas se faire de complexe, nous avons besoin de vous sur tous les plans, même journalistique. Nous allons bientôt envoyer nos journalistes, nos jeunes gens en Côte d'Ivoire pour apprendre auprès de vous.
• Récemment, une délégation de la Société des transports Abidjanais (Sotra) a séjourné en Guinée pour une meilleure organisation du transport urbain à Conakry. Où en êtes-vous ?
La Côte d'Ivoire a apporté beaucoup de choses à la Guinée. C'est un peuple qui a connu un vrai libéralisme économique, mais pas un libéralisme sauvage. Elle a eu une performance économique, surtout dans le domaine agricole. Ce pays est beaucoup avancé à travers la politique qu'elle a mise en place, elle se passe de moins en moins d'importation du riz. On constate qu'une partie des recettes de l'Etat provient de l'agriculture. En tout cas, elle a une bonne politique dans ce domaine. Au moment où la Côte d'Ivoire se portait bien, nos compatriotes ont eu à investir en Guinée. Les Guinéens issus des régions forestières n'avaient pas besoin du ciment de la guinée. Tous les matériaux provenaient de la Côte d'Ivoire. C'est pour toutes ces raisons que nous avons besoin des investisseurs Ivoiriens. Nos frères Ivoiriens ont de l'expérience dans le domaine agricole, commercial et technique. A cela s'ajoute, le domaine de l'administration. Nous voulons créer au Port de Conakry, à l'instar du port autonome d'Abidjan un département de l'économie maritime, pour mieux gérer les recettes et lutter contre la fraude. Nous avons presque les mêmes atouts. Mais, la Côte d'Ivoire a eu la chance de mieux exploiter ses potentialités, si bien qu'à un moment donné, on a parlé du « miracle Ivoirien ». Sur le plan des infrastructures et de la culture, la Côte d'Ivoire n'a aussi rien à envié aux autres pays, encore moins la Guinée. Sa musique s'exporte. Avant d'aller vers l'Occident, il faut plutôt s'inspirer de ce modèle réussi de développement.
• Quel message avez-vous à lancer aux autorités ivoiriennes ?
J'encourage le peuple ivoirien, notamment la jeunesse qui a pris conscience. Personne n'avait imaginé que les peuples du Nord, du Sud, de l'Ouest, de l'Est et du Centre allaient s'entendre, du moins parler d'une même voix. Nous voulons que la liberté de circulation des personnes et des biens se passe dans de bonnes conditions. Lorsque je vois à la télévision ivoirienne, mes frères Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié s'exprimer librement, je sens que la situation politique s'est améliorée et que les leaders politiques se sont réconciliés et que les conflits régionalistes ont pris fin. Nous demandons à la jeunesse ivoirienne de ne pas laisser prospérer les campagnes d'intoxication. Personne n'a choisi sa naissance. C'est Dieu qui a décidé que certains soient baoulé, dioula, bété, guéré, senoufo, malinké…Pourquoi certains veulent prétendre être supérieurs à d'autres ? Il n'y a pas d'ethnie supérieure. Il n'y a pas de langue supérieure. Par exemple mes demi-sœurs qui vivent en Côte d'Ivoire ne parlent pas ma langue. Elles parlent le bété, baoulé, alors qu'elles sont Guinéennes. Ceux qui disent qu'ils sont issus d'une ethnie supérieure sont maudits. Quelqu'un ne peut pas prétendre avoir un sang supérieur à son voisin. Il faut qu'on bannisse cette attitude qui frise le sectarisme et la xénophobie. Les histoires de descendants de tels ou tels ne sont pas de nature à nous faire avancer. L'Afrique n'est pas la démagogie. En Guinée, certains continuent de dire que telles familles ou telle ethnie ne doit pas se marier à d'autres. Ce sont des balivernes. C'est pourquoi, je suis fier de la Côte d'Ivoire. Il y a une multiplicité d'ethnies en Côte d'Ivoire. C'est ce qui fait sa richesse. Il ne faudrait pas que les Ivoiriens acceptent qu'on oppose une ethnie à une autre. La Côte d'Ivoire est un pays prospère qui ne doit pas se diviser pour des problèmes ethniques. Ce qui fait encore la force de ce pays, c'est aussi la coopération des religions. Mon pays, la Guinée doit copier ce bon exemple de brassage culturel. Où le malinké épouse une bété ou dida et vice versa. La Côte d'Ivoire doit se débarrasser de ceux qui ont un esprit régionaliste. En Guinée, nous allons combattre cela pour aller de l'avant.
Interview réalisée à Conakry (Guinée) par Cissé Sindou
Ont participé également :
Joseph Atoumgbré (Le Temps)
David Gouedan Mobio (Rti 1ère chaîne)
Marc Yevou (Fraternité Matin)
Cissé Sindou (Nord Sud Quotidien)
Cissé Anzoumane (Le Patriote)
Paul Philippe (Radio Côte d'Ivoire)
Romaric Foua (Notre Heure)
Franck Souhouoné (L'Inter)
• M. le président, quels sont vos rapports avec le président de la République de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo ?
Ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire a été un très grave regret. Regret par rapport à son économie et pour sa performance. L'ethnocentrisme, le tribalisme, le népotisme, l'impossible régionalisme et l'esprit assoiffé du pouvoir, l'esprit de se sentir supérieur par rapport à une ethnie et la manipulation politique avaient conduit la Côte d'Ivoire dans une crise. Aujourd'hui, je suis très satisfait de ce qui se passe dans votre pays. La prise de conscience de la jeunesse ivoirienne est déjà un facteur extrêmement important. Car, sans cette jeunesse, la Côte d'Ivoire ne pourra pas aller de l'avant. J'ai eu à communiquer avec mon aîné le président Laurent Gbagbo. Je l'ai encouragé et surtout pour l'union qui règne en Côte d'Ivoire et ses bons rapports avec son Premier ministre Guillaume Soro. Je lui ai dit que la Côte d'Ivoire a une chance avec cette nouvelle génération de jeunes. Je lui ai également dit d'avoir le dos large et de ne pas écouter ceux qui, à longueur de journée, racontent n'importe quoi sur leurs rapports. S'il les écoute, la Côte d'Ivoire va se redéchirer une fois de plus. Car, ce sont les jeunes qui vont les accompagner à écrire les nouvelles pages de l'histoire du pays. Je lui ai également dit que si son jeune frère le Premier ministre Guillaume Soro arrivait à avoir des attitudes un peu déviées, qu'il lui dise la vérité. J'ai dit lors de son passage ici en Guinée, au ministre de l'Artisanat et du tourisme, Sidiki Konaté de dire à mon jeune frère le Premier ministre Guillaume Soro d'accepter tout ce que son aîné peut lui faire. Sinon la Côte d'Ivoire ne pourra pas avancer. Je n'ai pas encore eu la chance de voir les autres leaders, notamment MM Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara et les autres. Aujourd'hui, la division, l'intoxication n'ont plus leur place en Côte d'Ivoire. Je profite de l'occasion pour rendre hommage aux journalistes que vous êtes. Car, s'il y a un bon esprit en Côte d'Ivoire, c'est en partie grâce à vous.
• Vous avez pris le pouvoir il y a dix mois. Mais, depuis, un mystère demeure dans les esprits de vos concitoyens et de la communauté internationale. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est réellement passé ce 23 décembre 2008 ?
Celui qui est devant vous avait eu trois fois le pouvoir. On aurait pu prendre le pouvoir lors sous l'ère du Général Lansana Conté. Mais, nous ne l'avons pas fait pour éviter que le pays ne plonge dans la violence. Le pays allait connaître une guerre ethnique. Feu le Général Lanssana Conté avait eu le pouvoir parce qu'il était fidèle, loyaliste envers tout le peuple guinéen. C'est la Basse-côte qui a donné le pouvoir pendant 26 ans au temps de Sekou Touré. Il en était de même pour le Général Lanssana Conté. Au soir de son pouvoir, les choses se dégradaient. Est-ce qu'il fallait l'humilier ? Car, il n'avait plus la situation de l'Etat en main. Occasion d'ailleurs dont certaines personne ont profité pour faire des liquidations farfelues des sociétés d'Etat, telle que Air Guinée.
En ce qui concerne les évènements de décembre 2008, ils n'étaient pas hasardeux. Mon ministre de la Défense et moi, avions à un moment donné de la vie de notre pays procédé à la mise en place de grandes stratégies. C'est-à-dire qu'il ne fallait pas humilier le Général Lansana Conté. L'humilier ou le déposer allait avoir des conséquences très graves. Parce que ce serait un scandale culturel malgré tout ce qui s'était passé avec Sekou Touré. Nous avons patientés. Il savait que j'avais des ambitions, mais pas démesurées. Il savait qu'après lui, je serais le premier à bondir sur la prise du pouvoir. Et quand il est mort, je n'ai pas cherché à demander à Pierre ou à Paul ni, à la communauté internationale pour prendre mes responsabilités. Est-ce que j'ai demandé l'avis de cette communauté internationale pour donner la paix à mon pays aujourd'hui ? Qu'est-ce que cette communauté internationale a apporté lors des premières grèves en Guinée ? Où était-elle quand nous avons pris ce pouvoir sans effusion de sang ? Vous pensez que j'ai besoin de l'avis de celle-ci au cas où je veux me présenter aux élections présidentielles ? La Guinée nous appartient. Elle n'appartient à personne d'autre et surtout pas à la communauté internationale. La Guinée est un Etat souverain comme la France, le Japon, la Côte d'Ivoire, le Japon…et les autres pays. Parce que le jour de la mort du Général, je me suis rendu chez lui pour le saluer. Malheureusement, on m'a dit qu'il se reposait. J'ai aussitôt compris que la situation était grave. Parce que, ce n'était pas dans ses habitudes. J'étais l'une des rares personnes à le voir. A peine je suis parti de là qu'on m'a annoncé la mort du président. C'est en ce moment-là que j'ai pris la décision de prendre ce pouvoir.
• Pourquoi n'avez-vous pas appliqué la constitution ?
Quelle constitution ? Le mandat de l'Assemblée nationale avait expiré depuis deux ans. Au même moment où les véhicules 4x4 défilaient au Palais du peuple pour produire un communiqué, moi je suis allé au camp Alpha Yaya avec le ministre Sekouba pour rédiger le nôtre et nous avons pris nos responsabilités et les destinées de la nation.
• A vous entendre parler, et avec ce que nous attendons ici et là, il est clair que la communauté internationale s'acharne sur vous. Alors qu'à coté de vous en Mauritanie, il y a le président Abdelaziz élu après un coup d'Etat et qui est fréquentable aujourd'hui. Qu'est-ce qui peut expliquer selon vous cet acharnement?
Je n'ai pas la prétention d'être l'objet d'un acharnement de cette communauté et parfois cela me fait rire. Pour quelqu'un qui connaît la communauté internationale et les institutions de Bretton Woods, je crois que ce sont des données d'ordre classique. Et donc, on ne peut pas aujourd'hui obliger cette communauté internationale à changer sa position vis-à-vis du Capitaine Moussa Dadis Camara. Cependant, j'ai dit à Alain Joyandet, Secrétaire d'Etat à la Coopération française, que si la population le demande, je ne me présente pas aux élections. Mais, au même moment, il est allé à l'investiture de mon frère le Général Abdelaziz. Et donc, je ne peux que rire de ce fait. C'est le peuple qui va déterminer. La Guinée a ses réalités. Lorsque la communauté internationale parle, moi je suis dans l'esprit de mon peuple. Ce que la France ou la communauté internationale dit est un principe. Mais, est-ce que ce principe est accepté par le peuple ? Aujourd'hui, je peux dire que je suis candidat. Le peuple peut dire non même si cette communauté internationale me soutient.
• Au menu des attentes du peuple guinéen figure, en priorité, le renouvellement des institutions de la République. Quelle assurance pouvez-vous donner concernant le respect du chronogramme électoral, notamment l'élection présidentielle du 31 janvier 2010 ?
Je l'ai dit. Je ne suis pas de nature à faire repousser la date des élections. Là où il y a eu un léger retard, c'est lors de la composition de la Cnt (Commission nationale technique). Au départ, tout allait bien. Parce que, lors de la prise du pouvoir, j'ai dit que je ne me présentais pas comme candidat. Mais, à un moment donné, une partie du peuple, parce que je ne peux pas dire c'est le peuple tout entier, notamment l'intérieur et surtout les élus du peuple ont défié les leaders politiques en leur disant qu'ils me soutiennent. La situation a commencé à se détériorer. Les leaders politiques ont alors décidé de faire de la surenchère en nous demandant de leur donner 35 places sur les 120 que compte cette commission. Ils ont négligé la jeunesse, les Guinéens de l'étranger. C'est en ce moment-là que je me suis opposé pour leur faire comprendre qu'ils ne peuvent pas avoir ce nombre de sièges qu'ils demandent. Alors, ils ont manifesté leur désaccord. Ils ont décidé de faire la politique de la chaise vide. Ils ont allés tous à l'extérieur. Dans peu de temps, nous allons publier la liste. Ceux qui veulent accepter de venir faire le toilettage de la Constitution seront les bienvenus. Parce que ce toilettage de la Constitution n'est pas une affaire politique. J'insiste encore, les élections auront bel et bien lieu le 31 janvier 2010. Je vais donner un ultimatum à la cellule qui est une structure indépendante pour qu'elle respecte ce délai. Si elle ne le fait pas, je ne serais pas d'accord. Parce qu'il faut qu'on quitte dans cette confusion. Parce que ceux qui aujourd'hui crient ont perdu le terrain. C'est pourquoi, ils vont voir leurs petits copains et la communauté internationale pour faire de l'intoxication. Moi, je suis imperturbable. D'ailleurs, je ne me suis pas encore déclaré candidat. Non pas parce que j'ai peur de la communauté internationale. Pas parce que j'ai peur aussi des leaders politiques. Mais, je suis entrain de suivre mon peuple.
• Vous dites que les élections auront bel et bien lieu le 31 janvier 2010. Capitaine Moussa Dadis Camara, serez-vous parmi les candidats à l'élection présidentielle ?
La population va vous répondre dans les jours à venir si je suis candidat ou pas ?
• Des élus locaux, des associations de femmes, des jeunes et autres ont sollicité votre candidature. Allez-vous continuer de résister à tous ces appels là où la France et l'Union Européenne vous demandent de respecter vos engagements. C'est-à-dire, ne pas être candidat ?
Je n'ai pas pris ce pouvoir pour moi-même. C'est le peuple qui commande le chef que je suis. Je peux à l'instant déclarer ma candidature et personne ne peut m'envoyer devant la Cour internationale de justice. Je n'ai jamais tué quelqu'un. Aujourd'hui, on parle de démocratie autour de nous, mais c'est grâce aux militaires qui ont pris le pouvoir. Certains même l'ont fait avec effusion de sang. Pour le moment, je ne peux pas vous dire que je suis candidat. Mais, je ne veux pas la honte. Si aujourd'hui, je déclare que je suis candidat, est-ce que c'est le peuple qui m'a demandé de le dire ? Mais, si les populations de la capitale, celles de l'intérieur et celles qui sont à l'étranger me demandent de me présenter, je leur retournerais l'ascenseur. C'est en ce moment que je pourrais me déterminer. Et ce n'est pas la communauté internationale qui viendra faire les élections. Ce n'est pas elle non plus qui va dire au peuple que nous ne voulons pas que Dadis soit candidat. Ce n'est pas son rôle. Son rôle, c'est d'éviter la guerre. Elle ne peut pas s'immiscer dans les affaires d'un Etat souverain. Elle ne peut alors m'effrayer. Ce qui peux m'effrayer, c'est lorsque le peuple me dira un matin de quitter le pouvoir. En ce moment là, je ramasse mes affaires et je m'en vais. Ce ne sont pas les trafics d'influence de nature à perturber l'esprit du peuple guinéen qui vont me faire partir. D'ailleurs, à ce niveau, le peuple guinéen est tranquille et imperturbable. Parce que c'est un peuple mûr comme les Ivoiriens. On ne peut plus commander cette nation dans la barbarie et les trafics d'influence. Cette ère est terminée. C'est pourquoi, je suis tranquille dans une position qui me permettra de donner une réponse à la communauté internationale.
• Quel est l'état de santé de la Guinée que vous dirigez aujourd'hui?
Aujourd'hui, il faut redorer le blason de l'économie. Car, elle est sous perfusion.
• Que faites-vous pour lui redonner une meilleure santé?
Dès la prise du pouvoir, l'une de nos premières mesures a été d'assainir l'économie. Nous avons nommé un jeune Capitaine à la tête du ministère des Finances pour lutter contre la gabegie financière. Nous avons entamé une action contre les faux engagements et les bons de trésor. Parce que, c'est à partir des bons de trésor qu'on pouvait faire cette gabegie financière. Nous avons d'ailleurs reçu une lettre de félicitations et de remerciements du Gouverneur de la Banque centrale (de Guinée) pour les résultats positifs de cette campagne. Le détournement de fonds ne se fait pas au niveau des finances, mais au niveau des banques. Parce que c'est là-bas que se trouve la caisse. C'est à ce niveau que se font tous les engagements et les décaissements. Aux finances, ce sont des dossiers. On peut monter un dossier de 10 ou 20 milliards et le ministre peut le signer. Actuellement, il n'y a plus de détournement.
Dans le temps, un ministre pouvait rester dans son bureau et signer des contrats avec beaucoup de dessous de table. S'il y a un contrat, celui-ci doit être discuté en conseil des ministres et il faut aussi en informer le peuple. Ce qui a été fait pour le problème de l'eau et de l'électricité. On était obligé d'aller à Koloma (une région de la Guinée). Ça été l'objet d'une discussion. Il y a eu des appels d'offres. Là où le coût va être moindre, nous disons au peuple que nous sommes passés de tel montant à tel montant. Nous avons également mis fin aux escroqueries. Dans le temps, des gens pouvaient aller extorquer de l'argent aux entreprises au nom du Président. De même, je ne veux plus qu'un opérateur économique essaie de corrompre l'Administration. Tout cela est fini. J'ai dit que je ne veux pas que quelqu'un donne de l'argent à ma famille, à mes enfants. Je ne le fais pas, et aucun ministre ne le fait actuellement. Ceux qui le font peuvent le faire. Mais, s'ils sont repérés ils vont répondre.
• Où en êtes-vous avec les audits que vous avez engagés dans l'administration publique ?
Nous aurions pu beaucoup progresser sur cette opération depuis longtemps si le peuple avait pris conscience un peu plus tôt. Nous l'avons suspendue quelques mois après pour plusieurs raisons. De hauts fonctionnaires ont engagé l'Etat et ont pris des responsabilités au moment où ''le vieux'' (Conté) était malade. Vous avez parlé de la question ethnique. Des gens auraient dit que le Président a braqué l'arme contre leur fils ou leur ethnie ou réglé des comptes avec un citoyen ou un leader politique. C'est pour cette raison que j'ai fait suspendre tous les dossiers. J'ai attendu jusqu'au moment où les élus, les journalistes, toute la population guinéenne demandent les audits. J'étais bien obligé de demander pardon. Si je n'ai pas poursuivi c'est parce qu'il fallait les préparer. Si j'avais poursuivi et que certains leaders politiques avaient été arrêtés, l'on aurait dit aujourd'hui que je l'avais fait pour éliminer des adversaires à mon profit au moment où le peuple réclame ma candidature. Le peuple n'aurait pas compris le message réel que je voulais faire passer. Et puisque le peuple lui-même a compris ce message maintenant, cette commission d'audit est en place et travaille. Si certains leaders sont épinglés par les enquêtes, je demanderai au peuple de les laisser aller librement aux élections.
• Certains leaders épinglés par les audits ne seraient-ils pas un peu défavorisés aux élections ?
Tout dépendra du peuple et de la justice. Si j'accepte d'être candidat, même étant à Jakarta, ces leaders ne peuvent plus commander ce pays pour beaucoup de raisons. Pensez-vous que si la population leur faisait confiance, elles m'auraient demandé d'être candidat ? Non. La population insiste et c'est ce qui m'inquiète. Si je dis non et que demain il y a des troubles, la Haute cour de justice peut me condamner parce que j'aurais refusé d'accéder à la demande du peuple. Voilà pourquoi je dis que je suis dans un dilemme. En ce qui concerne les audits, nous allons poursuivre. Ce sont ces audits qui nous ont permis de faire des recouvrements. Le peuple a beaucoup confiance en moi parce qu'il sait que je suis très honnête. Même si je défends un ou des citoyens, je suis sûr que ce peuple peut m'accepter.
• Vous avez initié une lutte contre les trafiquants. Quel soutien avez-vous reçu de la communauté internationale dans ce combat ? Et dix mois après, êtes-vous satisfait ?
Cette communauté ne nous a jamais donné de moyens pour nous aider. Les grandes puissances ne l'ont jamais fait. Le Conseil national de développement et de la démocratie et le gouvernement ont pris un engagement patriotique. Parce que la Guinée était devenue un carrefour de cartel international. Notre ambition était de débarrasser la nation des grands fléaux afin que la sous-région ne soit pas gangrenée. Parce que la drogue déstabilise une nation. Il y a le terrorisme, le financement des guerres et des rebellions parce que c'est l'argent facile. Vous en savez mieux que moi. Aujourd'hui, nous sommes satisfaits. Puisque cette lutte a permis de près ou de loin à la sous-région de respirer. On a même découvert récemment un laboratoire de fabrication de bombe. C'est en ce moment là que la communauté internationale est intervenue pour essayer de voir comment dégager ces déchets. La population guinéenne est très satisfaite. Nous ne l'avons pas fait pour des intérêts financiers mais pour donner un nouveau cadre de vie à notre société et à la jeunesse. La Guinée nous appartient et elle nous est chère. Si la communauté internationale juge nécessaire de nous apporter de l'aide, tant mieux. Si elle ne le fait pas, nous la poursuivrons tout en sachant que cette lutte est aussi à son avantage. Parce que, là où il y a la drogue, il y a le terrorisme. Et là je voudrais remercier la communauté internationale, c'est la reconnaissance qu'elle m'a exprimée à travers le prix (Prix du Conseil international des managers africains, Cima) qui m'a été décerné récemment pour mon combat contre les narcotrafiquants et le grand banditisme. Ce n'est pas de l'argent, mais c'est un encouragement. Et c'est pour cela que nous allons redoubler d'ardeur afin d'éradiquer complètement ce fléau. Car quand vous les pourchasser au fur et à mesure ils se préparent pour revenir. Mais, nous n'allons jamais laisser le terrain aux narcotrafiquants.
• Que comptez-vous faire pour corriger le problème crucial de l'électricité et de l'eau ?
Vous savez, le peuple guinéen est un peuple patient et courageux. C'est ce qui me donne le courage de continuer. C'est un peuple patient qui ne veut pas d'un démagogue, d'un menteur à sa tête. C'est un peuple qui ne veut plus des discours pour endormir les consciences. C'est pourquoi le CNDD s'est prononcé en disant qu'on a un projet d'électricité et d'eau. Moi je ne suis pas un théoricien, je suis un homme pragmatique. Pour l'instant je ne veux pas dire qu'on a acquis certaines choses. Mais, quand tous les équipements que nous sommes en train d'acquérir seront là, nous ferons une déclaration à la télévision pour annoncer officiellement l'arrivée des groupes électrogènes et les présenter au peuple guinéen. Il en sera de même pour l'eau. Le Cndd tient toujours ses engagements. Le peuple ne veut plus de démagogie, de verbiage, de la langue de Molière. Ce peuple a besoin d'un homme naturel, honnête et simple, d'un homme qui est dans leur esprit.
• La Côte d'Ivoire exporte de l'électricité. En attendant de réaliser tous vos chantiers, pourquoi ne pas vous approvisionner en Côte d'Ivoire pour l'instant ?
C'est vrai. C'est mon frère et ami Sidia Touré que j'avais coopté pour s'occuper de ce dossier. Je l'avais choisi devant le peuple comme mon conseiller économique. Il devait conduire une mission sur la Côte d'Ivoire à cet effet. Malheureusement, depuis que la question de ma candidature a été soulevée, je ne l'ai plus revu. Même quand il partait en voyage, il ne m'a pas tenu informé. Il a fait pareil quand il est rentré de voyage. Depuis lors, on ne s'est plus revu. Mais très prochainement, une délégation guinéenne séjournera en Côte d'Ivoire afin de demander à mon frère Laurent Gbagbo et à son gouvernement les possibilités d'approvisionnement en électricité, pour essayer de soulager le peuple guinéen.
• Autant la Guinée peut avoir besoin de la Côte d'Ivoire dans certains domaines, autant des opérateurs économiques ivoiriens s'intéressent de plus en plus à votre pays. La Sotra pour l'organisation du transport urbain en Guinée mais aussi le jeune opérateur économique ivoirien, Touré Ahmed Bouah, Pca de Sophia Immobilier pour la réalisation d'un pole universitaire. Où en sommes-nous avec ces dossiers ?
Vous savez que la Cote d'Ivoire peut apporter beaucoup à la Guinée dans tous les domaines. Le peuple ivoirien a connu le vrai libéralisme et non un libéralisme sauvage. La Côte d'Ivoire a réalisé beaucoup de performances et est beaucoup avancée surtout dans le domaine agricole. En matière de construction, la plupart des matériaux proviennent de ce pays frère. Beaucoup de citoyens ivoiriens ont de grandes réalisations ici. Ceux d'entre eux qui sont de ma région n'ont pas eu besoin du ciment de la Guinée. En toute sincérité, nous sommes un pays ouvert et nous attendons les investisseurs ivoiriens. Nous avons besoin de l'expérience de nos frères Ivoiriens dans les domaines agricole, commercial, technique, administratif. Nous voulons aussi créer un département de l'économie maritime comme il en existe au Port autonome d'Abidjan. Au vue des recettes réalisées au port d'Abidjan, nous pensons que la Côte d'Ivoire a eu raison de créer ce département. Sur le plan fiscal, des mécanismes de lutte contre la corruption. De sorte que les recettes fiscales et douanières sont bien recouvrées. En toute sincérité, la Côte d'Ivoire a su profiter des opportunités qu'offrait l'ère des indépendances. Au niveau infrastructurel, la Côte d'Ivoire n'a rien à envier aux autres pays. Dans le domaine de la culture, il suffit de voir les artistes ivoiriens pour comprendre que le pays regorge de potentialités, de diversités culturelles. Nous avons besoin de vivre toutes ces expériences. On n'a plus besoin d'expériences occidentales. Avant de penser à l'Occident, il faut d'abord penser à la Côte d'Ivoire, au Mali, au Sénégal etc. C'est cela l'intégration. Il ne faut pas se faire de complexe, nous avons besoin de vous sur tous les plans, même journalistique. Nous allons bientôt envoyer nos journalistes, nos jeunes gens en Côte d'Ivoire pour apprendre auprès de vous.
• Récemment, une délégation de la Société des transports Abidjanais (Sotra) a séjourné en Guinée pour une meilleure organisation du transport urbain à Conakry. Où en êtes-vous ?
La Côte d'Ivoire a apporté beaucoup de choses à la Guinée. C'est un peuple qui a connu un vrai libéralisme économique, mais pas un libéralisme sauvage. Elle a eu une performance économique, surtout dans le domaine agricole. Ce pays est beaucoup avancé à travers la politique qu'elle a mise en place, elle se passe de moins en moins d'importation du riz. On constate qu'une partie des recettes de l'Etat provient de l'agriculture. En tout cas, elle a une bonne politique dans ce domaine. Au moment où la Côte d'Ivoire se portait bien, nos compatriotes ont eu à investir en Guinée. Les Guinéens issus des régions forestières n'avaient pas besoin du ciment de la guinée. Tous les matériaux provenaient de la Côte d'Ivoire. C'est pour toutes ces raisons que nous avons besoin des investisseurs Ivoiriens. Nos frères Ivoiriens ont de l'expérience dans le domaine agricole, commercial et technique. A cela s'ajoute, le domaine de l'administration. Nous voulons créer au Port de Conakry, à l'instar du port autonome d'Abidjan un département de l'économie maritime, pour mieux gérer les recettes et lutter contre la fraude. Nous avons presque les mêmes atouts. Mais, la Côte d'Ivoire a eu la chance de mieux exploiter ses potentialités, si bien qu'à un moment donné, on a parlé du « miracle Ivoirien ». Sur le plan des infrastructures et de la culture, la Côte d'Ivoire n'a aussi rien à envié aux autres pays, encore moins la Guinée. Sa musique s'exporte. Avant d'aller vers l'Occident, il faut plutôt s'inspirer de ce modèle réussi de développement.
• Quel message avez-vous à lancer aux autorités ivoiriennes ?
J'encourage le peuple ivoirien, notamment la jeunesse qui a pris conscience. Personne n'avait imaginé que les peuples du Nord, du Sud, de l'Ouest, de l'Est et du Centre allaient s'entendre, du moins parler d'une même voix. Nous voulons que la liberté de circulation des personnes et des biens se passe dans de bonnes conditions. Lorsque je vois à la télévision ivoirienne, mes frères Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié s'exprimer librement, je sens que la situation politique s'est améliorée et que les leaders politiques se sont réconciliés et que les conflits régionalistes ont pris fin. Nous demandons à la jeunesse ivoirienne de ne pas laisser prospérer les campagnes d'intoxication. Personne n'a choisi sa naissance. C'est Dieu qui a décidé que certains soient baoulé, dioula, bété, guéré, senoufo, malinké…Pourquoi certains veulent prétendre être supérieurs à d'autres ? Il n'y a pas d'ethnie supérieure. Il n'y a pas de langue supérieure. Par exemple mes demi-sœurs qui vivent en Côte d'Ivoire ne parlent pas ma langue. Elles parlent le bété, baoulé, alors qu'elles sont Guinéennes. Ceux qui disent qu'ils sont issus d'une ethnie supérieure sont maudits. Quelqu'un ne peut pas prétendre avoir un sang supérieur à son voisin. Il faut qu'on bannisse cette attitude qui frise le sectarisme et la xénophobie. Les histoires de descendants de tels ou tels ne sont pas de nature à nous faire avancer. L'Afrique n'est pas la démagogie. En Guinée, certains continuent de dire que telles familles ou telle ethnie ne doit pas se marier à d'autres. Ce sont des balivernes. C'est pourquoi, je suis fier de la Côte d'Ivoire. Il y a une multiplicité d'ethnies en Côte d'Ivoire. C'est ce qui fait sa richesse. Il ne faudrait pas que les Ivoiriens acceptent qu'on oppose une ethnie à une autre. La Côte d'Ivoire est un pays prospère qui ne doit pas se diviser pour des problèmes ethniques. Ce qui fait encore la force de ce pays, c'est aussi la coopération des religions. Mon pays, la Guinée doit copier ce bon exemple de brassage culturel. Où le malinké épouse une bété ou dida et vice versa. La Côte d'Ivoire doit se débarrasser de ceux qui ont un esprit régionaliste. En Guinée, nous allons combattre cela pour aller de l'avant.
Interview réalisée à Conakry (Guinée) par Cissé Sindou
Ont participé également :
Joseph Atoumgbré (Le Temps)
David Gouedan Mobio (Rti 1ère chaîne)
Marc Yevou (Fraternité Matin)
Cissé Sindou (Nord Sud Quotidien)
Cissé Anzoumane (Le Patriote)
Paul Philippe (Radio Côte d'Ivoire)
Romaric Foua (Notre Heure)
Franck Souhouoné (L'Inter)