Le président Gbagbo est candidat à sa propre succession. Il a déposé son dossier hier à la CEI. Après quoi, il est allé prendre ses “fonctions” de candidat à son quartier général (QG) à Cocody-Attoban. Là, il a animé une conférence de presse pour expliquer le sens de sa candidature. Voici ses propos liminaires avant de se prêter aux questions des journalistes. “Chers amis, Je vous remercie d’être venus à cette rencontre. Depuis l’annonce du dépôt de ma candidature, il y a un bouillonnement impressionnant. Je voudrais remercier le peuple d’Abidjan qui est venu si massivement au siège de la CEI et ici même (NDRL : à son Quartier Général sis à Cocody Attoban). Dehors, aux alentours de ce bâtiment, il y a beaucoup de monde. Ce qui témoigne de l’intérêt que les Ivoiriens ont pour cette candidature, mais cela témoigne aussi de l’inquiétude que certains avaient que je ne dépose pas ma candidature. Cette inquiétude est aujourd’hui levée et nous allons travailler. Pourquoi cette candidature ? Dans quel contexte elle se fait ? Ma candidature se fait dans un contexte où nous avons gagné la paix sur la guerre. Retenez bien que cette élection qui va avoir lieu n’est pas seulement une élection pour choisir un président de la République. C’est aussi une élection qui va mettre fin à une période et qui va ouvrir une autre. La période qui s’achève est celle que je pourrai appeler la période houphouétienne. C’est la période marquée par la stature d’Houphouët-Boigny. Depuis 1945, la stature d’Houphouët-Boigny a imprégné, marqué, façonné cette période-là. Malheureusement, à son décès en 1993, sa succession a été mal réglée. Elle a été très mal réglée et le fait de régler la succession de cette façon-là nous a amené les conflits que nous connaissons depuis 1993 jusqu’à aujourd’hui. Mon espérance, ma foi et ma conviction, c’est que, après avoir connu la partie la plus aiguë de cette crise née de la mort d’Houphouët-Boigny et qui est la guerre, l’élection que nous allons connaître va mettre une fin définitive et à cette crise et à cette ère. C’est pour cela que je suis candidat (applaudissements nourris). C’est pourquoi, tous les Ivoiriens et tous ceux qui vivent en Côte d’Ivoire doivent mesurer la portée historique de cette élection qui n’est pas seulement le fait de changer les institutions et de choisir de nouveaux hommes, mais c’est véritablement le fait que nous changeons d’époque. Et, il nous faut changer d’époque. Il nous faut sortir de l’ère où on s’est amusé à penser qu’avec des coups d’Etat, on pouvait changer de régime. Les gens ont cru qu’avec la mort d’Houphouët, le pouvoir était suffisamment fragile et faible pour armer quelques jeunes gens pour venir s’emparer du pouvoir et de la Côte d’Ivoire. Je veux dire aujourd’hui qu’il n’est pas possible que je ne me batte pas contre de telles pratiques. Contre ceux qui croient que quelques fusils peuvent changer le cours de l’histoire. Les Ivoiriens écriront leur histoire comme ils le voudront mais par la voie démocratique (applaudissements). C’est la première idée force que je voulais indiquer. Les réformes de 2000 toujours en vigueur La deuxième idée force, c’est que j’ai été candidat en 1990. Pour des raisons que tout le monde sait, je n’ai pas été candidat en 1995 mais j’ai été candidat en 2000. C’est donc la troisième fois que je suis candidat. Depuis 1990, je vous propose inlassablement des réformes sociales en profondeur pour la Côte d’Ivoire. Vous savez, en 1960, au moment où Houphouët-Boigny proclamait l’indépendance de la Côte d’Ivoire, ça fait bientôt 50 ans, nous étions 3 millions d’habitants. Les problèmes se posaient différemment. Aujourd’hui, nous sommes plus de 20 millions d’habitants. On pouvait se contenter d’être généreux et régler les problèmes en 1960 mais aujourd’hui, il faut mettre en place une politique sociale hardie. C’est pourquoi, entre autres choses, je vous avais proposé la décentralisation, l’école gratuite et l’Assurance Maladie Universelle (AMU). A cause de la guerre survenue en septembre 2002, nous n’avons pas pu tout appliquer. Mais, nous avons commencé les réformes. En 2001 et 2002, nous avons commencé l’école gratuite pour les enfants qui étaient à l’école. J’avais demandé au Premier ministre Affi N’Guessan de ne pas voter de loi parce qu’il fallait d’abord qu’on essaie avec les enfants qui sont à l’école. Nous avons été soutenus par la Banque Mondiale. Nous avons distribué les livres gratuitement. Nous avons construit beaucoup d’écoles. Nous avons multiplié les cantines scolaires. Les résultats ont été impressionnants et nous apprêtions à construire des structures scolaires pour tous les enfants qui ne sont pas à l’école parce que ce ne sont pas tous les enfants de Côte d’Ivoire qui sont à l’école. Or, il faut les mettre tous à l’école et ça risquait de nous revenir beaucoup plus cher. Nous étions en train d’étudier cela, quand la guerre est venue. Cette réforme, nous allons la reprendre là où nous l’avons laissée (applaudissements). L’ Assurance Maladie Universelle doit servir à soigner les Ivoiriens. Il ne faut pas leur dire qu’on est généreux et qu’ils auront les médicaments gratuitement. Il faut leur expliquer que la santé coûte cher. Mais que c’est le rôle de l’Etat d’organiser les Ivoiriens pour qu’ils ne sentent pas la cherté de la santé. C’est ce que nous avons tenté de faire. C’est ce que beaucoup de pays africains comprennent aujourd’hui et nous envoient des délégations pour apprendre ce que nous avons fait dans ce domaine. C’est ce que la grande Amérique de Barack Obama veut faire aujourd’hui. C'est-à-dire l’Assurance Maladie Universelle. Ça veut dire que nous allons prélever sur les revenus de chacun et lui donner en lieu et place, une carte de santé. Pour qu’au moment où sa santé l’exige, il puisse se présenter devant n’importe quel médecin et se faire soigner. Les autres l’ont fait et ont réussi. Nous pouvons le faire, nous devons le faire et nous allons le faire (applaudissements). Quant à la décentralisation, vous avez commencé à en voir les tout premiers fruits mais de tout petits fruits. Nous ne sommes pas encore allés au fond. Parce que la décentralisation pour nous, ce ne sont pas que les conseils généraux. Certes, le succès de ces conseils généraux, c’est qu’aujourd’hui chacun vient nous voir pour demander que sa sous-préfecture devienne une préfecture. Ce qui n’est pas bon, on ne le demande pas. On ne demande que les choses bonnes. Quand les gens viennent de partout, et se battent pour que leur village, leur sous-préfecture deviennent un chef-lieu de département, cela veut dire que nous sommes dans la bonne direction. Et nous n’avons pas fini. D’abord, parce que nous n’avons pas encore créé les régions. Il nous faut créer les régions et leur donner des compétences pour créer dans chaque région, une université et un CHU. La Côte d’Ivoire de 2009 n’est plus la Côte d’Ivoire de 1960. Quand moi j’étais en licence ici à l’université de Cocody qui était alors l’université nationale (…), nous étions en tout et pour tout 900 étudiants ivoiriens. Aujourd’hui, chaque fois qu’on donne le résultat du baccalauréat, nous tremblons. Même quand on dit que les résultats sont mauvais et qu’on a 23% de réussite, c’est au moins 25000 bacheliers nouveaux. Cela représente au moins une université entière. Il nous faut donc créer des infrastructures. Nous avons commencé les négociations et nous attendons que cette élection passe pour que nous passions à l’œuvre. Chers amis, entendons-nous bien. Quand je dis université, je n’entends plus une université classique et théorique. J’entends aussi, les centres de formation professionnels, techniques, de langues et d’informatique à l’intérieur des universités. Aujourd’hui, un jeune homme qu’on laisse dans la rue sans qu’il ne comprenne l’anglais et sans qu’il ne puisse manipuler les instruments informatiques est un ignorant. Ce jeune homme ne pourra pas trouver du travail. Il nous faut être clair et trouver un nouveau sens au mot université. C’est ce que nous allons faire par la loi, c’est ce que nous allons définir et c’est ce que nous allons mettre en application. Oui au transfert des compétences… J’ai parlé des conseils régionaux. Mais on n’a pas non plus encore fait réellement le transfert de toutes les compétences surtout fiscales aux régions ou aux départements. Parce que la décentralisation, c’est aussi ça. Pour le moment, l’Etat central collecte tous les impôts et les redistribue. Mais, quand cet Etat lui-même est fauché, il en redistribue très peu. Les représentants des conseils généraux en savent quelque chose. Les maires aussi. Donc, il faut donner aux entités décentralisées – conseils régionaux, conseils départementaux et les communes – les moyens de collecter eux-mêmes leurs impôts. Je n’ai pas dit les moyens d’aller sur les petits marchés collecter les taxes. Ce n’est pas ça la décentralisation. Les moyens de collecter l’impôt sur toutes les transactions. De même que l’impôt foncier - qu’il nous faudra intégrer dans notre culture comme une part importante de notre vie commune - qu’il nous faut transférer aux entités décentralisées. Nous allons le faire et de grands chantiers nous attendent. Nous allons aussi, au niveau de l’économie, développer les mines, l’énergie. Nous avons beaucoup de richesses minières en côte d’Ivoire. Mais évidemment, nous ne pouvons pas aller plus loin dans un pays en guerre. Nous ne pouvons pas avoir des discussions approfondies tant que ce pays est en guerre. Mais, nous avons beaucoup de richesses minières que nous allons exploiter. Nous allons exploiter le pétrole, le gaz. Avec le gaz, nous faisons aujourd’hui de l’électricité. Il nous faut de l’électricité en abondance si nous voulons demain faire l’industrialisation. Cap sur l’industrialisation à outrance Sur le café et le cacao, j’en discutais encore récemment avec des ingénieurs, il nous faut aller plus loin. Nous sommes premier vendeur de cacao au monde mais cela n’est pas suffisant pour moi. Nous sommes à une autre étape de l’histoire de la Côte d’Ivoire et nous devons aller à une seconde étape de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Nos parents, leur culture économique était de produire le cacao et de le vendre. Nous, notre culture doit être de produire le cacao et de le transformer avant de le vendre. C’est une affaire de génération. Et sur ce point là, ceux qui nous achètent le cacao sont d’accord avec nous. Donc, dès que nous aurons fini ces élections, il nous faudra reprendre les négociations pour implanter au moins une usine de production dans chaque département producteur de cacao. C’est ça le sens de l’emploi. Une usine dans le département d’Aboisso, d’Adiaké, d’Abengourou, à Daloa, à Dimbokro, à Soubré… c’est cela que nous devons faire. Il nous faut transformer le cacao et selon les accords en première, deuxième ou en troisième phase. J’ai sur mon bureau toutes les phases de transformation du cacao. Avec le café, on fait de l’alcool, de la boisson. Il y a beaucoup de gens qui connaissent l’apéritif fait d’alcool de café. Pourquoi, on ne le fait plus ? J’ai dit récemment qu’il nous faut développer l’agriculture vivrière. Pourquoi, on ne fait plus le Bonfoutou ? Pourquoi, on ne le fait que pour l’exportation ? On me dit que ça revient cher à la vente. Mais, l’Etat peut subventionner le Bonfoutou. Et, je le dis tout net. Parce que c’est un instrument de libération de la femme (applaudissements des femmes dans la salle). Oui, entre une femme qui doit aller au travail, revenir, se mettre à piler le foutou de banane, d’igname ou de manioc (rires dans la salle) et une femme qui revient du travail et qui prend cinq minutes pour chauffer l’eau, tourner et avoir son foutou prêt, je préfère la deuxième solution et je le ferai. Je préfère la sauce graine en boîte, la sauce d’arachide – notre fameux tikadèguè- (rires dans la salle) en boîte. Tout cela, nous l’avons déjà étudié, découvert et breveté. Toutes ces recettes, il nous faut continuer à les industrialiser de telle façon que les coûts soient suffisamment bas pour le marché intérieur. C’est à cela que nous allons donner la priorité. Et, en faisant cela, nous allons aider les jeunes à avoir du travail. C’est une deuxième ligne d’emploi que nous créérons. Nous allons aider les foyers et libérer les femmes. J’ai déjà dit à ceux qui s’occupent du gaz d’accentuer les recherches et la transformation du gaz pour que d’ici 10 ou 15 ans, la cuisine se fasse prioritairement sur le gaz butane et non plus sur le charbon de bois qu’il nous faudra interdire. Donc, voilà sur ce plan-là, nos propositions. Nous allons sortir de la commercialisation des fèves du cacao pour vendre les pâtes de cacao. C’est le deuxième point du développement que je voulais faire. Place au combat de la libération ! Le troisième point, c’est qu’à cause de la période exceptionnelle que nous vivons et à cause de ce que j’ai décrit, comme étant le sens de cette élection, des Ivoiriens et des Ivoiriennes ont réfléchi. Et au lieu d’être le candidat d’un parti, je suis aujourd’hui le candidat d’au moins dix partis et de plusieurs organisations. Je voudrais d’abord saluer tous ceux qui ont lutté et tous ceux qui ont perdu la vie dans ce combat parce que, une période comme ça, historique, importante où on passe d’une phase de l’histoire à une autre phase, il y a toujours des morts, hélas ! Je voudrais m’incliner devant tous ceux qui sont morts pour que nous soyons libres. Tous ceux qui sont morts partout à Korhogo, à Ferké, à Bouaké, à Gagnoa, à Man, à Guiglo, je voudrais les saluer. Et dire que c’est leurs morts qui nous permettent aujourd’hui d’être libres. Nous devons nous montrer dignes du sacrifice qu’ils ont fait de leur vie. Ceux qui sont morts devant l’Hôtel Ivoire, je ne les oublie pas mais aussi je voudrais saluer tous ceux qui ont eu des blessures graves et des handicaps pour la vie. Il y en a dans cette salle, je voudrais les saluer et leur dire que ce sont leurs blessures qui nous permettent de parler, qui nous permettent de tenir, qui nous permettent de vivre. C’est notre histoire, il faut l’assumer, il faut penser à eux à chaque moment mais la meilleure manière de penser à eux, c’est de continuer le combat pour lequel ils sont morts ou le combat pour lequel ils sont blessés. Ce sont les premiers auxquels je voudrais penser. Maintenant il y a les autres parmi lesquels vous me permettrez de saluer d’abord Bernard Dadié. Je ne sais pas s’il est dans cette salle mais je voudrais le saluer. Voilà un Monsieur, prisonnier en 1945 qui, aujourd’hui, s’est mis dans le combat pour la libération parce qu’il ne s’est pas trompé. Il a compris que ce combat que nous menons est un combat de libération. Je voudrais le saluer avec tout le respect qu’on doit aux militants, avec tout le respect qu’on doit aux hommes qui ne regardent pas leur âge pour exprimer leur conviction. Il aurait pu dire : “Je reste à la maison”, mais non. Je l’ai vu à la tête des artistes marcher à Cocody vers la Résidence pour venir apporter son soutien à la présidence. Je voudrais saluer les responsables de tous les autres partis. Je ne vais pas les citer parce que vous les connaissez. Cela ne sert à rien de les citer parce qu’on est tous amis. Je voudrais les remercier pour leur choix. C’est vrai que leur choix se porte aujourd’hui sur moi mais au fond, ce n’est pas moi le plus important. Leur choix se porte sur moi parce que je suis le porteur de ce combat, de leur propre combat. Je voudrais saluer tous les jeunes et toutes les femmes. Les jeunes, avant mon investiture, je les rencontrerai et je leur parlerai parce que nous avons une politique de jeunesse et je leur dirai que ce qu’ils ont, n’est pas vendable, ce qu’ils ont n’est pas à vendre, ce qu’ils sont n’est pas à vendre. Et je montrerai pourquoi depuis, il y a un lien indissoluble entre les jeunes et moi-même. Pour finir, je voudrais mettre un terme à des débats amusants qui ont lieu dans la presse. On dit qui est le directeur de campagne de Gbagbo, je ne sais pas pourquoi ils veulent que quelqu’un qui n’est pas candidat ait un directeur de campagne. Je vous avais dit que le jour où je serai candidat, j’aurai un directeur de campagne. Aujourd’hui, je suis candidat. Je voudrais vous indiquer que le directeur de campagne que je me suis choisi, c’est Issa Malick Coulibaly. Très bientôt la semaine prochaine, il présentera son équipe. Le candidat que je suis a choisi son porte-parole, c’est Affi N’Guessan (applaudissements). Donc sur ce point, le débat est clos ! Allons au fond des questions ! Chers amis, Je termine en disant que je suis candidat. Je suis candidat pour la Côte d’Ivoire, je suis candidat pour les Ivoiriennes et pour les Ivoiriens. Je suis candidat pour continuer le combat que nous avons commencé. Je suis candidat pour continuer le combat que nos parents ont commencé depuis les années 40 et que certains ont abandonné. Je suis candidat pour la Côte d’Ivoire, le combat a commencé, en avant ! (Cris de joie et applaudissements). Propos recueillis par Coulibaly Zié Oumar et Benjamin Koré.
Politique Publié le samedi 17 octobre 2009 | Notre Voie