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Politique Publié le mardi 10 novembre 2009 | Le Patriote

Interview/ Guillaume Soro (Premier ministre): “Nous organiserons une élection propre!”

Le Premier ministre, Guillaume Soro, nous parle du scrutin, de ses amis et de ses ennemis, de lui et de son avenir, des Forces nouvelles et ses rapports avec le Président Gbagbo.


Originaire de Kofiplé, dans le nord, de confession catholique, il est l’homme pressé de la politique ivoirienne. Leader étudiant à 23 ans, puis chef du mouvement rebelle des Forces nouvelle (FN), qui a amené, en 2002, le pays d’Houphouët au bord du gouffre, il aura été ministre à deux reprises, entre 2003 et 2005, avant d’être nommé chef du gouvernement, en 2007, à 35 ans ! Il nous a reçus au cœur du Plateau, dans son vaste bureau de la Primature, pour un long entretien. L’ex-opposant radical de Laurent Gbagbo a mis de l’eau dans son vin, est devenu habile, fin politicien, sachant parler franc, tout en esquivant, parfois, les questions qui dérangent.


AM: Vous avez remis depuis le 6 octobre au Président Laurent Gbagbo une liste électorale provisoire. Il ressort que plus de 2,7 millions d’inscrits sont inconnus des fichiers existant… Ce problème retarde le processus et fait oublier la date prévue du 29 novembre pour le scrutin. Quand cette présidentielle pourra-t-elle se tenir ?
Guillaume Soro: La Commission électorale indépendante (CEI) nous a remis sa liste provisoire. Ce qui est une étape importante. Elle contient une population d’environ 6,384 millions de personnes. Ce corps électoral doit être validé selon les mécanismes que nous avons mis en place. Alors, la date du 29 novembre sera-t-elle tenue? Il est dans l’intention de l’exécutif et de la CEI de la tenir.

Comment comptez-vous régler la question des deux millions set cent mille inscrits «fantômes»?
Ce ne sont pas des fantômes! Il s’agit de personnes qui ne se retrouvent ni sur l’ancienne liste électorale ni sur les fichiers. C’est tellement complexe que je vous explique. L’accord politique de Ouagadougou prévoyait deux types d’identification. La première est l’identification ordinaire, qui stipule que tout citoyen en droit de posséder une carte nationale d’identité doit produire un extrait d’acte de naissance et un certificat de nationalité. La seconde est, exceptionnelle, l’identification par la liste électorale de 2000. Nous partons du principe que tous ceux qui y figurent sont Ivoiriens. Mais nous avons pensé que cette ancienne liste électorale pouvait ne pas être suffisante. Nous avons donc fouillé dans les archives de l’Etat pour trouver des fichiers susceptibles de nous indiquer la nationalité des uns et des autres. C’est ce que nous appelons les «fichiers fusion ivoiriens». Nous en avons trouvé onze, comme celui des anciennes cartes d’identité vertes, par exemple. Et 2,752 millions de personnes n’ont pas été retrouvées sur ces fichiers. L’Etat s’est demandé comment faire pour donner à ce groupe le maximum de chances de basculer sur la liste provisoire. Partant du principe légal qu’un national en peut donner naissance qu’à un national, nous avons décidé de remonter aux ascendants de ce groupe. Cela afin de nous assurer qu’ils sont bien Ivoiriens.

Mais ça va prendre des mois!
Non. Ces fichiers sont informatisés. Il suffit d’un clic, et on les bascule, ou non, sur la liste définitive. Et nous pensons qu’il faut afficher les noms de ces 2,7 millions de personnes, afin qu’elles puissent aussi venir authentifier leur nationalité d’elles-mêmes. Je dis donc aux Ivoiriens de rester sereins.

Quand ces listes seront-elles divulguées?
Je ne crois pas au fétichisme des dates! Quand vous avez passé quatre années privées d’élection -puisque, après 2000, la présidentielle devait avoir lieu en 2005-, quand vous vous êtes tellement investi pour bâtir ce processus, à mon avis, les dates ne sont plus très importantes. Ce qui compte, c’est de s’assurer que le scrutin se déroulera dans le calme. Pour le pays lui-même, son image, sa population, son économie, il faut aller aux élections.

Où en est le désarmement des milices? C’était pourtant un préalable à la tenue de la présidentielle…
Le désarmement des cœurs et des esprits est une réalité en Côte d’Ivoire. Si on veut faire une élection, on le peut. Il faut laisser tomber les préalables. L’enrôlement des populations s’est réalisé sur neuf mois, partout dans le pays. Le vote, c’est un jour. On devrait être capable de le sécuriser, non? Notre situation, en la matière, est de loin meilleure que celle de l’Afghanistan, qui a pourtant organisé récemment des élections.

Le Centre de commandement intégré (CCI) devait être composé de 4000 hommes des Forces armées des FN et de 4000 autres des Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, ils ne sont que 500…
C’est vrai. Nous avons décidé de déployer 8000 soldats sur l’ensemble du territoire pour assurer la sécurisation du scrutin. Mais si nous mettons sur pied ce dispositif trop longtemps avant l’élection, ce sera très coûteux pour le Trésor public. Nous le ferons en temps utile. Le président et moi-même sommes d’accord là-dessus.

Mais il devait y avoir un décret à ce sujet….
Il va bientôt être signé par le chef de l’Etat…

Où en est la question de l’harmonisation des grades?
Une Commission ad hoc s’est réunie à Bassam. Le travail a commencé. Là encore, le décret est prêt.

Venons- en à vous. Vous êtes Premier ministre depuis deux ans. Faites-vous un bilan?
Sans trahir un secret, sachez que nous préparons un livre qui dressera notre bilan de 2007 à 2009. Il y a des raisons d’être satisfait. Dans une période si difficile, nous avons réussi à renouer avec la communauté financière internationale. Nous avons réintroduit la notion de transparence et de gestion rigoureuse des deniers publics, ce qui nous a valu ce vote à l’unanimité des assemblées générales de la Banque mondiale et du FMI pour accorder à la Côte d’Ivoire le point de décision de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés, ndlr). Sur le plan social, nous avons initié d’importantes réformes. Notre nomination à la primature, grâce à l’apaisement qu’elle a apporté, a fait grimper les indices de reprise économique. Les assemblées annuelles de la BAD (Banque africaine de développement, ndlr) se tiendront chez nous en 2010. Cela montre que nous avons ramené la confiance…

Si vous avez pu, vous seriez-vous présenté à cette élection?
Je ne suis pas candidat pour plusieurs raisons. La première, c’est que j’ai toujours voulu respecter la parole donnée. Quand nous avons monté ce mouvement de rébellion, ce n’était pas pour que Guillaume Soro soit Président de Côte d’Ivoire. C’était une question de valeurs, il y avait un problème d’identité, de démocratie, d’élection… j’ai toujours dit que je ne serais pas candidat maintenant. Je n’ai pas le même agenda politique que Bédié, Ouattara et Gbagbo.

Du coup, les FN n’ont pas de candidat…
Il y en a bien quelques-uns par-ci par-là qui espéraient… mais je leur ai dit: Il n’ y a pas de candidat» Point!

Qui espérait?
On ne cite pas ses contemporains!

Les FN soutiendront-elles
un candidat.
Non. Sinon, charité bien ordonnée commençant par soi-même, on en aurait présenté un. Nous allons garder notre rôle d’arbitre.

La fonction de Premier ministre vous a-t-elle changé?
Forcément. Je vais vous faire une confidence. Quand nous avions signé l’accord politique de Marcoussis, tout idéaliste que j’étais, je ne voulais même pas être ministre. Puis feu le Président Bongo m’a reçu dans sa suite à l’hôtel Meurice, à Paris. Et il m’a demandé: «Fiston, quel poste tu prends?» Je luis ai dit que je souhaitais vraiment rester à Bouaké… Il s’est emporté : «Non, Guillaume, il faut que tu ailles au gouvernement! Si tu envois des gens à ta place, tu verras qu’ils vont t’appeler durant une semaine, puis plus rien. Toi, tu ne connais pas les hommes! Si tu veux continuer à avoir de l’autorité, il faut y aller.» Moins convaincu que soucieux, de ne pas décevoir le président Bongo, qui était un père pour moi, j’ai accepté d’aller au gouvernement. Et être Premier ministre m’a appris à mieux comprendre la notion d’humilité. Ça m’a ouverte l’esprit sur bien des choses, comme gérer un Etat, résoudre des questions urgentes. Le revers de la médaille, c’est que j’ai moins de temps à consacrer à ma famille.

Quel est ton agenda personnel après la primature?
Je ne vous le dirai pas. A chaque jour suffit sa peine. Je suis occupé aujourd’hui à l’élaboration d’une liste provisoire, puis définitive, avant de distribuer des cartes d’électeurs et d’organiser un scrutin.

Vous avez déclaré qu’après la présidentielle vous dévoileriez au peuple ivoirien vos ambitions. Quelles sont-elles?
Non, j’ai déclaré que, après l’élection, je prendrai du recul. Quand vous avez été présent dans l’actualité pendant sept ans, vous êtes en droit de savourer un moment repos. J’en ai besoin.

Toujours à la tête des FN?
Pour le moment, nous avons dit que les Fn ne deviendraient pas un parti politique. Mais, après l’élection, je ne pourrai pas empêcher les uns et les autres d’avoir des ambitions. Certains voudront peut-être créer des partis politiques, d’autres rejoindre des formations existantes. Chacun prendra ses responsabilités. Le plus important, c’est que nous devrons en convenir tous ensemble.

Etes-vous toujours le vrai patron des FN?
Tant que je n’ai pas été démis de mes fonctions de secrétaire général, je pense que oui. Et je rappelle qu’en sept ans les FN continuent de détenir le même territoire jusqu’au moindre centimètre carré. La cohésion règne au sein des FN, malgré des petites querelles passagères, tout à fait normales.

Au début, les Fn vous avaient demandé de démissionner du gouvernement…
Des délégués avaient dit que, si le FPI (Front populaire ivoirien, ndrl) continuait de mettre des entraves à mon travail, je pouvais démissionner, car mon poste de secrétaire général m’attendait à Bouaké. C’est comme ça que je l’ai compris.

Quel est votre rapport à l’argent?
L’argent a de la valeur lorsqu’il vous permet de régler des problèmes. C’est tout. La rumeur m’a attribué une résidence à Ouagadougou. C’est faux. Le Président Compaoré a bien voulu me loger dans une villa, mais ça fait longtemps. En témoignage des bonnes relations que nous avons toujours eues. Allez voir mon parc automobile, il y a quelques véhicules que j’ai achetés, d’autres que l’Etat a mis à ma disposition. Des commodités dues à la fonction, c’est tout. J’étais conscient que je devais être prudent. J’ai pensé aux populations de Bouaké ou de Man qui me voyaient partir pour cette fonction. Elles continuaient à mener une vie difficile. Il fallait plutôt faire quelque chose pour elles. A Bouaké, nous avons réglé les questions d’eau et d’électrification. À Korhogo, nous avons refait les routes, réhabilité les écoles, etc. C’est à ça que l’on mesura l’action de Soro, Premier ministre.

Imaginez-vous une vie sans
le pouvoir?
Oui. Quand vous avez vécu ce que j’ai vécu, quand vous avez connu la méchanceté, la jalousie, la calomnie, quand vous avez craint pour votre vie, vous rêvez à une existence plus paisible. Vous avez envie de pouvoir accompagner vos enfants à l’école. Nelson Mandela et bien d’autres nous ont montré qu’on peut se détacher un jour du pouvoir. Moi aussi, je pourrai le faire.

Quel type de relations entretenez-vous aujourd’hui avec le Président Laurent Gbagbo?
Elles se sont notoirement améliorées. Heureusement, sinon la réussite de notre action aurait été impossible. Nous avons compris que l’intérêt supérieur de la nation primait. J’ai aussi amélioré mes rapports avec Bédié. J’entretiens de bonnes relations avec Ouattara. Vous savez, Laurent Gbagbo et moi, nous avons d’abord été très proches, de 1990 à 1998, puis nous nous sommes séparés. Nos relations sont devenues alors exécrables. Mais un jour, on s’est assis pour signer un accord dans l’intérêt du pays. Dont acte! Regardez Ouattara et Gbagbo.. Ils ont été un temps des amis. Ils ont créé le Front républicain, ont fait des marches ensemble, se sont embrassés… Je ne pense par qu’ils aient les mêmes relations aujourd’hui. Un pays ne doit pas être tributaire des humeurs de ses acteurs politiques. Gbagbo s’était bien rapproché de Bédié, quand ce dernier était au pouvoir. Ouattara et Bédié étaient les pires ennemis, avant de devenir les meilleurs amis…

Quels sont vos rapports avec votre ancien camarade de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, ndlr) Charles Blé Goudé?
Disons… Il a commencé à évoluer. Il a soutenu l’accord politique de Ouagadougou. Je l’encourage à mettre les intérêts du pays en avant et son intelligence au service de la paix.

Le président Compaoré est-il toujours votre mentor?
Mes relations avec le chef de l’Etat du Burkina sont excellentes. Il a beaucoup contribué à faire de moi ce que je suis aujourd’hui. Je continue à éprouver du respect, de la considération et de l’administration pour lui. Nos relations sont vraiment profondes.

Et I.B, Ibrahim Coulibaly?
Nous avons été très proches, mais malheureusement nous nous sommes brouillés sur la philosophie du mouvement que nous avions créé ensemble. C’est faux de dire que j’étais un valet d’IB. Je suis un homme politique. Lui assurait la partie militaire. A un moment, nous n’avons plus été d’accord, et chacun a suivi son chemin. Nous nous sommes même affrontés. C’est regrettable. Aujourd’hui, je suis ouvert. Si IB pense que l’on peut parler, j’y suis disposé. J’aimerais qu’il vienne en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas moi qui peux lui souhaiter l’exil.

Qui sont vos amis et vos ennemis?
J’ai beaucoup d’ennemis. Et je ne citerai pas mes amis, afin de les protéger.

Quelle est la réalisation dont vous avez été le plus fier?
Que mon pays ait atteint le point de décision de l’initiative PPTE. Et si cette élection se déroule sans faire une seule victime, ce sera alors ma plus grande fierté.

Votre regret le plus cuisant?
Peut-être nos divisions internes au sein des FN, qui se sont traduites par des combats fratricides, dans notre zone. C’était horrible de voir que pour un même idéal, on avait pu en venir à s’entre-tuer.

Savez-vous qui a tiré sur votre avion le 29 juin 2007?
L’enquête nationale a démarré, mais n’a pas encore abouti. Mes soupçons, je les garde pour moi. J’ai été très déçu que les Nations unies déclinent notre proposition qu’une enquête internationale soit menée par leurs soins. Elles l’avaient accepté dans le cas de l’attentat contre l’ex- Premier ministre libanais. Rafic Hariri. Pour une fois, le chef de l’Etat et moi-même étions d’accord. C’est Laurent Gbagbo lui-même qui a signé le courrier aux Nations Unies. Mon cas ne doit pas les intéresser. Peut-être est-ce parce que j’ai survécu!

Si vous aviez un seul souhait pour la Côte d’Ivoire?
Vous le connaissez. Que l’on organise bientôt, une présidentielle propre.

(Source : Afrique magazine)
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