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Politique Publié le mercredi 9 décembre 2009 | Nord-Sud

14 ans après - Boycott actif : les ex-prisonniers broient du noir

Ils ont fait la prison à cause de leurs convictions politiques. 14 ans après le boycott actif, que deviennent les ex-prisonniers de ces événements ? Dans le Denguélé, ceux qui vivent encore s`accrochent à la vie, dans l`anonymat et le dénuement.

Dimanche 22 octobre 1995, suite au mot d`ordre du Front républicain, appelant au boycott actif de l`élection présidentielle qui devait se tenir ce jour-là sur toute l`étendue du territoire national, de violentes manifestations opposent des manifestants déchaînés aux forces de l`ordre. A Odienné et à Goulia, les locaux de la préfecture et de la sous-préfecture subissent la furie des manifestants. Deux parmi eux sont arrêtés dans la capitale du Denguélé. A Goulia, ils sont neuf que la gendarmerie de Samatiguila envoie devant le tribunal de première instance d`Odienné. Les 11 personnes arrêtées sont condamnées le 20 janvier 1996 à deux ans de prison ferme assortie de 500 mille francs d`amende.

Les neuf manifestants de Goulia (90 km d`Odienné) ne furent pas arrêtés le jour des chauds évènements selon le témoignage du vieux Bema Bamba que nous avons retrouvé le 16 octobre 2009 à 8 heures à son domicile, situé au quartier Sodougoula. Un bâtiment aux murs non crépis, recouvert à moitié de tôle, et deux cases rondes constituent le décor. Vendredi, est le jour de marché à Goulia. Dans ce village dont la population est à plus de 90% musulmane, personne ne va au champ ce jour-là. « C`est pourquoi dit-il, vous m`avez trouvé à la maison».

Assis sur un banc de fortune, le vieux raconte les événements qui leur ont coûté sept mois de liberté. Agé de 70 ans au moment des faits, il révèle qu`ils ont été sommés de se rendre dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Samatiguila dès réception de la convocation. « Nous avons parcouru les 45 km qui séparent Goulia de Samatiguila sur nos vélos. C`est de Samatiguila que nous avons été embarqués pour Odienné. Après le procès, nous avons été conduits à la Maison d`arrêt et de correction d`Odienné pour sept mois et 15 jours », se remémore-t-il.


La grâce présidentielle

Ils recouvreront la liberté à la faveur d`une grâce présidentielle le 7 août 1996. Le vieux Bema a été arrêté à cause de son activisme pour la cause du Front populaire ivoirien (Fpi). Il dit toujours appartenir à ce parti même s`il dénonce avoir été abandonné. Aujourd`hui, en proie à la maladie et à la disette, ce vieillard de 84 ans, père de 15 enfants, évoque les conséquences de ce séjour en prison avec beaucoup d`amertume. « A notre sortie de prison, toutes mes récoltes ont été mauvaises parce que je n`étais pas là pour entretenir ma ferme, livrée aux mauvaises herbes », raconte-t-il. En juillet dernier, pendant la visite du président Laurent Gbagbo à Minignan, le vieux Bema Bamba a crié « Camarade Gbagbo » quand celui-ci est arrivé à son niveau. Cette vive interpellation lui a rapporté 30.000 francs. Le vieux continue d`admirer le président. « Même si je vis dans la déchéance, je dois reconnaître que le président m`a fait faire le hadj en 2002, avant le déclenchement de la crise », justifie-t-il.

Ailleurs, près de la grande mosquée de Goulia, se trouve la concession de Bakayoko Adama, 49 ans. Il est 9h15, ce polygame et père de sept enfants est chez lui attendant l`heure de la prière. Il faisait partie aussi des « fauteurs de troubles » qui ont connu le même sort que le vieux Bema Bamba. Au moment de son arrestation, il était secrétaire adjoint de la section Fpi. « Je ne conseille pas la prison, même à un ennemi. Je regrette d`avoir fait la prison. Je ne peux plus travailler comme je le faisais par le passé, de plus je souffre de « mara » maladie qui vous empêche de rester assis pendant un long moment. Cette maladie, je la traîne depuis la prison », explique M. Bakayoko. Il dénonce surtout le caractère ingrat de la politique. « Ceux qui jouissent du pouvoir sont ceux qui n`ont contribué en rien à son acquisition », charge-t-il. Pour lui, « politiqui colombari » (Ndlr, la politique est ingrate en malinké). Il conseille surtout à la turbulente jeunesse de savoir faire la politique sans violence. A la question de savoir s`il s`intéresse encore à la politique, il répond par l`affirmative mais avec moins de zèle que par le passé.

A près d`un km de là, dans le même quartier, nous rentrons dans une concession. Une femme y fait le ménage. « Il est sorti. Cherchez-le du côté de la mairie », lance la dame au sujet de Daouda Koné, son mari. Effectivement, nous le retrouvons à la mairie. Daouda est handicapé des membres supérieurs. Cette infirmité ne lui a valu aucun verdict clément. Comme ses camarades valides, Daouda a purgé lui aussi les 7 mois 15 jours. Né à Goulia en 1972, il est père de deux enfants. « Le seul bon moment que j`ai vécu après la prison, c`est le jour de notre libération. Les populations de Goulia nous ont bien accueillis avec grande ferveur. Après, chacun est rentré chez lui. Et c`est là que j`ai commencé à réaliser que je venais de faire un véritable recul dans mes affaires. Toutes mes économies ont fondu, mon commerce ruiné. Avec mon infirmité, il est difficile pour moi de faire un bon champ ». Daou a donc décidé de ne plus jamais s`offrir en sacrifice aux politiciens « qui savent tout promettre, en ne pensant qu`à leur bonheur personnel et celui de leur environnement immédiat ». Toutefois, le manchot de Goulia promet offrir sa voix au président du Rdr. « Je voterai Ado car lui aussi a souffert comme nous. Et j`espère qu`avec lui, Goulia ne sera pas oublié comme on le constate. Ce qui m`a fait le plus mal, c`est que Gbagbo dans sa tournée, n`a même pas daigné faire escale dans le village qui a le plus souffert dans la région pour son militantisme au Fpi ».

Inconditionnels du FPI ...

On traverse l`école primaire, on emprunte l`artère principale qui traverse le village. L`avant dernière concession est composée de deux bâtiments. L`un en dur, maladroitement crépis et l`autre, une case ronde au sommet de laquelle s`échappe de la fumée. Nous sommes chez le vieux Karim Cissé. Le vieux est intraitable et très amer. « Pas question de retourner le couteau dans la profonde plaie que la politique lui a faite. Il évite ce sujet fâcheux. Nous ne lui en tenons aucune rigueur. Agé de plus de 70 ans aujourd`hui, le vieux est paralysé. Depuis sa sortie de prison, il n`a été assisté par personne. Cap sur le quartier Narena.

L`îlot adjacent à celui que la grande mosquée occupe, est la concession de feue Fatouma Koné. Un grand bâtiment moderne et deux autres moyens occupent les quatre coins de l`îlot. Dans la vaste cour, la carcasse d`un vieux tracteur. Des arbres offrent de l`ombre au centre de la concession. Koné Arouna, le fils du défunt nous raconte la déchéance qui a emporté son père. « Mon père était l`homme du Fpi dans la sous-préfecture. Gbagbo a dormi chez nous durant tous ses séjours ici. Je me souviens que pendant les tournées que Gbagbo a faites dans la région, le vieux a mobilisé du carburant et près de 1.000 poulets. Pour sa conviction au Fpi, mon père a fait la prison. Depuis que le vieux est sorti de prison, Que de maladies ! Nous n`avons vu aucun responsable du parti nous soutenir jusqu`à la fin de ses jours au début de la rébellion. Au vu et au su de tous les cadres du parti, j`ai dépensé près de 150 mille francs pour l`évacuer d`urgence sur Abidjan». Le fils de celui qui a logé Gbagbo se dit aguerri. « Vraiment nous sommes déçus des politiciens », s`indigne-t-il.

... Oubliés

10 heures, retour au quartier Sodougoula. On se fraie un chemin dans les rues assaillies par la broussaille. Nous découvrons un bâtiment. « Cette maison a abrité le siège du Fpi » m`informe mon guide. A deux mètres de-là, une femme est assise sur un tabouret. Une autre, sort de la maison. Ce sont les veuves de Koné Yaya dit Boueli. Prisonnier politique du boycott actif décédé en février 2001, d`une maladie contractée en prison. Koné Naminata et Coulibaly Salimata, respectivement première et deuxième épouse du défunt se disent victimes d`une situation qu`elles ne méritent pas. « Tous nos enfants ont quitté l`école depuis que Yaya est sorti de prison. Nous n`avions plus aucun moyen pour payer leur école. Actuellement, notre seul espoir est l`aîné qui était déjà loin. Lui aussi il a fini ses étude à Yamoussoukro, et depuis il n`arrive pas à trouver du travail parce qu`il n`y a personne pour l`aider », déclare Naminata après un silence de quelques minutes. Leurs sept enfants dont l`âge varie entre 14 et six ans constituent un véritable fardeau. L`éclatement du Front républicain a accentué leur misère. Alors que presque tout le village a condamné le Fpi d`avoir rompu l`alliance, M. Koné Yaya continuait de soutenir Gbagbo. Ce qui lui a valu d`être méprisé dans le village acquis presque totalement au Rdr. Selon ses épouses, seuls ses parents immédiats venaient s`enquérir de sa santé. « Notre mari est mort dans l`indifférence totale de son parti », s`indigne Coulibaly Salimata, la deuxième épouse de celui qui a cédé sa maison pour servir de siège au Fpi au début des années 90.

Dans le même quartier, après une minute de marche, nous entrons dans une autre concession. On aperçoit une femme en train de faire la lessive. Son nom est Koné Kadidja. Elle nous fait prendre place sur des tabourets. Après les civilités, elle nous raconte que son mari n`a pu survivre après sa sortie de prison. Arrêté dans les mêmes circonstances que ses camarades, Koné Moussa dit Bola a rendu l`âme un mois après sa libération. Laissant derrière lui neuf enfants. « La politique a gâté ma vie. Et nous les femmes c`est nous qui sommes les victimes. Depuis le jour de son arrestation, j`ai perdu la tranquillité. Et nous avons été abandonné, personne n`est venu nous apporter soutien. Depuis, je me bats avec la bénédiction de Dieu pour subvenir aus besoins de la famille », explique-t-elle. Agée aujourd`hui de 59 ans, Kadidja ne cesse de conseiller à ses enfants de se méfier de la politique. « Leur nombre est incalculable, ceux qui ont péri pour rien. Je pense que ceux qui ont réussi devaient souvent regarder par derrière, pour constater les vies gâchées qui ont construit leur bonheur », regrette la veuve.

Nous poursuivons notre randonnée dans cette ville d`environ 28.000 habitants selon le sous-préfet Ibrahim Ouattara.

Nous sommes toujours à Sodougoula, dans une autre concession. Trois femmes s`affairent entre de nombreux enfants. Ce sont les femmes de Koné Zoumana. Elles nous apprennent que leur mari est allé à Odienné. Zoumana fait partie des neuf prisonniers du boycott actif. Nous le retrouvons le lendemain, 17 octobre, au grand marché de la capitale du Denguélé, devant son étal de plantes, de feuilles, d`écorces d`arbre et de poudres. Il vend des médicaments dits traditionnels. « Il serait difficile pour moi de combler le vide causé par mon séjour en prison », commente-t-il. En plus de son champ, il exerce ce commerce pour subvenir aux besoins de sa nombreuse famille. Il dit ne plus se mêler de politique parce que déçu par ceux pour qui il a purgé 7 mois de prison.


La lettre de Djeni Kobena

Au nombre de ceux qui n`ont pu supporter les conditions de détention, figure Cissé Moustapha, décédé de tuberculose à sa sortie de prison. Moustapha a laissé derrière lui deux veuves avec de nombreux enfants en bas âge. Koné Awa, l`une de ses femmes vend des condiments au grand marché d`Odienné pour faire face aux charges combien lourdes que son mari lui a laissées. Elles se considèrent comme grièvement blessées par la politique. Elles auraient certainement souhaité qu`on leur apporte assistance, mais plus personne ne parle de cette histoire de prisonniers politiques du boycott actif qui leur a arraché leur époux.

Youssouf Koné, le deuxième prisonnier de la ville d`Odienné après Cissé Moustapha, est encore en vie. Secrétaire de section du Rdr, la prison ne l`a pas découragé, bien qu`elle lui a laissé une plaie indélébile : « Ma pâtisserie est allée en ruine. Le gérant a profité de mon absence pour vendre tout le matériel. Je n`ai plus jamais pu remettre ma voiture en marche. Toutes mes autres affaires ont périclité ». Avec ses 13 enfants pour trois femmes, Youssouf se défend pour ne pas faillir à son devoir de père de famille. Il évoque la lettre que feu Djéni Kobina, alors secrétaire général du Rdr, leur a fait parvenir en prison. « Il nous a réconforté. Je suis fier de figurer parmi ceux qui ont lutté pour la liberté dans leur pays ». Youssouf refuse de parler d`ingratitude parce que son parti n`est pas encore aux affaires.

Tenin Bè Ousmane à Odienné
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