Entre le chef de l’Etat et la Commission électorale indépendante, ce n’est pas le grand amour en ce moment. Le projet du premier cité de faire procéder à une prorogation de la période du contentieux n’est pas du goût des commissaires.
La décision prise par le chef de l’Etat de faire revisiter l’ensemble du processus de contentieux électoral, en vue dit-il de le consolider, créé des inquiétudes certaines au sein de la Commission électorale indépendante (Cei). En effet, en réponse aux vœux formulés à son endroit par le corps diplomatique et les corps constitués, le chef de l’Etat-candidat a déclaré, le mercredi 6 janvier : «Si notre volonté, c’est que tous les Ivoiriens soient inscrits, il faut qu’on le dise et moi je le dis. Il faut que tous les Ivoiriens qui ont été identifiés soient inscrits sur la liste électorale pour que non seulement ils votent mais pour qu’ils aient leurs cartes d’identité. Ça, c’est une première chose. Deuxièmement, il faut que tous les étrangers qui sont sur la liste électorale sortent des listings.» Et il a mis en mission la Cei et le Premier ministre de faire en sorte que la liste électorale définitive, qui sera publiée, ait subi tous les examens techniques nécessaires pour la rendre incontestable.
A la Cei, on ne comprend pas ce que le chef de l’Etat veut dire quand il exige que tous les Ivoiriens soient inscrits sur la liste électorale provisoire avant qu’elle ne soit affichée. «Il faut qu’on ait la liste électorale définitive au plus tard à la fin du mois de janvier. Nous sommes déjà le 07 aujourd’hui. On a décidé de rallonger la période du contentieux jusqu’au 09 janvier. Les juges vont rendre leurs décisions et on aura au plus tard quinze jours pour publier la liste électorale définitive. Si on va au-delà, on sort de notre chronogramme et là, je vous le dis en toute sincérité, nous ne pourrons plus garantir la tenue des élections pour fin février-début mars» nous confie cet expert de la Cei. Les techniciens de la Cei s’expliquent difficilement que le chef de l’Etat veuille faire proroger, à nouveau, la période de traitement du contentieux de l’inscription. «Nous sommes des techniciens certes, mais nous tenons compte des réalités sociopolitiques dans nos paramètres de travail. C’est pour cela qu’en raison des fêtes de fin d’année qui ont distrait beaucoup de gens, nous avons décidé de fixer la date limite de traitement du contentieux au samedi 9 janvier au lieu du mercredi 6 comme c’était prévu, soit une rallonge de 3 jours ». Pour les dirigeants de haut niveau de la Cei, le désir du chef de l’Etat de faire repousser cette date, une fois de plus, est une pilule qui passe mal. Tous ceux avec qui nous avons parlé, quelque soit le parti politique qui les a désignés, estiment qu’il faudrait mettre un terme à cette opération pour passer à l’étape suivante. Ils citent à l’envi le cas de l’enrôlement.
Refus de toute prorogation
Cette opération était prévue pour être exécutée en 45 jours, soit un mois et demi. Mais au final, à force de prorogations (6 fois !), elle a duré 9 mois. Et là, soutient un de nos interlocuteurs, la Cei a dû rapatrier de force ses valises parce qu’il y avait des gens qui attendaient toujours une autre prorogation pour aller s’enrôler. «Nous la Cei, on nous accuse de retarder le processus, de ne pas vouloir aller à des élections et en même temps, on nous dit qu’il faut proroger les délais de traitement du contentieux. C’est contradictoire !». Nos interlocuteurs estiment qu’après une prorogation de deux semaines, puis une rallonge de trois jours, il est temps de passer à autre chose. Puisqu’on ne pourra jamais faire inscrire sur la liste électorale TOUS les Ivoiriens en âge de l’être. «Après l’enrôlement, certains sont déjà décédés. Il y a aussi ceux qui sont inscrits mais qui ne viendront jamais confirmer leur inscription pour raison de voyage. Donc il y aura forcément des Ivoiriens qui seront laissés de côté.». L’autre argument, c’est la question du «dead-line», de la date limite. En effet, le chronogramme présenté à Ouaga lors du dernier Cpc, en raison des pressions exercées par l’opposition, a été rédigé sur une corde raide. Il y avait très peu de marge de manœuvre, trop peu de marge de sécurité qu’on aurait pu utiliser pour combler les retards ou les prorogations nécessaires. Ce chronogramme étant raide, il gêne les techniciens aux entournures. Et les paralyse carrément si on leur demande de rallonger certaines opérations en gardant le même horizon temporel. «On veut nous rendre hors-la-loi, car le code électoral nous impose un délai d’un mois pour le contentieux. Déjà qu’on a légèrement débordé, il ne faudrait pas exagérer.» Et un autre sur le mode ironique de renchérir : «On ne peut pas nous dire allons aux élections vite, vite, vite et dans le même temps, nous demander de régler toute la question de l’identification avant d’aller aux élections. C’est un choix politique qu’il aurait fallu faire au début. On va aux élections et puis on règle la question de l’identification après ou l’inverse, mais on ne peut pas faire les deux en même temps.» Un des vice-présidents de la Cei jette : «la gestion de la liste électorale est de la compétence exclusive de la Cei. Que les politiques nous laissent travailler.»
Cei : la soumission ou la rébellion ?
Au niveau de l’Exécutif, on n’entend pas les choses de cette oreille. La Cei devait s’attendre à une telle réaction soutient-on. «Mambé Beugré lui-même sait pertinemment que le taux de traitement du contentieux est extrêmement faible. C’est moins de 30% ! Les juges n’ont pas beaucoup avancé et des milliers de dossiers sont encore devant leurs juridictions. Faut-il forclore ces milliers d’ivoiriens, qui ont suivi toute la procédure depuis le contentieux devant les commissaires locaux de la Cei jusque devant les tribunaux ? Finalement qu’est-ce qui importe pour la Cei : qu’elle organise des élections propres, sans violence et dont toute l’Afrique parle avec fierté ou qu’elle liquide le contentieux et organise des élections avec des milliers d’électeurs frustrés de leurs droits ?» explique un proche de la Primature. Selon les explications fournies par ce juriste, il revient que le traitement partial du contentieux par plusieurs commissaires locaux de la Cei, a accru le nombre de mécontents et conduit à un engorgement des tribunaux. Un conseiller du chef de l’Etat explique que Beugré Mambé est en partie responsable de ce qui arrive. Il soutient qu’au dernier Cpc, il n’était pas question de fixer une date quelconque pour le scrutin car «l’on n’était pas entré dans le tunnel électoral». Mais sous la pression de l’opposition, Beugré a voulu à tout prix fixer une date. Aujourd’hui, dit-il, à moins de deux mois de la période annoncée pour le premier tour de la présidentielle, la Cei peut-elle dire quelle est la date qu’elle a choisie pour le scrutin ? Il pense que non. C’est pour pallier à cette insuffisance de clarté dans le timing d’exécution des dernières opérations pré-électorales que la Primature a convoqué hier une réunion décisive avec la Cei. Le Premier ministre a exigé que la Cei reprenne ses réunions hebdomadaires avec l’ensemble des structures impliquées dans les élections : Cnsi, Ins, Sagem… Mieux, le Premier ministre a exigé que la Cei lui communique dans le délai le plus rapproché, «un plan de tâches» appuyé par un chronogramme détaillé et assorti d’ «un plan de responsabilités». En d’autres termes, le Premier ministre demande à la Cei de lui dire qui doit faire quoi, pour atteindre quels résultats et en combien de temps. S’il a ces documents en main, il pourra alors savoir si la Cei se situe dans une dynamique réaliste. Ou utopique. Mais, il est clair aujourd’hui que la Commission chargée des élections est très mal disposée à examiner une nouvelle prorogation de la période du contentieux. L’avenir nous dira si elle se soumettra ou se rebellera.
Touré Moussa
La décision prise par le chef de l’Etat de faire revisiter l’ensemble du processus de contentieux électoral, en vue dit-il de le consolider, créé des inquiétudes certaines au sein de la Commission électorale indépendante (Cei). En effet, en réponse aux vœux formulés à son endroit par le corps diplomatique et les corps constitués, le chef de l’Etat-candidat a déclaré, le mercredi 6 janvier : «Si notre volonté, c’est que tous les Ivoiriens soient inscrits, il faut qu’on le dise et moi je le dis. Il faut que tous les Ivoiriens qui ont été identifiés soient inscrits sur la liste électorale pour que non seulement ils votent mais pour qu’ils aient leurs cartes d’identité. Ça, c’est une première chose. Deuxièmement, il faut que tous les étrangers qui sont sur la liste électorale sortent des listings.» Et il a mis en mission la Cei et le Premier ministre de faire en sorte que la liste électorale définitive, qui sera publiée, ait subi tous les examens techniques nécessaires pour la rendre incontestable.
A la Cei, on ne comprend pas ce que le chef de l’Etat veut dire quand il exige que tous les Ivoiriens soient inscrits sur la liste électorale provisoire avant qu’elle ne soit affichée. «Il faut qu’on ait la liste électorale définitive au plus tard à la fin du mois de janvier. Nous sommes déjà le 07 aujourd’hui. On a décidé de rallonger la période du contentieux jusqu’au 09 janvier. Les juges vont rendre leurs décisions et on aura au plus tard quinze jours pour publier la liste électorale définitive. Si on va au-delà, on sort de notre chronogramme et là, je vous le dis en toute sincérité, nous ne pourrons plus garantir la tenue des élections pour fin février-début mars» nous confie cet expert de la Cei. Les techniciens de la Cei s’expliquent difficilement que le chef de l’Etat veuille faire proroger, à nouveau, la période de traitement du contentieux de l’inscription. «Nous sommes des techniciens certes, mais nous tenons compte des réalités sociopolitiques dans nos paramètres de travail. C’est pour cela qu’en raison des fêtes de fin d’année qui ont distrait beaucoup de gens, nous avons décidé de fixer la date limite de traitement du contentieux au samedi 9 janvier au lieu du mercredi 6 comme c’était prévu, soit une rallonge de 3 jours ». Pour les dirigeants de haut niveau de la Cei, le désir du chef de l’Etat de faire repousser cette date, une fois de plus, est une pilule qui passe mal. Tous ceux avec qui nous avons parlé, quelque soit le parti politique qui les a désignés, estiment qu’il faudrait mettre un terme à cette opération pour passer à l’étape suivante. Ils citent à l’envi le cas de l’enrôlement.
Refus de toute prorogation
Cette opération était prévue pour être exécutée en 45 jours, soit un mois et demi. Mais au final, à force de prorogations (6 fois !), elle a duré 9 mois. Et là, soutient un de nos interlocuteurs, la Cei a dû rapatrier de force ses valises parce qu’il y avait des gens qui attendaient toujours une autre prorogation pour aller s’enrôler. «Nous la Cei, on nous accuse de retarder le processus, de ne pas vouloir aller à des élections et en même temps, on nous dit qu’il faut proroger les délais de traitement du contentieux. C’est contradictoire !». Nos interlocuteurs estiment qu’après une prorogation de deux semaines, puis une rallonge de trois jours, il est temps de passer à autre chose. Puisqu’on ne pourra jamais faire inscrire sur la liste électorale TOUS les Ivoiriens en âge de l’être. «Après l’enrôlement, certains sont déjà décédés. Il y a aussi ceux qui sont inscrits mais qui ne viendront jamais confirmer leur inscription pour raison de voyage. Donc il y aura forcément des Ivoiriens qui seront laissés de côté.». L’autre argument, c’est la question du «dead-line», de la date limite. En effet, le chronogramme présenté à Ouaga lors du dernier Cpc, en raison des pressions exercées par l’opposition, a été rédigé sur une corde raide. Il y avait très peu de marge de manœuvre, trop peu de marge de sécurité qu’on aurait pu utiliser pour combler les retards ou les prorogations nécessaires. Ce chronogramme étant raide, il gêne les techniciens aux entournures. Et les paralyse carrément si on leur demande de rallonger certaines opérations en gardant le même horizon temporel. «On veut nous rendre hors-la-loi, car le code électoral nous impose un délai d’un mois pour le contentieux. Déjà qu’on a légèrement débordé, il ne faudrait pas exagérer.» Et un autre sur le mode ironique de renchérir : «On ne peut pas nous dire allons aux élections vite, vite, vite et dans le même temps, nous demander de régler toute la question de l’identification avant d’aller aux élections. C’est un choix politique qu’il aurait fallu faire au début. On va aux élections et puis on règle la question de l’identification après ou l’inverse, mais on ne peut pas faire les deux en même temps.» Un des vice-présidents de la Cei jette : «la gestion de la liste électorale est de la compétence exclusive de la Cei. Que les politiques nous laissent travailler.»
Cei : la soumission ou la rébellion ?
Au niveau de l’Exécutif, on n’entend pas les choses de cette oreille. La Cei devait s’attendre à une telle réaction soutient-on. «Mambé Beugré lui-même sait pertinemment que le taux de traitement du contentieux est extrêmement faible. C’est moins de 30% ! Les juges n’ont pas beaucoup avancé et des milliers de dossiers sont encore devant leurs juridictions. Faut-il forclore ces milliers d’ivoiriens, qui ont suivi toute la procédure depuis le contentieux devant les commissaires locaux de la Cei jusque devant les tribunaux ? Finalement qu’est-ce qui importe pour la Cei : qu’elle organise des élections propres, sans violence et dont toute l’Afrique parle avec fierté ou qu’elle liquide le contentieux et organise des élections avec des milliers d’électeurs frustrés de leurs droits ?» explique un proche de la Primature. Selon les explications fournies par ce juriste, il revient que le traitement partial du contentieux par plusieurs commissaires locaux de la Cei, a accru le nombre de mécontents et conduit à un engorgement des tribunaux. Un conseiller du chef de l’Etat explique que Beugré Mambé est en partie responsable de ce qui arrive. Il soutient qu’au dernier Cpc, il n’était pas question de fixer une date quelconque pour le scrutin car «l’on n’était pas entré dans le tunnel électoral». Mais sous la pression de l’opposition, Beugré a voulu à tout prix fixer une date. Aujourd’hui, dit-il, à moins de deux mois de la période annoncée pour le premier tour de la présidentielle, la Cei peut-elle dire quelle est la date qu’elle a choisie pour le scrutin ? Il pense que non. C’est pour pallier à cette insuffisance de clarté dans le timing d’exécution des dernières opérations pré-électorales que la Primature a convoqué hier une réunion décisive avec la Cei. Le Premier ministre a exigé que la Cei reprenne ses réunions hebdomadaires avec l’ensemble des structures impliquées dans les élections : Cnsi, Ins, Sagem… Mieux, le Premier ministre a exigé que la Cei lui communique dans le délai le plus rapproché, «un plan de tâches» appuyé par un chronogramme détaillé et assorti d’ «un plan de responsabilités». En d’autres termes, le Premier ministre demande à la Cei de lui dire qui doit faire quoi, pour atteindre quels résultats et en combien de temps. S’il a ces documents en main, il pourra alors savoir si la Cei se situe dans une dynamique réaliste. Ou utopique. Mais, il est clair aujourd’hui que la Commission chargée des élections est très mal disposée à examiner une nouvelle prorogation de la période du contentieux. L’avenir nous dira si elle se soumettra ou se rebellera.
Touré Moussa