x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Politique Publié le lundi 1 février 2010 | Le Patriote

Conflit Dogôssè-Agni Bôna à Kokomian :Les autorités administratives calment le jeu

En cette période de contentieux électoral, un conflit a éclaté à Kokomian, un village situé à une quarantaine de kilomètres de Koun-Fao entre les Dogôssè et les Agni Bôna. Le Patriote s’est rendu sur place pour tenter d’en savoir plus. Reportage.

Kokomian. Il est 9 h. Le véhicule que nous avons emprunté à Tankessé tôt le matin, fait une halte à l’entrée du village. Nous sommes à un barrage. Un barrage tenu par des jeunes du village.

Renseignement pris, ils filtrent les entrées et sorties pour en empêcher l’accès à toutes personnes étrangères. Mais surtout aux Dogôssè, à qui ils entendent barrer le chemin menant à leurs champs. Nous réussissons tant bien que mal à traverser ce barrage. On nous a pris pour un voyageur qui veut se rendre dans le village voisin. Deux cents mètres plus loin, notre véhicule de type bâché observe un autre arrêt. Cette fois-ci, nous sommes au point de contrôle de la gendarmerie du village. Un gendarme procède à un contrôle d’identité. Nous demandons au chauffeur si nous sommes bel et bien à Kokomian. Il nous le confirme. Nous mettons pied à terre.

Aussitôt un gendarme nous interpelle : « Vous êtes dans le véhicule ? » Nous répondons prudemment par un hochement de tête. Le jeune gendarme continue le contrôle tout en nous suivant du coin de l’œil. Nous nous dirigeons vers le chauffeur qui est descendu pour vérification au poste. Nous en profitons pour lui dire au revoir. Derrière nous, nous entendons, le gendarme demander : « Il reste ici ? C’est qui ? » Le chauffeur lui fait savoir que nous venons voir quelqu’un dans le village. Nous décidons de nous diriger vers le centre du village. Nous sentons tous les regards sur nous. Nous essayons donc de faire diversion. « Je peux avoir une carte de recharge ? », demandons-nous à un jeune qui tient une cabine téléphonique, non loin de l’imposante bâtisse qui doit abriter le futur centre culturel de Kokomian. Nous prenons la carte de recharge et profitons pour demander où on peut avoir à manger : « Chez Mary. Vous allez devant », nous indique le jeune tenancier de la cabine téléphonique. Nous décidons de nous y rendre. Mais nous sentons toujours les regards sur nous. Un adolescent vient vers nous. Nous lui demandons notre chemin : « Chez Mary, c’est où ? ». Il décide de nous y conduire. Nous nous retrouvons dans une cour où une femme de teint noir, la trentaine, s’évertue à piler de la banane plantain entouré d’un jeune homme et d’une fillette. « On peut avoir à manger ? », interrogeons-nous. « Oui, asseyez-vous », nous répond la jeune dame qui est certainement Mary. Nous nous installons sur un banc de fortune en bois en face d’une table aux formes grossières, également taillée dans la même matière. A peine sommes-nous assis que nous remarquons la présence d’un homme vêtu d’un pantalon jean noir et une chemise pagne grise. Il demande à manger à Mary tout en nous dévisageant. Nous comprenons qu’il n’est pas seulement là pour la nourriture. Mais nous mangeons notre plat tout essayant de ne pas laisser paraitre la nervosité qui commence à nous gagner. Quelques secondes plus tard, un homme apparaît dans la cour, habillé d’une culotte noire et d’un tricot gris d’une propreté douteuse. Il nous fusille du regard, échange quelques mots avec la propriétaire du maquis et sort de la cour. Cette fois-ci, nous sommes sérieusement inquiet.

Nous décidons de manger rapidement et de vider les lieux. La tenancière du maquis nous bombarde de questions : « Vous venez d’où ? Vous êtes venus avec qui ? » Elle ne sait pas qu’elle en ajoute à l’angoisse qui nous anime. Nous essayons de répondre tant bien que mal à toutes ces questions sans nous trahir. Visiblement satisfaite, elle consent de nous laisser partir.

A notre sortie, nous sommes encore happé par les regards qui deviennent de plus en plus inquisiteurs. Nous voyons une maison où il y a des traces d’incendie. C’est sans doute celle du secrétaire de section du RDR qui a été incendiée la veille. Nous voulons prendre des photos. Mais nous nous rendons compte qu’une telle décision serait suicidaire.

La palabre pour la réconciliation

Nous nous ravisons et nous contentons de jeter des coups d’œil furtifs vers la maison sinistrée.

A l’ombre d’une maison en face du chantier du centre culturel du village, nous recevons un coup de fil qui nous informe de la venue imminente du préfet et sa délégation. MM. Lazare Ouattara, secrétaire de section du RDR dont la maison a été incendiée et Kouamé Ouattara, cadre Dogôssè, chassés par des jeunes du village. Cette nouvelle a le mérite de nous rassurer. Dix minutes plus tard, nous apercevons au carrefour du village, le véhicule de commandement du préfet de Koun-Fao, suivi des 4x4 des casques bleus ghanéens et des agents de l’ONUCI. Le cortège se dirige vers la maison du chef Kouamé N’Guessan, chef par intérim en l’absence du chef Nanan Koffi Adingra, chef du village de Kokomian. Le préfet arrive chez le chef et demande : « Où est le chef ? ». « Il est à l’intérieur », répondent les jeunes. Il enchaîne : « Où se tient la réunion ? ». Une réponse : « A la place du marché. Les femmes sont en train de balayer la place ». Le préfet entre dans une colère noire : « Vous-vous foutez de moi. C’est maintenant que vous balayez la place. Rien n’est encore prêt. C’est maintenant que vous me voyez que vous faites tout ça ?» Dans l’entrefaite, le chef Kouamé N’Guessan sort, rend ses civilités au préfet et présente ses excuses. Il prie la délégation de se rendre au lieu de la réunion. Nous décidons de nous y rendre également. Sur les lieux, les femmes sont à la tâche. Les jeunes gens installent les chaises. Nous en profitons pour faire des photos avec notre téléphone portable. Mal nous en a pris. Un homme, la soixantaine passé, nous interpelle en ces termes : « Jeune homme ! Vous faites parti de la délégation ? ». Nous répondons par l’affirmatif. « Pourquoi, vous vous mettez à l’écart pour prendre des photos ? Ne faites pas ça », conseille-t-il. Nous n’avons pas le temps d’enregistrer les photos que nous avons prises avec un homme corpulent, la trentaine, enroulé d’un pagne et qui s’avance vers nous l’index en avant, menaçant : « Pourquoi vous prenez les photos ? Ici, nous n’aimons pas les histoires. Arrêtez de filmer ! » Nous ne nous faisons pas prier deux fois. Car derrière lui, la cohue est en effervescence. Un groupe de jeunes se dirigent vers nous, l’air menaçant. Sentant le danger, nous décidons de nous rapprocher des casques bleus ghanéens venus accompagner le préfet et sa délégation. Une discussion s’engage entre eux. « Il était là depuis longtemps », lance l’un d’entre eux. «Nous nous rapprochons plus de la délégation de l’ONUCI en saluant les membres de la division des droits de l’Homme qui ont fait le déplacement. Un réflexe qui nous sort de la tourmente. De loin, les plus irréductibles nous lancent des regards noirs tout en esquissant des gestes menaçants vers nous. Peu à peu, l’attention se détourne de nous. Tout est maintenant en place. Le préfet sort de sa voiture de commandement et invite tout le monde à prendre place sous le grand hangar qui sert de lieu de marché. Nous nous y rendons prudemment mais avec courage.

Le sous-préfet de Tienkouakro, M. N’Guessan N’Guessan, situe le cadre de la rencontre. Le préfet de Koun Fao, M. Ganga Agnéro François prend la parole pour saluer la population d’avoir répondu à sa convocation. « Ce n’est pas la première fois que je viens dans ce village. Quand je suis venu les fois passées, il y avait la joie et des danses. Mais aujourd’hui, il y a des problèmes. Je constate tout de même déjà un début de solution à notre problème. Parce que les jeunes ont décidé de m’écouter », lance d’entrée le préfet. Avant de commencer son intervention, l’administrateur demande à son collaborateur, le sous-préfet de Tienkouakro dont dépend administrativement Kokomian, de lire le procès verbal de la première réunion le mardi 3 mars 2009 à Koun-Fao sur le même problème. La lecture du procès verbal montre que les différents acteurs s’étaient convenus sur un modus vivendi. Le préfet avait rappelé aux uns et aux autres qu’il ne pouvait pas empêcher un Ivoirien de se faire enrôler partout en Côte d’Ivoire où il le souhaite.

Une difficile réconciliation

Mais, il avait conseillé que pour des raisons d’apaisement, les Dogôssè pouvaient aller se faire enrôler dans leur région d’origine. Les Dogôssè avaient convenu qu’ils le feraient. « Quand il n’y avait pas les élections, est-ce que vous ne viviez pas en paix ? Je vous demande de faire en sorte que vous viviez en paix comme par le passé », conseille le préfet, avant d’ajouter : « Cessez de faire des palabres inutiles ! Les Dogôssè sont vos frères. Vous allez vous entretuer alors que certains ont marié vos sœurs. Quand vous allez vous entretuer, qu’allez-vous gagner ? »

Le préfet Agnéro brandit ensuite un article intitulé « le FPI divise les populations à Kokomian ».

Dans cet article est rapporté les propos de Kouamé Ouattara, qui déclare que les Dogôssè sont prêts à défendre la terre ancestrale jusqu’à la mort. Pour l’administrateur, c’est cet article qui a mis le feu aux poudres. Il accuse également MM. Lazare Ouattara et Kouamé Ouattara d’en être responsables. Aussi, leur demande-t-ils de présenter publiquement leurs excuses au village. Ce que les concernés font en français et en Agni.

La parole est ensuite donnée à la population. Le premier à prendre la parole est Narcisse Boni Kouadio, le président des jeunes de Kokomian.

Son verdict tombe comme un couperet. « Les jeunes de Kokomian sont fatigués des palabres avec les Dogôssè. Ils en ont marre. Ils n’en peuvent plus. Qu’ils s’en aillent et prennent avec eux Ouattara Lazare », martèle-t-il. Avant de demander au préfet s’il connaissait Kouamé Adama Ouattara. « Dites-lui de nous le dire », rétorque le préfet. « C’est un jeune Dogôssè qui s’est fait enrôler avec la pièce d’une femme Agni Bôna qu’il a présentée comme sa mère. A cette accusation, le préfet répond qu’il n’est pas ici pour dire qui est Ivoirien ou pas. Mais pour demander la clémence de la population. Car, on ne peut pas vivre en société, selon lui, sans palabre. « Depuis 2000, on est en train de nous humilier. Nous en avons gros sur le cœur. Mais aujourd’hui, le gouverneur nous a parlé et cela nous va droit au cœur », lance à son tour le vice-président de la mutuelle des cadres de Kokomian, M. N’Zoua. La reine-mère du quartier Dakoua, Ama Badou Siaka, tante du chef du village, quant à elle, déplore le fait que son neveu, depuis son accession au pouvoir voit toujours son autorité bafouée par les Dogôssè.

« Si les Dogôssè doivent rester ici, qu’ils sachent que leur vie est entre les mains du chef », a-t-elle conclu. Le préfet Agnéro, après ces deux interventions, a appelé à la voie de la sagesse. « Vous avez déjà formé des familles ensemble. Ne détruisez pas vos familles ! L’essentiel est de vous retrouver ensemble. Cette affaire, ce sont les politiciens qui vous mettent dedans. N’entrez pas dans leur jeu ! », a-t-il conseillé. Kouamé N’Goran Albert prend ensuite la parole au nom des notables. « C’est moi qu’on cite toujours dans cette affaire. Mais aujourd’hui, je vais parler. La politique de la destruction n’est pas bonne. Mais, on se connaît tous dans ce village. Si nos frères Dogôssè sont Burkinabé, qu’ils nous le disent. S’ils sont de Kong comme ils le prétendent, alors qu’ils aillent vivre à Kong », lance-t-il. La réponse du préfet ne se fait pas attendre. « S’ils se disent Ivoiriens ou Burkinabé, dans tous les cas se sont les mêmes personnes qui vivent avec vous. Qu’est-ce que vous leur reprochez concrètement en tant qu’humains ? Moi je ne suis pas habilité à juger de la nationalité de qui que ce soit », a-t-il fait comprendre. Avant d’interroger en ces termes : « Est-ce que c’est bon de voir sur le net tout ce qui se passe dans votre village ? C’est quand même le village de quelqu’un qui est ministre dans le gouvernement de Côte d’Ivoire ».

L’administrateur, sur la question, conseille à ses hôtes de réunir tous les éléments de preuves qui démontrent qu’ils ont triché dès le départ. Mais le notable Kouamé N’Goran Albert laisse entendre qu’il est difficile de le faire. Car sur simple présentation d’un extrait ou d’un jugement supplétif, on peut avoir une carte nationale d’identité.

La grosse colère du préfet

« Attendez ! Vous m’insultez ou quoi ? Je ne peux pas accepter que vous m’insultiez. Vous voulez dire que je ne connais pas mon métier ? », tonne l’administrateur. « On ne peut pas, sur simple présentation de l’extrait ou du jugement supplétif, avoir sa carte d’identité. C’était peut-être avant. Même si tel était le cas, la durée de vie d’une carte nationale d’identité est de dix ans. Il y a des voies plus indiquées pour régler ce problème. Si vous êtes convaincus qu’ils sont étrangers, vous devez trouver comment ils ont fait pour les avoir. Mais ne m’insultez pas en disant qu’avec un simple extrait on peut devenir Ivoirien. Vous croyez que moi je suis prêt à brader la nationalité ivoirienne ? », s’indigne le préfet Agnéro. Aux représentants des Dogôssè présents à la réunion, il leur a conseillé de suivre la voie légale, qui est celle de la naturalisation, si dans leur intime conviction, ils savent qu’ils ne sont pas Ivoiriens. Il a invité par la suite, les uns et les autres à mettre l’accent sur les règles et sur ce qui peut développer le village. Il a demandé au représentant du chef d’abonder également dans le sens de l’apaisement. M. Kouamé N’Guessan, chef par intérim de Kokomian, décide dans son intervention de revenir sur des querelles vieilles depuis 1963. Mais il est interrompu par le préfet Agnéro. « Quand on se réconcilie, on ne revient plus sur le passé », rappelle-t-il. Le suppléant du chef reprend la parole pour expliquer que pour mieux comprendre une affaire, il faut aller à sa genèse. Telle était son intention. Il déplore les manquements à l’autorité villageoise dont se rendent souvent coupables les Dogôssè. Mais accepte d’adhérer entièrement à la volonté du préfet de vouloir aller dans le sens de l’apaisement. Soulagé par la tournure que prend la réunion, le préfet décide de remercier ses hôtes pour leur compréhension. « Ne vous rendez pas justice vous-mêmes. Parce que cela peut se retourner contre vous. Quand on a raison, on suit la voie de la justice. S’il y a un problème, saisissez-moi et je vous donnerai la voie à suivre. Je ne voudrais plus entendre qu’on a empêché quelqu’un d’aller au champ et à puiser de l’eau », a-t-il recommandé. Il promet pour finaliser le règlement de cette affaire, de convoquer prochainement une réunion à Koun-Fao. Au moment où l’on pense s’acheminer vers la fin de la rencontre, le chef par intérim prend la parole pour demander au préfet de repartir avec Lazare Ouattara et Kouamé Ouattara. « Quand nous allons finir de nous concerter après la réunion que vous allez convoquer à Koun-Fao, ils pourront revenir au village », avance-t-il. La réponse du préfet est sans appel : « Non ! Je n’ai pas de maison pour les héberger. Ils resteront ici. Je leur ai demandé de revenir au village. Ici, c’est le préfet maintenant qui parle. Je ne vous ai pas demandé qui a brûlé la maison de Lazare. Si on cherche, la gendarmerie est là. On va trouver tout de suite qui a fait ça. Donc je vous demande de laisser et de l’accepter. Vous l’avez assez puni comme cela. Laissez-le ! S’il ne change pas, appelez-moi ! », a-t-il lancé avant de lever la séance d’autorité. La délégation du Préfet, se rend ensuite au domicile du ministre Augustin Kouadio Komoé pour un repas. Nous attendons la fin du repas pour profiter du 4x4 d’un membre de la délégation pour regagner Tankessé où nous avons élu nos quartiers.

Jean-Claude Coulibaly (Envoyé spécial)
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Politique

Toutes les vidéos Politique à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ