En Côte d’Ivoire et même dans diverses régions d’Afrique, le suffrage universel est vécu comme une tragédie humaine. La preuve, la danse de sorciers exécutée par le Fpi autour de la liste électorale laisse planer de gros nuages sur la cohésion sociale. Cette liste provisoire qui fait l’objet de tant de batailles est symptomatique de l’état de guerre dans lequel le pays évolue depuis le coup d’Etat de 1999. Les Accords de Ouagadougou ont vécu pour le camp présidentiel. Normalisation du pays, grades des forces nouvelles, Ddr, et surtout identité et citoyenneté ivoirienne, on est bien loin du compte. Le dernier binôme est un casse-tête chinois qui, dix ans après, risque de replonger le pays dans les abysses des « purs » et des « étrangers ». La radiation de 250 personnes intervenues au tribunal de Divo marque un tournant important dans la sortie de crise. La justice instrumentalisée demeure un problème. Quel est le temps mis par le juge pour radier une personne ? Ces procès collectifs donnent une piteuse image de la justice, de certains magistrats et avocats avides de billets de banque. Cette justice expéditive ouvre de nouvelles interrogations en même temps que de nouveaux foyers de tensions. Quel sort pour les radiés de la liste électorale puisque le contentieux a été suspendu ? Comment réhabiliter toutes ces personnes victimes de cette purge opérée par un parti socialiste ultra-minoritaire ? Comment les ramener de droit sur la liste puisque leur présence a été certifiée par la Cei, Sagem, l’ins, le Cnsi ? Comment résoudre cette nouvelle équation alors qu’une décision de justice aux ordres du Prince les présente désormais comme des étrangers ? Le facilitateur Blaise Compaoré a du pain sur la planche en même temps que l’opposition, qui devra se retrousser les manches pour affronter dans la rue Laurent Gbagbo. Ouagadougou n’intéresse plus le candidat du Fpi à la présidentielle. Il prend les aspects qui l’arrangent et rejette ceux susceptibles de lui faire perdre son fauteuil. Tout se mesure, se règle désormais au rapport de force. Après les salons feutrés, l’affrontement final pourrait avoir lieu autour de ces questions avec son cortège de violences et d’horreurs. Pour mémoire, l’affaire des « zinzins et Bahéfouê » est le ferment de la tentative du coup d’Etat du 19 septembre. Ces 250 radiés de Divo sont autant de frustrés et de rebelles, qui ne se laisseront pas spolier aussi facilement. Les tentatives de « désintoxication » de la liste électorale (le terme est d’un avocat), les appels de Simone Gbagbo « à débarrasser la Côte d’Ivoire de ces Mambé » rappellent malheureusement les « cafards », « les grands arbres » qu’il fallait tuer ou couper dans le génocide rwandais. Le Front populaire ivoirien apparaît aujourd’hui comme une machine à exclure, une force où de nouveaux Himmler, Goebbels, Goering, expérimentent la pureté d’une race (?). Malheureusement, les thèmes de nationalité et d’identité leur offrent l’occasion de marcher depuis 2000 sur les sentiers dangereux de la xénophobie et du tribalisme. Sous des dehors d’ange, se cachent parfois des politiciens cyniques, sans pitié. Si certains devaient tuer leur mère pour s’éterniser au pouvoir, opprimer le peuple, l’asservir, ils le feront sans hésiter. Le peuple, ça leur dit quoi désormais quand ils se rendent compte qu’un jour ils perdront tout. Véhicules 4X4, maisons, Miss, salaires, ça fait perdre la tête aux profs de la lagune Ebrié… Les radiés et blessés de Divo, la mort du jeune Fodé Diakité, la chasse « présidentielle » à Mambé, les propos haineux du pouvoir sont une bombe à retardement.
Assoumane Bamba
Assoumane Bamba