Mardi 12 janvier : à la jonction de deux plaques tectoniques, à une faible profondeur de l’écorce terrestre, et à une quinzaine de kilomètres de Port-au-Prince, la capitale du pays, peuplée de deux millions de personnes, une secousse sismique vient de produire un tremblement de terre qui a fait aussitôt s’effondrer des quartiers entiers de la ville, avec tous leurs bâtiments publics et privés. 120.000 vivants ont immédiatement perdu la vie, et seront enterrés les jours suivants dans des fosses communes improvisées. Les disparus ne peuvent être comptés mais l’odeur de leur décomposition en cours empuantit l’air... Les autres, survivants, ont tout perdu, leur maison, leur ‘vie d’avant’… Ils se sont entassés dans le centre de Port-au-Prince, transformé en immense camp de réfugiés, où, alors désespérément, des dizaines de milliers de personnes ont réclamé de l’eau, de la nourriture, des médicaments. Toute organisation locale a provisoirement disparu : les bureaux administratifs ont été détruits, beaucoup de fonctionnaires ne sont plus là, les communications sont interrompues, il n’y a plus d’électricité, plus d’hôpital… Dans un élan de solidarité mondiale, l’aide de toutes les nations du monde commence à affluer, mais à partir d’un aéroport trop petit et encombré, elle éprouve les plus grandes difficultés à atteindre ses destinataires aussi rapidement qu’il serait souhaitable…
Le monde est témoin, et ce témoin est stupéfié et sans voix car le voici comme propulsé dans une réalité qui laisse sans voix... L’un d’eux, haut responsable politique d’une nation européenne, se dit saisi d’effroi. Un autre, religieux de son état, invoque un soutien moral et des prières car, dit-il, ‘c’est vraiment important : la communion est très porteuse pour ceux qui sont sur le terrain.’ L’humanité est comme interdite sur le moment, elle le demeure quelque temps – elle se souviendra, elle oubliera aussi… comme elle a déjà oublié le tsunami qui, le 26 décembre 2004, a, en un instant, supprimé 270.000 humains à Sumatra, en Thaïlande, au Sri Lanka… Comme elle oublie déjà le tremblement de terre qui, il y a juste neuf mois, éprouvait une ville d’Italie, dans les Abruzzes… Sans doute ne faudrait-il pas ignorer que l’activité sismique du globe terrestre reste très importante, suivie aujourd’hui par plus de huit mille observatoires qui détectent chaque année en moyenne une vingtaine de tremblements de forte magnitude (au moins 7 sur l’échelle de Richter) et ont détecté 270 secousses sismiques dans l’ensemble du monde pendant la semaine de la catastrophe de Haïti… Aussi bien l’Homme doit-il certainement se résoudre à subir et accepter, passivement, qu’il en soit ainsi, selon les lois de la nature...
Du moins ce genre d’évènements interrompant brutalement le cours de vies humaines innombrables oblige-t-il à poser quelques questions radicales au sujet de la mort et de la vie, de leur valeur, et de l’homme et de Dieu... Est-il si sûr que “Dieu” s’intéresse vraiment à l’Homme ? Est-il si certain que l’Homme ait intérêt à s’intéresser à Lui ? A Port-au-Prince, dans les restes de la cathédrale écroulée sur le corps de son évêque, les rescapés invoquaient le nom de Celui qui se taisait... Tout un système religieux se révélait d’un coup un moyen dérisoire pour tous ceux qui en avaient attendu un salut mais étaient déjà en cours de décomposition, gisaient maintenant dans les décombres ou survivaient dans la désespérance… Où est-il ton Dieu ? Ce genre d’évènement devrait avoir au moins l’intérêt, pour tous ceux qui n’en sont que les témoins saisis d’effroi, de leur rappeler que la destinée humaine se réduit finalement à peu de chose : naître, vivre, souffrir sans doute, et mourir. Les prophètes le rappellent souvent, au nom de leur “Dieu”, à ceux qui veulent bien les écouter : l’homme n’est qu’un misérable vermisseau (Job, 25.6), un brin d’herbe qui éclot le matin et le soir se fane (Isaïe 40.6-8).1
Il faut bien souvent du temps, beaucoup de temps à l’Homme pour réaliser qu’il est simplement mortel, destiné à la corruption. Sans doute porte-t-il en lui, tout autant, le sentiment d’une sorte d’incorruptibilité et d’éternité. Et il lui est certes difficile de penser comment il peut porter en lui l’un et l’autre à la fois ; aussi marche-t-il souvent à reculons vers la mort, et imagine-t-il sans autre frais son passage à une autre vie (résurrection, réincarnation…). Le désastre de Port-au-Prince – après celui de Lisbonne qui fit réfléchir quelques « lumières » au 18ème siècle, après ceux d’Agadir (1960), de Skopje (1963), d’Orléans-ville (1980) qui en firent réfléchir d’autres au 20ème – est une invitation supplémentaire à méditer le mystère de l’Homme et, décidément, à aller aux choses essentielles auxquelles Débats invite déjà ses lecteurs à l’occasion du Cinquantenaire de l’Afrique indépendante.
Denis Maugenest
Le monde est témoin, et ce témoin est stupéfié et sans voix car le voici comme propulsé dans une réalité qui laisse sans voix... L’un d’eux, haut responsable politique d’une nation européenne, se dit saisi d’effroi. Un autre, religieux de son état, invoque un soutien moral et des prières car, dit-il, ‘c’est vraiment important : la communion est très porteuse pour ceux qui sont sur le terrain.’ L’humanité est comme interdite sur le moment, elle le demeure quelque temps – elle se souviendra, elle oubliera aussi… comme elle a déjà oublié le tsunami qui, le 26 décembre 2004, a, en un instant, supprimé 270.000 humains à Sumatra, en Thaïlande, au Sri Lanka… Comme elle oublie déjà le tremblement de terre qui, il y a juste neuf mois, éprouvait une ville d’Italie, dans les Abruzzes… Sans doute ne faudrait-il pas ignorer que l’activité sismique du globe terrestre reste très importante, suivie aujourd’hui par plus de huit mille observatoires qui détectent chaque année en moyenne une vingtaine de tremblements de forte magnitude (au moins 7 sur l’échelle de Richter) et ont détecté 270 secousses sismiques dans l’ensemble du monde pendant la semaine de la catastrophe de Haïti… Aussi bien l’Homme doit-il certainement se résoudre à subir et accepter, passivement, qu’il en soit ainsi, selon les lois de la nature...
Du moins ce genre d’évènements interrompant brutalement le cours de vies humaines innombrables oblige-t-il à poser quelques questions radicales au sujet de la mort et de la vie, de leur valeur, et de l’homme et de Dieu... Est-il si sûr que “Dieu” s’intéresse vraiment à l’Homme ? Est-il si certain que l’Homme ait intérêt à s’intéresser à Lui ? A Port-au-Prince, dans les restes de la cathédrale écroulée sur le corps de son évêque, les rescapés invoquaient le nom de Celui qui se taisait... Tout un système religieux se révélait d’un coup un moyen dérisoire pour tous ceux qui en avaient attendu un salut mais étaient déjà en cours de décomposition, gisaient maintenant dans les décombres ou survivaient dans la désespérance… Où est-il ton Dieu ? Ce genre d’évènement devrait avoir au moins l’intérêt, pour tous ceux qui n’en sont que les témoins saisis d’effroi, de leur rappeler que la destinée humaine se réduit finalement à peu de chose : naître, vivre, souffrir sans doute, et mourir. Les prophètes le rappellent souvent, au nom de leur “Dieu”, à ceux qui veulent bien les écouter : l’homme n’est qu’un misérable vermisseau (Job, 25.6), un brin d’herbe qui éclot le matin et le soir se fane (Isaïe 40.6-8).1
Il faut bien souvent du temps, beaucoup de temps à l’Homme pour réaliser qu’il est simplement mortel, destiné à la corruption. Sans doute porte-t-il en lui, tout autant, le sentiment d’une sorte d’incorruptibilité et d’éternité. Et il lui est certes difficile de penser comment il peut porter en lui l’un et l’autre à la fois ; aussi marche-t-il souvent à reculons vers la mort, et imagine-t-il sans autre frais son passage à une autre vie (résurrection, réincarnation…). Le désastre de Port-au-Prince – après celui de Lisbonne qui fit réfléchir quelques « lumières » au 18ème siècle, après ceux d’Agadir (1960), de Skopje (1963), d’Orléans-ville (1980) qui en firent réfléchir d’autres au 20ème – est une invitation supplémentaire à méditer le mystère de l’Homme et, décidément, à aller aux choses essentielles auxquelles Débats invite déjà ses lecteurs à l’occasion du Cinquantenaire de l’Afrique indépendante.
Denis Maugenest