x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Politique Publié le mercredi 17 mars 2010 | Le Temps

La saga des Ouattara (n°8) : La fabuleuse histoire du Cheick Badramane II

Les acteurs sont les mêmes ; mais leur identité a subi un léger ajustement pour une fois, les mettre du côté de la vérité historique, sociologique et temporelle de la terre dont ils se réclament. L'amour qu'ils ont pour leur prénom paternel ne s'explique que par le fait qu'ils vouent une admiration profonde à leur royal géniteur, qui a régné sur un petit royaume au Sud du Sahel et que l'on veut absolument transformer en partie d'un plus grand ensemble. Le roi Badramane I est de la famille de ceux qui accèdent au pouvoir par le bon vouloir du Bon Dieu, c'est-à-dire un potentat de droit devin. Sa progéniture composée d'une fratrie de 12 membres comprend deux fortes têtes à qui les oracles ont prédit un avenir plein de lumière mais en " terra incognita ", en terre étrangère, une terre peuplée d'êtres barbares qui n'ont jamais vu la lumière et qu'il faudra " évangéliser ", c'est-à-dire leur ouvrir les yeux. Seuls les enfants de ce roi ont cette capacité. Badramane II et son frère III sont appelés à jouer donc un grand rôle dans la terre où leur père a fait fortune, mais jamais sur la terre où il va régner.

Le cœur du père balance entre ses deux fils. Badra II l'aîné pas très intelligent mais assez futé pour se sortir même des situations les plus complexes. En fin connaisseur des interlopes dont a besoin un débrouillard pour s'en sortir. Badra III est un brillant élève et le père a décidé de le suivre de très près, en le gardant à la cour, les pieds bien ancrés dans la tradition afin de le préserver des pouvoirs maléfiques des " soutagamanans " ; car il est appelé selon les oracles à faire un grand et lointain voyage. Tous les devins les plus savants le lui ont prédit.

La rivalité entre les deux princes est âpre, parce que Badra II veut se battre jusqu'au bout, pour ne pas se laisser doubler par Badra III, au moment où le vieux suzerain décidera de passer le flambeau à sa progéniture. Le vieux Dramane 1er a fait fortune à l'étranger et peut cultiver son jardin tranquillement. "Tu ne seras jamais rien, parce que ton petit-frère est plus poli et plus intelligent que toi, si tu ne fais pas attention, il va te commander ", ne cessait de lui dire son père.
La mère de Badra II n'aime pas ce genre de comparaison et de réprimandes paternelles. Elle voit d'un mauvais œil pareilles idées effleurent les pensées du roi Dramane 1er de Sindou. Ce sont les hommes qui créent les tensions entre les enfants et les épouses parce qu'ils sont injustes avec certains enfants. Du coup, la reine mère soupçonne le roi d'abreuver en cachette son préféré de potions d'intelligence concoctées par les marabouts toujours nombreux autour du roi.

Elle ne se trompe pas parce que la mère du petit Badra III a été répudiée pour avoir ébouillanté sa rivale, la jeune épouse qui vient d'arriver et qui par sa classe et sa beauté de femme mandingue joue le rôle de Baramousso, c'est-à-dire la préférée. Cet acte ignoble qui a marqué la conscience de la cour pendant des mois, commande la prudence.

Le roi a donc confié la garde des 4 enfants de la " Gbalomousso " répudiée à la femme malinké qui est d'une prévenance à son égard que ne connaissent pas les autres femmes " Bamanan " du harem.

La mère de Badra II décide de se battre elle aussi pour que son fils ne finisse pas comme un raté, comme un va-nu-pieds. C'est alors qu'elle décide de consulter à son tour un oracle dans le royaume voisin, qui va lui conseiller d'enterrer un taureau noir vivant pour que son fils soit toujours au-dessus des autres enfants. Les potions et les canaris vont alors faire partie du quotidien de notre prince. Les séances de gavages et de baignades avec des mixtures mystiquement concoctées vont se succéder. Mais rien n'y fit car notre Badra II n'est pas très porté vers les études, il se voit plutôt mécanicien ou colporteur comme papa l'a été autrefois, lorsqu'il était jeune dans le pays d'En-bas communément appelée Basse-Côte ou Basse-Côte d'Ivoire. La vie dans les Hauts-lieux est dure et le prince décide de quitter le palais pour tenter l'aventure plus bas. On retrouve très bientôt ses traces dans un centre d'apprentissage du Sud où il compte apprendre un métier manuel et avec les moyens matériels et financiers que peut avoir un prince de sang des Hauts-lieux, il entretient une petite cour dans l'établissement (Centre d'apprentissage de Bimbresso probablement) dirigé par les colons.

Ces derniers le tiennent à l'œil parce que c'est une forte tête et ils le soupçonnent d'être derrière les dernières revendications des internes à propos de la qualité de la nourriture au réfectoire. Mais ils n'en ont pas la preuve. Pendant la grève du réfectoire, le prince Dramane II avait les moyens de faire bombance avec ses amis ce que les surveillants considéraient comme un affront. On le soupçonne de faire rentrer de l'alcool à l'internat et de s'adonner à la consommation abusive d'alcool et de cigarettes en entraînant ses camarades dans le vice.

Pas étonnant, parce qu'au pays des Hauts-lieux, sa maman pour arrondir les fins de mois tient un petit commerce de " tchapalo ou dolo ", la bière de mil locale très prisée par les sujets de son époux, le Roi. Le bénéfice de ce petit commerce de boisson lui est régulièrement envoyé comme pécule tous les mois dans les pays d'En-bas. Badra II est très nostalgique parce que la terre de ses ancêtres lui manque énormément. Il pense aux soirées pendant lesquelles l'orchestre de balafon jouait des airs très prisés par les clients qui s'envoient des calebasses de dolo. Et sa chanson préférée disait à peu près ceci : "Buvons les gars Buvons à satiété Buvons sans modération Car nous ne devons à personne nos tournées Sauf à notre Reine bien-aimée… "
C'est alors que les clients s'en donnaient à cœur joie, qui par des acrobaties, des saltos, qui par des cris de joie à en perdre la voie.

Notre prince revient bientôt sur terre, car l'année scolaire va bientôt finir et la saison des pluies est précoce. A cette période de l'année, un vent frais monte de la lagune et les odeurs de poissons provenant d'un marché envahissent l'établissement. Les résultats scolaires seront bientôt publiés et l'on saura quels sont les élèves retenus pour continuer leurs études en France ; les moyens auront droit à une scolarité moins glorieuse à Dakar et le reste va rentrer dans la vie active dans une huilerie ou une savonnerie sur la côte.

Notre prince est très inquiet ; il n'est pas parmi les plus brillants mais espère décrocher une place pour l'étranger. Mais on ne sait jamais avec ces Blancs qui ne l'aiment pas et qui lui reprochent sa suffisance et son air de supériorité quand il les toise dans les couloirs de l'établissement. Ceci est un trait de famille. Finalement, les résultats ne sont pas favorables à notre prince du pays des Hauts-lieux. Il a plusieurs handicaps dans son dossier. D'abord, ses notes scolaires ne sont pas du tout brillantes, et ensuite, on lui reproche son origine parce que ce n'est un secret pour personne, il est d'origine étrangère même s'il est né dans le pays d'En-bas.

Le monde semble s'écrouler autour de Badra II. Comment son père Badra I, le roi va réagir à cette nouvelle catastrophique ? Il va prendre encore une raclée et on lui rappellera les performances scolaires de son jeune frère qui, jusqu'à présent, fait un cursus sans problème, grâce aux potions magiques qu'il ingurgite régulièrement. Il ne sait pas pourquoi son père le Roi lui en veut tant. L'incendie du grenier de mil était un accident. C'était l'enfance et il n'était pas responsable, pourquoi donc on continue d'en vouloir à un enfant qui, à l'époque, n'avait que 10 ans, et qui s'est amusé avec des allumettes un peu trop près du stock de la réserve de mil du Royaume ? Il pense avoir payé suffisamment sa faute. Il en veut terriblement à son père et il en veut encore plus à son jeune frère qui a toujours été le préféré de la cour, celui à qui on a prédit un grand avenir hors du royaume.

Devant son désarroi, ses amis du Sud le consolent comme ils peuvent. Ils pensent qu'il faut aider notre prince, si gentil, si généreux. On se souvient bientôt d'un jeune de la tribu des Mangeurs d'agouti très introduit auprès des autorités coutumières de sa tribu. Dans son village, il est très actif et distribue les brochures et les tracts du Congrès pour la résistance des peuples noirs (le Crpn). Il est très apprécié du député de la colonie qui lui prédit un avenir brillant. En plus, il a un accès facile à celui-ci lorsqu'il séjourne au pays pendant les vacances parlementaires. D'ailleurs, celui-ci est actuellement présent au pays. En effet, Aké de son vrai nom Konan (Aké le petit nom que lui donnait affectueusement le député car il lui prêtait des origines Atchan) est très disponible et très serviable surtout quand il s'agit d'aider le Kôrô Badramane II. On lui confie la mission d'intercéder auprès de son oncle, afin que le kôrô soit retenu sur la liste des admis pour l'étranger pour échapper à la furia du roi. D'ailleurs, nous sommes fin juin et c'est jeudi, le dernier délai pour le dépôt des dossiers est fixé au lendemain vendredi.

Ce soir, il faudra faire quelque chose ; il faut trouver le moyen pour qu'Aké quitte discrètement l'internat pour aller voir le député. La nuit, dès que les lumières sont éteintes et que tout le monde est couché, on fabrique un mannequin qui prend place dans le lit d'Aké. Celui-ci s'éclipse discrètement en sautant la clôture de l'enceinte. Il avalera à pas de loup les 4 Km qui séparent l'établissement de la route principale qui mène à la capitale. Un chauffeur de grumier le déposera une heure plus tard au parc à grumes à l'entrée de la ville dans la baie lagunaire. Après plusieurs péripéties, le voici bientôt près de la résidence du député. Mais il est tard ; il est déjà 23 heures. Les gardes lui refusent l'entrée de la résidence de son oncle parce que celui-ci serait déjà au lit. Le pauvre Aké est désemparé ; il a peur de ne pas pouvoir rendre service à son aîné Badramane II. Après moult tentatives auprès des gardes, il se résout à escalader la clôture de la résidence du député, du côté nord vers la prison civile.

"Qui va là ?", lui cria le garde. " Si tu bouges, je tire ".

"Ne tirez pas, c'est moi Aké, je veux voir le député, c'est mon oncle". " Encore toi, espèce de chenapan, on ne t'a pas dit que le député dort ? ". Il y a bientôt foule autour de notre brave Aké qui a l'air désemparé comme un voleur pris la main dans le sac. Certains voulant lui administrer une correction exemplaire pour avoir violé le domicile du député.

Ce dernier cloitré dans sa chambre observe la scène à travers des persiennes. Il est très méfiant depuis quelque temps, depuis qu'il réclame l'indépendance de la colonie. Il vit dans la hantise d'un attentat ; les planteurs colons lui en veulent énormément depuis qu'il a mis fin à leur monopole sur la main-d'œuvre à bon marché venant du pays des Hauts-lieux. Il vient bientôt aux nouvelles et arrive juste à temps au moment où un garde s'apprêtait à administrer le premier coup de chicotte sur le postérieur proéminent d'Aké. "Qu'est-ce qui se passe ici ? ", demande-t-il et il reconnaît son neveu soulagé de l'arrivée de son oncle de député. " Qu'est-ce que tu fais ici à une heure pareille ? ", s'enquiert-il. Le brave Aké lui raconte le but de la visite si tardive et implore son pardon et sa clémence en promettant de ne plus recommencer. Le député pris de pitié pour son neveu et comprend la détresse de jeune homme de bonne foi qui veut aider un ami qui vient du pays des Hauts-lieux.

Sur place, le député rédige une note dans laquelle il donne son accord pour que notre ami Badra II fasse partie des boursiers du pays d'En-bas retenus pour continuer leurs études en France.
C'est dans la Pontiac de fonction du parlementaire escortée de deux motards qu'Aké va rejoindre à 2h30 du matin ses amis qui ont salué l'intrépide Aké pour son exploit. C'est ainsi que Badramane II a pu obtenir une bourse de son pays d'accueil pour étudier en France. Notre ami Aké par son action et sa générosité sans arrière-pensée venait ainsi d'élargir le cercle des citoyens de son pays.

Khalil Ali Kéita
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Politique

Toutes les vidéos Politique à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ