Un mois après la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI) version Beugré Mambé et l’éclatement du scandale des 429.000 pétitionnaires, M. Paul Koffi Koffi, directeur de cabinet adjoint du Premier ministre, Guillaume Soro, chargé des programmes de sortie de crise, jette un regard sur le processus électoral. En sa qualité de membre important du comité chargé de veiller sur le bon déroulement des futures élections présidentielles, il livre son opinion sur des sujets brûlants de l’actualité : la question des CEI locales, le contentieux électoral, la liste électorale provisoire…
Notre Voie : Le nouveau président de la Commission électorale indépendante (CEI), l’ex-ministre Youssouf Bakayoko, a été installé le jeudi 25 février 2010. Comment avez-vous vécu la période de rudes chassés-croisés entre le RHDP et le camp présidentiel qui a précédé la formation de la nouvelle CEI et le remplacement de Beugré Mambé ?
Paul Koffi Koffi : De mémoire d’agent de l’Etat, j’ai vécu très peu de journées aussi denses comme celle du 25 février 2010 pour la désignation et l’élection du président de la CEI. La première étape a consisté à saisir la veille par écrit les institutions et les formations politiques membres statutaires de la CEI conformément aux accords de Pretoria, afin qu’elles désignent leurs représentants. Les réponses sont arrivées pour la majorité dès 10h, le 25 février, et l’installation était prévue pour 14h. On continuait de recevoir certaines propositions de représentants à 14h et d’autres même après. La deuxième étape a été leur prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, au Palais présidentiel, dès 18h30. puis la troisième étape, l’élection du bureau dès 20h30 à la CEI qu’on a dû ouvrir pour la circonstance depuis sa dissolution le 12 février 2010. C’est vers 1 heure du matin que le vote des membres du bureau s’est achevé à la CEI. Par ailleurs, les textes (décision de rétablissement de la CEI et décret de nomination des membres avec voie délibérative et non délibérative) ont dû être préparés, puis signés par le chef de l’Etat, en procédure d’urgence, avant la prestation de serment. Une urne a dû être prêtée par l’ONUCI et des bulletins de vote préparés la veille.
N.V. : Le départ de M. Mambé de la tête de la Commission électorale indépendante après le scandale des 429.000 pétitionnaires était-ce, avec du recul, un soulagement pour vous, en tant que chargé des programmes de sortie de crise ou un motif de regret ?
P. K.K. : Après 25 ans de carrière dans l’administration publique nationale et internationale, nous avons appris à ne pas avoir d’état d’âme sur les changements de personnes. Nous ne choisissons pas nos partenaires et nous ne les jugeons pas. Naturellement, nous sommes des humains, nous éprouvons un pincement au cœur quand une personne avec laquelle nous avons travaillé si longtemps, hier et aujourd’hui, part ou quitte ses fonctions. En Afrique, quand les gens perdent leur poste ou sont remplacés, c’est la catastrophe de façon générale mais chacun à son étoile et tout est une question de volonté de Dieu. Le cas de Mambé est particulier, car cela est pris comme une sanction, dans un contexte de soupçon de fraude sur le fichier électoral. Mais nous savons que, techniquement, le système de traitement des données mis en place dans le cadre de l’identification et du recensement électoral n’a pas été violé, bien que des croisements internes à la CEI aient été opérés. Car ces informations ne sont pas remontées au fichier central, donc à la liste électorale. L’ONUCI vient de certifier d’ailleurs le travail de production de la liste électorale provisoire.
N.V. : Au cours de leur audition à la police, les informaticiens spécialement engagés par l’ex-président de la CEI ont avoué, a-t-on appris, avoir, par un simple “clic” sur certains ordinateurs centraux des Commissions électorales locales, introduit sur la liste électorale, des noms de pétitionnaires figurant parmi les 429.000 cas. Quel commentaire vous inspire cet aveu ?
P.K.K. : La dimension judiciaire du dossier, je ne la connais pas. Alors je ne peux donc pas me prononcer sur cette question. Nous n’avons pas eu accès aux minutes des interrogatoires. Néanmoins, en tant que technicien, je peux affirmer que le fichier central, qui est sous le contrôle des opérateurs techniques n’a pas été violé. Nous ne savons donc pas par quels moyens le résultat de ces manipulations aurait pu être introduit dans le système.
N.V. : Selon des sources concordantes, les relations entre l’ex-président de la CEI et la Primature étaient exécrables concernant la gestion du processus électoral. Qu’en est-il exactement ? Qu’est-ce qui opposait la Primature à Mambé ?
P.K.K. : C’est inexact de dire cela. Chaque semaine, nous avions deux séances de travail dont une à la Primature avec la CEI, la CNSI, l’ONI, l’INS, la Sagem, le ministère de l’Economie et des Finances, et le CCI à travers le secrétariat technique du groupe de travail sur l’identification que nous présidons, et une autre tous les jeudis après-midi à la CEI présidée par le président de la CEI, cette fois, pour les prises de décisions avec les responsables des mêmes structures et en présence de l’ONUCI, de la facilitation, du PNUD et de l’UE. Les textes relatifs au processus électoral sont présentés et défendus par le Premier ministre au conseil de gouvernement. Et chaque fois que nécessaire, le Premier ministre lui-même préside des réunions de haut niveau avec le président de la CEI, les responsables des structures, le représentant spécial du SG des Nations unies, et le représentant spécial du Facilitateur. Si nécessaire, des ministres y sont invités. Lorsque le président de la CEI recevait les partis politiques, s’il jugeait nécessaire, il nous invitait. Enfin, le Premier ministre associait le Président de la CEI à ses rencontres de consultations sur le processus électoral avec le corps diplomatique, le secteur privé, la société civile, les partis politiques, les leaders religieux et traditionnels, etc. Les deux se rendaient régulièrement chez le chef de l’Etat si nécessaire.
N.V. : En tant que structure chargée de coordonner tout le processus de sortie de crise, la Primature aurait dû surveiller les initiatives de la CEI. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
P.K.K. : Le croisement interne à la CEI des 429 000 pétitionnaires non validé par l’ensemble des structures a créé un climat malheureux de suspicion auprès de certaines parties prenantes. C’est tout le problème. Il faut bien comprendre que l’outil informatique est aujourd’hui un instrument de travail. Chaque structure est libre de faire le travail interne avec ou pas l’outil informatique sans préjudice du travail d’équipe encadré par des modes opératoires. Pour rassurer les uns et les autres, le Premier ministre a pris la décision du retrait de ces informations du terrain et de la mise en place de comités de suivi. Nous avons aussi fait le constat technique que le fichier central verrouillé et sécurisé n’a pas été violé. Mais vous faites l’actualité tous les jours par vos écrits. En tant que journaliste, observateur des événements quotidiens dans la cité, vous avez vu que ça n’a pas suffi pour rassurer tout le monde. Alors tout est parti dans tous les sens. Des prises de position par-ci, des commentaires par-là, avec implication du procureur. Une situation sur laquelle je n’ai pas à me prononcer, ni de commentaire à faire.
N.V. : Comment la Primature a-t-elle été informée de l’affaire des 429.000 pétitionnaires ?
P.K.K. : En ce qui me concerne, je l’ai été le 7 janvier 2010 lors de la réunion présidée par le Premier ministre à la Primature.
N.V. : Est-ce à dire que le Premier ministre en était déjà informé ?
P.K.K. : Je l’ignore. Cependant, cette réunion du 7 janvier 2010 avait pour objetif de faire le point du processus électoral, notamment le contentieux qui avait cours. C’est à cette occasion que nous avons pris connaissance de cette affaire.
N.V. : Sous quel angle allez-vous inscrire les rapports de travail entre la nouvelle CEI et la Primature ?
P.K.K. : Comme par le passé, avec la même volonté, la même motivation et le souci d’établir rapidement la liste électorale définitive, d’aller aux élections conformément au souhait des Ivoiriens et dans le respect des textes et modes opératoires en vigueur. C’est très important; l’Etat de droit, c’est cela. Il faut édicter des règles, notamment celles de transparence. Si l’on change à chaque fois les règles du jeu et l’on remet en cause les acquis, c’est l’éternel recommencement.
N.V. : Des partis politiques, notamment ceux de La Majorité présidentielle (LMP), se disent favorables au renouvellement des commissions électorales locales (CEL). Ils sont d’ailleurs en campagne de sensibilisation auprès des populations pour expliquer le bien-fondé de leur exigence. En avez-vous été informé ? Qu’en pensez-vous ?
P.K.K. : Non, nous n’en sommes pas informés, sauf à travers la presse. Je ne juge pas la position des partis politiques, car c’est l’expression politique et la liberté démocratique qui se manifestent ainsi. Le Premier ministre attend d’être saisi officiellement par des requêtes. Dans tous les cas, c’est de la responsabilité du président de la CEI.
N.V. : Les statistiques montrent que les commissions électorales locales (CEL) sont contrôlées à plus de 80% par le RHDP, principalement le RDR. Pour une commission électorale qui se veut indépendante, n’est-ce pas risqué que les CEL, qui sont des structures de base importantes pour la crédibilité du scrutin, soient aux mains d’une partie des candidats à l’élection présidentielle ?
P.K.K. : Comment les CEI locales ont-elles été installées et pourquoi certains partis politiques les président ? Y-a-t-il eu des nominations ou des élections ? Des règles de désignation avaient-t-elles été établies au préalable et connues de tous avant leur installation? Quelles sont les incidences d’un changement aujourd’hui sur les délais et que gagne-t-on ? Dans tous les cas, cette question des CEI locales relève de la CEI qui, me semble-t-il, est indépendante. Comparaison n’est pas raison, mais qu’arrive-t-il à l’Assemblée nationale si un parti politique a 80% des élus, notamment relativement aux lois votées par cette assemblée ? Je veux comprendre votre préoccupation.
N.V. : La Côte d’Ivoire prépare une élection présidentielle de sortie de crise. Doit-on laisser la situation des CEL en l’état au risque d’aller au devant d’une autre crise ?
P.K.K : Je comprends mieux votre préoccupation. Elle pose le problème du contrôle quasi absolu par une des parties des instances locales de la CEI. S’il devrait y avoir un changement, il faudra changer le mode de désignation des responsables des CEI locales. Cela nécessite d’autres débats entre les acteurs politiques, car tout le dispositif actuel est assis sur les accords de Pretoria (Afrique du Sud). Par conséquent, le président de la CEI, tout seul, ne peut pas changer les règles du jeu.
N.V. : On parle également de plus en plus d’un audit de la liste blanche, la liste électorale provisoire, comprenant les 5.300.586 pétitionnaires retenus lors du croisement. Des voix s’élèvent au niveau des partis membres du RHDP pour récuser cette initiative. Il s’agit d’une nouvelle crise qui pointe à l’horizon...
P.K.K. : Encore une fois, c’est une crise qui s’enfle à travers la presse. Il serait inutile d’arriver à une crise, il faut bien comprendre les choses avant de les contester car la procédure de croisement a été transparente. Il faut que le travail technique soit séparé des débats politiques. Nous ne sommes pas des hommes politiques. Nous avons régulièrement informé tous les acteurs du processus avec les données même à la semaine près, quelquefois au jour le jour. Les 5,3 millions ont été obtenus au troisième croisement. Les critères et paramètres ont été choisis et validés par l’ensemble des structures techniques ivoiriennes (CEI, CNSI, ONI, INS) et SAGEM sous la conduite du maître d’ouvrage, la Primature. Les autorités les ont validées sous l’œil du représentant du facilitateur. Vous êtes en train d’insinuer que toutes ces structures n’ont pas fait correctement leur travail. Je suis surpris. Nous tenons un point d’honneur à la qualité du travail (je parle des structures). L’APO affirme que tous ceux qui figurent sur la liste électorale de 2000 et authentifiée par les partis politiques, certifiée par l’ONUCI, sont exempts de radiation pour raison de nationalité, naturellement leurs descendants avec, selon la loi Ivoirienne. Ensuite, les fichiers historiques, au nombre de 11, ont fait l’objet d’un examen fin pour voir leur qualité, puis les choix ont été opérés par le Groupe de travail présidé par le Premier ministre et comme membres, le président de la CEI et des ministres issus de tous les bords politiques. Ces fichiers sont l’histoire et la mémoire statistique administrative de la Côte d’Ivoire. Il s’agit, par exemple, du fichier de la solde, de la CGRAE, des CNI vertes, de la CNPS, etc. Ces fichiers sont actuellement non contestés par l’administration Ivoirienne. C’est une crise dans la crise ivoirienne qui est donc en train d’être fabriquée car ce sont parmi les meilleurs statisticiens et informaticiens du pays avec leurs homologues de SAGEM sur la base de système d’exploitation biométrique performant qui ont fait ce travail Qui demande l’audit ? Qui est l’auditeur (je pense hors des opérateurs qui ont fait le travail, car on ne peut pas s’auto auditer) ? A quelles fins, avec quel système d’exploitation et qu’est ce qui est audité ? Quel que soit le cas de figure, les techniciens sont prêts à se défendre, et à défendre leur travail. Si on veut contrôler notre travail “why not ?”. Vous avez déjà suivi l’INS et SAGEM qui ont justifié la rigueur et la qualité du travail de leurs techniciens. Je vous informe que les Nations Unies viennent de certifier la liste électorale provisoire des 5,3 millions pétitionnaires.
N.V. : Quel bilan pouvez-vous faire du contentieux électoral concernant les 1.033.985 pétitionnaires qui a pris fin le 8 janvier 2010?
P.K.K. : S’agissant des pétitionnaires figurant sur la liste grise (liste du contentieux), le croisement populaire a été privilégié car ils n’ont été trouvés sur aucun fichier. Les intéressés sont venus faire des réclamations en inscription en donnant toutes les preuves nécessaires pour pouvoir clarifier leur statut. C’est à partir de ce moment-là, avec les pièces justificatives, qu’ils sont basculés sur la liste provisoire, quand les preuves sont convaincantes. La CEI parle de près de 550 000 pétitionnaires qui se sont présentés. Les comités de suivi ont examiné un lot important de ces réclamations avant la dissolution de la CEI. Ils étaient à 278 000 dossiers examinés et validés au 13 février 2010.
N.V. : Lors d’un entretien accordé à la radio RFI, le représentant spécial du SG de l’ONU en Côte d’Ivoire, M. Young J. Choi, a affirmé que “le traitement du contentieux a déjà permis de récupérer 600.000 pétitionnaires qui sont en train d’être traités par les comités de suivi”. Quelle réaction vous inspire cette déclaration importante ?
P.K.K. : Il s’agit bien des pétitionnaires provenant des 1,033 million qui se sont présentés pour des réclamations en inscription à savoir les 550 000 arrondis à près de 600 000. Nous parlons donc de la même chose.
N.V. : Vous avez rencontré, la semaine dernière, les différents partis politiques significatifs du pays pour aborder, avec eux, la question du nouveau mode opératoire concernant le contentieux électoral. Que peut-on retenir de ces échanges ?
P.K.K. : Il s’agit de rencontres informelles. J’ai été envoyé par le Premier ministre pour les écouter et recueillir leurs préoccupations. Je les lui ai transmises. La seule chose à dire c’est que bientôt le Premier ministre, lui-même, va les rencontrer pour échanger avec eux et apporter des réponses à leurs préoccupations dans le cadre du dialogue permanent qu’il a instauré toujours à la recherche du consensus. Des textes réglementaires pour encadrer la reprise du contentieux seront soumis à l’appréciation des partis politiques en vue d’éviter les dérapages que nous avons connus lors des premiers moments du contentieux. Souffrez que je n’en dise pas plus. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau mode opératoire, mais d’un encadrement réglementaire du travail.
N.V. : Est-ce vrai que 9 millions de cartes d’identité ont déjà été préfabriquées par Sagem Sécurité ? Si, oui à quoi répond cette initiative, alors que la liste électorale définitive n’est pas encore connue ?
P.K.K. : Je reprends en confirmant ce que SAGEM a dit à une sortie d’audience avec le Premier ministre. La fabrication des cartes obéit à deux étapes, d’abord, la fabrication du document lui-même, c'est-à-dire la carte vierge avec les différents motifs et hologrammes, et puis, lorsque la liste électorale sera connue, on procède à leur personnalisation, c'est-à-dire avec les mentions nom, prénoms, données biométriques, incorporation de la puce, etc. Mais cette personnalisation ira très vite, car elle se fait au fil de l’eau. Depuis que cela a été dit, la presse en fait son chou gras comme une sorte d’exclusivité. 9 millions parce que le contrat portait sur près de 9 millions de cartes, car il y avait une population cible à enrôler de 8,6 millions avec des rebus à prévoir toujours, si l’on est un bon prévoyant.
Interview réalisée par DidierDepry
didierdepri@yahoo.fr
Notre Voie : Le nouveau président de la Commission électorale indépendante (CEI), l’ex-ministre Youssouf Bakayoko, a été installé le jeudi 25 février 2010. Comment avez-vous vécu la période de rudes chassés-croisés entre le RHDP et le camp présidentiel qui a précédé la formation de la nouvelle CEI et le remplacement de Beugré Mambé ?
Paul Koffi Koffi : De mémoire d’agent de l’Etat, j’ai vécu très peu de journées aussi denses comme celle du 25 février 2010 pour la désignation et l’élection du président de la CEI. La première étape a consisté à saisir la veille par écrit les institutions et les formations politiques membres statutaires de la CEI conformément aux accords de Pretoria, afin qu’elles désignent leurs représentants. Les réponses sont arrivées pour la majorité dès 10h, le 25 février, et l’installation était prévue pour 14h. On continuait de recevoir certaines propositions de représentants à 14h et d’autres même après. La deuxième étape a été leur prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, au Palais présidentiel, dès 18h30. puis la troisième étape, l’élection du bureau dès 20h30 à la CEI qu’on a dû ouvrir pour la circonstance depuis sa dissolution le 12 février 2010. C’est vers 1 heure du matin que le vote des membres du bureau s’est achevé à la CEI. Par ailleurs, les textes (décision de rétablissement de la CEI et décret de nomination des membres avec voie délibérative et non délibérative) ont dû être préparés, puis signés par le chef de l’Etat, en procédure d’urgence, avant la prestation de serment. Une urne a dû être prêtée par l’ONUCI et des bulletins de vote préparés la veille.
N.V. : Le départ de M. Mambé de la tête de la Commission électorale indépendante après le scandale des 429.000 pétitionnaires était-ce, avec du recul, un soulagement pour vous, en tant que chargé des programmes de sortie de crise ou un motif de regret ?
P. K.K. : Après 25 ans de carrière dans l’administration publique nationale et internationale, nous avons appris à ne pas avoir d’état d’âme sur les changements de personnes. Nous ne choisissons pas nos partenaires et nous ne les jugeons pas. Naturellement, nous sommes des humains, nous éprouvons un pincement au cœur quand une personne avec laquelle nous avons travaillé si longtemps, hier et aujourd’hui, part ou quitte ses fonctions. En Afrique, quand les gens perdent leur poste ou sont remplacés, c’est la catastrophe de façon générale mais chacun à son étoile et tout est une question de volonté de Dieu. Le cas de Mambé est particulier, car cela est pris comme une sanction, dans un contexte de soupçon de fraude sur le fichier électoral. Mais nous savons que, techniquement, le système de traitement des données mis en place dans le cadre de l’identification et du recensement électoral n’a pas été violé, bien que des croisements internes à la CEI aient été opérés. Car ces informations ne sont pas remontées au fichier central, donc à la liste électorale. L’ONUCI vient de certifier d’ailleurs le travail de production de la liste électorale provisoire.
N.V. : Au cours de leur audition à la police, les informaticiens spécialement engagés par l’ex-président de la CEI ont avoué, a-t-on appris, avoir, par un simple “clic” sur certains ordinateurs centraux des Commissions électorales locales, introduit sur la liste électorale, des noms de pétitionnaires figurant parmi les 429.000 cas. Quel commentaire vous inspire cet aveu ?
P.K.K. : La dimension judiciaire du dossier, je ne la connais pas. Alors je ne peux donc pas me prononcer sur cette question. Nous n’avons pas eu accès aux minutes des interrogatoires. Néanmoins, en tant que technicien, je peux affirmer que le fichier central, qui est sous le contrôle des opérateurs techniques n’a pas été violé. Nous ne savons donc pas par quels moyens le résultat de ces manipulations aurait pu être introduit dans le système.
N.V. : Selon des sources concordantes, les relations entre l’ex-président de la CEI et la Primature étaient exécrables concernant la gestion du processus électoral. Qu’en est-il exactement ? Qu’est-ce qui opposait la Primature à Mambé ?
P.K.K. : C’est inexact de dire cela. Chaque semaine, nous avions deux séances de travail dont une à la Primature avec la CEI, la CNSI, l’ONI, l’INS, la Sagem, le ministère de l’Economie et des Finances, et le CCI à travers le secrétariat technique du groupe de travail sur l’identification que nous présidons, et une autre tous les jeudis après-midi à la CEI présidée par le président de la CEI, cette fois, pour les prises de décisions avec les responsables des mêmes structures et en présence de l’ONUCI, de la facilitation, du PNUD et de l’UE. Les textes relatifs au processus électoral sont présentés et défendus par le Premier ministre au conseil de gouvernement. Et chaque fois que nécessaire, le Premier ministre lui-même préside des réunions de haut niveau avec le président de la CEI, les responsables des structures, le représentant spécial du SG des Nations unies, et le représentant spécial du Facilitateur. Si nécessaire, des ministres y sont invités. Lorsque le président de la CEI recevait les partis politiques, s’il jugeait nécessaire, il nous invitait. Enfin, le Premier ministre associait le Président de la CEI à ses rencontres de consultations sur le processus électoral avec le corps diplomatique, le secteur privé, la société civile, les partis politiques, les leaders religieux et traditionnels, etc. Les deux se rendaient régulièrement chez le chef de l’Etat si nécessaire.
N.V. : En tant que structure chargée de coordonner tout le processus de sortie de crise, la Primature aurait dû surveiller les initiatives de la CEI. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
P.K.K. : Le croisement interne à la CEI des 429 000 pétitionnaires non validé par l’ensemble des structures a créé un climat malheureux de suspicion auprès de certaines parties prenantes. C’est tout le problème. Il faut bien comprendre que l’outil informatique est aujourd’hui un instrument de travail. Chaque structure est libre de faire le travail interne avec ou pas l’outil informatique sans préjudice du travail d’équipe encadré par des modes opératoires. Pour rassurer les uns et les autres, le Premier ministre a pris la décision du retrait de ces informations du terrain et de la mise en place de comités de suivi. Nous avons aussi fait le constat technique que le fichier central verrouillé et sécurisé n’a pas été violé. Mais vous faites l’actualité tous les jours par vos écrits. En tant que journaliste, observateur des événements quotidiens dans la cité, vous avez vu que ça n’a pas suffi pour rassurer tout le monde. Alors tout est parti dans tous les sens. Des prises de position par-ci, des commentaires par-là, avec implication du procureur. Une situation sur laquelle je n’ai pas à me prononcer, ni de commentaire à faire.
N.V. : Comment la Primature a-t-elle été informée de l’affaire des 429.000 pétitionnaires ?
P.K.K. : En ce qui me concerne, je l’ai été le 7 janvier 2010 lors de la réunion présidée par le Premier ministre à la Primature.
N.V. : Est-ce à dire que le Premier ministre en était déjà informé ?
P.K.K. : Je l’ignore. Cependant, cette réunion du 7 janvier 2010 avait pour objetif de faire le point du processus électoral, notamment le contentieux qui avait cours. C’est à cette occasion que nous avons pris connaissance de cette affaire.
N.V. : Sous quel angle allez-vous inscrire les rapports de travail entre la nouvelle CEI et la Primature ?
P.K.K. : Comme par le passé, avec la même volonté, la même motivation et le souci d’établir rapidement la liste électorale définitive, d’aller aux élections conformément au souhait des Ivoiriens et dans le respect des textes et modes opératoires en vigueur. C’est très important; l’Etat de droit, c’est cela. Il faut édicter des règles, notamment celles de transparence. Si l’on change à chaque fois les règles du jeu et l’on remet en cause les acquis, c’est l’éternel recommencement.
N.V. : Des partis politiques, notamment ceux de La Majorité présidentielle (LMP), se disent favorables au renouvellement des commissions électorales locales (CEL). Ils sont d’ailleurs en campagne de sensibilisation auprès des populations pour expliquer le bien-fondé de leur exigence. En avez-vous été informé ? Qu’en pensez-vous ?
P.K.K. : Non, nous n’en sommes pas informés, sauf à travers la presse. Je ne juge pas la position des partis politiques, car c’est l’expression politique et la liberté démocratique qui se manifestent ainsi. Le Premier ministre attend d’être saisi officiellement par des requêtes. Dans tous les cas, c’est de la responsabilité du président de la CEI.
N.V. : Les statistiques montrent que les commissions électorales locales (CEL) sont contrôlées à plus de 80% par le RHDP, principalement le RDR. Pour une commission électorale qui se veut indépendante, n’est-ce pas risqué que les CEL, qui sont des structures de base importantes pour la crédibilité du scrutin, soient aux mains d’une partie des candidats à l’élection présidentielle ?
P.K.K. : Comment les CEI locales ont-elles été installées et pourquoi certains partis politiques les président ? Y-a-t-il eu des nominations ou des élections ? Des règles de désignation avaient-t-elles été établies au préalable et connues de tous avant leur installation? Quelles sont les incidences d’un changement aujourd’hui sur les délais et que gagne-t-on ? Dans tous les cas, cette question des CEI locales relève de la CEI qui, me semble-t-il, est indépendante. Comparaison n’est pas raison, mais qu’arrive-t-il à l’Assemblée nationale si un parti politique a 80% des élus, notamment relativement aux lois votées par cette assemblée ? Je veux comprendre votre préoccupation.
N.V. : La Côte d’Ivoire prépare une élection présidentielle de sortie de crise. Doit-on laisser la situation des CEL en l’état au risque d’aller au devant d’une autre crise ?
P.K.K : Je comprends mieux votre préoccupation. Elle pose le problème du contrôle quasi absolu par une des parties des instances locales de la CEI. S’il devrait y avoir un changement, il faudra changer le mode de désignation des responsables des CEI locales. Cela nécessite d’autres débats entre les acteurs politiques, car tout le dispositif actuel est assis sur les accords de Pretoria (Afrique du Sud). Par conséquent, le président de la CEI, tout seul, ne peut pas changer les règles du jeu.
N.V. : On parle également de plus en plus d’un audit de la liste blanche, la liste électorale provisoire, comprenant les 5.300.586 pétitionnaires retenus lors du croisement. Des voix s’élèvent au niveau des partis membres du RHDP pour récuser cette initiative. Il s’agit d’une nouvelle crise qui pointe à l’horizon...
P.K.K. : Encore une fois, c’est une crise qui s’enfle à travers la presse. Il serait inutile d’arriver à une crise, il faut bien comprendre les choses avant de les contester car la procédure de croisement a été transparente. Il faut que le travail technique soit séparé des débats politiques. Nous ne sommes pas des hommes politiques. Nous avons régulièrement informé tous les acteurs du processus avec les données même à la semaine près, quelquefois au jour le jour. Les 5,3 millions ont été obtenus au troisième croisement. Les critères et paramètres ont été choisis et validés par l’ensemble des structures techniques ivoiriennes (CEI, CNSI, ONI, INS) et SAGEM sous la conduite du maître d’ouvrage, la Primature. Les autorités les ont validées sous l’œil du représentant du facilitateur. Vous êtes en train d’insinuer que toutes ces structures n’ont pas fait correctement leur travail. Je suis surpris. Nous tenons un point d’honneur à la qualité du travail (je parle des structures). L’APO affirme que tous ceux qui figurent sur la liste électorale de 2000 et authentifiée par les partis politiques, certifiée par l’ONUCI, sont exempts de radiation pour raison de nationalité, naturellement leurs descendants avec, selon la loi Ivoirienne. Ensuite, les fichiers historiques, au nombre de 11, ont fait l’objet d’un examen fin pour voir leur qualité, puis les choix ont été opérés par le Groupe de travail présidé par le Premier ministre et comme membres, le président de la CEI et des ministres issus de tous les bords politiques. Ces fichiers sont l’histoire et la mémoire statistique administrative de la Côte d’Ivoire. Il s’agit, par exemple, du fichier de la solde, de la CGRAE, des CNI vertes, de la CNPS, etc. Ces fichiers sont actuellement non contestés par l’administration Ivoirienne. C’est une crise dans la crise ivoirienne qui est donc en train d’être fabriquée car ce sont parmi les meilleurs statisticiens et informaticiens du pays avec leurs homologues de SAGEM sur la base de système d’exploitation biométrique performant qui ont fait ce travail Qui demande l’audit ? Qui est l’auditeur (je pense hors des opérateurs qui ont fait le travail, car on ne peut pas s’auto auditer) ? A quelles fins, avec quel système d’exploitation et qu’est ce qui est audité ? Quel que soit le cas de figure, les techniciens sont prêts à se défendre, et à défendre leur travail. Si on veut contrôler notre travail “why not ?”. Vous avez déjà suivi l’INS et SAGEM qui ont justifié la rigueur et la qualité du travail de leurs techniciens. Je vous informe que les Nations Unies viennent de certifier la liste électorale provisoire des 5,3 millions pétitionnaires.
N.V. : Quel bilan pouvez-vous faire du contentieux électoral concernant les 1.033.985 pétitionnaires qui a pris fin le 8 janvier 2010?
P.K.K. : S’agissant des pétitionnaires figurant sur la liste grise (liste du contentieux), le croisement populaire a été privilégié car ils n’ont été trouvés sur aucun fichier. Les intéressés sont venus faire des réclamations en inscription en donnant toutes les preuves nécessaires pour pouvoir clarifier leur statut. C’est à partir de ce moment-là, avec les pièces justificatives, qu’ils sont basculés sur la liste provisoire, quand les preuves sont convaincantes. La CEI parle de près de 550 000 pétitionnaires qui se sont présentés. Les comités de suivi ont examiné un lot important de ces réclamations avant la dissolution de la CEI. Ils étaient à 278 000 dossiers examinés et validés au 13 février 2010.
N.V. : Lors d’un entretien accordé à la radio RFI, le représentant spécial du SG de l’ONU en Côte d’Ivoire, M. Young J. Choi, a affirmé que “le traitement du contentieux a déjà permis de récupérer 600.000 pétitionnaires qui sont en train d’être traités par les comités de suivi”. Quelle réaction vous inspire cette déclaration importante ?
P.K.K. : Il s’agit bien des pétitionnaires provenant des 1,033 million qui se sont présentés pour des réclamations en inscription à savoir les 550 000 arrondis à près de 600 000. Nous parlons donc de la même chose.
N.V. : Vous avez rencontré, la semaine dernière, les différents partis politiques significatifs du pays pour aborder, avec eux, la question du nouveau mode opératoire concernant le contentieux électoral. Que peut-on retenir de ces échanges ?
P.K.K. : Il s’agit de rencontres informelles. J’ai été envoyé par le Premier ministre pour les écouter et recueillir leurs préoccupations. Je les lui ai transmises. La seule chose à dire c’est que bientôt le Premier ministre, lui-même, va les rencontrer pour échanger avec eux et apporter des réponses à leurs préoccupations dans le cadre du dialogue permanent qu’il a instauré toujours à la recherche du consensus. Des textes réglementaires pour encadrer la reprise du contentieux seront soumis à l’appréciation des partis politiques en vue d’éviter les dérapages que nous avons connus lors des premiers moments du contentieux. Souffrez que je n’en dise pas plus. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau mode opératoire, mais d’un encadrement réglementaire du travail.
N.V. : Est-ce vrai que 9 millions de cartes d’identité ont déjà été préfabriquées par Sagem Sécurité ? Si, oui à quoi répond cette initiative, alors que la liste électorale définitive n’est pas encore connue ?
P.K.K. : Je reprends en confirmant ce que SAGEM a dit à une sortie d’audience avec le Premier ministre. La fabrication des cartes obéit à deux étapes, d’abord, la fabrication du document lui-même, c'est-à-dire la carte vierge avec les différents motifs et hologrammes, et puis, lorsque la liste électorale sera connue, on procède à leur personnalisation, c'est-à-dire avec les mentions nom, prénoms, données biométriques, incorporation de la puce, etc. Mais cette personnalisation ira très vite, car elle se fait au fil de l’eau. Depuis que cela a été dit, la presse en fait son chou gras comme une sorte d’exclusivité. 9 millions parce que le contrat portait sur près de 9 millions de cartes, car il y avait une population cible à enrôler de 8,6 millions avec des rebus à prévoir toujours, si l’on est un bon prévoyant.
Interview réalisée par DidierDepry
didierdepri@yahoo.fr