Paradoxalement, il est à constater que les conflits pré ou post-électoraux, constituent la première des clefs d’explication des crises en Afrique (coups d’Etat et guerres civiles).On se rend compte que ces conflits résultent en grande partie des règles électorales moins consensuelles et parfois mal comprises par les acteurs. C’est dire que l’élection démocratique n’est dérivative des crises que si elle est sincère et loyale.
Elle n’est sincère et loyale, que si elle s’analyse en un canal par lequel, l’ensemble du corps électoral désigne librement ses gouvernants. Cette régularité implique l’établissement régulier de la liste électorale et une liberté absolue de l’électeur et des candidats. Ainsi, ne sera légitime que celui qui aura mérité le soutien régulièrement acquis de la majorité des citoyens. Réductrice et exutoire des incertitudes et scepticisme des citoyens, l’élection démocratique se veut une compétition politique aléatoire et dont l’issue est incertaine.
Lorsque le scrutin est sincère et loyal, le bulletin de vote devient le moyen par lequel l’électeur exerce son pouvoir électoral, sans être inquiété dans sa vie quotidienne. En fait, le bulletin de vote lui sert à discriminer. Soit à récompenser le candidat de son choix, soit à sanctionner, en éliminant celui qu’il préfère le moins.
En définitive, l’intérêt de cet exercice vise d’abord à identifier l’électeur en droit ivoirien ? Ensuite, comment assurer sa sécurité juridique et matérielle ?
La qualité d’électeur
En substance, la qualité d’électeur résulte en fait de trois facteurs, à savoir :
a) La fiabilité de l’état civil
Le corps électoral ou ensemble des personnes juridiquement aptes à participer à une élection, se construit autour de la conjugaison des droits de jouissance (nationalité, âge, capacité électorale) et d’exercice du droit de vote (inscription sur la liste électorale).
Elément substantiel des conditions de jouissance, la nationalité constitue, aux termes de l’article 3 du Code électoral, un référent déterminant dans la définition de la qualité d’électeur.
N’est donc électeur que l’Ivoirien d’origine, c’est-à-dire né au moins d’un parent ivoirien ou celui ayant acquis la nationalité Ivoirienne (mariage, adoption, naturalisation) depuis au moins cinq ans, âgé de 18 ans révolus, jouissant de ses droits civils et politiques et ne se trouvant dans un des cas d’incapacité (incapables se trouvant dans un des cas habituel d’imbécillité, démence, interdits par décision de justice, etc.).Ce qui exclut d’office du droit de vote les étrangers ainsi que les naturalisés depuis moins de cinq ans. De même, sont exclus du droit de vote, les Ivoiriens d’origine ou étrangers ayant acquis la nationalité ivoirienne, mais frappés d’incapacité électorale à la suite de la perte de leurs droits civils et politiques.
Aussi, est-il nécessaire de rendre plus fiable le registre de l’état civil à partir duquel le juge établit la preuve de la nationalité ivoirienne (art. 12, Code électoral). Cette fiabilité de l’état civil a une double finalité. D’une part, elle consiste à éviter la double identité des personnes, notamment les doublons (détention de plusieurs extraits de naissance et souvent établis en des lieux différents). D’autre part, elle permettrait d’identifier clairement l’électeur, de sorte que le droit de vote deviendrait, à l’exclusion des étrangers, le seul privilège des nationaux. Enfin, elle permet d’établir une liste électorale crédible totalement extirpée des faux électeurs.
b) L’établissement impartial de la liste électorale
Au plan pratique, la liste électorale est le document administratif sur lequel est inscrit l’ensemble des électeurs (art.6, al.1, CE). Elle détermine en dernière analyse le corps électoral (art.5, CE). Elle est aussi le support matériel du nombre total des inscrits, à partir duquel est délivrée la carte d’électeur (art.34, al.1, CE). Elle est enfin, le document à partir duquel seront déterminés préalablement le nombre des bureaux de vote, le nombre d’électeurs par bureau de vote, de sorte à publier tous les sites géographiques des bureaux de vote existants, afin d’éviter des bureaux de votes fictifs.
Aux termes de l’article 3 de la Décision n°2005/-11/PR du 29 août 2005 relative à la Cei, celle-ci est la seule institution responsable du processus électoral. L’Institut de la statistique lui rend compte. De ce point de vue, l’établissement de la liste électorale relève de sa compétence exclusive. De plus, le Décret n° 2008-135 du 14 avril 2008 fixe, sous la responsabilité de la Cei, les modalités de la collaboration entre la Sagem et l’Institut de la statistique.
Ce qui signifie que la liste électorale n’est définitive et publiée que si elle satisfait obligatoirement aux conditions préalables qui garantissent sa sincérité. Au nombre de ces conditions, on peut retenir le contentieux d’inscription sur la liste électorale en cas d’irrégularités constatées lors de l’enrôlement sur la liste électorale.
c) Le contentieux équitable d’inscription sur la liste électorale
Aux termes de l’article 12 de l’ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustement au code électoral pour les élections, il appartient à tout électeur de la circonscription électorale, à tout membre de la Commission électorale et à tout sachant de réclamer l’inscription ou la radiation d’un individu sur la listé électorale.
Au plan procédural, la requête de réclamation est adressée à la Cei. En raison de l’imprécision du texte, on peut se demande s’il s’agit de la Cei centrale, y compris la Cei locale. Après examen de ladite requête, la Cei décide soit de donner une suite défavorable à la requête (refus d’inscription ou de radiation), soit elle donne une suite favorable à la requête, en acceptant d’inscrire la personne contestée sur la liste électorale. Dans les deux cas, sauf le cas d’inscription ou de radiation arbitraire ou frauduleuse par la Cei, seul le refus devrait donner lieu à un contentieux judiciaire.
En pareil cas, la décision de la Cei, autorité administrative indépendante, est portée à l’appréciation de la justice. C’est dire que la saisine préalable de la Cei est obligatoire pour le requérant. Faute de quoi, sa requête serait irrecevable et donc rejetée, pour vice de forme.
Mais avant le prononcé de la décision de justice, la saisine de celle-ci ne suspend pas les effets de la décision de la Cei. La justice, notamment le tribunal a 8 jours pour statuer à compter de sa saisine. En principe, à l’expiration de ce délai et sans motif légitime, la décision du tribunal serait frappée de forclusion. Ce qui établirait automatiquement la victime dans ses droits. En la matière, le tribunal faisant pratiquement office de Cour suprême, statue en premier et dernier ressort .Ce qui signifie que sa décision est insusceptible de tout recours. De ce fait, la décision du tribunal ne doit être ni hâtive ni arbitraire. Sinon, cela pourrait engendrer des injustices pouvant provoquer de nouveaux troubles sociaux, du fait que le juge serait plus enclin à être soupçonné.
En définitive, après la phase du contentieux électoral (inscription des omis, rectification des erreurs matérielles, radiation des étrangers, des personnes décédées et incapables),est présumé électeur, celui qui, en dernière analyse, remplit les conditions posées par l’article 3 du code électoral. Mais il n’est électeur que s’il est inscrit sur la liste électorale (article 5 du code électoral). Et nul ne peut être inscrit dans plus d’une circonscription, ni sur plusieurs listes électorales de la même circonscription .
Il est aussi important d’indiquer que cette opération soulève de nombreuses passions, du fait que l’article 17 du code électoral subordonne l’éligibilité à une élection à la qualité d’électeur. Aussi, faut-il se demander, en raison de la complexité de la procédure, s’il est absolument nécessaire de recourir à l’audit pour valider la partie de la liste électorale déjà existante ? La réponse à cette interrogation mérite d’être nuancée.
D’une part, la partie de la liste électorale supposée certifiée et validée serait intouchable pour certains .Or, il y figure nécessairement des personnes décédées et, probablement, des personnes déchues de leurs droits civiques ou indûment inscrites sur la liste électorale. D’autre part, procéder à l’audit de l’ensemble de cette liste reviendrait, en fait, à reprendre l’ensemble du processus réputé lourd et complexe. Ce qui semble a priori matériellement impossible.
En fin de compte, l’électeur ne peut exercer son pouvoir électoral que s’il est entièrement libre.
La sécurité et l’exercice du pouvoir électoral.
La sécurité conditionne la liberté de l’électeur, afin qu’il exprime son pouvoir électoral. En effet, le vote est l’acte matériel par lequel, le citoyen actif par opposition au citoyen abstrait ou passif exprime positivement ou négativement son pouvoir électoral. C’est dire que la liberté de vote de l’électeur n’est garantie que si elle est assortie au moins des quatre principes, à savoir:
a) Le vote égal et l’interdiction du vote multiple
Principe d’égalité du suffrage en vertu de l’égalité de tous devant la loi, le vote égal se construit autour de la maxime : « un homme, une voix ». C’est dire que le poids de chaque citoyen est l’égal de celui des autres citoyens , quel que soit leur statut social. Ce qui revient à interdire : l’inscription multiple de l’électeur sur la liste électorale (art.10, CE) et le vote multiple (art.37al.1, CE), l’utilisation d’encre non indélébile (art.37 in fine, CE), l’impunité des personnes coupables de fraudes électorales. Ainsi, aux termes de l’article 41 du Code électoral : « Est puni de la peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, et d’une amende de 5.000.000 à 10.000.000 de francs CFA, quiconque, en utilisant des faux certificats ou en dissimulant une incapacité électorale : se fait inscrire sur une liste électorale, obtient une inscription sur plusieurs listes, fait inscrire ou rayer indûment un électeur d’une liste électorale ».
b) Le vote personnel et la limitation des fraudes
De façon générale, le vote n’est personnel que si l’électeur peut se rendre lui-même sur les lieux de vote pour déposer son bulletin de vote dans l’urne (art.36 al.2, CE). Il ne pourra donc exercer son pouvoir électoral, que si sa sécurité est assurée avant, pendant et après le scrutin. Dans ce cas, la carte d’électeur devient personnelle et non cessible (art.14 in fine, CE). Ce qui aura le mérite d’écarter tout recours au vote par procuration (art.34 al.2, CE) dont l’inconvénient majeur est de déposséder l’absent de son droit de vote, en raison des risques de détournement de son suffrage par le mandataire.
c) Le vote secret et la sécurité de l’électeur
En raison de son anonymat, le vote secret, garantit la liberté de conscience et de sécurité de l’électeur. Nul ne doit connaître son choix, afin d’éviter toute forme de prosélytisme. En effet, il soustrait l’électeur aux menaces, violences, achats de conscience et autres influences (obligation de jurer sur le fétiche, immixtion des chefs religieux ou traditionnels dans le choix de l’électeur, etc.). De ce fait, le vote public ou sans isoloir est proscrit (art.36, al.1, CE). Et, aux termes de l’article 213 du Code pénal : « Quiconque achète ou vend un suffrage est puni de la détention de trois mois à un an et d’une amende double de la valeur des choses reçues ou promises ». En fait, au-delà de la sanction pénale, la liberté de l’électeur nécessite d’abord une sanction morale des citoyens.
En somme, la liberté de l’électeur suppose la sécurisation du bureau de vote. Ainsi, aux termes de l’article 211 du Code pénal, celui qui se serait rendu coupable d’outrage ou de violence soit envers le bureau, soit envers un des membres, ou aurait menacé, retardé, empêché par voie de fait ou menace les opérations électorales, sera puni d’une détention d’un an et d’une amende de 30.000 à 300.000F. Quiconque, selon l’article 212 du Code pénal, aurait enlevé une urne contenant les suffrages émis et non encore dépouillés sera puni d’une détention d’un à cinq ans et d’une amende de 200.000 à 2.000.000 F. Mais sans le désarmement, comment pourrait-on assurer la sécurité matérielle de l’électeur ?
d) L’effet catalyseur de la culture démocratique
Sans la culture démocratique, tous les efforts pour assurer la sécurité de l’électeur s’épuiseraient dans le néant. En effet, en corrélation avec la culture démocratique, l’élection ou mythe de la démocratie, ne peut être élevée au rang de stade suprême de la démocratie, que si les mécanismes de sa régulation évitent de transformer le droit de suffrage en un sacre burlesque ou carnavalesque, destiné à imposer indubitablement à l’autre, la défaite totale du désespoir. Reste à laisser au corps électoral, la liberté d’élire celui ou celle qui correspond le mieux à la défense de ses intérêts.
CONCLUSION :
De l’ensemble de cette grille d’analyse, on peut tirer deux enseignements majeurs.
D’une part, suffisamment imprégnés de réalisme politique, nous n’avons pas, dans la recherche d’une plus grande équité, le droit de nous fourvoyer dans le dogmatisme stérile. Ce serait une manière maladroite d’effrayer l’électeur par la multiplication des obstacles dont certains ne se justifient nullement. De ce point de vue, le concept d’audit ou recette miracle, est à revisiter, à l’effet de rassurer l’électeur, dans la détection du faux électeur. Ne nous satisfaisons pas de l’argument facile du « coupable désigné d’avance ». Il reviendra donc à ceux qui doutent, d’apporter à la Cei autrement composée , la preuve matérielle irréfutable de toutes les inscriptions irrégulières, afin de soustraire définitivement de la liste électorale, ceux qui s’y trouvent indûment.
D’autre part, le réalisme politique nous interdit de fragiliser le Premier ministre et son gouvernement. A la limite, les invectives et les diktats inopportuns ne peuvent prospérer dans le contexte actuel. Cependant, il est aussi désespérant que certains s’arc-boutent obstinément et de mauvais aloi contre des arguments juridiques totalement inopérants, pour repousser le désarmement aux calendes grecques. Or, celui-ci reste l’une, sinon la condition sine qua non, pour des élections démocratiques. Vouloir se prévaloir de ces subterfuges juridiques sans lendemain, relève de la ruse, synonyme de mauvaise foi. Ce serait une façon de détourner l’Accord politique de Ouagadougou à d’autres fins. Le désarmement ou facteur déterminant pour l’unification du pays, est enfin, la condition pour le relèvement de la Côte d’Ivoire. Ne pas comprendre cette évidence, serait une manière malveillante et même déshonorante, d’infliger indéfiniment le désespoir à la nation ivoirienne.
Par Ouraga Obou (*)
(*) Professeur de Droit constitutionnel et de Science politique.
Auteur de cet article: Pr Ouraga Obou
Elle n’est sincère et loyale, que si elle s’analyse en un canal par lequel, l’ensemble du corps électoral désigne librement ses gouvernants. Cette régularité implique l’établissement régulier de la liste électorale et une liberté absolue de l’électeur et des candidats. Ainsi, ne sera légitime que celui qui aura mérité le soutien régulièrement acquis de la majorité des citoyens. Réductrice et exutoire des incertitudes et scepticisme des citoyens, l’élection démocratique se veut une compétition politique aléatoire et dont l’issue est incertaine.
Lorsque le scrutin est sincère et loyal, le bulletin de vote devient le moyen par lequel l’électeur exerce son pouvoir électoral, sans être inquiété dans sa vie quotidienne. En fait, le bulletin de vote lui sert à discriminer. Soit à récompenser le candidat de son choix, soit à sanctionner, en éliminant celui qu’il préfère le moins.
En définitive, l’intérêt de cet exercice vise d’abord à identifier l’électeur en droit ivoirien ? Ensuite, comment assurer sa sécurité juridique et matérielle ?
La qualité d’électeur
En substance, la qualité d’électeur résulte en fait de trois facteurs, à savoir :
a) La fiabilité de l’état civil
Le corps électoral ou ensemble des personnes juridiquement aptes à participer à une élection, se construit autour de la conjugaison des droits de jouissance (nationalité, âge, capacité électorale) et d’exercice du droit de vote (inscription sur la liste électorale).
Elément substantiel des conditions de jouissance, la nationalité constitue, aux termes de l’article 3 du Code électoral, un référent déterminant dans la définition de la qualité d’électeur.
N’est donc électeur que l’Ivoirien d’origine, c’est-à-dire né au moins d’un parent ivoirien ou celui ayant acquis la nationalité Ivoirienne (mariage, adoption, naturalisation) depuis au moins cinq ans, âgé de 18 ans révolus, jouissant de ses droits civils et politiques et ne se trouvant dans un des cas d’incapacité (incapables se trouvant dans un des cas habituel d’imbécillité, démence, interdits par décision de justice, etc.).Ce qui exclut d’office du droit de vote les étrangers ainsi que les naturalisés depuis moins de cinq ans. De même, sont exclus du droit de vote, les Ivoiriens d’origine ou étrangers ayant acquis la nationalité ivoirienne, mais frappés d’incapacité électorale à la suite de la perte de leurs droits civils et politiques.
Aussi, est-il nécessaire de rendre plus fiable le registre de l’état civil à partir duquel le juge établit la preuve de la nationalité ivoirienne (art. 12, Code électoral). Cette fiabilité de l’état civil a une double finalité. D’une part, elle consiste à éviter la double identité des personnes, notamment les doublons (détention de plusieurs extraits de naissance et souvent établis en des lieux différents). D’autre part, elle permettrait d’identifier clairement l’électeur, de sorte que le droit de vote deviendrait, à l’exclusion des étrangers, le seul privilège des nationaux. Enfin, elle permet d’établir une liste électorale crédible totalement extirpée des faux électeurs.
b) L’établissement impartial de la liste électorale
Au plan pratique, la liste électorale est le document administratif sur lequel est inscrit l’ensemble des électeurs (art.6, al.1, CE). Elle détermine en dernière analyse le corps électoral (art.5, CE). Elle est aussi le support matériel du nombre total des inscrits, à partir duquel est délivrée la carte d’électeur (art.34, al.1, CE). Elle est enfin, le document à partir duquel seront déterminés préalablement le nombre des bureaux de vote, le nombre d’électeurs par bureau de vote, de sorte à publier tous les sites géographiques des bureaux de vote existants, afin d’éviter des bureaux de votes fictifs.
Aux termes de l’article 3 de la Décision n°2005/-11/PR du 29 août 2005 relative à la Cei, celle-ci est la seule institution responsable du processus électoral. L’Institut de la statistique lui rend compte. De ce point de vue, l’établissement de la liste électorale relève de sa compétence exclusive. De plus, le Décret n° 2008-135 du 14 avril 2008 fixe, sous la responsabilité de la Cei, les modalités de la collaboration entre la Sagem et l’Institut de la statistique.
Ce qui signifie que la liste électorale n’est définitive et publiée que si elle satisfait obligatoirement aux conditions préalables qui garantissent sa sincérité. Au nombre de ces conditions, on peut retenir le contentieux d’inscription sur la liste électorale en cas d’irrégularités constatées lors de l’enrôlement sur la liste électorale.
c) Le contentieux équitable d’inscription sur la liste électorale
Aux termes de l’article 12 de l’ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustement au code électoral pour les élections, il appartient à tout électeur de la circonscription électorale, à tout membre de la Commission électorale et à tout sachant de réclamer l’inscription ou la radiation d’un individu sur la listé électorale.
Au plan procédural, la requête de réclamation est adressée à la Cei. En raison de l’imprécision du texte, on peut se demande s’il s’agit de la Cei centrale, y compris la Cei locale. Après examen de ladite requête, la Cei décide soit de donner une suite défavorable à la requête (refus d’inscription ou de radiation), soit elle donne une suite favorable à la requête, en acceptant d’inscrire la personne contestée sur la liste électorale. Dans les deux cas, sauf le cas d’inscription ou de radiation arbitraire ou frauduleuse par la Cei, seul le refus devrait donner lieu à un contentieux judiciaire.
En pareil cas, la décision de la Cei, autorité administrative indépendante, est portée à l’appréciation de la justice. C’est dire que la saisine préalable de la Cei est obligatoire pour le requérant. Faute de quoi, sa requête serait irrecevable et donc rejetée, pour vice de forme.
Mais avant le prononcé de la décision de justice, la saisine de celle-ci ne suspend pas les effets de la décision de la Cei. La justice, notamment le tribunal a 8 jours pour statuer à compter de sa saisine. En principe, à l’expiration de ce délai et sans motif légitime, la décision du tribunal serait frappée de forclusion. Ce qui établirait automatiquement la victime dans ses droits. En la matière, le tribunal faisant pratiquement office de Cour suprême, statue en premier et dernier ressort .Ce qui signifie que sa décision est insusceptible de tout recours. De ce fait, la décision du tribunal ne doit être ni hâtive ni arbitraire. Sinon, cela pourrait engendrer des injustices pouvant provoquer de nouveaux troubles sociaux, du fait que le juge serait plus enclin à être soupçonné.
En définitive, après la phase du contentieux électoral (inscription des omis, rectification des erreurs matérielles, radiation des étrangers, des personnes décédées et incapables),est présumé électeur, celui qui, en dernière analyse, remplit les conditions posées par l’article 3 du code électoral. Mais il n’est électeur que s’il est inscrit sur la liste électorale (article 5 du code électoral). Et nul ne peut être inscrit dans plus d’une circonscription, ni sur plusieurs listes électorales de la même circonscription .
Il est aussi important d’indiquer que cette opération soulève de nombreuses passions, du fait que l’article 17 du code électoral subordonne l’éligibilité à une élection à la qualité d’électeur. Aussi, faut-il se demander, en raison de la complexité de la procédure, s’il est absolument nécessaire de recourir à l’audit pour valider la partie de la liste électorale déjà existante ? La réponse à cette interrogation mérite d’être nuancée.
D’une part, la partie de la liste électorale supposée certifiée et validée serait intouchable pour certains .Or, il y figure nécessairement des personnes décédées et, probablement, des personnes déchues de leurs droits civiques ou indûment inscrites sur la liste électorale. D’autre part, procéder à l’audit de l’ensemble de cette liste reviendrait, en fait, à reprendre l’ensemble du processus réputé lourd et complexe. Ce qui semble a priori matériellement impossible.
En fin de compte, l’électeur ne peut exercer son pouvoir électoral que s’il est entièrement libre.
La sécurité et l’exercice du pouvoir électoral.
La sécurité conditionne la liberté de l’électeur, afin qu’il exprime son pouvoir électoral. En effet, le vote est l’acte matériel par lequel, le citoyen actif par opposition au citoyen abstrait ou passif exprime positivement ou négativement son pouvoir électoral. C’est dire que la liberté de vote de l’électeur n’est garantie que si elle est assortie au moins des quatre principes, à savoir:
a) Le vote égal et l’interdiction du vote multiple
Principe d’égalité du suffrage en vertu de l’égalité de tous devant la loi, le vote égal se construit autour de la maxime : « un homme, une voix ». C’est dire que le poids de chaque citoyen est l’égal de celui des autres citoyens , quel que soit leur statut social. Ce qui revient à interdire : l’inscription multiple de l’électeur sur la liste électorale (art.10, CE) et le vote multiple (art.37al.1, CE), l’utilisation d’encre non indélébile (art.37 in fine, CE), l’impunité des personnes coupables de fraudes électorales. Ainsi, aux termes de l’article 41 du Code électoral : « Est puni de la peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, et d’une amende de 5.000.000 à 10.000.000 de francs CFA, quiconque, en utilisant des faux certificats ou en dissimulant une incapacité électorale : se fait inscrire sur une liste électorale, obtient une inscription sur plusieurs listes, fait inscrire ou rayer indûment un électeur d’une liste électorale ».
b) Le vote personnel et la limitation des fraudes
De façon générale, le vote n’est personnel que si l’électeur peut se rendre lui-même sur les lieux de vote pour déposer son bulletin de vote dans l’urne (art.36 al.2, CE). Il ne pourra donc exercer son pouvoir électoral, que si sa sécurité est assurée avant, pendant et après le scrutin. Dans ce cas, la carte d’électeur devient personnelle et non cessible (art.14 in fine, CE). Ce qui aura le mérite d’écarter tout recours au vote par procuration (art.34 al.2, CE) dont l’inconvénient majeur est de déposséder l’absent de son droit de vote, en raison des risques de détournement de son suffrage par le mandataire.
c) Le vote secret et la sécurité de l’électeur
En raison de son anonymat, le vote secret, garantit la liberté de conscience et de sécurité de l’électeur. Nul ne doit connaître son choix, afin d’éviter toute forme de prosélytisme. En effet, il soustrait l’électeur aux menaces, violences, achats de conscience et autres influences (obligation de jurer sur le fétiche, immixtion des chefs religieux ou traditionnels dans le choix de l’électeur, etc.). De ce fait, le vote public ou sans isoloir est proscrit (art.36, al.1, CE). Et, aux termes de l’article 213 du Code pénal : « Quiconque achète ou vend un suffrage est puni de la détention de trois mois à un an et d’une amende double de la valeur des choses reçues ou promises ». En fait, au-delà de la sanction pénale, la liberté de l’électeur nécessite d’abord une sanction morale des citoyens.
En somme, la liberté de l’électeur suppose la sécurisation du bureau de vote. Ainsi, aux termes de l’article 211 du Code pénal, celui qui se serait rendu coupable d’outrage ou de violence soit envers le bureau, soit envers un des membres, ou aurait menacé, retardé, empêché par voie de fait ou menace les opérations électorales, sera puni d’une détention d’un an et d’une amende de 30.000 à 300.000F. Quiconque, selon l’article 212 du Code pénal, aurait enlevé une urne contenant les suffrages émis et non encore dépouillés sera puni d’une détention d’un à cinq ans et d’une amende de 200.000 à 2.000.000 F. Mais sans le désarmement, comment pourrait-on assurer la sécurité matérielle de l’électeur ?
d) L’effet catalyseur de la culture démocratique
Sans la culture démocratique, tous les efforts pour assurer la sécurité de l’électeur s’épuiseraient dans le néant. En effet, en corrélation avec la culture démocratique, l’élection ou mythe de la démocratie, ne peut être élevée au rang de stade suprême de la démocratie, que si les mécanismes de sa régulation évitent de transformer le droit de suffrage en un sacre burlesque ou carnavalesque, destiné à imposer indubitablement à l’autre, la défaite totale du désespoir. Reste à laisser au corps électoral, la liberté d’élire celui ou celle qui correspond le mieux à la défense de ses intérêts.
CONCLUSION :
De l’ensemble de cette grille d’analyse, on peut tirer deux enseignements majeurs.
D’une part, suffisamment imprégnés de réalisme politique, nous n’avons pas, dans la recherche d’une plus grande équité, le droit de nous fourvoyer dans le dogmatisme stérile. Ce serait une manière maladroite d’effrayer l’électeur par la multiplication des obstacles dont certains ne se justifient nullement. De ce point de vue, le concept d’audit ou recette miracle, est à revisiter, à l’effet de rassurer l’électeur, dans la détection du faux électeur. Ne nous satisfaisons pas de l’argument facile du « coupable désigné d’avance ». Il reviendra donc à ceux qui doutent, d’apporter à la Cei autrement composée , la preuve matérielle irréfutable de toutes les inscriptions irrégulières, afin de soustraire définitivement de la liste électorale, ceux qui s’y trouvent indûment.
D’autre part, le réalisme politique nous interdit de fragiliser le Premier ministre et son gouvernement. A la limite, les invectives et les diktats inopportuns ne peuvent prospérer dans le contexte actuel. Cependant, il est aussi désespérant que certains s’arc-boutent obstinément et de mauvais aloi contre des arguments juridiques totalement inopérants, pour repousser le désarmement aux calendes grecques. Or, celui-ci reste l’une, sinon la condition sine qua non, pour des élections démocratiques. Vouloir se prévaloir de ces subterfuges juridiques sans lendemain, relève de la ruse, synonyme de mauvaise foi. Ce serait une façon de détourner l’Accord politique de Ouagadougou à d’autres fins. Le désarmement ou facteur déterminant pour l’unification du pays, est enfin, la condition pour le relèvement de la Côte d’Ivoire. Ne pas comprendre cette évidence, serait une manière malveillante et même déshonorante, d’infliger indéfiniment le désespoir à la nation ivoirienne.
Par Ouraga Obou (*)
(*) Professeur de Droit constitutionnel et de Science politique.
Auteur de cet article: Pr Ouraga Obou