Toujours aussi incisif. Le journaliste-écrivain Venance Konan, dans l’entretien qu’il nous accorde, revient sur le débat avec le président de l’Assemblée Nationale, Mamadou Koulibaly à propos de l’ivoirité. Il assène ses vérités quant à la volonté de Laurent Gbagbo de demeurer au pouvoir sans élection. Au passage, il donne quelques coups de griffes aux leaders de l’opposition.
Le Patriote: M. Venance Konan, il y a de cela quelques semaines, Mamadou Koulibaly ouvrait dans la presse et à votre intention, un débat sur l’ivoirité. Pour l’essentiel, il relevait votre responsabilité «en partie» dans ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire à cause de ce concept. Il vous accusait notamment d’avoir été, dans un passé récent, l’un des «thuriféraires de l’ivoirité bon teint». A-t-il tort ou raison de porter ce jugement sur vous?
Venance Konan: Je crois qu’il faut de temps à autre retrouver sa lucidité. Les articles que j’ai écrits ne sont pas des tracts clandestins. Ce sont des articles qui ont été publiés dans des journaux. On peut les retrouver dans les archives de Fraternité Matin. Mamadou Koulibaly les a bien retrouvés et les a fait circuler dans la presse. Vous pouvez donc les lire et dire ce qui, dans ces papiers a pu conduire à la guerre. Arrêtons de délirer. Je sais que je suis la bête noire des Refondateurs, alors je ne suis pas étonné des méthodes qu’ils utilisent contre moi. Je vous renvoie au texte publié par le professeur Koné Abou Bakary Sidick dans «Le Jour plus» du 22 mars dernier. A propos de l’ivoirité, il a rappelé que Bédié l’avait ainsi définie: «l’ivoirité est un concept d’intégration culturelle et les Ivoiriens et les autres Africains qui vivent en Côte d’Ivoire doivent travailler jusqu’à ce qu’il y ait une synthèse qui se réalise. Cette synthèse devrait permettre à la Côte d’Ivoire de faire un bond en avant dans tous les domaines.» Il a dit aussi qu’il s’agissait de définir des repères, des valeurs culturelles à partir desquelles les Ivoiriens et les non Ivoiriens se reconnaîtraient. Je ne vois pas ce qui dans cette ivoirité peut être source de conflit. Cette ivoirité, oui, je l’ai soutenue et je continue de la soutenir. Mais cette ivoirité a été définie au même moment où M. Bédié combattait M. Ouattara. Et moi, je soutenais M. Bédié. Ce que je ne regrette absolument pas. Les deux choses se sont télescopées et quiconque s’attaquait alors à M. Ouattara était traité d’ «ivoiritaire.» Voici les faits. Maintenant, si Mamadou Koulibaly ne sait pas d’où est venue la guerre, qu’il relise bien l’histoire de son parti. Son parti a soutenu la nouvelle constitution de 2000. M. Laurent Gbagbo a reconnu dans une récente interview à Jeune Afrique que cette constitution porte des germes confligènes et qu’il la changera après l’élection, s’il est élu. Moi, avec Maurice Bandama, Maurice Fahé et Yacouba Konaté, militons depuis 2005 pour qu’on change cette constitution. Qu’a fait Mamadou Koulibaly? Quand, à Marcoussis, on a demandé de changer les articles contestables de notre constitution, qui a claqué la porte pour rentrer à Abidjan? Ceux qui ont pris les armes en 2002 sont ceux que le pouvoir FPI avait poursuivis jusqu’à l’étranger, ceux qu’il avait poussés dans leurs derniers retranchements. Ils le savent très bien. Si Koulibaly ne voit pas ceux qui dans son propre parti sont, en ce moment même, en train de mettre le feu au pays, j’en suis désolé pour lui.
LP: L’un des reproches qu’il vous fait, c’est cette mue politico-idéologique que, selon lui, vous avez opérée entre ce passé récent et le présent. Mais il dénonce surtout le reniement, trop facile à ses yeux, de vos prises de position passées. D’où la question qu’il se pose: lequel des Venance Konan (celui d’hier et d’aujourd’hui) est-il le vrai? Que répondez-vous à une telle question?
VK: Je n’ai rien à lui répondre. Je le dis et je le répète, et cela, je l’avais déjà écrit, je soutiens l’ivoirité culturelle, celle qui fera qu’il n’y aura plus de différence entre les Ivoiriens, qu’ils soient du centre, du sud, du nord, de l’ouest, de l’est, qu’ils soient de fibre multiséculaire ou fraîchement immigré. Ce que je regrette, est de m’être mêlé à un débat qui n’était pas le mien, à savoir la nationalité de M. Ouattara, et d’avoir vu derrière lui une horde d’étrangers prêts à me voler mon pays. Je regrette d’avoir considéré à cette époque, ce qui faisait notre force, c’est-à-dire les différents apports qui ont façonné notre nation, comme un danger. Je militais à cette époque pour une fermeture de la Côte d’Ivoire sur elle-même, alors que ce qui a fait la force de notre pays a été son ouverture. Voilà. Je me suis rendu compte que j’étais dans l’erreur. Maintenant, que Mamadou Koulibaly me croit ou pas, c’est son affaire.
LP: L’autre question – liée à la première – qu’il vous pose également est celle-ci: quelle est la responsabilité de l’intellectuel face à ses propres écrits et leurs conséquences?
VK: L’intellectuel doit assumer tout ce qu’il fait. Mais l’intellectuel est un homme qui peut se tromper. L’intellectuel honnête, dit, «je reconnais que je me suis trompé». Le malhonnête est celui qui refuse de reconnaître ses erreurs ou qui les reconnaît, mais continue sur la même voie. Le malhonnête est celui qui continue de frayer avec des gens dont il ne partage pas les idées et n’ose pas le dire.
LP: Mamadou Koulibaly vous reproche en outre cet «oubli», dans «Nègreries», l’un de vos dernier ouvrages, d’un bon nombre de vos chroniques jugées trop ivoiritaires. Il est même insensible à l’aveu que vous faites de les avoir omis «volontairement» parce qu’ils constituaient des «erreurs de jugement» de votre part. Ressentez-vous ces «erreurs de jugement» comme une honte, comme Koulibaly le croit?
VK: Il n’y a pas eu d’oubli dans «Nègrerie». J’ai dit dans l’avant-propos de mon livre que j’ai dû faire un choix parmi tous les textes que j’avais écrits, parce que je ne pouvais pas les publier tous, et que j’en avais laissés de côté. J’ai précisé que parmi ceux que je laissais de côté, il y en avait qui avaient été des erreurs de jugement. Il y a en avait d’autres que j’avais trouvés, après relecture, de qualité médiocre, répétitif, sans intérêt, etc. Je ne vois pas ce que la honte vient faire dans cette histoire. Je n’ai attendu personne pour reconnaître mes erreurs. Et je ne vais pas passer non plus le reste de ma vie à me couvrir la tête de cendres.
LP: Avec du recul, reconnaissez-vous et assumez-vous une quelconque part de responsabilité dans le pourrissement actuel du climat social en Côte d’Ivoire?
VK: Relisez tous mes textes et vous me direz si je peux avoir une responsabilité dans ce qui est arrivé dans notre pays. Je dis encore une fois, restons lucides. Je sais que dans notre pays on aime les boucs émissaires, on cherche le sorcier à qui il faut attribuer tous les malheurs qui frappent la société, mais notre histoire est encore récente. Nous en sommes tous témoins. Chacun sait l’acte que chacun a posé et qui nous a conduits là où nous sommes. Je n’ai jamais voté de constitution ou de loi, je n’ai jamais appelé à la haine contre une communauté quelconque, je n’ai jamais empêché qui que ce soit d’être candidat à la présidence ou à la députation. Vous vous souvenez de celui qui a empêché M. Ouattara d’être candidat à la présidence, puis à la députation à Kong, ce qui a poussé une partie de la population de cette ville à hisser un drapeau burkinabé sur la sous-préfecture? C’était moi? Vous vous souvenez de celui qui a dit au forum de la réconciliation nationale que la constitution était très bonne parce qu’elle permettait d’écarter M. Ouattara? C’était moi? Soyons sérieux!
LP:Vous avez répondu à M. Koulibaly en lui opposant à vos «erreurs de jugement», sa lâcheté et son manque de courage de ne pas quitter le FPI, bien qu’il en dénonce régulièrement les dérives antidémocratiques et idéologiques. A quoi attribuez-vous réellement ce «manque de courage» de Koulibaly?
VK: Je ne veux pas polémiquer sur cela. M. Koulibaly assume ses responsabilités. Qu’il reste au FPI ou le quitte ne me regarde pas. Je n’ai pas à le juger. Moi j’ai assumé mes responsabilités en reconnaissant que je me suis trompé.
LP: Vous le prenez également au mot d’avoir lancé ce cri de cœur pathétique, lors d’un meeting à Koumassi: «Dans ce débat (l’ivoirité, ndlr), celui-là est Ivoirien et l’autre ne l’est pas, on ne s’en sortira pas». Soupçonnez-vous Koulibaly de se sentir personnellement concerné par la menace ivoiritaire?
VK: Encore une fois, je n’entends pas le mot ivoirité de la même façon que vous. Si justement nous avions réalisé l’ivoirité culturelle dont parlait M. Bédié, il n’y aurait plus ce genre de débats.
Aujourd’hui, M. Koulibaly n’est pas le seul qui doive se sentir menacé par ce que j’appelle moi les dérives xénophobes et haineuses de petits fascistes. Ce sont tous les Ivoiriens qui doivent se sentir menacés, parce qu’il s’agit de la survie de notre nation.
LP: Quand vous dites à Koulibaly; «quitte le FPI, sinon tu seras tenu comptable de la destruction de ton pays», est-ce que vous essayez de lui éviter d’éventuelles «erreurs de jugement» comme vous?
VK: Il est clair que chacun de nous sera comptable de ce qu’il a fait. Il est clair à mes yeux que le FPI se retrouvera tôt ou tard devant le tribunal des hommes, avant celui de l’histoire, pour tous ses crimes. Chaque homme ou femme a droit à l’erreur, et à la rédemption. A condition de ne pas persévérer dans l’aveuglement, à condition de ne pas couvrir de son silence les crimes des autres.
LP: Koulibaly vous répond dans une autre sortie médiatique, qu’il préfère rester à l’intérieur du FPI pour en dénoncer et espérer en corriger les travers que de fuir ses responsabilités. Que vous inspire une telle position?
VK: Rien. C’est lui qui connaît son FPI, c’est lui qui sait ce qu’il doit faire. De l’extérieur, le FPI me fait penser à une confrérie de sorciers où lorsque l’on a participé au festin macabre, on ne peut plus en sortir, et on est obligé de donner en sacrifice son propre enfant.
LP : Dans une récente interview à un quotidien de la place, vous proposiez à Mamadou Koulibaly une sorte de gentlemen agreement. Vous disiez: «Arrêtons ce jeu stupide qui ne nous grandit pas (…) qu’on se penche sur les vrais problèmes de notre pays». Sous quelle forme pourrait se traduire une éventuelle collaboration de l’élite intellectuelle ivoirienne pour sauver ce pays?
VK : Je crois que tous les intellectuels de ce pays, quel que soit le bord où ils se situent, doivent se mettre ensemble pour dire «non» à la catastrophe que nous prépare le FPI. Nous devons dire «non» à la barbarie, aux violations constantes des droits de l’homme, à la corruption orchestrée par le régime et qui a pourri totalement notre société. Tous ceux qui aiment ce pays, qui ne croient pas en la fatalité de sa destruction doivent se mettre ensemble pour combattre les dictateurs aux petits pieds et aux méthodes fascisantes qui nous conduisent à l’abîme.
LP: Vous dites dans la même interview que vous êtes convaincu qu’il n’y aura pas d’élection en Côte d’Ivoire sous Gbagbo, (parce qu’) il n’ira jamais à une élection qu’il perdra à coup sûr. Vous ajoutez: «ce n’est pas par des élections que Gbagbo quittera le pouvoir». Comment doit-on interpréter ces phrases?
VK: Il n’y a aucune interprétation spéciale à avoir. Gbagbo ne quittera pas le pouvoir par des élections, c’est clair. Sauf si tout le monde baisse les bras et le laisse organiser ces élections comme il l’entend. Sinon, celui qui veut accéder à la présidence doit chercher d’autres moyens.
LP: Vous qui avez toujours soutenu que l’opposition ivoirienne est nulle, comment expliquez-vous qu’elle soit parvenue récemment à faire plier Gbagbo après ses décisions de dissoudre la CEI et le gouvernement?
VK: Si l’opposition croit qu’elle a obtenu une victoire elle se trompe complètement. Rappelez-vous qu’avant cette crise, il était prévu que l’élection se tienne à la fin de février. Gbagbo ne le voulait pas. Son objectif, en déclenchant la crise, était de faire en sorte que l’élection ne se tienne pas. Il a atteint son but. Qui parle encore de la date de l’élection? Elle a tout simplement été rejetée aux calendes grecques. Si l’opposition n’a pas compris cela, c’est qu’elle est vraiment nulle. Ce que je n’arrive pas à comprendre chez elle, c’est qu’elle dit qu’elle représente entre deux tiers et trois quarts de la population. Je le crois aussi. Quand, avec un tel poids, on se laisse mener par le bout du nez par un pouvoir ultra minoritaire, totalement illégitime, qui s’est complètement discrédité sur la scène internationale, c’est que cette opposition n’a aucune stratégie, à moins qu’elle ne soit complice de ce pouvoir. Ce que cette opposition ne réalise pas, c’est qu’autant les Ivoiriens rejettent le pouvoir des Refondateurs, autant ils commencent à la rejeter elle aussi. Voici cinq ans que M. Gbagbo usurpe le pouvoir et cette opposition, qui est dirigée par deux hommes qui ont été au plus haut niveau de l’Etat, n’est pas capable de l’en déloger. Elle attend tranquillement qu’il organise une élection qu’ils croient pouvoir gagner. Alors que le plus petit enfant de ce pays sait que M. Gbagbo n’organisera jamais une élection qu’il pourrait perdre. On a tué une centaine de personnes ici en 2004 et c’est aujourd’hui que cette opposition parle de porter plainte. Quelle est donc cette opposition? Les Ivoiriens vivent dans la misère la plus noire, l’école est sinistrée, on pend des étudiants sur le campus, on viole des étudiantes, nos enfants sont obligés de se prostituer pour survivre, à l’extérieur nous avons honte de notre pays et notre opposition semble totalement déconnectée de ces réalités. Ce qu’elle ne réalise pas, est qu’une nouvelle opposition où les leaders actuels ne figureront pas est en train de se mettre en place. Qu’ils ouvrent les yeux. Ils seront très surpris.
LP: Les refondateurs soutiennent, au sujet de la liste électorale, qu’il faut qu’elle soit soumise à un audit et que les CEI locales soient reconstituées. Quelle commentaires en faites-vous?
VK: Le seul commentaire est qu’ils ne veulent pas aller à l’élection et qu’ils chercheront tous les moyens pour ne pas y aller.
LP: Ils parlent aussi du désarmement avant les élections. Faux-fuyant ou nécessité incontournable pour des élections sans problèmes?
VK: Pareil. Tous les moyens sont bons pour ne pas aller à l’élection.
LP: Récemment, les Forces Nouvelles, lors d’une conférence de presse, ont estimé que les questions du désarmement, de la liste électorale provisoire dite liste blanche, c’est-à-dire les 5,3 millions, des CEI locales, ne peuvent pas être remises en cause, contrairement au camp présidentiel qui en fait un préalable avant les élections. Comment entrevoyez-vous l’issue du bras de fer qui se profile à l’horizon entre les deux parties signataires de l’APO?
VK: Il n’y a aucun bras de fer. Chacun joue sa partition, c’est tout. L’APO signifie que deux individus se sont partagés notre pays. Chacun crie qu’il veut aller à l’élection pour que les imbéciles que nous sommes se taisent, mais plus ça dure et plus les deux complices sont contents. Ce ne sont pas les com’zones qui sont fâchés que l’élection ne se tienne pas. Les Refondateurs non plus, eux qui sont en train de piller le pays eux aussi.
réalisée par Koré Emmanuel
Le Patriote: M. Venance Konan, il y a de cela quelques semaines, Mamadou Koulibaly ouvrait dans la presse et à votre intention, un débat sur l’ivoirité. Pour l’essentiel, il relevait votre responsabilité «en partie» dans ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire à cause de ce concept. Il vous accusait notamment d’avoir été, dans un passé récent, l’un des «thuriféraires de l’ivoirité bon teint». A-t-il tort ou raison de porter ce jugement sur vous?
Venance Konan: Je crois qu’il faut de temps à autre retrouver sa lucidité. Les articles que j’ai écrits ne sont pas des tracts clandestins. Ce sont des articles qui ont été publiés dans des journaux. On peut les retrouver dans les archives de Fraternité Matin. Mamadou Koulibaly les a bien retrouvés et les a fait circuler dans la presse. Vous pouvez donc les lire et dire ce qui, dans ces papiers a pu conduire à la guerre. Arrêtons de délirer. Je sais que je suis la bête noire des Refondateurs, alors je ne suis pas étonné des méthodes qu’ils utilisent contre moi. Je vous renvoie au texte publié par le professeur Koné Abou Bakary Sidick dans «Le Jour plus» du 22 mars dernier. A propos de l’ivoirité, il a rappelé que Bédié l’avait ainsi définie: «l’ivoirité est un concept d’intégration culturelle et les Ivoiriens et les autres Africains qui vivent en Côte d’Ivoire doivent travailler jusqu’à ce qu’il y ait une synthèse qui se réalise. Cette synthèse devrait permettre à la Côte d’Ivoire de faire un bond en avant dans tous les domaines.» Il a dit aussi qu’il s’agissait de définir des repères, des valeurs culturelles à partir desquelles les Ivoiriens et les non Ivoiriens se reconnaîtraient. Je ne vois pas ce qui dans cette ivoirité peut être source de conflit. Cette ivoirité, oui, je l’ai soutenue et je continue de la soutenir. Mais cette ivoirité a été définie au même moment où M. Bédié combattait M. Ouattara. Et moi, je soutenais M. Bédié. Ce que je ne regrette absolument pas. Les deux choses se sont télescopées et quiconque s’attaquait alors à M. Ouattara était traité d’ «ivoiritaire.» Voici les faits. Maintenant, si Mamadou Koulibaly ne sait pas d’où est venue la guerre, qu’il relise bien l’histoire de son parti. Son parti a soutenu la nouvelle constitution de 2000. M. Laurent Gbagbo a reconnu dans une récente interview à Jeune Afrique que cette constitution porte des germes confligènes et qu’il la changera après l’élection, s’il est élu. Moi, avec Maurice Bandama, Maurice Fahé et Yacouba Konaté, militons depuis 2005 pour qu’on change cette constitution. Qu’a fait Mamadou Koulibaly? Quand, à Marcoussis, on a demandé de changer les articles contestables de notre constitution, qui a claqué la porte pour rentrer à Abidjan? Ceux qui ont pris les armes en 2002 sont ceux que le pouvoir FPI avait poursuivis jusqu’à l’étranger, ceux qu’il avait poussés dans leurs derniers retranchements. Ils le savent très bien. Si Koulibaly ne voit pas ceux qui dans son propre parti sont, en ce moment même, en train de mettre le feu au pays, j’en suis désolé pour lui.
LP: L’un des reproches qu’il vous fait, c’est cette mue politico-idéologique que, selon lui, vous avez opérée entre ce passé récent et le présent. Mais il dénonce surtout le reniement, trop facile à ses yeux, de vos prises de position passées. D’où la question qu’il se pose: lequel des Venance Konan (celui d’hier et d’aujourd’hui) est-il le vrai? Que répondez-vous à une telle question?
VK: Je n’ai rien à lui répondre. Je le dis et je le répète, et cela, je l’avais déjà écrit, je soutiens l’ivoirité culturelle, celle qui fera qu’il n’y aura plus de différence entre les Ivoiriens, qu’ils soient du centre, du sud, du nord, de l’ouest, de l’est, qu’ils soient de fibre multiséculaire ou fraîchement immigré. Ce que je regrette, est de m’être mêlé à un débat qui n’était pas le mien, à savoir la nationalité de M. Ouattara, et d’avoir vu derrière lui une horde d’étrangers prêts à me voler mon pays. Je regrette d’avoir considéré à cette époque, ce qui faisait notre force, c’est-à-dire les différents apports qui ont façonné notre nation, comme un danger. Je militais à cette époque pour une fermeture de la Côte d’Ivoire sur elle-même, alors que ce qui a fait la force de notre pays a été son ouverture. Voilà. Je me suis rendu compte que j’étais dans l’erreur. Maintenant, que Mamadou Koulibaly me croit ou pas, c’est son affaire.
LP: L’autre question – liée à la première – qu’il vous pose également est celle-ci: quelle est la responsabilité de l’intellectuel face à ses propres écrits et leurs conséquences?
VK: L’intellectuel doit assumer tout ce qu’il fait. Mais l’intellectuel est un homme qui peut se tromper. L’intellectuel honnête, dit, «je reconnais que je me suis trompé». Le malhonnête est celui qui refuse de reconnaître ses erreurs ou qui les reconnaît, mais continue sur la même voie. Le malhonnête est celui qui continue de frayer avec des gens dont il ne partage pas les idées et n’ose pas le dire.
LP: Mamadou Koulibaly vous reproche en outre cet «oubli», dans «Nègreries», l’un de vos dernier ouvrages, d’un bon nombre de vos chroniques jugées trop ivoiritaires. Il est même insensible à l’aveu que vous faites de les avoir omis «volontairement» parce qu’ils constituaient des «erreurs de jugement» de votre part. Ressentez-vous ces «erreurs de jugement» comme une honte, comme Koulibaly le croit?
VK: Il n’y a pas eu d’oubli dans «Nègrerie». J’ai dit dans l’avant-propos de mon livre que j’ai dû faire un choix parmi tous les textes que j’avais écrits, parce que je ne pouvais pas les publier tous, et que j’en avais laissés de côté. J’ai précisé que parmi ceux que je laissais de côté, il y en avait qui avaient été des erreurs de jugement. Il y a en avait d’autres que j’avais trouvés, après relecture, de qualité médiocre, répétitif, sans intérêt, etc. Je ne vois pas ce que la honte vient faire dans cette histoire. Je n’ai attendu personne pour reconnaître mes erreurs. Et je ne vais pas passer non plus le reste de ma vie à me couvrir la tête de cendres.
LP: Avec du recul, reconnaissez-vous et assumez-vous une quelconque part de responsabilité dans le pourrissement actuel du climat social en Côte d’Ivoire?
VK: Relisez tous mes textes et vous me direz si je peux avoir une responsabilité dans ce qui est arrivé dans notre pays. Je dis encore une fois, restons lucides. Je sais que dans notre pays on aime les boucs émissaires, on cherche le sorcier à qui il faut attribuer tous les malheurs qui frappent la société, mais notre histoire est encore récente. Nous en sommes tous témoins. Chacun sait l’acte que chacun a posé et qui nous a conduits là où nous sommes. Je n’ai jamais voté de constitution ou de loi, je n’ai jamais appelé à la haine contre une communauté quelconque, je n’ai jamais empêché qui que ce soit d’être candidat à la présidence ou à la députation. Vous vous souvenez de celui qui a empêché M. Ouattara d’être candidat à la présidence, puis à la députation à Kong, ce qui a poussé une partie de la population de cette ville à hisser un drapeau burkinabé sur la sous-préfecture? C’était moi? Vous vous souvenez de celui qui a dit au forum de la réconciliation nationale que la constitution était très bonne parce qu’elle permettait d’écarter M. Ouattara? C’était moi? Soyons sérieux!
LP:Vous avez répondu à M. Koulibaly en lui opposant à vos «erreurs de jugement», sa lâcheté et son manque de courage de ne pas quitter le FPI, bien qu’il en dénonce régulièrement les dérives antidémocratiques et idéologiques. A quoi attribuez-vous réellement ce «manque de courage» de Koulibaly?
VK: Je ne veux pas polémiquer sur cela. M. Koulibaly assume ses responsabilités. Qu’il reste au FPI ou le quitte ne me regarde pas. Je n’ai pas à le juger. Moi j’ai assumé mes responsabilités en reconnaissant que je me suis trompé.
LP: Vous le prenez également au mot d’avoir lancé ce cri de cœur pathétique, lors d’un meeting à Koumassi: «Dans ce débat (l’ivoirité, ndlr), celui-là est Ivoirien et l’autre ne l’est pas, on ne s’en sortira pas». Soupçonnez-vous Koulibaly de se sentir personnellement concerné par la menace ivoiritaire?
VK: Encore une fois, je n’entends pas le mot ivoirité de la même façon que vous. Si justement nous avions réalisé l’ivoirité culturelle dont parlait M. Bédié, il n’y aurait plus ce genre de débats.
Aujourd’hui, M. Koulibaly n’est pas le seul qui doive se sentir menacé par ce que j’appelle moi les dérives xénophobes et haineuses de petits fascistes. Ce sont tous les Ivoiriens qui doivent se sentir menacés, parce qu’il s’agit de la survie de notre nation.
LP: Quand vous dites à Koulibaly; «quitte le FPI, sinon tu seras tenu comptable de la destruction de ton pays», est-ce que vous essayez de lui éviter d’éventuelles «erreurs de jugement» comme vous?
VK: Il est clair que chacun de nous sera comptable de ce qu’il a fait. Il est clair à mes yeux que le FPI se retrouvera tôt ou tard devant le tribunal des hommes, avant celui de l’histoire, pour tous ses crimes. Chaque homme ou femme a droit à l’erreur, et à la rédemption. A condition de ne pas persévérer dans l’aveuglement, à condition de ne pas couvrir de son silence les crimes des autres.
LP: Koulibaly vous répond dans une autre sortie médiatique, qu’il préfère rester à l’intérieur du FPI pour en dénoncer et espérer en corriger les travers que de fuir ses responsabilités. Que vous inspire une telle position?
VK: Rien. C’est lui qui connaît son FPI, c’est lui qui sait ce qu’il doit faire. De l’extérieur, le FPI me fait penser à une confrérie de sorciers où lorsque l’on a participé au festin macabre, on ne peut plus en sortir, et on est obligé de donner en sacrifice son propre enfant.
LP : Dans une récente interview à un quotidien de la place, vous proposiez à Mamadou Koulibaly une sorte de gentlemen agreement. Vous disiez: «Arrêtons ce jeu stupide qui ne nous grandit pas (…) qu’on se penche sur les vrais problèmes de notre pays». Sous quelle forme pourrait se traduire une éventuelle collaboration de l’élite intellectuelle ivoirienne pour sauver ce pays?
VK : Je crois que tous les intellectuels de ce pays, quel que soit le bord où ils se situent, doivent se mettre ensemble pour dire «non» à la catastrophe que nous prépare le FPI. Nous devons dire «non» à la barbarie, aux violations constantes des droits de l’homme, à la corruption orchestrée par le régime et qui a pourri totalement notre société. Tous ceux qui aiment ce pays, qui ne croient pas en la fatalité de sa destruction doivent se mettre ensemble pour combattre les dictateurs aux petits pieds et aux méthodes fascisantes qui nous conduisent à l’abîme.
LP: Vous dites dans la même interview que vous êtes convaincu qu’il n’y aura pas d’élection en Côte d’Ivoire sous Gbagbo, (parce qu’) il n’ira jamais à une élection qu’il perdra à coup sûr. Vous ajoutez: «ce n’est pas par des élections que Gbagbo quittera le pouvoir». Comment doit-on interpréter ces phrases?
VK: Il n’y a aucune interprétation spéciale à avoir. Gbagbo ne quittera pas le pouvoir par des élections, c’est clair. Sauf si tout le monde baisse les bras et le laisse organiser ces élections comme il l’entend. Sinon, celui qui veut accéder à la présidence doit chercher d’autres moyens.
LP: Vous qui avez toujours soutenu que l’opposition ivoirienne est nulle, comment expliquez-vous qu’elle soit parvenue récemment à faire plier Gbagbo après ses décisions de dissoudre la CEI et le gouvernement?
VK: Si l’opposition croit qu’elle a obtenu une victoire elle se trompe complètement. Rappelez-vous qu’avant cette crise, il était prévu que l’élection se tienne à la fin de février. Gbagbo ne le voulait pas. Son objectif, en déclenchant la crise, était de faire en sorte que l’élection ne se tienne pas. Il a atteint son but. Qui parle encore de la date de l’élection? Elle a tout simplement été rejetée aux calendes grecques. Si l’opposition n’a pas compris cela, c’est qu’elle est vraiment nulle. Ce que je n’arrive pas à comprendre chez elle, c’est qu’elle dit qu’elle représente entre deux tiers et trois quarts de la population. Je le crois aussi. Quand, avec un tel poids, on se laisse mener par le bout du nez par un pouvoir ultra minoritaire, totalement illégitime, qui s’est complètement discrédité sur la scène internationale, c’est que cette opposition n’a aucune stratégie, à moins qu’elle ne soit complice de ce pouvoir. Ce que cette opposition ne réalise pas, c’est qu’autant les Ivoiriens rejettent le pouvoir des Refondateurs, autant ils commencent à la rejeter elle aussi. Voici cinq ans que M. Gbagbo usurpe le pouvoir et cette opposition, qui est dirigée par deux hommes qui ont été au plus haut niveau de l’Etat, n’est pas capable de l’en déloger. Elle attend tranquillement qu’il organise une élection qu’ils croient pouvoir gagner. Alors que le plus petit enfant de ce pays sait que M. Gbagbo n’organisera jamais une élection qu’il pourrait perdre. On a tué une centaine de personnes ici en 2004 et c’est aujourd’hui que cette opposition parle de porter plainte. Quelle est donc cette opposition? Les Ivoiriens vivent dans la misère la plus noire, l’école est sinistrée, on pend des étudiants sur le campus, on viole des étudiantes, nos enfants sont obligés de se prostituer pour survivre, à l’extérieur nous avons honte de notre pays et notre opposition semble totalement déconnectée de ces réalités. Ce qu’elle ne réalise pas, est qu’une nouvelle opposition où les leaders actuels ne figureront pas est en train de se mettre en place. Qu’ils ouvrent les yeux. Ils seront très surpris.
LP: Les refondateurs soutiennent, au sujet de la liste électorale, qu’il faut qu’elle soit soumise à un audit et que les CEI locales soient reconstituées. Quelle commentaires en faites-vous?
VK: Le seul commentaire est qu’ils ne veulent pas aller à l’élection et qu’ils chercheront tous les moyens pour ne pas y aller.
LP: Ils parlent aussi du désarmement avant les élections. Faux-fuyant ou nécessité incontournable pour des élections sans problèmes?
VK: Pareil. Tous les moyens sont bons pour ne pas aller à l’élection.
LP: Récemment, les Forces Nouvelles, lors d’une conférence de presse, ont estimé que les questions du désarmement, de la liste électorale provisoire dite liste blanche, c’est-à-dire les 5,3 millions, des CEI locales, ne peuvent pas être remises en cause, contrairement au camp présidentiel qui en fait un préalable avant les élections. Comment entrevoyez-vous l’issue du bras de fer qui se profile à l’horizon entre les deux parties signataires de l’APO?
VK: Il n’y a aucun bras de fer. Chacun joue sa partition, c’est tout. L’APO signifie que deux individus se sont partagés notre pays. Chacun crie qu’il veut aller à l’élection pour que les imbéciles que nous sommes se taisent, mais plus ça dure et plus les deux complices sont contents. Ce ne sont pas les com’zones qui sont fâchés que l’élection ne se tienne pas. Les Refondateurs non plus, eux qui sont en train de piller le pays eux aussi.
réalisée par Koré Emmanuel