Il y a des jours comme ça où l’on a envie de tout plaquer. Des jours où l’on n’a envie de rien. C’est le spleen. C’est l’effet que produit en ce moment la crise ivoirienne qui conduit à douter de tout, et à douter de soi-même. Un jour, les historiens auront de la matière. Mais, les contemporains que nous sommes, demeurons dans une bien mauvaise passe. Tout a été dit ou presque sur la crise dans notre pays. Sous le soleil, il n’y a rien de nouveau. Tant d’accord de paix ont été signés, mais la perspective d’une élection reste plus que jamais éloignée. En septembre 2010 prochain, nous serons à huit ans de crise. Sans qu’il y ait élection, et surtout sans que les questions de fonds posées par la rébellion n’aient trouvé une solution véritable avec la résurgence des débats sur la nationalité. Un fait, relevé et dénoncé ce week-end par Alpha Blondy. C’est donc dire que sur cette question Laurent Gbagbo n’a rien lâché. Après huit ans de crise marquée depuis trois ans, par la nomination du chef de l’ex-rébellion à la tête du gouvernement, on est plus que jamais à la case départ. En 2003, nous étions marcoussistes et avions cru à la possibilité de la paix avec cet accord. Les espoirs suscités par Marcoussis ont été brisés par la nonchalance du Premier ministre Seydou Diarra, ainsi que par la voracité de l’opposition qui, au lieu de se focaliser sur l’essentiel à savoir la sortie de crise, a fait une bataille de pouvoirs pour tenter de gérer le pays comme si nous étions dans une situation normale. Nommer le DG du port autonome d’Abidjan, nommer un directeur central ou général, valait quoi par rapport à l’urgence de l’établissement d’une liste électorale, à l’établissement des cartes d’identité et d’électeurs, à la réunification du pays en vue de créer les conditions d’une élection transparente ? Tout le monde s’est mis à l’esprit de profiter de la guerre, de s’enrichir au maximum pour être à l’aise après la crise. Au mieux quand on avait consenti à aller à l’élection, on se battait pour avoir de bons postes ministériels afin de disposer d’un trésor de guerre. Tous coupables les animateurs de cette classe politique! On continue de s’y accrocher, mais, même en l’absence d’un acte officiel de décès, l’accord de Ouaga vit bien malheureusement ses derniers instants. À « L’intelligent d’Abidjan », nous ne pouvons pas être étonnés de ce qui se passe en ce moment puisque dès le départ, les premiers mots et actes du Premier ministre Guillaume Soro avaient suscité méfiance et réserves de notre part. Cela avait donné lieu à des passes d’armes quelques fois très vives entre le journal et le site de Forces nouvelles. Le temps aidant, ainsi que des échanges sporadiques avec des collaborateurs du Premier ministre, nous avons fait le choix de laisser travailler Guillaume Soro. En vérité nous étions blasés, fatigués et déçus d’être parmi les rares supports à demeurer dans la critique vis-à-vis de Guillaume Soro qui a bénéficié d’un état de grâce, à nul autre pareil. Que disions-nous à l'époque et que demandions-nous ? Nous estimions que Guillaume Soro bénéficiait d’un état de grâce qui devait être mis à profit pour aborder en priorité la question de l’identification. Nous estimions que Guillaume Soro ne devait pas mettre en avant les audiences foraines qui auraient concerné environ cinq cent mille personnes, au détriment de huit millions de personnes à identifier pour la carte d’électeurs et d’identité. Le FPI et le camp Gbagbo qui ont laissé faire les audiences foraines auraient-ils contrarié à l’époque le processus d’identification si celui-ci avait alors démarré sur la base de l’accord de Ouaga qui venait d’être signé? Le Premier ministre avait fait le choix de gagner du temps, en réalité. D’où sa célèbre formule invitant à sortir de la logique du fétichisme des dates. Guillaume Soro invitait à ne pas se focaliser sur les dates, à prendre le temps de régler les problèmes de fonds pour éviter de faire des choses bâclées, et dans la précipitation en prenant le risque d’une autre guerre. Beaucoup d’Ivoiriens contre mauvaise fortune ont fait bon cœur. Des partisans de Laurent Gbagbo ont accepté Ouaga à contrecœur. Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara ont eu droit à leurs quolibets. On les disait jaloux. Des commentateurs applaudissaient le courage et l’audace de Guillaume Soro, félicité pour avoir accepté de prendre en main son destin, en s’affranchissant du RDR. D’autres ont douté. Plus de trois ans après les sceptiques retrouvent de la voix. Il appartient à Guillaume Soro de leur donner tort en gagnant le pari de la réunification du pays et du désarmement. Contrairement à ce que l’on croit, la question de l’identité et de la citoyenneté est plus facile à résoudre en temps de paix qu’en temps de crise. D’autant plus que tout le monde a compris que la menace des armes et le maintien de la partition du pays n’ont pas empêché les partisans de Laurent Gbagbo de résister à ce qu’ils considèrent sans doute à tort, comme le bradage de la nationalité ivoirienne. Le Premier ministre Guillaume Soro doit changer de cap et assumer toutes les conséquences du dialogue direct avec Laurent Gbagbo. Les Forces nouvelles et la Primature qui ont dit, par la voix de Sindou Meïté, porte parole du Premier ministre, que le chef de l’Etat n’a jamais failli à un engagement vis-à-vis d’elles, ont le devoir d’éviter la honte à Guillaume Soro et à Laurent Gbagbo. Cela suppose qu’il faut cesser de vouloir utiliser le maintien des armes comme un élément de pression pour obtenir des concessions et la garantie d’élection ouverte et transparente. Si les Forces nouvelles veulent continuer de peser sur la vie politique, ce ne pourra plus être par la pression des armes mais par leur capacité à se transformer en parti politique de masse. Incapable de réussir cela, le Premier ministre compte-t-il rester chef d’un mouvement militaire et apparaître ainsi comme un intrus aux côtés de Bédié, Ouattara, Gbagbo, Mabri, Anaky, Gnamien ? Ceux-là comptent parce qu’ils ont un parti politique, des partisans et non parce qu’ils ont le contrôle d’une partie du territoire du pays via des chefs de guerre. La balle est dans le camp de Guillaume Soro. Ceux qui défendent le Premier ministre au PDCI et au RDR parce qu’ils disent qu’il n’est candidat à rien ( oui pour l'instant), et que le vrai adversaire de Bédié et Ouattara est Laurent Gbagbo et non Guillaume Soro d'une part, et d'autre part ceux qui auprès de Laurent Gbagbo disent que les Forces nouvelles sont un allié et non un adversaire parce que le vrai problème c’est le RHDP, sont presque à bout d’arguments et pourraient devenir minoritaires si rien n’est fait. Un matin, le RDR, le PDCI et le FPI ainsi que tant d’autres pourraient se rendre compte que les Forces nouvelles sont de curieux arbitres qui tournent tout le monde en bourrique et se coaliser contre elles, en dépit de leurs divergences. Si Bédié et Ouattara se sont réconciliés malgré leurs lourds contentieux, il ne faut pas croire que Bédié, Ouattara et Gbagbo ne trouveront plus jamais aucune raison de se mettre d’accord sur un minimum. Le Tout Sauf Soro, ou le tout contre les Forces nouvelles, n’est pas une vision folle et impossible. La balle est dans le camp des Forces nouvelles pour comprendre que l’heure de la réunification a sonné.
Charles Kouassi
Charles Kouassi