Il est de plus en plus question, au sein du Rhdp, d’unir leur formation pour en faire un seul parti unique et en sortir un seul candidat contre Laurent Gbagbo. Mais, compte tenu des ambitions de chaque leader et des contentieux qui ont opposé les uns aux autres, est-ce qu’il est possible au Rhdp de traduire en réalité son rêve ? L’idée est émise au sein du Rhdp. Elle évoque une concertation entre le Rdr, Pdci, Mfa et de l’Udpci pour présenter un seul candidat du Rhdp à la prochaine présidentielle. On se souvient que cette idée avait été émise et défendue par Anaky Kobena Innocent, président du Mouvement des forces d’avenir (Mfa) avant même le dépôt des candidatures. Mais Anaky ne représentant rien devant les ambitions des uns et des autres, sa voix n’a pas porté. Il n’a pas été suivi au motif que chaque parti du Rhdp est autonome dans l’alliance et a le droit de présenter son candidat. Et chaque parti a présenté son candidat. Bédié pour le Pdci, Ouattara, candidat du Rdr, Anaky pour le Mfa et Mabri est en lice pour l’Udpci. Chacun a versé la caution de 20 millions FCFA exigée. Si les élections avaient été organisées fin 2009, le débat sur une candidature unique ne serait plus à l’ordre du jour. Maintenant que l’idée renaît et que le Rhdp rêve d’une candidature unique après le dépôt des dossiers, il y a lieu de se demander ce qui a fondamentalement changé pour que Mabri, Anaky, Ouattara et Bédié changent d’humeur pour subitement parler d’une candidature unique. Ce rêve du Rhdp peut devenir une réalité puisqu’en politique, tout est possible. Dans ce cas, qui s’éclipse au profit de qui ? Qui émerge au détriment de qui ? Ces questions s’imposent, parce que chacun des quatre leaders du Rhdp a son ambition. Laissons Mabri et Anaky qui sont des amuseurs publics dans le Rhdp. Ces deux peuvent avoir leur ambition, mais ils sont eux-mêmes convaincus qu’ils mènent une vie de ténia au sein du Rhdp. Ils s’agrippent au Rdr et au Pdci pour vivre de leur substance. Isolés, Anaky et Mabri savent bien qu’ils n’auront pas une durée de vie politique qui excède 24 mois. Parce que seul, Anaky ne peut pas affronter Gbagbo. Il ne prendra pas ce gros risque s’il ne veut pas être humilié. Pris individuellement, Mabri sait que le coup n’est pas jouable contre Gbagbo. C’est un gros morceau devant lequel Mabri n’aura pas assez de force pour livrer bataille. Revenons donc à Bédié et Ouattara. Qui des deux n’a plus envie d’être président ? Voyons les cas de figure. Bédié s’efface et Ouattara tente sa chance Est-il possible que Aimé Henri Konan Bédié taise son orgueil pour laisser la place à Ouattara pour enfin goûter à une élection présidentielle dans sa vie ? Il y a fort à parier que la partie ne sera pas facile pour y parvenir. Pour plusieurs raisons. D’abord Henri Konan Bédié n’a jamais pardonné le coup d’Etat qui l’a fait partir du pouvoir. Bédié pense, avec conviction, que ce coup de force est venu l’empêcher de réaliser ce qu’il envisageait pour les Ivoiriens. Si, contrairement aux autres chefs d’Etat qui ont connu le même destin, le président Gbagbo n’a pas voulu qu’il passe le reste de sa vie en exil, Bédié pense qu’il a encore la chance avec lui pour revenir au pouvoir par une élection. L’occasion est donc belle pour lui d’aller au vote et si la chance lui sourit, montrer aux Ivoiriens et à l’opinion internationale que ceux qui l’ont chassé du pouvoir avaient tort de le faire. Ensuite, il n’est un secret pour personne que n’eût été le contexte de guerre, il n’est plus apte à briguer un autre mandat présidentiel. Parce que la Constitution ivoirienne n’autorise plus Bédié, dont l’âge (76 ans), est très avancé à se porter candidat. Donc si l’ancien chef de l’Etat rate la seule et unique occasion qui lui est donnée pour les élections qui s’annoncent, sa carrière politique s’achevera et il prendra alors sa retraite. Ce qui fait courir actuellement Bédié, c’est l’idée selon laquelle son parti veut lui donner sa dernière chance avant de prendre sa retraite. «Bédié est déjà vieux. Et Ouattara est plus jeune que lui. Donc il faut le laisser tenter sa chance pour un autre mandat. S’il finit et prend sa retraite, Ouattara pourra entrer en compétition». C’est en ces termes que la candidature de Bédié est envisagée au cas où il devait y avoir une candidature unique au Rhdp. Etant dans une telle position (non confortable) où il joue son va-tout, est-ce que Bédié acceptera de se retirer au profit de Ouattara rien que pour faire plaisir à son allié ? Ce n’est pas sûr, vu toute l’énergie qu’il a déployée à faire des tournées à travers les régions du pays. Après toutes ses tournées dans le cadre de sa campagne électorale, que pourra-t-il dire à ses militants pour les convaincre de la nécessité de son retrait afin que ceux-ci acceptent la candidature d’Alassane Ouattara ? C’est jouer avec le feu et Bédié risque de se mettre à dos les militants du Pdci qui verront en son attitude une trahison. Enfin, si Henri Konan Bédié se retire pour permettre à Alassane Ouattara de se présenter, cela voudrait dire que Bédié reconnaît enfin que Ouattara est présidentiable en Côte d’Ivoire. Il serait en contradiction grave avec lui-même après avoir longtemps traqué le président du Rdr qu’il a tout le temps considéré comme un homme envoyé d’ailleurs par Houphouet pour juste apporter un remède au moment où la Côte d’Ivoire allait mal. Bédié n’a jamais toléré que Ouattara se soit retrouvé sur le terrain politique alors qu’il devait retourner d’où il est venu à la fin de la vie d’Houphouet. La seule alliance Rdr-Pdci-Mfa- Udpci suffit-elle pour que Bédié accepte que Ouattara joue le premier rôle en Côte d’Ivoire aujourd’hui ? Bédié est aussi habité par une crainte. Pour lui, avec toute la misère qu’il a créée à Ouattara, il n’est pas exclu qu’il lui rende la monnaie en lui menant la vie dure au cas où, par extraordinaire, il était élu président de la République. Bédié n’est pas si naïf de croire que son allié d’aujourd’hui va le caresser dans le sens du poil et vouloir partager le pouvoir avec lui. Si le président du Pdci ne voit pas les choses comme nous l’analysons, alors l’avenir et la marche du Rhdp vont nous éclairer. Dans l’esprit du Pdci et de Bédié, Ouattara n’est pas ivoirien pour prétendre à la magistrature suprême. Ils peuvent faire feu de tout bois contre Laurent Gbagbo. Ils peuvent tous brandir le slogan de l’houphouétisme pour donner l’impression d’une opposition soudée, mais le feu couve toujours entre le Rdr et le Pdci, et le contentieux n’est pas encore vidé entre Bédié et Ouattara. Ouattara peut-il faire cadeau à Bédié ? On pourra tout imaginer, sauf ce cas de figure. C’est-à-dire voir Alassane Ouattara renoncer à la présidentielle pour que Bédié redevienne la vedette des houphouétistes. C’est impensable. Pour tout ce que l’ancien Premier ministre a investi dans sa lutte pour qu’on accepte sa candidature. Ses ambitions ne datent pas d’aujourd’hui. Tout remonte à la mort d’Houphouet, Bédié et de nombreux Ivoiriens se sont montrés solidaires pour lui barrer la route du Palais présidentiel quand Félix Houphouet-Boigny est décédé en 1993. L’appétit venant en mangeant, sous Houphouet, Alassane Ouattara, venu d’on ne sait où pour redresser l’économie ivoirienne, s’est découvert les capacités d’un homme d’Etat. Ses ambitions l’ont poussé à se greffer sur un parti politique, le Rdr. En 1995, quand il a déclaré qu’il ne se présentait pas aux élections parce que la loi ne l’autorise pas, une fièvre s’est emparée des militants du Rdr qui n’ont pas voulu croire à ce qu’ils ont qualifié de faux bond de leur mentor. Des militants et des cadres de ce parti ont toujours juré par Alassane Ouattara qui, à leurs yeux, est l’homme qu’il faut à la tête de la Côte d’Ivoire. Ces militants et cadres se sont offerts en sacrifice pour que Ouattara soit un jour candidat dans ce pays. Dans leur quête du pouvoir, beaucoup ont fait la prison. Beaucoup ont versé le sang des Ivoiriens. Et ceux qui croyaient au pouvoir des armes ont tout essayé sans jamais avoir gain de cause. Ils ont seulement réussi à renverser Bédié en espérant lever les obstacles pour vite emmener Alassane Ouattara au pouvoir. Le Rdr a tout essayé, marches, boycott des élections, terrorisme, tentative de coup d’Etat, coup d’Etat et rébellion avec leur corollaire de morts. Maintenant que la candidature de Ouattara est acceptée, les militants du Rdr ne comprendraient pas que leur «brave-tchè» abandonne la compétition pour encore laisser le champ libre à Bédié qu’ils considèrent comme leur vrai bourreau. Pour les militants du Rdr, toutes les combinaisons sont possibles, mais il y a des limites. Et Ouattara lui-même sait que si l’élection présidentielle prochaine est ratée, il ne lui sera plus encore possible de se présenter parce que le pays va retrouver la normalité, et la Constitution sera appliquée dans toute sa rigueur. Pour lui, pas question de remettre cela à plus tard. Parce que malgré toute l’assurance que donne le Rhdp de gouverner ensemble, il peut toujours y avoir une mauvaise surprise, même avec ses alliés du Rhdp, car en politique, les alliances n’ont de sens qu’au moment où elles sont signées. Si l’issue des élections n’est pas celle qui est envisagée par le Rhdp, Ouattara aura tout perdu. Pour le candidat du Rdr, l’heure est donc arrivée de prendre sa revanche sur l’histoire. S’éclipser au profit de Bédié serait un suicide pour tous les militants du Rdr, parce que leur avenir politique serait après confus. Connaissant tous ces cas de figure, et n’étant même sûr de battre le président Laurent Gbagbo aux élections, comment le Rhdp peut-il réussir une candidature unique ? S’il pense effrayer son adversaire, Laurent Gbagbo, en annonçant une candidature unique, alors il peut prendre plaisir à l’annoncer partout. Sinon il est difficile de croire qu’entre Ouattara et Bédié, l’un puisse s’écarter pour l’autre. Les privilèges du pouvoir qui les font courir sont énormes et ce qui les divise et les éloigne l’un de l’autre est plus fort que l’houphouétisme qu’ils brandissent.
Benjamin Koré
benjaminkore@yahoo.fr
Benjamin Koré
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