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Politique Publié le vendredi 18 juin 2010 | Nord-Sud

Patrick N`Gouan, Société civile, à propos de la présidentielle : “La démocratie ivoirienne ressemble à de l`apartheid”

© Nord-Sud Par Prisca
Football : le nouveau coach des Eléphants, Sven Goran Eriksson à Abidjan
Mardi 11 mai 2010. Abidjan. De l`aéroport au siège de la Fédération Ivoirienne de Football (FIF), l`akwaba à Eriksson
Au nom de la société civile, Dr Patrick N'Gouan a accepté d'intervenir dans le débat ouvert par Nord-Sud Quotidien. Dans cette interview, il se fait, comme certains de ses prédécesseurs, le chantre du dialogue républicain, pour asseoir la démocratie ivoirienne sur de bonnes bases.

• Diriez-vous que la Côte d'Ivoire est maintenant un Etat démocratique, 20 ans après le retour au multipartisme?
Non.

• Pourquoi ?
La Côte d'Ivoire connaît une légère amélioration de la démocratie mais elle demeure un pays dont la démocratie est déséquilibrée parce qu'elle repose sur une seule jambe.

• Laquelle ?
Elle repose sur la classe politique. Une telle démocratie ressemble en quelque sorte à de l'apartheid en Afrique du Sud. En effet, en Afrique du Sud, au temps de l'apartheid, il y avait la démocratie, uniquement entre les Blancs. Mais, ceux-ci n'acceptaient pas la démocratie en faveur de tout le peuple, vis-à-vis des Noirs en particulier. C'est la même chose que nous vivons ici. Nous avons une démocratie qui repose uniquement sur l'élite politique, sans associer la société civile. C'est donc une démocratie unijambiste qui n'est pas réellement viable parce qu'elle ne peut pas générer une gouvernance de nature à propulser la croissance et le développement. Une telle démocratie est inefficace pour générer un environnement propice à la bonne gouvernance et à la croissance.

• Voulez-vous dire qu'au moment où on réinstallait le multipartisme, on aurait dû favoriser l'émergence de la société civile ?
Absolument ! Parce que le multipartisme lui-même est intervenu dans des conditions d'impréparation, d'improvisation, de cafouillage. On ne s'est pas assis pour le planifier, pour l'organiser et le structurer. On aurait dû le faire. Malheureusement, on n'a pas été proactif. Le parti au pouvoir de l'époque, le Pdci, a mené une politique d'entêtement et de résistance à l'égard des aspirations du peuple. Il n'a donc pas su anticiper le multipartisme qu'il a cédé sous l'effet de la pression et l'opposition aussi, ayant eu cette démocratie, s'y est engouffré dans la précipitation. D'un côté, il y a donc eu un manque d'anticipation et de l'autre, la précipitation. Tout s'est donc passé très vite, à un tel point que les acquis du parti unique n'ont pas été préservés, capitalisés. Ces sont, a contrario, les tares du parti unique qui ont été conservées, développées et amplifiées, malheureusement.

•Selon vous, qui a amplifié ces tares?
Elles ont été amplifiées par la classe politique. Parce que, quoi qu'on dise, le parti unique avait certaines qualités qu'on n'a pas pu capitaliser. Malheureusement, ce sont ses tares qui ont survécues.

• Etes-vous en train de dire que le Fpi qui revendique une grande part dans l'avènement des libertés démocratiques contribue aujourd'hui à l'amplification des tares du parti unique ?
Je n'indexe pas seulement le Fpi. J'indexe tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir depuis l'avènement du multipartisme. Ils ont tous refusé le dialogue républicain, l'idée d'une structuration du multipartisme de manière consensuelle et intelligente. De ce point de vue, ils sont donc tous comptables du cafouillage avec lequel on gère le multipartisme de 1990 jusqu'à aujourd'hui. Chaque parti au pouvoir a essayé de définir de manière unilatérale, le rythme de la démocratisation et de la conduite des affaires nationales, sans consensus. Et, ça aussi, c'est un héritage du parti unique. Le Pdci l'a fait jusqu'en 1999, les militaires l'ont fait jusqu'en 2000 et le Fpi fait, aujourd'hui, la même chose. Ce sont-là, la survivance du monopartisme, c'est-à-dire le refus du dialogue, la marginalisation de la société civile, l'instrumentalisation de la jeunesse. Le Pdci l'a fait avec le Meeci (Mouvement des élèves et étudiants de Côte d'Ivoire, Ndlr), le Fpi le fait aujourd'hui avec la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire, Ndlr) qui est le Meeci en pire.

• Le Pr Ouraga Obou révèle pourtant que le Fpi a contribué à la naissance de la Lidho.
Ce n'est pas le Fpi qui a créé la Lidho. A ma connaissance, la Lidho est née le 21 mars 1987. J'y ai adhéré en 1991. Mais, je sais que parmi les fondateurs de la Lidho, il y a des gens qui sont devenus, après, membres du Fpi, notamment, le Pr Kokora, Me Boga Doudou, Simone Gbagbo. Il y a eu également d'autres comme les professeurs Francis Wodié, Angèle Gnonsoa, Degni Segui, Bléhou Martin, et d'autres personnes qui sont parties dans d'autres partis politiques tels que l'Usd, le Pps, etc. Je ne crois pas que la Lidho soit une création du Fpi. Je sais qu'elle a été créée par des militants qui venaient, pour la plupart, de l'opposition politique ivoirienne de l'époque. Je peux d'ailleurs les catégoriser en deux groupes. Il y a des gens qui croyaient à une vraie société civile et aux vertus des droits de l'Homme et, il y en a qui sont venus à la Lidho pour s'en servir comme bouclier contre Houphouet-Boigny. Dès qu'on a autorisé la création des partis politiques en 1990, ceux-là ont quitté la Lidho. Par la suite, certains ont combattu la Lidho à travers la Fesci. Donc, on ne peut pas dire que c'est ce parti qui a engendré la Lidho.

• Le fait que cette organisation de la société civile soit composée, dès le départ, de militants de l'opposition, n'a-t-il pas biaisé le travail qu'il prévoyait pour l'enracinement de la démocratie ?
La Lidho était un peu comme une sorte d'îlot dans un environnement de peur, d'incertitude et même de résignation de certains militants de l'opposition. De ce point de vue, je reconnais que la présence de certains militants de l'opposition au sein de la Lidho a fait penser que c'était un parti politique. Il y a même un ancien ministre de l'Intérieur qui a qualifié la Lidho de 41ème parti politique, puisqu'il y en avait 40 en 1990. En réalité, ce n'était pas le cas. A la Lidho, il y avait de vrais militants des droits de l'Homme que j'ai connus à Amnesty qui étaient aussi à la Lidho et qui n'avaient pas d'ambitions politiciennes. Mais aujourd'hui, tout le monde se rend compte que la Lidho n'est pas à la solde d'un parti politique. La preuve, nous avons toutes les difficultés aussi bien avec le régime Pdci qu'avec tous les élus qui se sont succédé au pouvoir jusqu'à aujourd'hui. La Lidho n'est pas l'organisation la mieux logée dans ce pays ! On n'a jamais eu une quelconque aide de l'Etat, d'un parti politique ou de qui que ce soit ! La Lidho survit par ses propres moyens. Cela montre que c'est une organisation indépendante.

• Quand vous parlez de rééquilibre, souhaitez-vous que les organisations de la société civile soient financées au même titre que les partis politiques ?
C'est une évidence ! Je ne connais pas un parti politique en Côte d'Ivoire qui a mieux fait que la Lidho, en matière de recherche de la démocratie. Nos sympathisans se sont battus. Ils ont été incarcérés ; ils ont subi toutes sortes de brimades. Il y a des partis qui ont été créés dans le bénéfice des résultats obtenus par la Lidho, qui ne se sont jamais battus réellement et qui sont aujourd'hui financés. Je ne parle pas seulement de la Lidho ! La société civile, ce ne sont pas seulement les Ong des droits de l'Homme. Vous avez des Ong qui travaillent dans tous les secteurs de la vie : rural, médical, de l'animation de base, en matière d'encadrement des paysans, de l'alphabétisation, de l'éducation citoyenne, etc. Elles ont besoin du financement de l'Etat parce qu'elles font une œuvre d'intérêt public, collectif, national. Alors qu'est-ce que les partis politiques ont fait de plus que toutes ces Ong qui s'impliquent avec les populations. Voyez-vous, c'est une revendication légitime ! L'argent du contribuable ne doit pas seulement servir à financer l'administration de l'Etat mais aussi les structures non gouvernementales qui sont également utiles pour l'éducation des citoyens.

• Qu'est-ce qu'il faudrait faire pour parfaire la démocratie ?
Il faut signer un nouveau contrat social
C'est-à-dire ?
On était dans un contrat d'adhésion obligatoire au sein du parti unique. Ce contrat a été rompu. On n'a pas trouvé quelque chose de plus pertinent à la place, parce qu'on ne s'est pas assis pour concevoir un contrat consensuel pour définir les nouvelles règles de vie en communauté.

• Voulez-vous dire qu'il faut une concertation nationale ou une conférence nationale comme on en a vu au Bénin et au Congo ?
Il faut un bon sens national. Le bon sens veut dire que lorsqu'on a appliqué un système et que celui-ci s'est essoufflé, il faut s'asseoir pour réfléchir à produire un autre système, au lieu de continuer dans le désordre et dans l'errance. 30 ans déjà que nous sommes dans l'errance. La crise a commencé en 1979 et le premier programme d'ajustement structurel (Pas) est intervenu en 1981. Et voilà où nous a conduits l'impasse. Nous sommes le seul pays au monde à être incapable de prévoir ce qui va arriver dans un ou deux mois. C'est mortel pour la compétition internationale. Un pays qui ne peut même pas définir son destin dans les deux ou trois semaines à venir, n'est pas compétitif, objectivement. Ayons le courage de redéfinir les règles du jeu. C'est ce que j'appelle le nouveau contrat social. Ce n'est pas une question de concertation nationale, mais de bon sens national.

• Pour sa part, le l'Etat propose de réformer les institutions. Qu'en pensez-vous?
Je ne crois pas aux méthodes unilatérales. On a fait le multipartisme en 1990, dans les conditions que je viens de décrire. On a demandé, qu'ensemble, opposition et parti au pouvoir s'asseyent pour trouver un nouveau contrat social. Le Pdci a refusé et a voulu, à lui seul, définir le rythme du multipartisme. On s'est battu pour obtenir le bulletin unique, l'urne transparente. Des choses élémentaires que le Pdci refusait parce qu'il voulait définir de façon unilatérale, à sa manière, ce qui est bon pour les Ivoiriens, même dans le multipartisme. Cela a donné le boycott actif, le coup d'Etat de 1999. Les militaires sont venus et on leur a demandé de profiter du coup d'Etat pour rédiger les règles du jeu, un nouveau contrat social. Eux aussi ont voulu, à leur manière, imprimer, seuls, le rythme de la démocratie. Et pour cela, ils ont eu le soutien du Fpi et du Rdr, pour faire un régime militaro-civil, pour commencer une gouvernance indescriptible, mauvaise. Et, le Fpi est venu. Il organise un forum, celui de 2001 qui, en fait, est une farce ! Cela n'a pas été sérieux et ça nous a rattrapés. On ne veut pas être sérieux, on veut tricher avec notre destin. Et donc chacun, une fois qu'il est au pouvoir, veut définir de manière unilatérale, un destin national. Je trouve cela impertinent, inefficace et anti-démocratique. Et comme on ne veut pas être sérieux, cela a donné la rébellion. Il faut que, pour une fois pour toutes, les Ivoiriens soient sérieux.

Entretien réalisé par Marc Dossa
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