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Société Publié le samedi 19 juin 2010 | Nord-Sud

Comédie, bouffonnerie, clownerie… : Les complices des enfants démasqués

Ils ont choisi de se mettre au service des enfants. Avec des allures de bouffon, les clowns font des pitreries pour égayer les tout-petits. Incursion dans le milieu d’un art peu connu.

Sur un air de la Changa, musique de BB Lilly, jeune musicien français, des enfants dansent, heureux. Tout d’un coup, ils s’immobilisent. Le clown fait le tour des danseurs. Il tente de leur arracher des sourires. « Regardez celui-là. Il veut s’envoler ou quoi. Il se prend pour Superman », lance Babalou. Ses mots prononcés d’une voix fluette, mêlés de grimaces, arrachent des éclats de rire aux spectateurs. Le jeu auquel joue le clown Babalou est simple. C’est la ‘’statue musicale’’. Les enfants qui dansent doivent pouvoir s’arrêter dès que la musique est stoppée. Quand un enfant n’arrive pas à résister aux grimaces du clown, il est éliminé. Mais, aujourd’hui, aucun enfant ne résiste. Cette scène se déroule chez les Robbiosi, au quartier Edoukou Miézan de Grand-Bassam. La famille fête les trois ans de leur fille Emma. Elle a fait appel à une troupe de clowns, venue d’Abidjan. Sur la terrasse de la maison où sont regroupés les enfants, à cause de la pluie, un château gonflable est installé. Les gamins y sautillent sous les ordres de l’adulte comique. Maquillé de façon grossière, le jeune-homme porte un gros nez artificiel de couleur rouge. Il a le visage peint en blanc et arbore une perruque multicolore (bleu, jaune, vert). Sur sa longue chemise bleue, est plaqué un gilet rouge-jaune. Les deux pieds de son pantalon sont de différentes teintures (jaune pour le pied droit et rouge pour le pied gauche). Sa chaussure en peluche, de couleur noir-blanc, accentue son côté comique et drôle. « C’est ma première fois de jouer avec un clown. Avant, j’avais peur d’eux. Lui, il me fait beaucoup rire », explique, heureux, le petit Rony, un des invités. Les parents considèrent les clowns comme les amis des enfants. C’est donc un plaisir pour eux de favoriser leur rencontre. « Je vois bien que les enfants s’amusent et apprennent beaucoup avec le clown. L’enfant a droit au divertissement. Il est important pour nous, parents, de leur offrir ces moments de détente. Le fait qu’ils soient heureux, c’est le plus important pour moi », se réjouit M. Robbiosi, le père d’Emma. D’abord prisé par un public européen, l’art clownesque a investi les foyers africains. En Côte d’Ivoire, les familles ivoiriennes constituent 80% des clients des compagnies de clowns.
Des compagnies
de clowns ivoiriennes

Babalou, comme se fait appeler le comédien, est un animateur clown. Il fait partie de la troupe ‘’Babalou et sa bande’’ installée à Abidjan-Marcory. De son vrai nom Grah Serge Pacôme, le jeune-homme exerce ce métier depuis 2001. Il l’a appris auprès d’Amarou Kouadio, fondateur de la troupe. A ce jour, la Côte d’Ivoire compte quatre vraies compagnies de clowns. Il s’agit des Pataclowns de Fidel Ba, ‘’Babalou et sa bande’’ (composée d’une vingtaine de personnes) dirigée par Amarou Kouadio, ‘’Boule de gomme’’ (une dizaine de personnes) de Rokia Dongossy et les Wôlô clowns avec Yacou Wôlô, Chipi et chipa. Les noms des clowns proviennent du langage enfantin. Le groupe Babalou tient le sien d’une déformation d’Amarou. Sa nièce avait des difficultés à prononcer son nom. L’histoire des clowns ivoiriens a débuté avec la troupe ‘’Boule de gomme’’. Cet ensemble a été créé par Catherine Gérard, une Belge rentrée au pays depuis 1996. C’est auprès d’elle que Rokia Dongossy a suivi sa formation. « A l’époque, j’étais avec Claude Gnakoury et Guy (un acteur de théâtre) à Imako théâtre. Nous avons tous participé aux ateliers de formation avec Catherine. Mais, mes camarades n’ont pas été intéressés par cet art », souligne Rokia. « Catherine était marionnettiste. C’est plus tard qu’elle s’est lancée dans la clownerie », ajoute-t-elle. Fidel Ba, fondateur des Pataclowns, pense, par rapprochement, que cet art existe d’une certaine manière dans les traditions africaines, particulièrement, chez les peuples de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Même si c’est Catherine qui l’a véritablement lancé. « Après des recherches, j’ai découvert qu’il y a des clowns chez les Guéré. Les masques comédiens jouent un peu le rôle des comiques européens », indique-t-il. Pour Amarou Kouadio, des danseurs grossièrement habillés et déguisés en vieillards qui accompagnent certains artistes, peuvent être considérés comme les ancêtres des clowns ivoiriens. Mais, c’est auprès de Rokia qu’Amarou et Fidel se sont formés. Quant à Yacou des Wôlô clowns, il a été initié par Fidel Ba.

Un véritable art

Chez les Robbiosi, ce dimanche, le petit Marc semble très intéressé par le comique qui erre parmi les enfants. Cependant, il n’ose pas l’approcher. Accompagné de sa mère, il arrive à surmonter sa peur. Mais, dès qu’il est seul face au personnage, il rebrousse chemin. Dans l’exercice de son art, le clown n’est pas toujours accepté par l’enfant. Le gamin est parfois effrayé par son apparence, comme c’est le cas avec Marc. C’est à ce niveau, pensent les professionnels du métier, que l’artiste dévoile son talent. « Du moment où les visages de clowns sont méconnus de nos enfants, il faut que l’animateur use de techniques pour les approcher. Et cela ne passera que par la formation. Il faut savoir se tenir, savoir marcher et même s’habiller », indique Rokia. Serge Grah, le clown de l’anniversaire des Robbiosi, a ses méthodes pour côtoyer les enfants sans les effrayer. « Lorsque je sens qu’un enfant a peur de moi, je le fais participer à mon maquillage. De ce fait, je deviens plus familier à ses yeux », explique-t-il. Des détails qui montrent qu’être clown demande une formation, spécifiquement en théâtre. A ce niveau, les responsables des troupes sont assez outillés. « Il y a une relation entre le théâtre et le fait de se comporter en clown. Ces deux activités vont de pair. A partir de la maîtrise des rouages de l’art dramatique, on parvient à se fondre facilement dans le personnage de clown », précise Amarou Kouadio. C’est pourquoi, les différents animateurs clowns sont des comédiens acteurs. C’est le cas pour Fidel Ba et Yacou Wôlô, ou des transfuges du théâtre (Rokia Dongossy et Amarou Kouadio). Les troupes de clowns sont de véritables compagnies avec des sièges. Ils sont déclarés au Bureau ivoirien du droit d’auteur (Burida). Les Pataclowns et Wôlô clowns se sont spécialisés dans la création de spectacles. ‘’La fête des enfants’’, organisée par Yacou et ses amis au Palais de la culture de Treichville le 19 mai dernier, a été un véritable succès. Sur le thème, « Non à la traite des enfants », la troupe a réalisé des sketchs éducatifs pour les enfants. « Quand tu cris sur un enfant, il ne comprend rien. Mais, lorsque tu l’amuses ou lui donnes des bonbons, il est très intéressé par ce que tu lui dis », argumente Yacou.
Sur ce point, le wôlô clown sait ce qu’il dit. Pour preuve, les témoignages des enfants après leur spectacle de mai dernier sont édifiants. « La place d’un enfant, ce n’est pas dans un champ de café-cacao, mais à l’école », raconte un bambin. Ou encore, « il ne faut pas maltraiter un enfant », renchérit un autre. « Les parents, poursuit, un troisième, doivent s’occuper des enfants ». Bref, des déclarations qui démontrent que les bouts-de-choux retiennent facilement à travers cet art.

Un job qui nourrit son homme

La joie des enfants n’est pas la seule satisfaction des troupes de clowns. Le métier nourrit son homme. Une prestation comme celle de ce dimanche à Grand-Bassam peut rapporter autour de 100.000 Fcfa. En général, le coût des prestations de clowns varie entre 30.000 et 500.000 Fcfa. « Voyez, Rokia roule dans une BMW. Elle possède aussi une fourgonnette pour les déplacements de sa troupe. Amarou a également une voiture. C’est pareil pour Yacou des Wôlô clowns. Cela est très significatif. C’est la preuve que notre art nous nourrit », se réjouit Fidel Ba. Des faveurs sont faites aux familles à faibles revenus. « C’est pour permettre à tous les enfants de communier avec nous, que nous avons institué ‘’La fête des enfants’’ au Palais de la culture. Mais, si un enfant veut absolument avoir les wôlô clowns à sa fête, nous pourrons aller jouer gratuitement ». Avant cette période de grâce, les organisations de clowns ont connu une période de vache maigre. « A mes débuts, j’étais avec un jongleur et un acrobate. Face aux difficultés, ils se sont retirés. Mais, comme le dit notre parrain artistique, Adama Dahico, un artiste est un fou. Celui qui a la capacité d’imposer une chose qui sort de l’ordinaire. C’est le cas aujourd’hui », se réjouit l’acteur de ‘’Faut pas fâcher’’, Traoré Yacouba. La pratique de la musique a donné une valeur ajoutée à la clownerie des Wôlô. Leur album « Tori Kaméléba » (grenouille gigolo) connaît un grand succès en ce moment. Mais, une meilleure implication des autorités de la culture donnerait une autre considération à la chose. « Nous avons envoyé plusieurs courriers au ministère de la Culture et de la Francophonie, mais, nous n’avons reçu aucune réponse. Les seules aides sont venues du Programme de soutien aux initiatives culturelles (Psic) de l’Union européenne en 2003-2004 », révèle Amarou. Rokia Dongossy a son point de vue sur la question. « En Côte d’Ivoire, lorsque tu ne chantes pas, tu n’es pas un artiste », estime-t-elle.

Sanou Amadou
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