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Société Publié le lundi 28 juin 2010 | Notre Voie

CHU et instituts de Santé en Côte d’Ivoire - Des cadres bloqués par des profs cumulards

Les CHU et instituts de santé sont dirigés, depuis plusieurs années, par des professeurs en médecine qui sont dans le même temps, des chefs de service dans les structures qu’ils dirigent. Cette situation, comme on peut s’en douter, crée des frustrations et de plus en plus de contestations ouvertes. Notre Voie s’est engouffré dans cet univers où les règles de l’administration sont mises en berne au profit de la sacro-sainte loi du maître. Ici c’est le règne du mandarinat. Ces cas d’incongruité sont presque passés dans les mœurs. Ils sont acceptés comme des choses normales. Au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Yopougon, Pr. Kéita Kader est à la fois directeur général du CHU de Yopougon et chef du service radiologie et imagerie médicale du même établissement sanitaire. A l’autre bout sud de la ville d’Abidjan, au CHU de Treichville, Pr. Niamkey Ezani Kodjo Emmanuel cumule les fonctions de directeur général du CHU et de chef du service médecine interne. Au centre du pays, c’est encore le cas de Pr. Boa Yapo Félix, nommé directeur général du CHU de Bouaké mais qui continue d’occuper, comme s’il avait le don de l’ubiquité, les fonctions de chef du service neurologie du CHU de Yopougon à Abidjan où il n’est plus en poste. Dans ce même registre, Pr. Kouassi Jean Claude, maître de conférences agrégé et actuel directeur de l’Institut Raoul Follereau d’Adzopé, continue malgré la distance, d’être chef du service de chirurgie générale et digestive du CHU de Cocody. Faut-il alors parler de Pr. N’Guessan Henri Alexandre Antoine, directeur de l’hygiène publique qui demeure le chef du service chirurgie du CHU de Treichville ? Ces cas de cumul de fonctions, faut-il le dire, ne sont pas liés à un déficit de cadres et de compétences dans le domaine de la santé. La Côte d’Ivoire est, certainement en Afrique de l’Ouest, l’un des pays les plus dotés en matière de cadres supérieurs de la santé. Dans les établissements sanitaires tels les CHU et les instituts de santé du pays, selon le point fait par l’UFR de médecine de l’Université d’Abidjan-Cocody, ils sont au titre de l’année académique 2009-2010, 83 professeurs titulaires et 76 maîtres de conférences agrégés et l’écrasante majorité de ces hauts médecins n’attend qu’on lui laisse une chance de diriger “aussi”. Mais cette attente se prolonge indéfiniment malgré les solutions préconisées par l’Etat. A l’eau la mesure “Abouo N’Dori” ! En 2001, le professeur de cardiologie Abouo N’Dori, nommé à l’époque ministre de la Santé, a décidé que les spécialistes de la santé, notamment les cadres supérieurs de la santé, soient nommés à la tête des établissements et instituts sanitaires, faisant ainsi aboutir plusieurs années de lutte du Syndicat national des cadres supérieurs de la santé de Côte d’Ivoire (SYNACASS-CI) dont il est membre. Ce syndicat avait toujours estimé que les administrateurs des services financiers, option santé, qui étaient avant 2001 à la tête des établissements sanitaires n’étaient pas assez outillés pour comprendre les problèmes de santé dans un hôpital mieux que les médecins. Alors, sur proposition du ministre Abouo, le président Laurent Gbagbo a signé le décret n°2001-650 du 19 octobre 2001 portant attribution, organisation et fonctionnement des centres hospitaliers et universitaires de Cocody, Treichville, Yopougon et de Bouaké, et abrogeant les décrets n°98-380, 98-381, 98-382 et 98-383 du 30 juin 1998. Au terme de cette décision gouvernementale, le directeur du CHU est nommé par décret en Conseil des ministres sur proposition du ministre de la Santé, avec rang de directeur général. “Il est choisi parmi les chefs des services médicaux et médico-techniques formés à la gestion hospitalière”, peut-on lire à l’article 10 dudit décret. Le chef de service (art. 18, alinéa 1) est lui-même nommé par arrêté du ministre de la Santé pour une durée de trois ans renouvelables, sur proposition du directeur général du CHU. Pour exercer la fonction de chef de service, poursuit l’article 18 en son alinéa 2, il faut être professeur titulaire, ou à défaut, maître de conférences agrégé ou maître-assistant. Mais très vite, ce décret va créer un problème dans sa mise en pratique. Lorsqu’un chef de service est nommé directeur général d’un CHU ou d’un institut de santé, il refuse de céder son poste de chef de service. Il cumule ainsi les indemnités rattachées à la fonction de directeur général (plus de 250 000 FCFA) et à celle de chef de service (75.000 FCFA). “Pourtant, analyse un juriste, nulle part dans le décret, il n’est dit que celui qui est nommé doit conserver absolument son poste de chef de service. Cette ambiguité trouve sa réponse dans le mandarinat”. Le mandarinat, explique toujours le juriste, est “un système où le maître est roi et écrase tous ses subalternes, où aucun cadet dans la profession ou élève n’est autorisé à contredire ou à chercher à prendre la place du mandarin”. Et au juriste de poursuivre : “Normalement, dans l’administration, lorsque vous êtes affecté à un poste, vous êtes tenu de libérer le premier que vous occupiez pour permettre à d’autres de monter aussi en grade. C’est ce principe qui est remis en cause avec les professeurs !”. De fait, les fondements de l’administration sont gênés par les habitudes dans le milieu médical. Ainsi, quand le chef de service est nommé par exemple directeur général, il conserve son poste de chef de service de sorte que le jour où il est démis de ses fonctions de directeur général, il retrouve automatiquement son poste de chef de service. C’est pourquoi, pendant que le professeur promu assure ses nouvelles fonctions de directeur, un intérimaire est désigné au poste de chef de service pour maintenir son ancienne “assiette” au chaud. L’intérimaire, évidemment, fait un travail pour lequel il n’est pas rétribué puisque les indemnités liées à ce poste reviennent “de plein droit” au professeur titulaire ou agrégé, anciennement titulaire du poste. Quelle servitude ! Chefs de service à vie A y voir de près, à cause de cette pratique, les chefs de service sont finalement nommés à vie. Si le décret affirme que le chef de service (art. 18, alinéa 1) est lui-même nommé par arrêté du ministre de la Santé pour une durée de trois ans renouvelables, sur proposition du directeur général du CHU, force est de constater que sur le terrain, ce n’est pas le cas. “Depuis 2001 que je suis là, il n’y a jamais eu de renouvellement”, témoigne un administrateur d’un des CHU d’Abidjan. Pourquoi les directeurs généraux ne proposent-ils pas de renouvellement tous les trois ans comme le stipule le décret ? “Il n’y a pas de renouvellement pour la simple raison qu’il n’y a rien à reprocher à ceux qui sont là”, se défend Pr. Kouakou Firmin, le tout récent ex-directeur du CHU de Cocody qui est par ailleurs chef de service salle d’accouchement du CHU qu’il a dirigé. Toutefois, il a révélé que les chefs de service seront désormais évalués par la direction de la coordination des EPN (Etablissements publics nationaux) aux fins de dire qui doit être changé ou pas au bout de trois ans. En attendant, les chefs de service sont maintenus à leur poste par tacite reconduction. Au point où certains professeurs s’en plaignent. “Oui, c’est vrai que c’est pour 3 ans qu’on nomme les chefs de service. Mais ça ressemble à des postes à vie. Quand le bénéficiaire est nommé à l’intérieur du pays, il ne peut pas assumer les deux postes à la fois. La Côte d’Ivoire a suffisamment de cadres en médecine pour remplacer quelqu’un qui a été promu à un autre poste de l’administration nationale. On n’assure l’intérim de quelqu’un que lorsqu’il est en congé ou en mission pour quelques jours. Et non quand il est affecté ailleurs, à un autre poste. A l’époque, on le faisait parce qu’on n’avait pas assez de cadres. Mais aujourd’hui, tous les 2 ans, la Côte d’Ivoire reçoit des agrégés en médecine. Donc, il y a suffisamment de cadres pour assurer des postes de responsabilité”, dénonce un professeur en médecine qui a requis l’anonymat. Par contre, pour un autre cadre, “c’est normal. Car c’est parmi les professeurs agrégés qu’on nomme pour 3 ans les chefs de service et les directeurs généraux. S’il n’est plus directeur général, il faut qu’il revienne retrouver son poste”. Cette situation assez paradoxale ne semble gêner aucun professeur cumulard. Alors, des voix à peine audibles autrefois se font de plus en plus entendre aujourd’hui pour crier à l’injustice et dire haro sur le mandarinat ! Elles sont rendues davantage audibles par un certain désordre qui règne dans les services où le mandarinat continue de sévir malgré de très fortes résistances. Une enquête de Coulibaly Zié Oumar
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