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Politique Publié le samedi 9 octobre 2010 | L’Inter

Présidentielle 2010 : Donatien Robé, responsable d`ONG analyse le projet de société d`ADO ``Il n’y pas que l’économie et les finances dans la gouvernance d’un pays``

M. Donatien Robé est un Ivoirien vivant en France. Il préside l`Ong « Orphelins Secours Côte d`Ivoire » qui fait la promotion de l’Assurance Maladie Universelle (Amu). Dans cet entretien, il décortique le programme de société du candidat Alassane Ouattara. Tout en reconnaissant au candidat sa compétence, il souligne néanmoins des contradictions dans son projet de société.

L’élection présidentielle est proche. Quel est votre sentiment personnel sur cette échéance?

Comme tous les Ivoiriens, je suis heureux que nous nous acheminions vers la tenue des élections. Beaucoup de choses, notamment en terme d’investissement privé, public et de réformes structurelles dépendent en partie de cette élection. Mais l’élection n’est pas la solution à tout. Il nous faut la paix. Que ferons-nous concrètement après cette élection, surtout concernant les réformes sociales? A ce jour, l’opposition ne fait que critiquer. On ne peut pas être élu sur la base du bilan ou de la critique de l’adversaire. On ne sera élu que sur la base de son projet de société. Et les Ivoiriens doivent exiger que ce projet soit applicable et financé.

Mais ce ne sont pas des propositions qui font défaut à l`opposition!
Pour l’instant, ces propositions sont sous forme d’effets d’annonce. Les Ivoiriens attendent des détails. Plus personne ne doit prétendre gouverner la Côte d’Ivoire sans convaincre.

Au sujet des détails, certains candidats de l`opposition notamment M. Ouattara, ont quand même un programme bien élaboré avec chiffres à l`appui. Ne le pensez-vous pas ?
Ce n’est pas parce qu’un programme est chiffré qu’il est applicable. Le programme de M. Ouattara dont vous parlez est certes chiffré, mais pas encore financé. Certes, le candidat a présenté un programme impressionnant, séduisant à première vue, mais pour quel résultat probant?

Qu`est-ce qui justifie votre pessimisme?

C`est parce que M. Ouattara compte sur un endettement massif de la Côte d’Ivoire pour financer son programme. C’est très grave, parce qu’il mettra les générations et les présidents à venir dans des difficultés. Dès lors que vous vous endettez massivement, vous vous ôtez la liberté de mener la politique de votre choix. Le prêteur peut, comme c’est souvent le cas, avoir un droit de regard sur vos choix. Il est vrai que tous les pays s`endettent, mais il faut des limites. N`oubliez pas qu’un financement par endettement n’est jamais sûr. En plus, on ne peut pas financer des réformes structurelles c’est-à-dire profondes et durables, surtout à caractère social, avec l`endettement. Il faut nécessairement un financement interne. Ceci étant, Alassane Ouattara compte sur sa crédibilité, sa capacité à tenir ses engagements pour convaincre les bailleurs de fonds et les investisseurs. Il ne suffit pas que ADO soit président pour que la Côte d’Ivoire prospère. Contrairement à ce que disent ses proches, les agences de notation auxquelles se réfèrent les investisseurs tiennent généralement compte des indicateurs économiques, donc de la capacité financière du pays à rembourser. Le nom du président importe peu. Autrement, des pays comme le Venezuela, l’Iran, la Libye etc. n’auraient aucun investisseur et aucune relation avec le monde extérieur. Même l’Irak au temps de Saddam Hussein recevait des investisseurs.

Supposons qu’on tienne compte uniquement de la crédibilité du candidat, quel investisseur ou bailleur de fonds peut injecter de l’argent dans un pays instable? En tout cas, les Ivoiriens préféreront un candidat, qui ne tiendrait pas tous ses engagements vis-à-vis des bailleurs de fonds pour avoir recruté 1300 médecins en 2007 pour améliorer le ratio médecins-habitants contre l’avis de ces institutions, à un autre qui est prêt à accéder à tout ce que lui demandent ces mêmes institutions, y compris supprimer tous les acquis sociaux.

Lorsqu`il était Premier ministre d`Houphouët, il avait quand même redressé l`économie qui était mal en point ?

Vous savez, lorsqu`il était directeur Afrique du FMI, M. Ouattara a fait appliquer intégralement les programmes d’ajustement structurel (PAS) qui sont aujourd’hui dénoncés. En son temps, Houphouët-Boigny avait dénoncé ces PAS en 1985 dans le livre de feu Denis Bra Kanon, intitulé ``Développement ou appauvrissement``. Il a dit exactement ceci: ``Nous avons commis des fautes et les avons reconnues. Mais les principaux obstacles qui se sont placés sur la voie de notre développement viennent de l’extérieur``. Alassane Ouattara est un homme respectable, compétent dans son domaine. Tout le monde le lui reconnait, y compris Laurent Gbagbo. Mais, il n’y a pas que l’économie et les finances dans la gouvernance d’un pays. Cette fonction a aussi d’autres exigences à savoir, être en symbiose avec son peuple, savoir lui parler, savoir gérer les crises, défendre d’abord les intérêts du peuple etc. Un bon joueur de football ne devient pas forcément un bon entraîneur de foot,d’autant plus que chaque fonction exige des qualités spécifiques.

Son programme comporte tout de même du concret, notamment sa politique de logements sociaux, n`est-ce pas?

Parlons justement de ces logements sociaux. Il s’engage à ce que chaque Ivoirien ait un toit. Il compte de ce fait, faire construire 50.000 logements par an à 5 millions de fcfa/pièce qui seront financés par un prêt bancaire et remboursable sur 25 ans, à raison de 25.000 fcfa par mois.

Présenté comme tel, c’est magnifique! Mais dans la réalité, c’est impossible. Déjà, il faut bien trouver les terrains et construire effectivement ces logements. En plus, au plan strictement arithmétique, sur 5 ans, cela fait 250.000 logements. En 10 ans, c’est 500.000 logements.

Alassane Ouattara sera très loin de son engagement de permettre à chaque Ivoirien d’être propriétaire,car 500.000 ne fait même pas le tiers de près des 20 millions d’Ivoiriens. Cette promesse est donc prétentieuse dans la mesure où un pays développé comme la France a 57% de propriétaires pour une moyenne européenne de 66%. Même si on construisait ces logements, malgré la garantie de l’Etat, aucune banque ne prêtera à un pauvre sans un minimum de garantie personnelle. Alassane Ouattara qui est banquier le sait, aucune banque ne prêtera non plus sur 25 ans,c’est-à dire sur une longue période,dans un pays où l’espérance de vie est de 45 ans, sachant aussi que l’Ivoirien entre sur le marché du travail en moyenne autour de 30 ans.

N’oublions pas non plus que 95% des emplois sont précaires. En Occident, les banques prêtent sur une longue période parce que l’espérance de vie est longue, les jeunes entrent très tôt sur le marché du travail et les emplois sont durables. Dites-moi, dans un pays où près de 85% des travailleurs ont moins de 100 mille francs cfa comme revenu mensuel, où le smig est d’environ 35 000 f cfa, qui peut payer 25 mille francs cfa par mois sur 25 ans sans incident de paiement?

Finalement,ce sont les riches, à défaut d’une ruée des pauvres vers ces logements, qui les achèteront par dizaines et les feront louer à ces mêmes pauvres, à des prix excessifs. En réalité,c’est donc un programme pour les riches.

Et son projet d`assurance maladie?

Il a un mauvais programme de santé. Je dénonce son projet de conventionnement avec les hôpitaux publics, car il va implicitement privatiser les hôpitaux publics. Dans cette proposition, il prévoit de laisser le recrutement du personnel et le plateau technique, à la charge de ces hôpitaux publics. Les coûts supplémentaires, incontestablement, seront répercutés sur les malades. Cette politique existe en Angleterre mais le contenu des conventions se limite à la qualité des soins selon les pathologies, leur système étant décrié en raison de la mauvaise qualité de la prise en charge et des files d’attente. Chez nous, le paquet minimum d’activités (PMA) et le protocole de soins peuvent améliorer la qualité des soins. Il existe aussi une inspection générale de la santé qui, si on lui donne les moyens et plus de pouvoir, peut faire respecter des normes qualité. Pas donc besoin de convention avec les hôpitaux publics si l’arrière-pensée n’est pas de les privatiser implicitement sous le prétexte de les rendre autonomes. Concernant l’assurance maladie,c’est l’absence de conviction et le flou qui m`interpellent. Il y a aussi le fait que Alassane Ouattara, conscient de l’intérêt des Ivoiriens pour l’Amu, a préféré proposer un projet similaire dans ses principes de base. Pourtant depuis 1990 qu`il est sur la scène politique ivoirienne, il n’a jamais manifesté sa volonté d’instaurer une assurance maladie, contrairement à Laurent Gbagbo qui en parle depuis plus de 20 ans.

Interview réalisée
par Franck SOUHONE
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