Il ne reste plus que deux petites marches pour atteindre l’élection présidentielle du 31 octobre. Craignant des actes de violence à cette occasion, de nombreux ménages se ruent vers les marchés pour s’approvisionner en denrées alimentaires.
La présidentielle approche à une vitesse exponentielle et les risques de dérapages voire de violence hantent beaucoup d’esprits. De l’avis des observateurs, ces échéances électorales sont «historiques» puisqu’elles ont lieu après une dizaine d’années de crise. Mais, force est de reconnaître que les futurs votants sont quelque peu perplexes. La psychose d’une dégénérescence de la situation emballe progressivement les populations à telle enseigne que de nombreux ménages, parmi elles, ont décidé de prendre leurs précautions. La course aux provisions semble ainsi s’engager sur le marché. A l’image du spectacle qu’offre l’abattoir de Port-Bouët, ce mardi 26 octobre, en début de matinée. Ce haut-lieu de vente de protéines animales grouille de monde. Certains automobilistes ont du mal à se frayer un chemin et à trouver un espace libre pour immobiliser leur véhicule. Une ambiance assez impressionnante! Les demi-grossistes et les détaillants sont pratiquement assaillis par le nombre important de clients.
Les commerces envahis
«Je suis arrivée à l’abattoir à 8 heures. J’y ai passé plus de deux heures de temps, avant d’avoir de la viande de bœuf. C’est terrible», explique Mme Coulibaly Fanta, une commerçante qui, avec l’aide de son chauffeur, s’apprêtait à charger ses gros emballages de viande dans le coffre de son véhicule. Elle dit avoir convaincu son époux, qui lui a remis une somme conséquente dans le but de faire des provisions, en prévision de l’élection présidentielle. «En tant que mère de famille, nous sommes très préoccupées par la présidentielle. Dans la mesure où la moindre contestation des résultats peut remettre le feu aux poudres. Or, s’il y a des actes de violence, c’est clair que le marché connaîtra une forte pénurie. C’est pourquoi, nous avons décidé de faire d’importants achats de denrées alimentaires», poursuit-elle. La commerçante s’est procuré 30 kilogrammes (kg) de viande de bœuf contre 20 kg qu’elle a l’habitude de prendre pour le mois. Elle extériorise son sentiment d’indignation eu égard à la hausse subite du prix du kilo qui est passé de 1.500 à 1.750 Fcfa. Les chevillards rétorquent à leur tour : «il n’y a pas assez de bœufs actuellement. Les marchands de bétails hésitent de plus en plus quand il s’agit de prendre la direction d’Abidjan. Ils craignent des grabuges à cause de l’élection présidentielle». Pendant ce temps, Mme Coulibaly (mère de 6 enfants) visiblement pressée, remonte immédiatement dans son véhicule pour prendre la route du marché Gourou d’Adjamé où elle entend s’offrir des légumes pour densifier son stock d’avant élection. A l’instar de cette commerçante, de nombreux responsables de famille mettent les bouchées doubles pour assurer des semaines sans pénurie alimentaire si éventuellement, les choses se compliquaient à l’annonce des résultats de la présidentielle. Kouadio F., chef d’entreprise, a encore en mémoire la confusion issue de la proclamation des résultats des échéances de 2000. «Nous avons encore en mémoire ce qui s’est passé lors de la présidentielle de 2000. Le gl Guéi a voulu confisquer les résultats, cela a mis de l’huile sur le feu et le pays a été paralysé durant plusieurs jours. La confusion était totale. A telle enseigne qu’il était quasiment impossible de se nourrir correctement», rappelle-t-il. Convaincu que cet épisode, bien que triste, l’a forgé. C’est justement pour cela que l’opérateur économique (père de 5 enfants) s’est rendu à sa banque au Plateau (siège de la Société ivoirienne de banque) pour faire un retrait (d’argent) afin d’acquérir ce dont sa famille et lui auront besoin pour se nourrir convenablement durant des semaines. Après son opération bancaire, il prévoit acheter, les heures qui suivent, deux sacs de riz (riz importé de 25 kilos), une importante quantité d’huile, de condiments. Il n’oubliera pas de faire également le plein de ses trois bouteilles de gaz butane (12 kg, chacune). «Il ne s’agit pas de faire forcément preuve de scepticisme, mais pour nous, il faut faire face aux imprévus. De sorte que la famille soit à l’abri de tout besoin, ne serait-ce que pour quelques jours. Parce que rien n’est plus inquiétant que lorsque vous avez de l’argent et que vous n’arrivez pas à le dépenser», soutient Kouadio F. Le chef d’entreprise va plus loin. Il annonce avoir pris des mesures rigoureuses à l’endroit de ses enfants : «J’ai décidé que plus personne ne reste tardivement dehors lorsqu’il n’a rien à faire. Surtout pour ceux qui n’ont pas l’âge de voter. Après les cours, les enfants regagnent immédiatement le domicile». Quant à M. Dazié S., agent du trésor, il apparaît beaucoup plus angoissé lorsqu’on évoque la question électorale. Attention, il a prévu un stock alimentaire sur deux mois. Selon lui, il a procédé à une double provision : ce sont entre autres deux sacs de riz importé (à 17.500 Fcfa, l’un), des quantités importantes de légumes et de produits oléagineux, quatre bouteilles de gaz chargées (2 bouteilles de 12 kg et 2 bouteilles de 6 kg). Sans compter les nombreuses emplettes faites dans un supermarché.
Des ménages confiants
«J’ai bourré mon réfrigérateur. J’ai dépensé plus de 100.000 Fcfa y compris l’achat de viande et de poisson. C’est vrai que ce sont des dépenses supplémentaires. Mais, j’ai bien peur que le scénario de 2000 ne se reproduise», avertit-il, l’air méfiant. Nonobstant ces différentes préoccupations susmentionnées, d’autres ménages préfèrent garder leur sérénité. Estimant que la majorité des Ivoiriens veut tourner cette page «noire de son histoire». Au dire de N’Guessan N’Guessan, ingénieur des techniques agricoles, il est temps de passer à autre chose. «On a passé 10 ans dans cette situation stationnaire à cause de la guerre. Il y a eu des accords jusqu’à ce qu’on soit à un doigt des élections pour lesquelles la communauté internationale a financièrement soutenu la Côte d’Ivoire. Nous comprenons nos compatriotes qui prennent certaines dispositions liées aux besoins alimentaires, mais nous restons confiants», tente-t-il de décrisper l’atmosphère, bien qu’il soit pressuré par son épouse. Pour lui, la population n’est pas prête à accepter des tentatives de subversion. D’autant que c’est elle qui sera la première victime. «Quand il y a des manifestations, aucune affaire ne marche. Les marchés, les boutiques et tous les autres commerces sont abandonnés ou fermés. Et, plus cela dure, plus la situation devient intenable parce que la nourriture devient rare. Nous pensons que les Ivoiriens ont trop souffert et il faut éviter de retomber dans les mêmes travers», prévient l’ingénieur. Cependant, Mme K. Clémentine semble se résigner dans la mesure où elle n’a pas prévu de faire des provisions additionnelles. Cette secrétaire de direction dans une structure à Marcory, précise que même si elle en a envie, ses moyens ne lui permettent pas de payer plus que d’habitude. «Avec le niveau salarial que j’ai, je ne peux pas excéder 70.000 Fcfa par mois pour les frais destinés aux besoins alimentaires. Je me débrouille avec mes six enfants. Donc, si la situation dégénère, nous risquons d’en pâtir terriblement», murmure cette dame, la voix tremblotante. Elle confie son sort au ciel afin que le jeu électoral se passe dans la plus «stricte transparence». Notons que dans la journée d’hier, les banques et les établissements financiers ont également été pris d’assaut par de nombreuses personnes. Même si cela coïncide avec la fin du mois, l’objectif principal est de retirer de l’argent pour effectuer d’importantes réserves alimentaires avant le scrutin. Les Ivoiriens retiennent leur souffle!
Cissé Cheick Ely
La présidentielle approche à une vitesse exponentielle et les risques de dérapages voire de violence hantent beaucoup d’esprits. De l’avis des observateurs, ces échéances électorales sont «historiques» puisqu’elles ont lieu après une dizaine d’années de crise. Mais, force est de reconnaître que les futurs votants sont quelque peu perplexes. La psychose d’une dégénérescence de la situation emballe progressivement les populations à telle enseigne que de nombreux ménages, parmi elles, ont décidé de prendre leurs précautions. La course aux provisions semble ainsi s’engager sur le marché. A l’image du spectacle qu’offre l’abattoir de Port-Bouët, ce mardi 26 octobre, en début de matinée. Ce haut-lieu de vente de protéines animales grouille de monde. Certains automobilistes ont du mal à se frayer un chemin et à trouver un espace libre pour immobiliser leur véhicule. Une ambiance assez impressionnante! Les demi-grossistes et les détaillants sont pratiquement assaillis par le nombre important de clients.
Les commerces envahis
«Je suis arrivée à l’abattoir à 8 heures. J’y ai passé plus de deux heures de temps, avant d’avoir de la viande de bœuf. C’est terrible», explique Mme Coulibaly Fanta, une commerçante qui, avec l’aide de son chauffeur, s’apprêtait à charger ses gros emballages de viande dans le coffre de son véhicule. Elle dit avoir convaincu son époux, qui lui a remis une somme conséquente dans le but de faire des provisions, en prévision de l’élection présidentielle. «En tant que mère de famille, nous sommes très préoccupées par la présidentielle. Dans la mesure où la moindre contestation des résultats peut remettre le feu aux poudres. Or, s’il y a des actes de violence, c’est clair que le marché connaîtra une forte pénurie. C’est pourquoi, nous avons décidé de faire d’importants achats de denrées alimentaires», poursuit-elle. La commerçante s’est procuré 30 kilogrammes (kg) de viande de bœuf contre 20 kg qu’elle a l’habitude de prendre pour le mois. Elle extériorise son sentiment d’indignation eu égard à la hausse subite du prix du kilo qui est passé de 1.500 à 1.750 Fcfa. Les chevillards rétorquent à leur tour : «il n’y a pas assez de bœufs actuellement. Les marchands de bétails hésitent de plus en plus quand il s’agit de prendre la direction d’Abidjan. Ils craignent des grabuges à cause de l’élection présidentielle». Pendant ce temps, Mme Coulibaly (mère de 6 enfants) visiblement pressée, remonte immédiatement dans son véhicule pour prendre la route du marché Gourou d’Adjamé où elle entend s’offrir des légumes pour densifier son stock d’avant élection. A l’instar de cette commerçante, de nombreux responsables de famille mettent les bouchées doubles pour assurer des semaines sans pénurie alimentaire si éventuellement, les choses se compliquaient à l’annonce des résultats de la présidentielle. Kouadio F., chef d’entreprise, a encore en mémoire la confusion issue de la proclamation des résultats des échéances de 2000. «Nous avons encore en mémoire ce qui s’est passé lors de la présidentielle de 2000. Le gl Guéi a voulu confisquer les résultats, cela a mis de l’huile sur le feu et le pays a été paralysé durant plusieurs jours. La confusion était totale. A telle enseigne qu’il était quasiment impossible de se nourrir correctement», rappelle-t-il. Convaincu que cet épisode, bien que triste, l’a forgé. C’est justement pour cela que l’opérateur économique (père de 5 enfants) s’est rendu à sa banque au Plateau (siège de la Société ivoirienne de banque) pour faire un retrait (d’argent) afin d’acquérir ce dont sa famille et lui auront besoin pour se nourrir convenablement durant des semaines. Après son opération bancaire, il prévoit acheter, les heures qui suivent, deux sacs de riz (riz importé de 25 kilos), une importante quantité d’huile, de condiments. Il n’oubliera pas de faire également le plein de ses trois bouteilles de gaz butane (12 kg, chacune). «Il ne s’agit pas de faire forcément preuve de scepticisme, mais pour nous, il faut faire face aux imprévus. De sorte que la famille soit à l’abri de tout besoin, ne serait-ce que pour quelques jours. Parce que rien n’est plus inquiétant que lorsque vous avez de l’argent et que vous n’arrivez pas à le dépenser», soutient Kouadio F. Le chef d’entreprise va plus loin. Il annonce avoir pris des mesures rigoureuses à l’endroit de ses enfants : «J’ai décidé que plus personne ne reste tardivement dehors lorsqu’il n’a rien à faire. Surtout pour ceux qui n’ont pas l’âge de voter. Après les cours, les enfants regagnent immédiatement le domicile». Quant à M. Dazié S., agent du trésor, il apparaît beaucoup plus angoissé lorsqu’on évoque la question électorale. Attention, il a prévu un stock alimentaire sur deux mois. Selon lui, il a procédé à une double provision : ce sont entre autres deux sacs de riz importé (à 17.500 Fcfa, l’un), des quantités importantes de légumes et de produits oléagineux, quatre bouteilles de gaz chargées (2 bouteilles de 12 kg et 2 bouteilles de 6 kg). Sans compter les nombreuses emplettes faites dans un supermarché.
Des ménages confiants
«J’ai bourré mon réfrigérateur. J’ai dépensé plus de 100.000 Fcfa y compris l’achat de viande et de poisson. C’est vrai que ce sont des dépenses supplémentaires. Mais, j’ai bien peur que le scénario de 2000 ne se reproduise», avertit-il, l’air méfiant. Nonobstant ces différentes préoccupations susmentionnées, d’autres ménages préfèrent garder leur sérénité. Estimant que la majorité des Ivoiriens veut tourner cette page «noire de son histoire». Au dire de N’Guessan N’Guessan, ingénieur des techniques agricoles, il est temps de passer à autre chose. «On a passé 10 ans dans cette situation stationnaire à cause de la guerre. Il y a eu des accords jusqu’à ce qu’on soit à un doigt des élections pour lesquelles la communauté internationale a financièrement soutenu la Côte d’Ivoire. Nous comprenons nos compatriotes qui prennent certaines dispositions liées aux besoins alimentaires, mais nous restons confiants», tente-t-il de décrisper l’atmosphère, bien qu’il soit pressuré par son épouse. Pour lui, la population n’est pas prête à accepter des tentatives de subversion. D’autant que c’est elle qui sera la première victime. «Quand il y a des manifestations, aucune affaire ne marche. Les marchés, les boutiques et tous les autres commerces sont abandonnés ou fermés. Et, plus cela dure, plus la situation devient intenable parce que la nourriture devient rare. Nous pensons que les Ivoiriens ont trop souffert et il faut éviter de retomber dans les mêmes travers», prévient l’ingénieur. Cependant, Mme K. Clémentine semble se résigner dans la mesure où elle n’a pas prévu de faire des provisions additionnelles. Cette secrétaire de direction dans une structure à Marcory, précise que même si elle en a envie, ses moyens ne lui permettent pas de payer plus que d’habitude. «Avec le niveau salarial que j’ai, je ne peux pas excéder 70.000 Fcfa par mois pour les frais destinés aux besoins alimentaires. Je me débrouille avec mes six enfants. Donc, si la situation dégénère, nous risquons d’en pâtir terriblement», murmure cette dame, la voix tremblotante. Elle confie son sort au ciel afin que le jeu électoral se passe dans la plus «stricte transparence». Notons que dans la journée d’hier, les banques et les établissements financiers ont également été pris d’assaut par de nombreuses personnes. Même si cela coïncide avec la fin du mois, l’objectif principal est de retirer de l’argent pour effectuer d’importantes réserves alimentaires avant le scrutin. Les Ivoiriens retiennent leur souffle!
Cissé Cheick Ely