M. le Premier ministre, que représente pour vous la date du 31 octobre à laquelle va se tenir enfin le premier tour de l’élection présidentielle?
Le 31 octobre 2010 est, pour moi, une date historique. Et je pèse mes mots. C’est cette date qui a été convenue pour que tous les citoyens ivoiriens en âge de voter se rendent dans les bureaux de vote pour choisir librement leur Président. Cet acte est quelque chose de fort pour une nation dans le système démocratique que nous entendons pratiquer dans notre pays. A 48 heures (l’interview a été réalisée le jeudi 28 octobre 2010. Ndlr) de cette élection, dans quel état d’esprit êtes-vous?
Je suis serein. Parce que la campagne électorale s’est déroulée dans de très bonnes conditions. On aurait pu craindre le pire. Mais aujourd’hui, les 14 candidats et leurs états-majors de campagne ont sillonné l’ensemble du territoire dans de très bonnes conditions. On ne pouvait pas espérer mieux. Notre pays se relève d’une situation de guerre. Et le fait que nous ayons eu la capacité d’assurer la sécurité de tous les candidats et leur permettre d’avoir accès aux Ivoiriens sur l’ensemble du territoire me paraît être une bonne chose.
Tout n’a pas été rose…
Naturellement, tout ne peut pas être rose. Je reconnais qu’il y a eu ça et là quelques échauffourées mais sans gravité. Car on n’a pas déploré d’affrontements entre militants, partisans ou sympathisants des candidats. Oui, ça et là, il y a eu des affiches déchirées, il y a eu du chahut, il y a eu quelques incompréhensions. Mais cela est tout à fait normal et nous rappelle que la démocratie a aussi ses difficultés. Même en France, en période de campagne électorale, des gens déchirent des affiches. Oui, il y a eu ces petites choses mais cela est sans importance comparativement à ce qui aurait pu arriver à notre pays qui organise sa première élection après une crise de la nature de celle que nous avons connue. Je voudrais dire que depuis 1990, année à laquelle notre pays est revenu au multipartisme, c’est la première élection grandeur nature sans boycott actif comme ce fut le cas en 1995, sans exclusion de candidats comme en 2000.
Avez-vous connaissance de ce que l’hélicoptère parti hier (mercredi 27 octobre) à Korhogo chercher M. Malick Coulibaly, le directeur national de campagne du candidat Laurent Gbagbo, a été victime d’un tir?
(Son visage devient grave. Ndlr). Je n’ai pas cette information.
Nous vous la donnons.
Certes, j’ai entendu quelques rumeurs à propos. Mais en tant que Premier ministre, je n’en suis pas encore saisi officiellement. Vous comprenez donc qu’il m’est difficile de faire un commentaire précis concernant cette affaire. (Pendant environ un quart d’heure, il téléphone au général de brigade, Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major des Forces armées des Forces nouvelles puis au commandant Fofié Kouakou, commandant du Groupement d’instruction (Gi) 4 de Korhogo. Il leur dit que c’est information «d’une extrême gravité» et leur demande de tout mettre en œuvre pour comprendre ce qui s’est réellement passé, puis lui adresser «un rapport écrit» d’une part et produire un communiqué pour situer l’opinion nationale et internationale de l’autre. Ndlr).
Vous vous félicitez de la qualité de l’élection que la Côte d’Ivoire s’apprête à vivre. Mettez-vous cela à votre actif?
Ce serait certainement trop prétentieux de dire cela. Mais je suis heureux d’y avoir contribué. Souvenez-vous qu’après le 19 septembre 2002, j’en appelais à des élections démocratiques. Je suis content qu’elles aient enfin lieu en 2010. C’est cela que je voulais pour la Côte d’Ivoire. Des élections où celui qui désire être candidat, de MM. Gbagbo, Bédié à Dolo Adama dit Adama Dahico en passant par tous les autres, le soit. Je rappelle que le cas de M. Dolo Adama est une première en Côte d’Ivoire. En effet, c’est la première fois qu’un naturalisé est candidat à l’élection présidentielle. Vous ne pouvez pas passer cela sous silence ou faire semblant de l’ignorer. C’est le fruit d’un combat que nous avons mené, parce que nous y croyions. Pour moi donc, cette élection est vraiment démocratique. Et c’est ce que nous avons voulu pour notre pays. Voyez comment c’est beau, cette campagne électorale, où les candidats vont partout où ils le désirent, tiennent les propos qu’ils souhaitent dans la discipline, la responsabilité et la maturité.
Vous n’avez donc aucune appréhension quant au scrutin ?
Le 31 octobre 2010 sera tenu. Les Ivoiriens iront aux urnes à cette date, il n’y a plus aucun doute. Je sais que certaines personnes sont très inquiètes quant à l’issue de cette élection. Mais je veux les apaiser. Il n’y a aura pas de raison pour un état-major de créer ou semer la violence tant les résultats seront démocratiques et transparents.
Vous donnez la garantie que les résultats seront incontestables?
Les résultats de ce scrutin seront conformes à la volonté des électeurs qui se seront exprimés. Il ne peut pas avoir une manipulation des résultats. J’insiste sur cela. Vous avez constaté qu’il a fallu avoir un débat sur le comptage des voix et la transmission des résultats.
Justement, comment avez-vous étouffé ce débat?
De la manière la plus simple possible. La question, telle qu’elle nous a été posée, a été, de mon point de vue, résolue avec satisfaction. Il nous a semblé que certains états-majors étaient inquiets et n’avaient pas confiance en la Sils qui devait procéder non pas au comptage des voix mais à la transmission sécurisée des résultats. Ceux-ci se dont dit qu’avec l’informatique, il était possible que les résultats transmis soient tripatouillés Je dis non. J’ai décidé d’y apporter une solution. Je ne serais jamais intervenu dans ce débat si la décision prise en toute souveraineté par la Commission électorale indépendante (Cei) de procéder au comptage manuel des voix n’avait pas suscité des inquiétudes ailleurs qui auraient pu mener au report de l’élection.
M. le Premier ministre, votre intervention apporte de l’eau au moulin de ceux qui ont toujours dit que la Cei n’était pas totalement indépendante et que la Primature s’y ingérait trop.
Si l’on s’ingère pour la bonne cause, c’est tant mieux.
La Primature peut donc s’y ingérer?
Je le répète, si l’on s’ingère pour la bonne cause, c’est tant mieux. Je préfère encore qu’on nous accuse d’ingérence salvatrice plutôt que de non-ingérence coupable. Est-ce qu’on aurait assumé le report de l’élection du 31 octobre alors qu’on était en fin de campagne ? Cela aurait été dramatique pour le pays. Nous avons donc simplement (encore que le mot «ingérer» ne convient pas), fait une recommandation à la Cei, nous n’avons pas décidé à sa place. Voilà ce qui s’est passé. Le comptage manuel l’état-major du camp présidentiel. De la même façon que d’autres candidats n’avaient pas confiance à la Sils pour faire le comptage électronique. Que fallait-il faire? Choisir la méthode d’un camp contre l’autre? Non. J’ai donc proposé à la Cei d’utiliser les deux types de comptage. La Sils n’inspirant pas confiance, on va prendre des experts qui vont y être arrimés, qui vont la sécuriser, la rendre inviolable. La Cei aura ainsi plusieurs cordes à son arc en matière de comptage des voix, deux modes de transmission des mêmes résultats, ce qui sera un cran de sécurité supplémentaire. Ella pourra donc les croiser, s’assurer qu’il n’y a pas de biais et réclamer les résultats qui, à tout point vue, seront transparents.
Que se passera-t-il au cas où il y aurait une différence entre les résultats des deux types de comptage et de transmission?
S’il y a une différence entre les deux résultats, cela veut dire qu’il y a un problème quelque part. En ce moment, la Cei a la capacité et la possibilité de remonter à l’origine. Prenons un exemple concret. Dans le cadre de la transmission des résultats par voie électronique, supposons que le département d’Abengourou donne un résultat différent de celui qui est transmis par la voie manuelle. Dans un tel cas de figure, la Cei remonte à l’origine. D’autant que les procès-verbaux (Pv) de dépouillement sont signés en 22 exemplaires, à savoir 14 sont pour les représentants de chacun des 14 candidats, et les autres destinés au Représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, M. Choi, au Représentant spécial du Facilitateur en Côte d’Ivoire, M. Badini, au Conseil constitutionnel et à la Cei centrale.
Qu’adviendra-t-il de celui qui se sera rendu coupable de telle manipulation?
Ce sera à la Cei de prendre ses responsabilités. Pourvu que, en tout cas en ce qui concerne le gouvernement, les résultats proclamés soient marqués du sceau de la pro-pre-té. C’est tout. Vous voyez donc qu’il est impossible, en l’état actuel des choses, de tricher sans être découvert. Encore que, pour plus de transparence, nous avons exigé de la Cei, qu’une fois le dépouillement fait dans un bureau de vote, le Pv signé par les représentants des différents candidats soit affiché.
Les deux méthodes retenues pour le comptage des voix et la transmission des résultats ne prendront pas plus de temps à la Cei pour la proclamation des résultats?
Le plus important, c’est moins le temps que la qualité du travail fait. J’ai toujours dit que je ne baigne pas dans le fétichisme des dates. Pour moi, le plus important est que les résultats de cette élection soient incontestables, propres, limpides. Si cela prend plus de temps qu’il ne fallait à la Cei, il faudra comprendre que la recherche de la transparence a ses exigences. C’est vrai que la voie électronique est plus rapide, plus sûre, plus sécurisée. Mais certains acteurs la redoutent. On y associera donc la voie manuelle pour rassurer tous les camps.
M. le Premier ministre, quelle est la situation de la sécurisation du scrutin?
Les Forces de défense et de sécurité ont la responsabilité de sécuriser l’élection. Elles m’ont présenté un plan qui, à mon sens, est efficace. Les soldats commis à la sécurisation du scrutin ont commencé à être déployés sur l’ensemble du territoire national. On m’en a rendu compte. Nous allons continuer de monter en puissance avec le déploiement des policiers, gendarmes et militaires commis spécialement à la sécurisation du scrutin. Mais je dis que la sécurité à proprement parler, part du comportement du citoyen. Il faut donc sensibiliser ce dernier à être discipliné et faire preuve de civisme pour aller à l’élection qui n’est pas la guerre. Il faut donc que les états-majors des candidats qui ont une importante part de responsabilité puissent sensibiliser leurs militants pour que le vote et l’après-vote se passent dans l’apaisement. Je pense que cela est important et devrait vous donner une idée de ce que nous attendons des candidats. Pour le reste, les militaires joueront leur rôle.
Quel est le sort des pèlerins électeurs qui seront aussi à la Mecque le jour du scrutin?
La question a été également posée à la Cei. Je dois avouer que je ne sais pas les mesures qu’elle a prises pour faire face à cette situation. Je ne veux pas non plus décider à la place de la Commission pour que vous m’accusiez à nouveau d’ingérence. C’est un problème de la Cei qui, j’imagine, y a trouvé réponse.
Quelles dispositions au cas où des urnes seraient victimes d’agression?
Ceci fait partie intégrante du plan de sécurisation arrêté par les militaires. Je pense que la présence des observateurs et des forces militaires devait réduire une telle éventualité. Mais vous faites bien de l’évoquer. Nous insisterons encore auprès des forces pour qu’il ne puisse pas être porté atteinte aux résultats par le sabotage d’urnes. En tout état de cause, je voudrais rassurer les Ivoiriens que des dispositions sont prises pour assurer la sécurité non seulement des électeurs, mais aussi celle des résultats qui passe par la protection des urnes. D’ailleurs, la Cei a demandé spécialement à ce que le convoyage des urnes soit sécurisé. Cette demande a été transmise au Centre de commandement intégré (Cci) et aux forces impartiales des Nations unies.
Quel appel aux candidats mais aussi aux populations?
Nous sommes à 72 heures d’un scrutin historique pour notre pays (l’interview a été faite le jeudi 28 octobre) pour notre pays. Je demande aux candidats, une fois encore, de sensibiliser leurs différents états-majors pour que le vote se déroule dans la discipline et la tranquillité. Aux électeurs, je demande du civisme et de la discipline. Elire le Président de la République ne devait pas offrir l’occasion de batailles rangées. Je veux que les électeurs, dans l’intérêt supérieur de notre pays, aillent dans l’ordre, la tranquillité et la discipline, aux urnes. De toutes les façons, que tout le monde se dise que quel que soit le candidat qui va être élu, il est obligé de travailler avec les autres pour reconstruire le pays. On ne peut pas s’offrir d’élections calamiteuses. On doit s’offrir des élections propres, sans violence, des élections qui permettent le retour à une paix durable. Je veux parler aux cœurs des Ivoiriens, même pas à leur intelligence, mais à leur cœur. Tous ceux qui ont l’amour de la Côte d’Ivoire, tous ceux qui aiment leur pays, tous ceux qui aiment leurs familles, leurs frères, leurs amis, allez à cette élection dans la paix et la tranquillité. Rien ne sert de s’entretuer rien que pour le pouvoir d’un individu. Les individus passent, mais la Côte d’Ivoire est éternelle.
M. le Premier ministre, que voulez-vous que les Ivoiriens retiennent de vous?
Je souhaite que les Ivoiriens retiennent de moi ma détermination, mon abnégation et ma constance. La constance, c’est important. On peut tout me reprocher, sauf de dire que je suis inconstant. Parce que quand je crois en quelque chose, j’y mets de l’abnégation et de la détermination pour aller jusqu’au bout. Hier syndicaliste d’un mouvement dissout, j’ai mené et la bataille et le combat jusqu’à sa réhabilitation pleine et entière et je me suis retiré. Hier, j’ai mené le combat avec les Forces nouvelles. Et quand il a fallu faire la paix, je suis là encore pour la faire jusqu’au bout. Je souhaite qu’on retienne de moi cette constance, cette détermination et cette abnégation. Je suis heureux aujourd’hui, de pouvoir dire à tous mes frères Ivoiriens et à toutes mes sœurs Ivoiriennes, que nous devons nous battre contre les vilains sentiments, les vilains maux, avec détermination et force pour le retour de la paix dans notre pays. Une paix durable, une paix qui permettra à la Côte d’Ivoire de retrouver sa sérénité d’antan et de se hisser au rang des grandes nations. Nous devons sortir forts de cette épreuve qu’a été la guerre dans notre pays. Nous devons en ressortir unis, au-delà de nos intérêts singuliers et partisans, pour voir l’intérêt d’une grande nation, d’un grand et beau pays qui a toutes les ressources pour se développer et créer le bien-être de ses fils et filles.
Que deviendra M. Guillaume Soro après l’investiture du prochain Président qui sera élu?
Il y a tellement de directions à prendre et de choses à faire dans ce pays. Une fois que le Président élu aura pris fonction, il ne restera au Premier ministre que je suis de rendre ma démission. Une fois que ceci sera fait, je prendrai des vacances. Je pense que j’ai passé trois années difficiles, intenses, à la Primature. Il sera bon pour moi de prendre un peu de recul pour me faire une nouvelle santé et regarder et apprécier la Côte d’Ivoire sous des airs nouveaux. Je songe à prendre des vacances, à prendre un moment sabbatique, pour mener des réflexions plus tranquillement.
Interview réalisée par
Pascal Soro
Le 31 octobre 2010 est, pour moi, une date historique. Et je pèse mes mots. C’est cette date qui a été convenue pour que tous les citoyens ivoiriens en âge de voter se rendent dans les bureaux de vote pour choisir librement leur Président. Cet acte est quelque chose de fort pour une nation dans le système démocratique que nous entendons pratiquer dans notre pays. A 48 heures (l’interview a été réalisée le jeudi 28 octobre 2010. Ndlr) de cette élection, dans quel état d’esprit êtes-vous?
Je suis serein. Parce que la campagne électorale s’est déroulée dans de très bonnes conditions. On aurait pu craindre le pire. Mais aujourd’hui, les 14 candidats et leurs états-majors de campagne ont sillonné l’ensemble du territoire dans de très bonnes conditions. On ne pouvait pas espérer mieux. Notre pays se relève d’une situation de guerre. Et le fait que nous ayons eu la capacité d’assurer la sécurité de tous les candidats et leur permettre d’avoir accès aux Ivoiriens sur l’ensemble du territoire me paraît être une bonne chose.
Tout n’a pas été rose…
Naturellement, tout ne peut pas être rose. Je reconnais qu’il y a eu ça et là quelques échauffourées mais sans gravité. Car on n’a pas déploré d’affrontements entre militants, partisans ou sympathisants des candidats. Oui, ça et là, il y a eu des affiches déchirées, il y a eu du chahut, il y a eu quelques incompréhensions. Mais cela est tout à fait normal et nous rappelle que la démocratie a aussi ses difficultés. Même en France, en période de campagne électorale, des gens déchirent des affiches. Oui, il y a eu ces petites choses mais cela est sans importance comparativement à ce qui aurait pu arriver à notre pays qui organise sa première élection après une crise de la nature de celle que nous avons connue. Je voudrais dire que depuis 1990, année à laquelle notre pays est revenu au multipartisme, c’est la première élection grandeur nature sans boycott actif comme ce fut le cas en 1995, sans exclusion de candidats comme en 2000.
Avez-vous connaissance de ce que l’hélicoptère parti hier (mercredi 27 octobre) à Korhogo chercher M. Malick Coulibaly, le directeur national de campagne du candidat Laurent Gbagbo, a été victime d’un tir?
(Son visage devient grave. Ndlr). Je n’ai pas cette information.
Nous vous la donnons.
Certes, j’ai entendu quelques rumeurs à propos. Mais en tant que Premier ministre, je n’en suis pas encore saisi officiellement. Vous comprenez donc qu’il m’est difficile de faire un commentaire précis concernant cette affaire. (Pendant environ un quart d’heure, il téléphone au général de brigade, Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major des Forces armées des Forces nouvelles puis au commandant Fofié Kouakou, commandant du Groupement d’instruction (Gi) 4 de Korhogo. Il leur dit que c’est information «d’une extrême gravité» et leur demande de tout mettre en œuvre pour comprendre ce qui s’est réellement passé, puis lui adresser «un rapport écrit» d’une part et produire un communiqué pour situer l’opinion nationale et internationale de l’autre. Ndlr).
Vous vous félicitez de la qualité de l’élection que la Côte d’Ivoire s’apprête à vivre. Mettez-vous cela à votre actif?
Ce serait certainement trop prétentieux de dire cela. Mais je suis heureux d’y avoir contribué. Souvenez-vous qu’après le 19 septembre 2002, j’en appelais à des élections démocratiques. Je suis content qu’elles aient enfin lieu en 2010. C’est cela que je voulais pour la Côte d’Ivoire. Des élections où celui qui désire être candidat, de MM. Gbagbo, Bédié à Dolo Adama dit Adama Dahico en passant par tous les autres, le soit. Je rappelle que le cas de M. Dolo Adama est une première en Côte d’Ivoire. En effet, c’est la première fois qu’un naturalisé est candidat à l’élection présidentielle. Vous ne pouvez pas passer cela sous silence ou faire semblant de l’ignorer. C’est le fruit d’un combat que nous avons mené, parce que nous y croyions. Pour moi donc, cette élection est vraiment démocratique. Et c’est ce que nous avons voulu pour notre pays. Voyez comment c’est beau, cette campagne électorale, où les candidats vont partout où ils le désirent, tiennent les propos qu’ils souhaitent dans la discipline, la responsabilité et la maturité.
Vous n’avez donc aucune appréhension quant au scrutin ?
Le 31 octobre 2010 sera tenu. Les Ivoiriens iront aux urnes à cette date, il n’y a plus aucun doute. Je sais que certaines personnes sont très inquiètes quant à l’issue de cette élection. Mais je veux les apaiser. Il n’y a aura pas de raison pour un état-major de créer ou semer la violence tant les résultats seront démocratiques et transparents.
Vous donnez la garantie que les résultats seront incontestables?
Les résultats de ce scrutin seront conformes à la volonté des électeurs qui se seront exprimés. Il ne peut pas avoir une manipulation des résultats. J’insiste sur cela. Vous avez constaté qu’il a fallu avoir un débat sur le comptage des voix et la transmission des résultats.
Justement, comment avez-vous étouffé ce débat?
De la manière la plus simple possible. La question, telle qu’elle nous a été posée, a été, de mon point de vue, résolue avec satisfaction. Il nous a semblé que certains états-majors étaient inquiets et n’avaient pas confiance en la Sils qui devait procéder non pas au comptage des voix mais à la transmission sécurisée des résultats. Ceux-ci se dont dit qu’avec l’informatique, il était possible que les résultats transmis soient tripatouillés Je dis non. J’ai décidé d’y apporter une solution. Je ne serais jamais intervenu dans ce débat si la décision prise en toute souveraineté par la Commission électorale indépendante (Cei) de procéder au comptage manuel des voix n’avait pas suscité des inquiétudes ailleurs qui auraient pu mener au report de l’élection.
M. le Premier ministre, votre intervention apporte de l’eau au moulin de ceux qui ont toujours dit que la Cei n’était pas totalement indépendante et que la Primature s’y ingérait trop.
Si l’on s’ingère pour la bonne cause, c’est tant mieux.
La Primature peut donc s’y ingérer?
Je le répète, si l’on s’ingère pour la bonne cause, c’est tant mieux. Je préfère encore qu’on nous accuse d’ingérence salvatrice plutôt que de non-ingérence coupable. Est-ce qu’on aurait assumé le report de l’élection du 31 octobre alors qu’on était en fin de campagne ? Cela aurait été dramatique pour le pays. Nous avons donc simplement (encore que le mot «ingérer» ne convient pas), fait une recommandation à la Cei, nous n’avons pas décidé à sa place. Voilà ce qui s’est passé. Le comptage manuel l’état-major du camp présidentiel. De la même façon que d’autres candidats n’avaient pas confiance à la Sils pour faire le comptage électronique. Que fallait-il faire? Choisir la méthode d’un camp contre l’autre? Non. J’ai donc proposé à la Cei d’utiliser les deux types de comptage. La Sils n’inspirant pas confiance, on va prendre des experts qui vont y être arrimés, qui vont la sécuriser, la rendre inviolable. La Cei aura ainsi plusieurs cordes à son arc en matière de comptage des voix, deux modes de transmission des mêmes résultats, ce qui sera un cran de sécurité supplémentaire. Ella pourra donc les croiser, s’assurer qu’il n’y a pas de biais et réclamer les résultats qui, à tout point vue, seront transparents.
Que se passera-t-il au cas où il y aurait une différence entre les résultats des deux types de comptage et de transmission?
S’il y a une différence entre les deux résultats, cela veut dire qu’il y a un problème quelque part. En ce moment, la Cei a la capacité et la possibilité de remonter à l’origine. Prenons un exemple concret. Dans le cadre de la transmission des résultats par voie électronique, supposons que le département d’Abengourou donne un résultat différent de celui qui est transmis par la voie manuelle. Dans un tel cas de figure, la Cei remonte à l’origine. D’autant que les procès-verbaux (Pv) de dépouillement sont signés en 22 exemplaires, à savoir 14 sont pour les représentants de chacun des 14 candidats, et les autres destinés au Représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, M. Choi, au Représentant spécial du Facilitateur en Côte d’Ivoire, M. Badini, au Conseil constitutionnel et à la Cei centrale.
Qu’adviendra-t-il de celui qui se sera rendu coupable de telle manipulation?
Ce sera à la Cei de prendre ses responsabilités. Pourvu que, en tout cas en ce qui concerne le gouvernement, les résultats proclamés soient marqués du sceau de la pro-pre-té. C’est tout. Vous voyez donc qu’il est impossible, en l’état actuel des choses, de tricher sans être découvert. Encore que, pour plus de transparence, nous avons exigé de la Cei, qu’une fois le dépouillement fait dans un bureau de vote, le Pv signé par les représentants des différents candidats soit affiché.
Les deux méthodes retenues pour le comptage des voix et la transmission des résultats ne prendront pas plus de temps à la Cei pour la proclamation des résultats?
Le plus important, c’est moins le temps que la qualité du travail fait. J’ai toujours dit que je ne baigne pas dans le fétichisme des dates. Pour moi, le plus important est que les résultats de cette élection soient incontestables, propres, limpides. Si cela prend plus de temps qu’il ne fallait à la Cei, il faudra comprendre que la recherche de la transparence a ses exigences. C’est vrai que la voie électronique est plus rapide, plus sûre, plus sécurisée. Mais certains acteurs la redoutent. On y associera donc la voie manuelle pour rassurer tous les camps.
M. le Premier ministre, quelle est la situation de la sécurisation du scrutin?
Les Forces de défense et de sécurité ont la responsabilité de sécuriser l’élection. Elles m’ont présenté un plan qui, à mon sens, est efficace. Les soldats commis à la sécurisation du scrutin ont commencé à être déployés sur l’ensemble du territoire national. On m’en a rendu compte. Nous allons continuer de monter en puissance avec le déploiement des policiers, gendarmes et militaires commis spécialement à la sécurisation du scrutin. Mais je dis que la sécurité à proprement parler, part du comportement du citoyen. Il faut donc sensibiliser ce dernier à être discipliné et faire preuve de civisme pour aller à l’élection qui n’est pas la guerre. Il faut donc que les états-majors des candidats qui ont une importante part de responsabilité puissent sensibiliser leurs militants pour que le vote et l’après-vote se passent dans l’apaisement. Je pense que cela est important et devrait vous donner une idée de ce que nous attendons des candidats. Pour le reste, les militaires joueront leur rôle.
Quel est le sort des pèlerins électeurs qui seront aussi à la Mecque le jour du scrutin?
La question a été également posée à la Cei. Je dois avouer que je ne sais pas les mesures qu’elle a prises pour faire face à cette situation. Je ne veux pas non plus décider à la place de la Commission pour que vous m’accusiez à nouveau d’ingérence. C’est un problème de la Cei qui, j’imagine, y a trouvé réponse.
Quelles dispositions au cas où des urnes seraient victimes d’agression?
Ceci fait partie intégrante du plan de sécurisation arrêté par les militaires. Je pense que la présence des observateurs et des forces militaires devait réduire une telle éventualité. Mais vous faites bien de l’évoquer. Nous insisterons encore auprès des forces pour qu’il ne puisse pas être porté atteinte aux résultats par le sabotage d’urnes. En tout état de cause, je voudrais rassurer les Ivoiriens que des dispositions sont prises pour assurer la sécurité non seulement des électeurs, mais aussi celle des résultats qui passe par la protection des urnes. D’ailleurs, la Cei a demandé spécialement à ce que le convoyage des urnes soit sécurisé. Cette demande a été transmise au Centre de commandement intégré (Cci) et aux forces impartiales des Nations unies.
Quel appel aux candidats mais aussi aux populations?
Nous sommes à 72 heures d’un scrutin historique pour notre pays (l’interview a été faite le jeudi 28 octobre) pour notre pays. Je demande aux candidats, une fois encore, de sensibiliser leurs différents états-majors pour que le vote se déroule dans la discipline et la tranquillité. Aux électeurs, je demande du civisme et de la discipline. Elire le Président de la République ne devait pas offrir l’occasion de batailles rangées. Je veux que les électeurs, dans l’intérêt supérieur de notre pays, aillent dans l’ordre, la tranquillité et la discipline, aux urnes. De toutes les façons, que tout le monde se dise que quel que soit le candidat qui va être élu, il est obligé de travailler avec les autres pour reconstruire le pays. On ne peut pas s’offrir d’élections calamiteuses. On doit s’offrir des élections propres, sans violence, des élections qui permettent le retour à une paix durable. Je veux parler aux cœurs des Ivoiriens, même pas à leur intelligence, mais à leur cœur. Tous ceux qui ont l’amour de la Côte d’Ivoire, tous ceux qui aiment leur pays, tous ceux qui aiment leurs familles, leurs frères, leurs amis, allez à cette élection dans la paix et la tranquillité. Rien ne sert de s’entretuer rien que pour le pouvoir d’un individu. Les individus passent, mais la Côte d’Ivoire est éternelle.
M. le Premier ministre, que voulez-vous que les Ivoiriens retiennent de vous?
Je souhaite que les Ivoiriens retiennent de moi ma détermination, mon abnégation et ma constance. La constance, c’est important. On peut tout me reprocher, sauf de dire que je suis inconstant. Parce que quand je crois en quelque chose, j’y mets de l’abnégation et de la détermination pour aller jusqu’au bout. Hier syndicaliste d’un mouvement dissout, j’ai mené et la bataille et le combat jusqu’à sa réhabilitation pleine et entière et je me suis retiré. Hier, j’ai mené le combat avec les Forces nouvelles. Et quand il a fallu faire la paix, je suis là encore pour la faire jusqu’au bout. Je souhaite qu’on retienne de moi cette constance, cette détermination et cette abnégation. Je suis heureux aujourd’hui, de pouvoir dire à tous mes frères Ivoiriens et à toutes mes sœurs Ivoiriennes, que nous devons nous battre contre les vilains sentiments, les vilains maux, avec détermination et force pour le retour de la paix dans notre pays. Une paix durable, une paix qui permettra à la Côte d’Ivoire de retrouver sa sérénité d’antan et de se hisser au rang des grandes nations. Nous devons sortir forts de cette épreuve qu’a été la guerre dans notre pays. Nous devons en ressortir unis, au-delà de nos intérêts singuliers et partisans, pour voir l’intérêt d’une grande nation, d’un grand et beau pays qui a toutes les ressources pour se développer et créer le bien-être de ses fils et filles.
Que deviendra M. Guillaume Soro après l’investiture du prochain Président qui sera élu?
Il y a tellement de directions à prendre et de choses à faire dans ce pays. Une fois que le Président élu aura pris fonction, il ne restera au Premier ministre que je suis de rendre ma démission. Une fois que ceci sera fait, je prendrai des vacances. Je pense que j’ai passé trois années difficiles, intenses, à la Primature. Il sera bon pour moi de prendre un peu de recul pour me faire une nouvelle santé et regarder et apprécier la Côte d’Ivoire sous des airs nouveaux. Je songe à prendre des vacances, à prendre un moment sabbatique, pour mener des réflexions plus tranquillement.
Interview réalisée par
Pascal Soro