Les élections présidentielles, dans un cadre démocratique, se déroulent dans un contexte psychologique particulier, qui témoigne des enjeux pour la nation en cause. Elles engagent de nombreux acteurs qui sont en relation : les candidats, les partis (ou groupements) politiques, les médias, les communicateurs (« marketteurs ») politiques, les psychologues politiques et les électeurs (« petits » dans le cas du suffrage universel direct ou « grands » dans le cas du suffrage universel indirect) pris isolément ou dans leur ensemble (corps électoral).
Au commencement : sont les candidats
Par définition, l’élection présidentielle est un scrutin uninominal (un seul candidat) ou de liste restreinte à deux personnes (un candidat à la présidence et un candidat à la vice-présidence).
Quels sont les ressorts psychologiques qui sont à l’œuvre chez le candidat?
Deux aspects peuvent être envisagés : l’acte de candidature et l’équation personnelle.
1. acte de candidature
C’est le point de départ. Dans une génération (de politiciens), nombreux sont ceux qui peuvent se porter candidats, mais combien le deviennent effectivement ? Avant toute autre considération contextuelle ou évènementielle, ceux qui posent leur candidature ont certaines caractéristiques.
La psychanalyste S. Cadalen, au sujet des leaders dit que «les plus emblématiques sont en général ceux qui sont mus par un désir profond d’occuper cette position »1…
2. équation personnelle
Ce sont toutes les ressources (pas seulement psychologiques) dont le candidat dispose pour aller à la conquête de l’électorat.
Celles relatives à la psychologie comprennent la personnalité (âge, genre, qualités et défauts propres, etc.), le parcours personnel (origine sociale, famille, études, activités laborieuses et/ou professionnelles, postes politiques, mandats électifs, etc.) ; ces caractéristiques conditionnent :
le comportement du candidat, y compris la manière dont le candidat se présente dans les espaces publics. Idéalement, le candidat devra être un bon communicateur, avoir du bagout à revendre et savoir user des ficelles de la rhétorique pour emballer l’électeur2
la perception qu’ont du candidat les différents soutiens (politiques, médiatiques, financiers…) dont il peut éventuellement bénéficier.
3. Typologie commune de quelques candidats
Plusieurs types de candidats se dégagent ; envisageons chacun d’entre eux en fonction du statut qu’on leur accorde communément avant d’avoir exercé la fonction convoitée, tant il est vrai que selon la journaliste S. Pierre-Brossolette : « on ne devient pas(…) impunément chef d’état »3 (la fonction change l’homme!) :
Le self-made man (Ronald Reagan/ USA en 1980) de qui les gens se sentent proches, le fils de famille dite de l’establishment (Kennedy/ USA en 1960) qui est bien introduit dans les milieux politiques, la statue du commandeur (Eisenhower/ USA en 1952, De Gaulle/ France en 1958) chef militaire couvert de gloire, l’opposant historique (Mitterrand/ France en 1965, 1974 et 1981) qui à force de persévérance devient familier du paysage politique, le haut-fonctionnaire (Truman/USA en 1944) qui connait comment « tourne » la machine administrative…
Communicateurs (“Marketteurs”) politiques vs pyschologues politiques
Le rôle du communicateur politique
Les candidats font appel à des communicateurs, qui jouent le rôle de coaches pour peaufiner leur image, afin de les « vendre » aux électeurs.
Cela passe par le choix de thèmes de campagne et de photos pour les affiches, la composition de slogans percutants : on se souvient du fameux « la force tranquille » conçu par Jacques Séguéla et son équipe pour Mitterrand en 1981.
Le même Mitterrand se fit limer les canines pour pouvoir améliorer son image et paraître moins agressif à la demande de ses conseillers en communication4.
Les communicateurs apportent leur concours à l’élaboration des discours du candidat, commandent et analysent des sondages d’opinion5.
Ces derniers sont forts utiles. Ils représentent une photographie de l’état d’esprit des électeurs. Il ne faut pas s’en remettre aveuglément à eux car en plus des évolutions possibles au fil de la campagne, il y a des marges d’erreur. Un exemple qui fit date aux USA fut la défaite annoncée en Novembre 1948 sur la base des sondages du candidat-président sortant Truman à la une du journal Chicago Daily tribune, journal que ce dernier exhiba aux yeux de tous avec un sourire, au moment de la confirmation de sa victoire.
Les communicateurs aident aussi le candidat à préparer les débats contradictoires (les fameux débats télévisés mettant aux prises les candidats)
A ces émissions de grande écoute, le candidat doit apparaitre sous son meilleur jour ; cela commence par le choix des vêtements : le candidat Nixon en 1960 aux USA perdit la bataille de l’image face au candidat Kennedy, car la chemise qu’il portait le jour du débat télévisé laissait voir qu’il était mal rasé6!
Le rôle du psychologue politique
Selon le psychologue P. De Sutter, la psychologie politique est « exactement le contraire du marketing politique : le marketing est un jeu des apparences, un remodelage, voire une manipulation, de l’image. La psychologie politique est un travail sur la réalité, l’envers du décor : qui sont vraiment les hommes politiques? De quoi sont-ils capables ? Qu’est-ce qui les anime ? »7.
Le psychologue politique a donc essentiellement un rôle de décryptage de la psychologie des adversaires de son candidat. Celui-ci doit établir le profil psychologique des candidats opposés à son candidat afin que ce dernier en tire le meilleur parti, notamment lors des débats contradictoires entre les candidats, moment qui représente un sommet pour le psychologue politique. Ce dernier doit donner des éléments, un angle d’attaque, des pistes pour déstabiliser l’adversaire de son candidat afin qu’il ait un avantage décisif.
A la fin, l’électeur / le corps électoral doit faire son choix
La psychologie de l’électeur est centrée autour des motivations du vote en faveur de tel ou tel candidat. A la base, elles sont sous-tendues par l’intérêt porté à la politique et la force des engagements personnels8. Dans le détail, les déterminants du choix de l’électeur sont nombreux (hormis ceux abordés ci-dessus) : les affiliations idéologiques et/ou partisanes, le camp politique des candidats (majorité ou opposition), les programmes des candidats, l’impact de la campagne électorale, les intérêts corporatistes, le genre, les facteurs raciaux, ethniques, régionaux et religieux (en fonction des particularismes propres à chaque état), etc.
Les sondeurs et communicateurs politiques segmentent le corps électoral en ces différentes catégories, pour faciliter leurs analyses pour les uns et ajuster la stratégie de campagne pour les autres, mais, un électeur peut appartenir à plusieurs catégories, ou plus précisément se déterminer en s’appuyant sur plusieurs points d’ancrage.
En définitive, selon le psychanalyste P. Grimbert, parlant de l’électeur : « lorsque nous votons, que nous donnons à quelqu’un le pouvoir de gouverner, notre inconscient se manifeste tout autant que notre part consciente et fait que nous nous dirigeons le plus souvent vers une figure paternelle(…)». Il avance ainsi le terme de « père d’élection »9.
NOTES
Science&Vie Junior n°80H de Février 2010 p31
Sciences Humaines n°209, Novembre 2009 pp 30-49
Le Point n° 1863 du 29 mai 2008 p17
Jeune Afrique Magazine n° 24, Mars 1986 p18
Quid, édition de l’année 1990, de Dominique et Michèle Frémy, Editions Robert Laffont, p736
Jeune Afrique Magazine n° 34, Février 1987 p27
Ces fous qui nous gouvernent /Comment la psychologie permet de comprendre les hommes politiques de Pascal de Sutter, Editions les arènes, 2007 p4
Les élections présidentielles aux Etats-Unis, 7è édition, de Nelson W. Polsby & Aaron Wildavsky, Editions Nouveaux Horizons, p1
Le Point n° 1863 du 29 mai 2008 p20
Au commencement : sont les candidats
Par définition, l’élection présidentielle est un scrutin uninominal (un seul candidat) ou de liste restreinte à deux personnes (un candidat à la présidence et un candidat à la vice-présidence).
Quels sont les ressorts psychologiques qui sont à l’œuvre chez le candidat?
Deux aspects peuvent être envisagés : l’acte de candidature et l’équation personnelle.
1. acte de candidature
C’est le point de départ. Dans une génération (de politiciens), nombreux sont ceux qui peuvent se porter candidats, mais combien le deviennent effectivement ? Avant toute autre considération contextuelle ou évènementielle, ceux qui posent leur candidature ont certaines caractéristiques.
La psychanalyste S. Cadalen, au sujet des leaders dit que «les plus emblématiques sont en général ceux qui sont mus par un désir profond d’occuper cette position »1…
2. équation personnelle
Ce sont toutes les ressources (pas seulement psychologiques) dont le candidat dispose pour aller à la conquête de l’électorat.
Celles relatives à la psychologie comprennent la personnalité (âge, genre, qualités et défauts propres, etc.), le parcours personnel (origine sociale, famille, études, activités laborieuses et/ou professionnelles, postes politiques, mandats électifs, etc.) ; ces caractéristiques conditionnent :
le comportement du candidat, y compris la manière dont le candidat se présente dans les espaces publics. Idéalement, le candidat devra être un bon communicateur, avoir du bagout à revendre et savoir user des ficelles de la rhétorique pour emballer l’électeur2
la perception qu’ont du candidat les différents soutiens (politiques, médiatiques, financiers…) dont il peut éventuellement bénéficier.
3. Typologie commune de quelques candidats
Plusieurs types de candidats se dégagent ; envisageons chacun d’entre eux en fonction du statut qu’on leur accorde communément avant d’avoir exercé la fonction convoitée, tant il est vrai que selon la journaliste S. Pierre-Brossolette : « on ne devient pas(…) impunément chef d’état »3 (la fonction change l’homme!) :
Le self-made man (Ronald Reagan/ USA en 1980) de qui les gens se sentent proches, le fils de famille dite de l’establishment (Kennedy/ USA en 1960) qui est bien introduit dans les milieux politiques, la statue du commandeur (Eisenhower/ USA en 1952, De Gaulle/ France en 1958) chef militaire couvert de gloire, l’opposant historique (Mitterrand/ France en 1965, 1974 et 1981) qui à force de persévérance devient familier du paysage politique, le haut-fonctionnaire (Truman/USA en 1944) qui connait comment « tourne » la machine administrative…
Communicateurs (“Marketteurs”) politiques vs pyschologues politiques
Le rôle du communicateur politique
Les candidats font appel à des communicateurs, qui jouent le rôle de coaches pour peaufiner leur image, afin de les « vendre » aux électeurs.
Cela passe par le choix de thèmes de campagne et de photos pour les affiches, la composition de slogans percutants : on se souvient du fameux « la force tranquille » conçu par Jacques Séguéla et son équipe pour Mitterrand en 1981.
Le même Mitterrand se fit limer les canines pour pouvoir améliorer son image et paraître moins agressif à la demande de ses conseillers en communication4.
Les communicateurs apportent leur concours à l’élaboration des discours du candidat, commandent et analysent des sondages d’opinion5.
Ces derniers sont forts utiles. Ils représentent une photographie de l’état d’esprit des électeurs. Il ne faut pas s’en remettre aveuglément à eux car en plus des évolutions possibles au fil de la campagne, il y a des marges d’erreur. Un exemple qui fit date aux USA fut la défaite annoncée en Novembre 1948 sur la base des sondages du candidat-président sortant Truman à la une du journal Chicago Daily tribune, journal que ce dernier exhiba aux yeux de tous avec un sourire, au moment de la confirmation de sa victoire.
Les communicateurs aident aussi le candidat à préparer les débats contradictoires (les fameux débats télévisés mettant aux prises les candidats)
A ces émissions de grande écoute, le candidat doit apparaitre sous son meilleur jour ; cela commence par le choix des vêtements : le candidat Nixon en 1960 aux USA perdit la bataille de l’image face au candidat Kennedy, car la chemise qu’il portait le jour du débat télévisé laissait voir qu’il était mal rasé6!
Le rôle du psychologue politique
Selon le psychologue P. De Sutter, la psychologie politique est « exactement le contraire du marketing politique : le marketing est un jeu des apparences, un remodelage, voire une manipulation, de l’image. La psychologie politique est un travail sur la réalité, l’envers du décor : qui sont vraiment les hommes politiques? De quoi sont-ils capables ? Qu’est-ce qui les anime ? »7.
Le psychologue politique a donc essentiellement un rôle de décryptage de la psychologie des adversaires de son candidat. Celui-ci doit établir le profil psychologique des candidats opposés à son candidat afin que ce dernier en tire le meilleur parti, notamment lors des débats contradictoires entre les candidats, moment qui représente un sommet pour le psychologue politique. Ce dernier doit donner des éléments, un angle d’attaque, des pistes pour déstabiliser l’adversaire de son candidat afin qu’il ait un avantage décisif.
A la fin, l’électeur / le corps électoral doit faire son choix
La psychologie de l’électeur est centrée autour des motivations du vote en faveur de tel ou tel candidat. A la base, elles sont sous-tendues par l’intérêt porté à la politique et la force des engagements personnels8. Dans le détail, les déterminants du choix de l’électeur sont nombreux (hormis ceux abordés ci-dessus) : les affiliations idéologiques et/ou partisanes, le camp politique des candidats (majorité ou opposition), les programmes des candidats, l’impact de la campagne électorale, les intérêts corporatistes, le genre, les facteurs raciaux, ethniques, régionaux et religieux (en fonction des particularismes propres à chaque état), etc.
Les sondeurs et communicateurs politiques segmentent le corps électoral en ces différentes catégories, pour faciliter leurs analyses pour les uns et ajuster la stratégie de campagne pour les autres, mais, un électeur peut appartenir à plusieurs catégories, ou plus précisément se déterminer en s’appuyant sur plusieurs points d’ancrage.
En définitive, selon le psychanalyste P. Grimbert, parlant de l’électeur : « lorsque nous votons, que nous donnons à quelqu’un le pouvoir de gouverner, notre inconscient se manifeste tout autant que notre part consciente et fait que nous nous dirigeons le plus souvent vers une figure paternelle(…)». Il avance ainsi le terme de « père d’élection »9.
NOTES
Science&Vie Junior n°80H de Février 2010 p31
Sciences Humaines n°209, Novembre 2009 pp 30-49
Le Point n° 1863 du 29 mai 2008 p17
Jeune Afrique Magazine n° 24, Mars 1986 p18
Quid, édition de l’année 1990, de Dominique et Michèle Frémy, Editions Robert Laffont, p736
Jeune Afrique Magazine n° 34, Février 1987 p27
Ces fous qui nous gouvernent /Comment la psychologie permet de comprendre les hommes politiques de Pascal de Sutter, Editions les arènes, 2007 p4
Les élections présidentielles aux Etats-Unis, 7è édition, de Nelson W. Polsby & Aaron Wildavsky, Editions Nouveaux Horizons, p1
Le Point n° 1863 du 29 mai 2008 p20