Le 31 octobre, 4 783 383 électeurs ivoiriens, représentant 83,74% du corps électoral, se sont rendus dans les bureaux de vote pour le premier tour de l’élection présidentielle; sous le regard vigilant du monde entier, à travers 645 journalistes et 7 302 observateurs électoraux. Dans l’ensemble, le scrutin s’est déroulé dans le calme, traduisant ainsi la ferme volonté du peuple ivoirien de tourner la page sombre de son histoire - dix sept années de crise nées de la lutte de succession entre les « héritiers du père de la nation » qui n’ont pas hésité à instrumentaliser les questions identitaires à des fins politiciennes. La question au cœur de cette crise est celle de la citoyenneté ivoirienne : qui a droit à la nationalité ivoirienne ? Qui peut être éligible ou électeur en Côte d’Ivoire ? Ce jeu factice de catégorisation des populations vivant en Côte d’Ivoire, fondé essentiellement sur des calculs électoralistes, a dressé les communautés les unes contre les autres et a conduit au coup d’Etat de 1999, aux violences électorales de 2000, puis à la rébellion du 19 septembre 2002.
A force de jouer avec le feu identitaire, les Ivoiriens ont fini par se brûler, et les plaies à panser sont profondes. La Côte d’Ivoire jadis présentée comme un havre de paix est désormais un pays divisé et coupé en deux ; ce pays où il faisait bon vivre est aujourd’hui classé parmi les vingt pays les plus pauvres de la planète. Les Ivoiriens n’ont plus de raison d’être fiers d’eux et de leur pays, ils ont touché le fond et cherchent en eux-mêmes les ressources pour remonter la pente. Cette élection présidentielle n’est que le signe visible de la prise de conscience collective. Ce scrutin est loin d’être parfait du point de vue technique, même si son organisation a duré pratiquement cinq ans. Toutefois, le souci de transparence et d’équité observé chez les acteurs impliqués dans le processus - notamment la Commission électorale indépendante et les médias publics - a permis, pour la première fois, à chacun des trois ténors de la politique ivoirienne de mesurer son audience réelle auprès du peuple.
L’expérience du premier tour devrait aider à une meilleure organisation du second qui permettra aux Ivoiriens de choisir entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. L’élection présidentielle en cours, et les législatives qui s’annoncent, offrent aux Ivoiriens l’occasion de consolider la paix et de bâtir une nation forte et prospère. Cependant, ne rêvons pas d’un changement radical et immédiat de la situation actuelle, quel que soit le président élu. La reconstruction des pays sortant d’un conflit nécessite plusieurs années. Les séquelles laissées mettent à rude épreuve la capacité à faire face à la destruction du capital économique, physique, humain, social et psychologique. Les Ivoiriens doivent se mettre au travail dans tous les domaines, en comptant d’abord sur leurs propres forces et sur leur intelligence, sans attendre que la manne leur tombe du ciel.
Par exemple, les résultats du premier tour révèlent qu’il y a encore un gros travail à faire pour développer une véritable conscience citoyenne. Les électeurs privilégient leurs identités particulières – ethniques et régionalistes – par rapport à la cohésion nationale. Leurs choix demeurent globalement motivés par des considérations ethniques. En l’absence de sondages d’opinion des électeurs qui ont effectivement voté le 31 octobre dernier, il est rigoureusement impossible de saisir de manière fine l’ampleur du vote ethnique. Il n’y a cependant aucun doute sur l’influence déterminante de ce facteur.
D’un point de vue général, le vote ethnique n’est pas antidémocratique en soi, dès lors que les électeurs se décident sur la base de critères dont ils sont les seuls maîtres. « Ils sont libres de choisir un candidat parce qu’il est charmant, très connu, leur paraît sage ou compétent, parce qu’il a avancé des idées qui semblent sensées, parce qu’il a la plus belle flotte de véhicules de luxe tout terrain, qu’il a fait imprimer les affiches électorales les plus belles, qu’il a fait commander en Chine des tee-shirts colorés de meilleure qualité que les autres, qu’il a distribué en sous- main plus d’enveloppes garnies de billets aux leaders d’opinion que les autres ou parce qu’il parle la même langue et a été moulé dans les mêmes coutumes qu’eux. »1 Le problème avec le vote ethnique vient cependant du fait que la puissance du facteur ethnique a tendance à étouffer les autres critères à l’aune desquels les électeurs pourraient et devraient choisir leurs représentants au sommet de l’État. Les solidarités primaires, fondées sur des bases communautaristes, prennent le pas sur l’analyse des programmes de société et le débat démocratique ; ce qui réduit significativement les chances que le système politique démocratique produise le meilleur choix possible pour la collectivité nationale. Peut-être l’analphabétisme et le faible niveau d’éducation des populations sont-ils à la base d’une telle inclinaison.
Même si la Côte d’Ivoire acquiert progressivement les compétences techniques pour l’organisation d’élections démocratiques, il n’en demeure pas moins qu’elle est encore loin d’avoir acquis une culture démocratique. La démocratie ne peut se limiter à sa seule dimension technique, elle a aussi une dimension culturelle qui requiert la contribution de tous les acteurs impliqués dans le processus de socialisation politique des populations. C’est un travail de longue haleine.
Kevin ADOU
A force de jouer avec le feu identitaire, les Ivoiriens ont fini par se brûler, et les plaies à panser sont profondes. La Côte d’Ivoire jadis présentée comme un havre de paix est désormais un pays divisé et coupé en deux ; ce pays où il faisait bon vivre est aujourd’hui classé parmi les vingt pays les plus pauvres de la planète. Les Ivoiriens n’ont plus de raison d’être fiers d’eux et de leur pays, ils ont touché le fond et cherchent en eux-mêmes les ressources pour remonter la pente. Cette élection présidentielle n’est que le signe visible de la prise de conscience collective. Ce scrutin est loin d’être parfait du point de vue technique, même si son organisation a duré pratiquement cinq ans. Toutefois, le souci de transparence et d’équité observé chez les acteurs impliqués dans le processus - notamment la Commission électorale indépendante et les médias publics - a permis, pour la première fois, à chacun des trois ténors de la politique ivoirienne de mesurer son audience réelle auprès du peuple.
L’expérience du premier tour devrait aider à une meilleure organisation du second qui permettra aux Ivoiriens de choisir entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. L’élection présidentielle en cours, et les législatives qui s’annoncent, offrent aux Ivoiriens l’occasion de consolider la paix et de bâtir une nation forte et prospère. Cependant, ne rêvons pas d’un changement radical et immédiat de la situation actuelle, quel que soit le président élu. La reconstruction des pays sortant d’un conflit nécessite plusieurs années. Les séquelles laissées mettent à rude épreuve la capacité à faire face à la destruction du capital économique, physique, humain, social et psychologique. Les Ivoiriens doivent se mettre au travail dans tous les domaines, en comptant d’abord sur leurs propres forces et sur leur intelligence, sans attendre que la manne leur tombe du ciel.
Par exemple, les résultats du premier tour révèlent qu’il y a encore un gros travail à faire pour développer une véritable conscience citoyenne. Les électeurs privilégient leurs identités particulières – ethniques et régionalistes – par rapport à la cohésion nationale. Leurs choix demeurent globalement motivés par des considérations ethniques. En l’absence de sondages d’opinion des électeurs qui ont effectivement voté le 31 octobre dernier, il est rigoureusement impossible de saisir de manière fine l’ampleur du vote ethnique. Il n’y a cependant aucun doute sur l’influence déterminante de ce facteur.
D’un point de vue général, le vote ethnique n’est pas antidémocratique en soi, dès lors que les électeurs se décident sur la base de critères dont ils sont les seuls maîtres. « Ils sont libres de choisir un candidat parce qu’il est charmant, très connu, leur paraît sage ou compétent, parce qu’il a avancé des idées qui semblent sensées, parce qu’il a la plus belle flotte de véhicules de luxe tout terrain, qu’il a fait imprimer les affiches électorales les plus belles, qu’il a fait commander en Chine des tee-shirts colorés de meilleure qualité que les autres, qu’il a distribué en sous- main plus d’enveloppes garnies de billets aux leaders d’opinion que les autres ou parce qu’il parle la même langue et a été moulé dans les mêmes coutumes qu’eux. »1 Le problème avec le vote ethnique vient cependant du fait que la puissance du facteur ethnique a tendance à étouffer les autres critères à l’aune desquels les électeurs pourraient et devraient choisir leurs représentants au sommet de l’État. Les solidarités primaires, fondées sur des bases communautaristes, prennent le pas sur l’analyse des programmes de société et le débat démocratique ; ce qui réduit significativement les chances que le système politique démocratique produise le meilleur choix possible pour la collectivité nationale. Peut-être l’analphabétisme et le faible niveau d’éducation des populations sont-ils à la base d’une telle inclinaison.
Même si la Côte d’Ivoire acquiert progressivement les compétences techniques pour l’organisation d’élections démocratiques, il n’en demeure pas moins qu’elle est encore loin d’avoir acquis une culture démocratique. La démocratie ne peut se limiter à sa seule dimension technique, elle a aussi une dimension culturelle qui requiert la contribution de tous les acteurs impliqués dans le processus de socialisation politique des populations. C’est un travail de longue haleine.
Kevin ADOU