Après plus de deux mois hors du pays, le ministre du Plan et du Développement était le lundi dernier sur le plateau de la Télévision Côte d’Ivoire dans le cadre de l’émission « Etat de droit » du journaliste Aka Sayé Lazare. Il s’est agi pour le ministre, de faire le point de sa mission à l’extérieur du pays, de décortiquer l’actualité sociopolitique et de dire ce qu’il attend du panel des cinq chefs d’Etat de l’Union africaine…
Q : Vous êtes de retour d’une mission à l’extérieur du pays, quels étaient les principaux dossiers de votre mission ?
Albert Mabri Toikeusse : Avant de commencer, il faut que, parce que j’en ai l’occasion actuellement, de présenter mes vœux au Président de la République, à tous les membres du gouvernement et aux Ivoiriens. Parce que cela fera deux mois dans deux jours que j’étais hors du pays. Je suis heureux d’être là, même si nous sommes malheureux de nous retrouver dans cette situation. Mais j’ai foi que bientôt ce sera la fin. Durant ces deux mois, je me suis attaché à gérer plusieurs dossiers, dont deux en particulier, celui de l’UEMOA donc, de la BCEAO et ensuite, le dossier de la gestion politique de la crise au niveau de l’Afrique sous-régionale en particulier dans l’espace CEDEAO. Au niveau de l’Union africaine, vous parlez justement de ce panel, ce sont ces questions qui nous ont occupés. Je crois que nous sommes en train d’aller vers la paix.
Q : Le dossier de la BCEAO était sans aucun doute le plus sensible, vous avez mis du temps pour atteindre votre objectif, pourquoi ?
AMT : Vous savez, dans le cadre de la BCEAO, nous avons un espace qui renferme tous les pays, qui est l’UEMOA, l’instrument le plus performant d’intégration au plan régional. Nous sommes fiers de ce que nous avons réalisé en quelques années. Nos devanciers ont mis en place cet instrument important qui permet aujourd’hui, à huit pays qui partagent le FCFA adossé au trésor français hier et à l’Euro aujourd’hui. Nous avons un espace qui a, au-delà de la monnaie, essaie d’entreprendre tout ce qu’il faut pour conforter notre économie, l’état de nos finances et faire en sorte que les peuples s’intègrent de plus en plus dans la CEDEAO. Je voudrais préciser que dans tous les pays il y a les problèmes de souveraineté, ce sont les finances, la sécurité nationale…Nous avons décidé avec les autres sept pays, d’avoir en partage la souveraineté de notre monnaie. La monnaie, un instrument important, et en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’UEMOA c’est pratiquement 38% qui est l’élément d’échange de cette devise. Il était important dans cette situation de voir la réaction des pays membres de l’UEMOA. La situation de la BECEAO a demandé du temps. Il a demandé du temps parce que cette structure a des instances compétentes, il y a le conseil des ministres, dont le ministre des Finances et moi-même sommes membres. Il y a d’autres instruments et il y a également le sommet des Chefs d’Etat, qui est un organe d’orientation. Il fallait franchir toutes ces étapes, et enfin, il fallait s’assurer que les décisions qui sont prises ont commencé à être exécutées. C’est pour cela que cela nous a pris du temps. Il nous a fallu trois conseils, plusieurs rencontres formelles et informelles, de nombreux voyages entre les différentes capitales de l’UEMOA. Et finalement, je crois que vous connaissez les résultats.
Q : A quel niveau était la difficulté ?
AMT : Il ne faut pas vraiment parler en termes de difficultés, si ce n’est le comportement de sans loi du camp Gbagbo et de tous ceux qu’il a responsabilisé ces derniers temps pour saboter l’économie ivoirienne et se mettre en marge des engagements de la Côte d’Ivoire en particulier dans le cadre de l’UEMOA. C’était cela la difficulté. Sinon dès le premier conseil, d’ailleurs la conférence du sommet des chefs d’Etat a souhaité que la Côte d’Ivoire n’y assiste pas. Nous sommes restés à Dakar, le ministre Diby et moi-même, pour attendre les autres collègues qui sont allés délibérer. Et nous avons, sur la base des décisions des Nations unies, de la CEDEAO, de l’Union africaine, décidé que ce sont les ministres désignés par le Président Alassane Ouattara qui devaient désormais siéger dans le Conseil des ministres de l’UEMOA. D’autres rencontres ont eu lieu pour faire en sorte qu’au niveau de la Côte d’Ivoire, le trésor public ne travaille pas avec la BCEAO, sans que les signatures comptables ne soient désignées par notre gouvernement.
Q : Peut-on dire maintenant que tout est rentré dans l’ordre ?
AMT : Tout n’est pas rentré en ordre parce que vous savez que la semaine dernière, parce que les hommes de Gbagbo sont partis braquer la BCEAO. Vous savez qu’au moment où ils le faisaient, dans la banque il y a avait 810 milliards dont 600 milliards non utilisables, des billets perforés. Mais des hommes qui ont braqué la banque centrale, sont capables de tout. Il y a cette crainte. Les 210 ou 200 milliards restants, il y a des devises en FCFA et d’autres coupures. Il y a des mesures qui sont prises à ce niveau. Vous savez également qu’on oblige les banques à faire de la compensation. Par exemple, si vous êtes dans une banque A et que moi je suis dans une banque B, si j’émets un chèque pour vous payer il faut que la banque soit crédible. Parce que votre banque fait confiance à la mienne…L’argent qui est logé à la banque est une ressource communautaire. L’agissement du camp de Laurent Gbagbo a des conséquences énormes sur les caisses de l’Etat. Gbagbo agit contre les intérêts des Ivoiriens. Je crois qu’il faut l’arrêter le plus tôt possible.
Q : En terme de retombées de votre mission, que peut-on retenir au plan national et au plan international ?
AMT : Il faut dire que le Président de la République a donné des instructions pour faire en sorte d’étouffer le pouvoir illégitime qui est en face. Il y a eu plusieurs mesures. Il y a la mesure de la privatisation de la signature à la BCEAO, il y a la mesure contre l’exportation du cacao. Ce qui fait que les ports d’Abidjan et de San-Pedro ne tournent presque plus, même si la RTI fait des montages pour dire que les activités s’y déroulent normalement. Aujourd’hui, je voudrais dire qu’en matière de finance, il y a des difficultés dans le camp de Gbagbo. Je crains que cela ne soit sans effet sur la population. C’est pourquoi, je voudrais inviter la population à comprendre que les ressources de l’Etat sont des ressources qui appartiennent à tous les Ivoiriens et qu’il n’est pas normal qu’elles se trouvent entre les mains d’un pouvoir illégitime, qui pendant dix ans a utilisé l’argent des Ivoiriens en dehors de toute clarté. Vous vous rappelez que l’argent du pétrole n’a jamais été inscrit dans le budget de l’Etat. Vous savez également tous les scandales dans la filière café-cacao. Vous savez que pendant ce temps, les populations continuent de vivre des difficultés quotidiennes. L’argent des Ivoiriens est utilisé pour payer des mercenaires, pour payer des armes, pour mettre les jeunes dans la rue, pour envoyer quelquefois des délégations de 50 personnes en mission et qui restent dans les couloirs. C’est pourquoi, le Président de la République a eu raison de donner des instructions pour que l’argent de la Côte d’Ivoire ne soit utilisé à des choses inutiles. Il est regrettable qu’à cause de Laurent Gbagbo, ce soit tous les Ivoiriens qui souffrent.
Q : Parlant de la souffrance des Ivoiriens, parlons maintenant de la mission des experts. Beaucoup d’Ivoiriens s’interrogent. N’est-ce pas une médiation de plus ?
ATM : Les Ivoiriens ont raison de s’inquiéter. Pendant plusieurs années, les Ivoiriens ont connu plusieurs médiations, Togo, Afrique du Sud et surtout celle du Burkina dont Laurent Gbagbo était si fier et qui donnait tant d’espoir. Malgré tout, nous sommes arrivés à un blocage injustifié.
Malgré tout, le Président élu a décidé de s’installer au pouvoir dans la paix. La communauté internationale s’est donnée à fond pour donner une chance à une issue pacifique de la situation.
Ainsi, les médiations et tout ce qui peut conduire à la paix doit être accepté. Il fallait donner la chance à toutes les médiations. Lorsqu’on enregistre tant d’échecs, il y a de quoi à être pessimiste. Mais je voulais inviter les Ivoiriens à comprendre que comme nous l’a enseigné le Président Houphouët, tous les conflits finissent par le dialogue. Il reste serein en s’appuyant sur toutes les déclarations qui ont été faites par la communauté internationale et qui reconnait Alassane Ouattara comme le Président élu de la Côte d’Ivoire. Avec les résultats qui ont été prononcés par la CEI et certifiés par les Nations unies, ce panel qui vient et dont les membres représentent chaque région confirmera les résultats tels que prononcés par la CEI. La CEDEAO est représentée par le Burkina-Faso et à juste titre, parce que le Président du Burkina a été depuis trois ans, médiateur de la CEDAO dans la crise ivoirienne. Sur la crise, il n’y a pas mieux que lui pour mettre à l’aise ses pairs. Je pense que nous pouvons être fiers de ce panel pour le repositionnement de la Côte d’Ivoire qui pendant de longues années, a vécu des moments difficiles. Je voudrais féliciter l’UA et dire merci à tous ces Chefs d’Etat qui se sont mobilisés aux côtés de la Côte d’Ivoire pour que triomphe la démocratie.
Q : Dans cette mission, il y a des choses qui inquiètent. Il y en a qui rassurent. A votre avis, quelles sont celles qui inquiètent et quelles sont celles qui peuvent rassurer ?
AMT : D’abord celles qui inquiètent. Ce sont avant tout, les rumeurs et qui perturbent les Ivoiriens honnêtes. On parle de partage de pouvoir, de recomptage et je ne sais quoi encore. Sur le recomptage, je voudrais dire que les autres n’ont jamais contesté les chiffres. On parle de recomptage lorsqu’il y a des différences entre les chiffres. Ce qui n’est pas le cas. Les chiffres, même présentés par le Conseil constitutionnel, sont ceux de la Commission électorale indépendante (CEI). Il n’y a donc pas des chiffres venant d’ailleurs pour contredire ceux de la CEI.
Si c’était le recomptage, on aurait dit par exemple qu’à Sinématiali, vous dites que M. X a eu 10 voix alors que nous, nous voyons qu’il a eu 60 voix. On dit pourquoi vous expliquez que j’ai eu zéro voix dans des bureaux où j’avais deux représentants. On se rappelle qu’après le premier tour, des reportages ont fait état de la volonté de Gbagbo de remplacer ses représentants fils du nord par d’autres représentants du sud. Le faisant, ils oublient que ces derniers ne peuvent pas voter. Parce que notre loi ne leur permettait pas de voter. Ce ne sont que des mensonges. Les zéros voix s’expliquent donc. Il n’y aura donc pas de recomptage des voix, il n’y a pas de raison qu’il y ait un recomptage. Il n’y a également pas de partage de pouvoir. Une élection a été organisée, des résultats sont connus avec un Président élu qui s’appelle Alassane Ouattara qui doit exercer ses prérogatives de Chef d’Etat, c’est tout.
Q : Le partage du pouvoir est-il donc exclu ?
ATM : Cela est clair. Maintenant, chacun des candidats, en particulier, ceux du second tour se sont engagés à faire un gouvernement qui rassemble les Ivoiriens. De toutes les façons, aucun Président élu après cette dernière élection ne pouvait se permettre de gouverner avec un gouvernement qui se limite uniquement à ceux qui lui sont proches. Le Président de la République s’est engagé depuis longtemps, à former un gouvernement d’ouverture. Il l’avait dit à M. Blaise Compaoré dans le cas où M Gbagbo acceptait de partir en cas de défaite. Alors que nous avons connu depuis, 300 morts et un peu plus et des disparus. Nous avons connu également beaucoup de dégâts. Aujourd’hui, les atteintes aux droits de l’homme sont légion. On traumatise à longueur de journée les populations. Ce qui se passe actuellement à Abobo, va avoir un impact, plus que l’impact de la guerre sur les populations. Il y aura un gouvernement qui va tenir compte de toutes les susceptibilités. Au passage, je voudrais expliquer que certains pays éloignés n’étaient pas bien informés de ce qui se passait. J’ai eu la chance avec le Premier ministre, de faire des tournées en Afrique australe. Ils se demandaient comment on fait l’élection alors que les Forces Nouvelles n’avaient pas encore désarmées. Il a fallu tout leur expliquer. Nous avons indiqué que 1500 FDS avaient été déployés au nord pour sécuriser la présidentielle. Nous avons expliqué comment les bureaux de vote fonctionnent. Nous avons expliqué comment toutes les étapes ont été adoptées par toutes les parties. Il faut donc mettre fin aux mensonges et permettre au Président élu de s’installer effectivement. Les préoccupations des Ivoiriens sont tellement nombreuses que chaque jour qui passe peut avoir des conséquences en termes de cohésion. Je crois que l’objectif du panel est de mettre fin à cette situation. Je souhaite que cette médiation y arrive.
Q : Qu’est-ce que votre camp peut-il faire comme proposition concrète pour convaincre Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir ?
ATM : Je sais que le Président Alassane Ouattara est disposé à ouvrir ce gouvernement qui ne partage pas la même sensibilité que nous. Certes, on ne peut pas avoir dans un gouvernement des personnes qui sont sous sanctions. C’est mon avis. Il ne peut pas avoir dans un gouvernement des hommes qui ont les mains tâchées de sang ou qui ont commis des crimes économiques. En même temps, il faut savoir que dans le camp de Laurent Gbagbo, il y a encore des gens qui peuvent travailler pour le pays et être au service d’une Côte d’Ivoire de démocratie et de paix. Je pense que le Président de la République va faire cette proposition-là. Evidement, lorsqu’on a posé les actes que Laurent Gbagbo a posés en principe, on doit être jugé pour haute trahison et lui et tous ceux qui sont avec lui, les membres du Conseil constitutionnel. C’est peut être à juste titre qu’il n’a pas voulu mettre en place la Haute Cour de justice. Mais certainement que dans sa volonté de réconciliation, le Chef de l’Etat, fera tout pour qu’il puisse bénéficier des droits des anciens Chefs d’Etat et cela conformément à des accords qu’ils ont signés entre eux sous la supervision du Facilitateur. Dans quelques jours, je crois que ce sera fait. Maintenant, nous agirons pour le rassemblement des Ivoiriens. Nous agirons pour que la réconciliation nationale soit une réalité. Je pense que ce sera un pan important de l’activité gouvernementale.
Nous allons travailler pour que les Ivoiriens, après dix ans de souffrance, de division, puissent à nouveau se reconnaître entre eux, puissent immobiliser leur énergie, se mettre ensemble pour bâtir une nation forte, une nation de paix.
Q : Pour vous, quelle est la décision du panel qui devrait s’appliquer aux deux parties ?
AMT : Je crois que ce sont les panelistes qui vont nous le dire. J’ai eu le privilège, aux côtés du Premier ministre, de recevoir les experts. Je pense que c’est toujours bon de dire que le Premier ministre leur a fait le point de la situation. Maintenant, nous savons que le panel va nous dire que c’est vrai, ils ont fait des choses graves, ils méritent d’être jugés, c’est vrai, ils ne méritent plus rien de l’Etat, mais faites en sorte de privilégier le pardon et faites en sorte qu’ils soient protégés.
Sur la question, je voudrais indiquer que nous sommes houphouëtistes et que le Président Ouattara fera l’effort de réussir le rassemblement des Ivoiriens. Ce qu’il faut dire à Laurent Gbagbo, c’est qu’on ne peut pas s’accrocher au pouvoir lorsqu’on a perdu une élection. On ne peut pas rester un mois supplémentaires au pouvoir lorsqu’on a passé dix ans au pouvoir sans être élu. Parce qu’il y a eu dix sans élection.
Q : Pour beaucoup d’Ivoiriens, Laurent Gbagbo est en train de consolider son pouvoir avec le temps qui passe sans que rien ne pointe à l’horizon. Qu’en pensez-vous ?
ATM : Avant les deux mois qui viennent de s’écouler, il a eu cinq ans supplémentaires. Il a manœuvré pour en arriver là. Nous sommes arrivés à ces cinq ans supplémentaires parce que, chaque fois, il fallait s’assurer qu’il est d’accord sur chaque étape : les audiences foraines, l’identification, la liste électorale, le plan de sécurisation de l’élection, etc. il a fait des acrobaties à la RTI. Par exemple, on ne sait pas comment, lors du face à face, la RTI s’est arrangée pour que Laurent Gbagbo intervienne en dernière position. Nous avons accepté tout cela parce que nous voulions arriver au bout du processus. Si tous ces sacrifices ont été faits et acceptés par l’opposition que nous étions alors, c’est parce que nous attachons du prix à la paix. Nous nous sommes dit que tous les sacrifices qui doivent être faits pour conduire la Côte d’Ivoire à la paix méritent d’être faits. Pendant ce temps, la gestion des ressources nationales se faisaient au détriment de toute règle. Pendant ce temps, l’autorité de l’Etat n’existait pas. Des gens qui n’avaient rien à avoir avec le fonctionnement normal de l’Etat, se permettaient de donner des instructions aux fonctionnaires de l’Etat, aux autorités préfectorales ou militaires. On m’a raconté qu’une fois, le président des jeunes «patriotes» a été accueilli au corridor d’une ville par un ministre et le préfet. Il y a eu tellement de choses ridicules avec ces refondateurs pendant dix ans, qu’il faut en sortir. Pendant ces deux mois, ils ont fait pis. Au delà de le BCEAO, les banques commerciales, les banques privées sont invitées de force aux activités de compensation. Je voudrais dire que par ces actes, Laurent Gbagbo, malheureusement, n’est pas en train de consolider son pouvoir. Au contraire, il s’expose, il se fragilise. Je fais la promesse que si ça continue, la souffrance des Ivoiriens va empirer mais lui-même va se trouver dans une situation désastreuse. Faisons en sorte de ramener la paix en Côte d’Ivoire et faisons en sorte que les Ivoiriens se retrouvent.
Q : Beaucoup d’Ivoiriens demeurent pessimistes. Ils estiment même que le panel ne fera pas partir Laurent Gbagbo. Qu’en pensez-vous ?
ATM : En fait, je ne sais pas. L’homme aime la force. Il parait qu’il ne recule pas par entêtement. Je voudrais dire que l’option militaire n’est pas exclue. C’est vrai que certains Chefs d’Etat ne comprenaient pas que la CEDEAO ait décidé de recourir à la force légitime. La CEDEAO a expliqué qu’elle ne pouvait pas continuer à voir les Ivoiriens souffrir. Entre temps, elle a souhaité ne pas en arriver là, espérant que la sagesse habite Laurent Gbagbo.
Q : La Côte d’Ivoire n’est pas le théâtre lointain des puissances africaines comme le Nigéria et l’Afrique du Sud qui ont des points de vue divergents sur la situation en Côte d’Ivoire ?
ATM : Il est vrai que l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Egypte sont de grands pays africains. Le Nigeria, parce que membre de la CEDEAO, s’est impliqué dans la résolution de la crise ivoirienne.
L’Afrique du Sud qui est le pays de Nelson Mandela est une grande nation démocratique. Pour des raisons que nous connaissons, l’Egypte, pour le moment, ne sait pas encore impliqué dans la crise ivoirienne. J’encourage donc tous les pays à s’entendre, à parler de la même voix pour ramener la paix en Côte d’Ivoire.
Q : La présence de Blaise Compaoré au sein de ce panel semble inquiéter le camp Gbagbo. Comprenez-vous cette crainte ?
ATM: Le Président Compaoré, avant même l’Accord politique de Ouagadougou, s’était intéressé à la crise ivoirienne. Parce que nous sommes voisins, les deux communautés sont complètement intégrées. En plus, il a géré le dossier avec le satisfecit de M. Laurent Gbagbo. Nous avons vu ici l’hommage qu’on lui a rendu jusqu’à Mama. Le Président Blaise Compaoré qui a présidé les deux derniers CPC, celui de Ouagadougou qui a permis d’arrêter le schéma de l’après élection, donc du sort réservé à chacun des candidats, y compris le Premier ministre Soro Guillaume et le CPC de la veille du second tour ici où le Président Compaoré est arrivé en plein couvre-feu. Promesse avait été faite au Président Compaoré que le couvre-feu serait levé. Ce qui n’a pas été le cas. Un autre acte du boulanger, mais il y en a tellement. De toutes les façons, tous les Présidents sont informés. Peut-être que ce que Laurent Gbagbo craint et qu’il n’exprime pas, mais qu’il fait dire par Blé Goudé, par Affi N’Guessan, par Fologo, c’est que Compaoré ne doit pas venir parce qu’il est belligérant. Y a-t-il eu un quelconque acte de belligérance de M. Blaise Compaoré après la médiation ? Je pense qu’il a été félicité. Je crois qu’il faut lui permettre d’apporter la contribution de ramener la paix définitivement en Côte d’Ivoire. Beaucoup de Chefs d’Etat ne sont pas suffisamment informés de la situation en Côte d’Ivoire. Il faut des gens pour les informer. Nous, nous faisons ce que nous pouvons. Je pense que la CEDEAO l’a proposé pour représenter la CEDAO parce qu’il a justement une grande connaissance du dossier ivoirien.
Q : Faut-il, à votre avis, redoubler de vigilance par rapport à cette mission?
ATM : Je pense, comme toutes les missions, il s’agit d’abord de savoir son objectif. Il s’agit aussi de savoir qui sont les médiateurs et dans quel cadre s’inscrit la médiation. Sur toutes ces questions, l’Union africaine a été claire. Lors du dernier sommet, elle a affirmé son accord avec les résultats proclamés par la CEI et certifiés par les Nations unies. Le deuxième jour, c’est que la médiation est limitée dans le temps, cela va durer un mois. C’est vrai qu’un mois peut sembler trop, mais qu’est-ce qu’un mois représente pour des gens qui ont connu plus de 60 mois sans élection ? Je voudrais dire que nous sommes vigilants.
Q : La CEDEAO aurait été dessaisie du dossier ivoirien ?
ATM : Je ne sais pas comment travaillent les diplomates qui sont autour de Laurent Gbagbo.
Quand l’Union africaine travaille sur les dossiers des pays, les avis qui comptent et qui sont pris en compte en première position, sont les avis des communautés régionales. En ce qui nous concerne, c’est l’avis de la CEDEAO qui compte. On ne peut travailler sur la Côte d’Ivoire sans s’appuyer sur l’avis de la CEDEAO.
Recueillis sur TCI par Thiery Latt
Q : Vous êtes de retour d’une mission à l’extérieur du pays, quels étaient les principaux dossiers de votre mission ?
Albert Mabri Toikeusse : Avant de commencer, il faut que, parce que j’en ai l’occasion actuellement, de présenter mes vœux au Président de la République, à tous les membres du gouvernement et aux Ivoiriens. Parce que cela fera deux mois dans deux jours que j’étais hors du pays. Je suis heureux d’être là, même si nous sommes malheureux de nous retrouver dans cette situation. Mais j’ai foi que bientôt ce sera la fin. Durant ces deux mois, je me suis attaché à gérer plusieurs dossiers, dont deux en particulier, celui de l’UEMOA donc, de la BCEAO et ensuite, le dossier de la gestion politique de la crise au niveau de l’Afrique sous-régionale en particulier dans l’espace CEDEAO. Au niveau de l’Union africaine, vous parlez justement de ce panel, ce sont ces questions qui nous ont occupés. Je crois que nous sommes en train d’aller vers la paix.
Q : Le dossier de la BCEAO était sans aucun doute le plus sensible, vous avez mis du temps pour atteindre votre objectif, pourquoi ?
AMT : Vous savez, dans le cadre de la BCEAO, nous avons un espace qui renferme tous les pays, qui est l’UEMOA, l’instrument le plus performant d’intégration au plan régional. Nous sommes fiers de ce que nous avons réalisé en quelques années. Nos devanciers ont mis en place cet instrument important qui permet aujourd’hui, à huit pays qui partagent le FCFA adossé au trésor français hier et à l’Euro aujourd’hui. Nous avons un espace qui a, au-delà de la monnaie, essaie d’entreprendre tout ce qu’il faut pour conforter notre économie, l’état de nos finances et faire en sorte que les peuples s’intègrent de plus en plus dans la CEDEAO. Je voudrais préciser que dans tous les pays il y a les problèmes de souveraineté, ce sont les finances, la sécurité nationale…Nous avons décidé avec les autres sept pays, d’avoir en partage la souveraineté de notre monnaie. La monnaie, un instrument important, et en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’UEMOA c’est pratiquement 38% qui est l’élément d’échange de cette devise. Il était important dans cette situation de voir la réaction des pays membres de l’UEMOA. La situation de la BECEAO a demandé du temps. Il a demandé du temps parce que cette structure a des instances compétentes, il y a le conseil des ministres, dont le ministre des Finances et moi-même sommes membres. Il y a d’autres instruments et il y a également le sommet des Chefs d’Etat, qui est un organe d’orientation. Il fallait franchir toutes ces étapes, et enfin, il fallait s’assurer que les décisions qui sont prises ont commencé à être exécutées. C’est pour cela que cela nous a pris du temps. Il nous a fallu trois conseils, plusieurs rencontres formelles et informelles, de nombreux voyages entre les différentes capitales de l’UEMOA. Et finalement, je crois que vous connaissez les résultats.
Q : A quel niveau était la difficulté ?
AMT : Il ne faut pas vraiment parler en termes de difficultés, si ce n’est le comportement de sans loi du camp Gbagbo et de tous ceux qu’il a responsabilisé ces derniers temps pour saboter l’économie ivoirienne et se mettre en marge des engagements de la Côte d’Ivoire en particulier dans le cadre de l’UEMOA. C’était cela la difficulté. Sinon dès le premier conseil, d’ailleurs la conférence du sommet des chefs d’Etat a souhaité que la Côte d’Ivoire n’y assiste pas. Nous sommes restés à Dakar, le ministre Diby et moi-même, pour attendre les autres collègues qui sont allés délibérer. Et nous avons, sur la base des décisions des Nations unies, de la CEDEAO, de l’Union africaine, décidé que ce sont les ministres désignés par le Président Alassane Ouattara qui devaient désormais siéger dans le Conseil des ministres de l’UEMOA. D’autres rencontres ont eu lieu pour faire en sorte qu’au niveau de la Côte d’Ivoire, le trésor public ne travaille pas avec la BCEAO, sans que les signatures comptables ne soient désignées par notre gouvernement.
Q : Peut-on dire maintenant que tout est rentré dans l’ordre ?
AMT : Tout n’est pas rentré en ordre parce que vous savez que la semaine dernière, parce que les hommes de Gbagbo sont partis braquer la BCEAO. Vous savez qu’au moment où ils le faisaient, dans la banque il y a avait 810 milliards dont 600 milliards non utilisables, des billets perforés. Mais des hommes qui ont braqué la banque centrale, sont capables de tout. Il y a cette crainte. Les 210 ou 200 milliards restants, il y a des devises en FCFA et d’autres coupures. Il y a des mesures qui sont prises à ce niveau. Vous savez également qu’on oblige les banques à faire de la compensation. Par exemple, si vous êtes dans une banque A et que moi je suis dans une banque B, si j’émets un chèque pour vous payer il faut que la banque soit crédible. Parce que votre banque fait confiance à la mienne…L’argent qui est logé à la banque est une ressource communautaire. L’agissement du camp de Laurent Gbagbo a des conséquences énormes sur les caisses de l’Etat. Gbagbo agit contre les intérêts des Ivoiriens. Je crois qu’il faut l’arrêter le plus tôt possible.
Q : En terme de retombées de votre mission, que peut-on retenir au plan national et au plan international ?
AMT : Il faut dire que le Président de la République a donné des instructions pour faire en sorte d’étouffer le pouvoir illégitime qui est en face. Il y a eu plusieurs mesures. Il y a la mesure de la privatisation de la signature à la BCEAO, il y a la mesure contre l’exportation du cacao. Ce qui fait que les ports d’Abidjan et de San-Pedro ne tournent presque plus, même si la RTI fait des montages pour dire que les activités s’y déroulent normalement. Aujourd’hui, je voudrais dire qu’en matière de finance, il y a des difficultés dans le camp de Gbagbo. Je crains que cela ne soit sans effet sur la population. C’est pourquoi, je voudrais inviter la population à comprendre que les ressources de l’Etat sont des ressources qui appartiennent à tous les Ivoiriens et qu’il n’est pas normal qu’elles se trouvent entre les mains d’un pouvoir illégitime, qui pendant dix ans a utilisé l’argent des Ivoiriens en dehors de toute clarté. Vous vous rappelez que l’argent du pétrole n’a jamais été inscrit dans le budget de l’Etat. Vous savez également tous les scandales dans la filière café-cacao. Vous savez que pendant ce temps, les populations continuent de vivre des difficultés quotidiennes. L’argent des Ivoiriens est utilisé pour payer des mercenaires, pour payer des armes, pour mettre les jeunes dans la rue, pour envoyer quelquefois des délégations de 50 personnes en mission et qui restent dans les couloirs. C’est pourquoi, le Président de la République a eu raison de donner des instructions pour que l’argent de la Côte d’Ivoire ne soit utilisé à des choses inutiles. Il est regrettable qu’à cause de Laurent Gbagbo, ce soit tous les Ivoiriens qui souffrent.
Q : Parlant de la souffrance des Ivoiriens, parlons maintenant de la mission des experts. Beaucoup d’Ivoiriens s’interrogent. N’est-ce pas une médiation de plus ?
ATM : Les Ivoiriens ont raison de s’inquiéter. Pendant plusieurs années, les Ivoiriens ont connu plusieurs médiations, Togo, Afrique du Sud et surtout celle du Burkina dont Laurent Gbagbo était si fier et qui donnait tant d’espoir. Malgré tout, nous sommes arrivés à un blocage injustifié.
Malgré tout, le Président élu a décidé de s’installer au pouvoir dans la paix. La communauté internationale s’est donnée à fond pour donner une chance à une issue pacifique de la situation.
Ainsi, les médiations et tout ce qui peut conduire à la paix doit être accepté. Il fallait donner la chance à toutes les médiations. Lorsqu’on enregistre tant d’échecs, il y a de quoi à être pessimiste. Mais je voulais inviter les Ivoiriens à comprendre que comme nous l’a enseigné le Président Houphouët, tous les conflits finissent par le dialogue. Il reste serein en s’appuyant sur toutes les déclarations qui ont été faites par la communauté internationale et qui reconnait Alassane Ouattara comme le Président élu de la Côte d’Ivoire. Avec les résultats qui ont été prononcés par la CEI et certifiés par les Nations unies, ce panel qui vient et dont les membres représentent chaque région confirmera les résultats tels que prononcés par la CEI. La CEDEAO est représentée par le Burkina-Faso et à juste titre, parce que le Président du Burkina a été depuis trois ans, médiateur de la CEDAO dans la crise ivoirienne. Sur la crise, il n’y a pas mieux que lui pour mettre à l’aise ses pairs. Je pense que nous pouvons être fiers de ce panel pour le repositionnement de la Côte d’Ivoire qui pendant de longues années, a vécu des moments difficiles. Je voudrais féliciter l’UA et dire merci à tous ces Chefs d’Etat qui se sont mobilisés aux côtés de la Côte d’Ivoire pour que triomphe la démocratie.
Q : Dans cette mission, il y a des choses qui inquiètent. Il y en a qui rassurent. A votre avis, quelles sont celles qui inquiètent et quelles sont celles qui peuvent rassurer ?
AMT : D’abord celles qui inquiètent. Ce sont avant tout, les rumeurs et qui perturbent les Ivoiriens honnêtes. On parle de partage de pouvoir, de recomptage et je ne sais quoi encore. Sur le recomptage, je voudrais dire que les autres n’ont jamais contesté les chiffres. On parle de recomptage lorsqu’il y a des différences entre les chiffres. Ce qui n’est pas le cas. Les chiffres, même présentés par le Conseil constitutionnel, sont ceux de la Commission électorale indépendante (CEI). Il n’y a donc pas des chiffres venant d’ailleurs pour contredire ceux de la CEI.
Si c’était le recomptage, on aurait dit par exemple qu’à Sinématiali, vous dites que M. X a eu 10 voix alors que nous, nous voyons qu’il a eu 60 voix. On dit pourquoi vous expliquez que j’ai eu zéro voix dans des bureaux où j’avais deux représentants. On se rappelle qu’après le premier tour, des reportages ont fait état de la volonté de Gbagbo de remplacer ses représentants fils du nord par d’autres représentants du sud. Le faisant, ils oublient que ces derniers ne peuvent pas voter. Parce que notre loi ne leur permettait pas de voter. Ce ne sont que des mensonges. Les zéros voix s’expliquent donc. Il n’y aura donc pas de recomptage des voix, il n’y a pas de raison qu’il y ait un recomptage. Il n’y a également pas de partage de pouvoir. Une élection a été organisée, des résultats sont connus avec un Président élu qui s’appelle Alassane Ouattara qui doit exercer ses prérogatives de Chef d’Etat, c’est tout.
Q : Le partage du pouvoir est-il donc exclu ?
ATM : Cela est clair. Maintenant, chacun des candidats, en particulier, ceux du second tour se sont engagés à faire un gouvernement qui rassemble les Ivoiriens. De toutes les façons, aucun Président élu après cette dernière élection ne pouvait se permettre de gouverner avec un gouvernement qui se limite uniquement à ceux qui lui sont proches. Le Président de la République s’est engagé depuis longtemps, à former un gouvernement d’ouverture. Il l’avait dit à M. Blaise Compaoré dans le cas où M Gbagbo acceptait de partir en cas de défaite. Alors que nous avons connu depuis, 300 morts et un peu plus et des disparus. Nous avons connu également beaucoup de dégâts. Aujourd’hui, les atteintes aux droits de l’homme sont légion. On traumatise à longueur de journée les populations. Ce qui se passe actuellement à Abobo, va avoir un impact, plus que l’impact de la guerre sur les populations. Il y aura un gouvernement qui va tenir compte de toutes les susceptibilités. Au passage, je voudrais expliquer que certains pays éloignés n’étaient pas bien informés de ce qui se passait. J’ai eu la chance avec le Premier ministre, de faire des tournées en Afrique australe. Ils se demandaient comment on fait l’élection alors que les Forces Nouvelles n’avaient pas encore désarmées. Il a fallu tout leur expliquer. Nous avons indiqué que 1500 FDS avaient été déployés au nord pour sécuriser la présidentielle. Nous avons expliqué comment les bureaux de vote fonctionnent. Nous avons expliqué comment toutes les étapes ont été adoptées par toutes les parties. Il faut donc mettre fin aux mensonges et permettre au Président élu de s’installer effectivement. Les préoccupations des Ivoiriens sont tellement nombreuses que chaque jour qui passe peut avoir des conséquences en termes de cohésion. Je crois que l’objectif du panel est de mettre fin à cette situation. Je souhaite que cette médiation y arrive.
Q : Qu’est-ce que votre camp peut-il faire comme proposition concrète pour convaincre Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir ?
ATM : Je sais que le Président Alassane Ouattara est disposé à ouvrir ce gouvernement qui ne partage pas la même sensibilité que nous. Certes, on ne peut pas avoir dans un gouvernement des personnes qui sont sous sanctions. C’est mon avis. Il ne peut pas avoir dans un gouvernement des hommes qui ont les mains tâchées de sang ou qui ont commis des crimes économiques. En même temps, il faut savoir que dans le camp de Laurent Gbagbo, il y a encore des gens qui peuvent travailler pour le pays et être au service d’une Côte d’Ivoire de démocratie et de paix. Je pense que le Président de la République va faire cette proposition-là. Evidement, lorsqu’on a posé les actes que Laurent Gbagbo a posés en principe, on doit être jugé pour haute trahison et lui et tous ceux qui sont avec lui, les membres du Conseil constitutionnel. C’est peut être à juste titre qu’il n’a pas voulu mettre en place la Haute Cour de justice. Mais certainement que dans sa volonté de réconciliation, le Chef de l’Etat, fera tout pour qu’il puisse bénéficier des droits des anciens Chefs d’Etat et cela conformément à des accords qu’ils ont signés entre eux sous la supervision du Facilitateur. Dans quelques jours, je crois que ce sera fait. Maintenant, nous agirons pour le rassemblement des Ivoiriens. Nous agirons pour que la réconciliation nationale soit une réalité. Je pense que ce sera un pan important de l’activité gouvernementale.
Nous allons travailler pour que les Ivoiriens, après dix ans de souffrance, de division, puissent à nouveau se reconnaître entre eux, puissent immobiliser leur énergie, se mettre ensemble pour bâtir une nation forte, une nation de paix.
Q : Pour vous, quelle est la décision du panel qui devrait s’appliquer aux deux parties ?
AMT : Je crois que ce sont les panelistes qui vont nous le dire. J’ai eu le privilège, aux côtés du Premier ministre, de recevoir les experts. Je pense que c’est toujours bon de dire que le Premier ministre leur a fait le point de la situation. Maintenant, nous savons que le panel va nous dire que c’est vrai, ils ont fait des choses graves, ils méritent d’être jugés, c’est vrai, ils ne méritent plus rien de l’Etat, mais faites en sorte de privilégier le pardon et faites en sorte qu’ils soient protégés.
Sur la question, je voudrais indiquer que nous sommes houphouëtistes et que le Président Ouattara fera l’effort de réussir le rassemblement des Ivoiriens. Ce qu’il faut dire à Laurent Gbagbo, c’est qu’on ne peut pas s’accrocher au pouvoir lorsqu’on a perdu une élection. On ne peut pas rester un mois supplémentaires au pouvoir lorsqu’on a passé dix ans au pouvoir sans être élu. Parce qu’il y a eu dix sans élection.
Q : Pour beaucoup d’Ivoiriens, Laurent Gbagbo est en train de consolider son pouvoir avec le temps qui passe sans que rien ne pointe à l’horizon. Qu’en pensez-vous ?
ATM : Avant les deux mois qui viennent de s’écouler, il a eu cinq ans supplémentaires. Il a manœuvré pour en arriver là. Nous sommes arrivés à ces cinq ans supplémentaires parce que, chaque fois, il fallait s’assurer qu’il est d’accord sur chaque étape : les audiences foraines, l’identification, la liste électorale, le plan de sécurisation de l’élection, etc. il a fait des acrobaties à la RTI. Par exemple, on ne sait pas comment, lors du face à face, la RTI s’est arrangée pour que Laurent Gbagbo intervienne en dernière position. Nous avons accepté tout cela parce que nous voulions arriver au bout du processus. Si tous ces sacrifices ont été faits et acceptés par l’opposition que nous étions alors, c’est parce que nous attachons du prix à la paix. Nous nous sommes dit que tous les sacrifices qui doivent être faits pour conduire la Côte d’Ivoire à la paix méritent d’être faits. Pendant ce temps, la gestion des ressources nationales se faisaient au détriment de toute règle. Pendant ce temps, l’autorité de l’Etat n’existait pas. Des gens qui n’avaient rien à avoir avec le fonctionnement normal de l’Etat, se permettaient de donner des instructions aux fonctionnaires de l’Etat, aux autorités préfectorales ou militaires. On m’a raconté qu’une fois, le président des jeunes «patriotes» a été accueilli au corridor d’une ville par un ministre et le préfet. Il y a eu tellement de choses ridicules avec ces refondateurs pendant dix ans, qu’il faut en sortir. Pendant ces deux mois, ils ont fait pis. Au delà de le BCEAO, les banques commerciales, les banques privées sont invitées de force aux activités de compensation. Je voudrais dire que par ces actes, Laurent Gbagbo, malheureusement, n’est pas en train de consolider son pouvoir. Au contraire, il s’expose, il se fragilise. Je fais la promesse que si ça continue, la souffrance des Ivoiriens va empirer mais lui-même va se trouver dans une situation désastreuse. Faisons en sorte de ramener la paix en Côte d’Ivoire et faisons en sorte que les Ivoiriens se retrouvent.
Q : Beaucoup d’Ivoiriens demeurent pessimistes. Ils estiment même que le panel ne fera pas partir Laurent Gbagbo. Qu’en pensez-vous ?
ATM : En fait, je ne sais pas. L’homme aime la force. Il parait qu’il ne recule pas par entêtement. Je voudrais dire que l’option militaire n’est pas exclue. C’est vrai que certains Chefs d’Etat ne comprenaient pas que la CEDEAO ait décidé de recourir à la force légitime. La CEDEAO a expliqué qu’elle ne pouvait pas continuer à voir les Ivoiriens souffrir. Entre temps, elle a souhaité ne pas en arriver là, espérant que la sagesse habite Laurent Gbagbo.
Q : La Côte d’Ivoire n’est pas le théâtre lointain des puissances africaines comme le Nigéria et l’Afrique du Sud qui ont des points de vue divergents sur la situation en Côte d’Ivoire ?
ATM : Il est vrai que l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Egypte sont de grands pays africains. Le Nigeria, parce que membre de la CEDEAO, s’est impliqué dans la résolution de la crise ivoirienne.
L’Afrique du Sud qui est le pays de Nelson Mandela est une grande nation démocratique. Pour des raisons que nous connaissons, l’Egypte, pour le moment, ne sait pas encore impliqué dans la crise ivoirienne. J’encourage donc tous les pays à s’entendre, à parler de la même voix pour ramener la paix en Côte d’Ivoire.
Q : La présence de Blaise Compaoré au sein de ce panel semble inquiéter le camp Gbagbo. Comprenez-vous cette crainte ?
ATM: Le Président Compaoré, avant même l’Accord politique de Ouagadougou, s’était intéressé à la crise ivoirienne. Parce que nous sommes voisins, les deux communautés sont complètement intégrées. En plus, il a géré le dossier avec le satisfecit de M. Laurent Gbagbo. Nous avons vu ici l’hommage qu’on lui a rendu jusqu’à Mama. Le Président Blaise Compaoré qui a présidé les deux derniers CPC, celui de Ouagadougou qui a permis d’arrêter le schéma de l’après élection, donc du sort réservé à chacun des candidats, y compris le Premier ministre Soro Guillaume et le CPC de la veille du second tour ici où le Président Compaoré est arrivé en plein couvre-feu. Promesse avait été faite au Président Compaoré que le couvre-feu serait levé. Ce qui n’a pas été le cas. Un autre acte du boulanger, mais il y en a tellement. De toutes les façons, tous les Présidents sont informés. Peut-être que ce que Laurent Gbagbo craint et qu’il n’exprime pas, mais qu’il fait dire par Blé Goudé, par Affi N’Guessan, par Fologo, c’est que Compaoré ne doit pas venir parce qu’il est belligérant. Y a-t-il eu un quelconque acte de belligérance de M. Blaise Compaoré après la médiation ? Je pense qu’il a été félicité. Je crois qu’il faut lui permettre d’apporter la contribution de ramener la paix définitivement en Côte d’Ivoire. Beaucoup de Chefs d’Etat ne sont pas suffisamment informés de la situation en Côte d’Ivoire. Il faut des gens pour les informer. Nous, nous faisons ce que nous pouvons. Je pense que la CEDEAO l’a proposé pour représenter la CEDAO parce qu’il a justement une grande connaissance du dossier ivoirien.
Q : Faut-il, à votre avis, redoubler de vigilance par rapport à cette mission?
ATM : Je pense, comme toutes les missions, il s’agit d’abord de savoir son objectif. Il s’agit aussi de savoir qui sont les médiateurs et dans quel cadre s’inscrit la médiation. Sur toutes ces questions, l’Union africaine a été claire. Lors du dernier sommet, elle a affirmé son accord avec les résultats proclamés par la CEI et certifiés par les Nations unies. Le deuxième jour, c’est que la médiation est limitée dans le temps, cela va durer un mois. C’est vrai qu’un mois peut sembler trop, mais qu’est-ce qu’un mois représente pour des gens qui ont connu plus de 60 mois sans élection ? Je voudrais dire que nous sommes vigilants.
Q : La CEDEAO aurait été dessaisie du dossier ivoirien ?
ATM : Je ne sais pas comment travaillent les diplomates qui sont autour de Laurent Gbagbo.
Quand l’Union africaine travaille sur les dossiers des pays, les avis qui comptent et qui sont pris en compte en première position, sont les avis des communautés régionales. En ce qui nous concerne, c’est l’avis de la CEDEAO qui compte. On ne peut travailler sur la Côte d’Ivoire sans s’appuyer sur l’avis de la CEDEAO.
Recueillis sur TCI par Thiery Latt