L’affaire sent un traquenard à mille lieues. Tant des indices concordent qui inclinent à affirmer que le président Laurent Gbagbo ne doit pas se rendre à Addis-Abeba dans deux jours. Notre analyse. Arrivé à Abidjan, samedi dernier, la délégation de l’Union africaine (Ua) comprenant Jean Ping, président de la commission de l’UA et Ramtane Lamamra, commissaire pour la paix et la sécurité de l’Ua, mais également chef de la délégation des experts de l’Ua qui ont «audité» le processus électoral ivoirien, a regagné, hier, Addis-Abeba (Ethiopie) où est basé le siège de l’Ua. Jean Ping et Ramtane Lamamra ont remis, samedi, un courrier au président Laurent Gbagbo et à l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, dans lequel les cinq chefs d’Etat du panel mandaté par l’UA pour trouver une solution à la crise post électorale ivoirienne invitent les deux acteurs ivoiriens à une réunion du conseil de paix et de sécurité (Cps) de l’Ua portant sur la crise en Côte d’Ivoire, le jeudi 10 mars, à Addis-Abeba. Mais, avant cette réunion, Laurent Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara devront prendre part toujours, dans la capitale éthiopienne, le 9 mars, à la rencontre du panel de l’Ua. Après celle qui s’est tenue, le 4 mars dernier, à Nouakchott (Mauritanie). Une rencontre qui avait rassemblé les cinq chefs d’Etat du panel de l’Ua (Mohamed Ould Abdel Aziz, Jacob Zuma, Idriss Déby, Jakaya Kikwete et Blaise Compoaré) et dont les conclusions ont été remises également, samedi dernier, à Gbagbo et Ouattara par Jean Ping. La curieuse attitude de Ouattara Au sortir de ses échanges avec Jean Ping et Ramtane Lamamra, samedi dernier, au Golf Hôtel où il s’est retranché, depuis décembre 2010, avec certains de ses partisans et des rebelles armés, tous gardés par l’Onuci, des soldats français et la Cia, Alassane Dramane Ouattara s’est précipité pour annoncer qu’il se rendra à l’invitation d’Addis-Abeba et que «toutes les dispositions seront prises pour qu’il y soit ». De son côté, Jean Ping, sans prendre de gants, a confié au micro de France 24 (télévision française) qu’il est venu remettre les conclusions du panel au «président de la République», parlant ainsi de Ouattara. Ces propos de Jean Ping dévoilent clairement que «de l’eau n’a pas coulé sous le pont» en dépit du rapport des experts du panel de l’Ua et la visite de travail des 4 chefs d’Etat à Abidjan. Même si les conclusions du rapport, confie une source diplomatique, attestent que «le scrutin a été entaché d’irrégularités» et qu’on ne peut donc pas accorder du crédit aux résultats proclamés par Youssouf Bakayoko, président de la Cei, et certifiés par Young-Jin Choi, représentant spécial du secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, pour Jean Ping et certains pays de l’Ua liés à la Françafrique, «c’est Ouattara qui est le vainqueur». Ils sont dans une logique de complot pour imposer leur poulain, Ouattara, qu’aucune initiative de recherche de la vérité ne saurait balayer. C’est donc fort de cela qu’Alassane Dramane Ouattara, qui s’était opposé, le 21 février dernier, à recevoir les 4 chefs d’Etat du panel de l’Ua (avant d’échanger avec eux, le mardi 22 février, suite à une intervention, la veille, de Jean Ping), saute curieusement de joie à l’idée de rencontrer ces mêmes chefs d’Etat. Cette fois-ci à Addis-Abeba, à l’autre bout du continent africain. Pourtant les conclusions du panel ne le désignent pas «vainqueur» de l’élection. Il semble également donner l’impression de n’avoir jamais quitté son Qg du Golf Hôtel, depuis décembre dernier, alors que Ouattara s’est déjà rendu plusieurs fois à Paris pour des soins médicaux. Les trois indices En plus de la précipitation d’Alassane Ouattara et quand on sait, en Côte d’Ivoire, que lorsque le président du Rdr se précipite pour un événement, c’est qu’il y a anguilles sous roche, il y a aussi trois indices qui méritent d’interpeller le président Laurent Gbagbo. Dans un premier temps, la violence qui se poursuit malgré l’appel au calme lancé, jeudi et vendredi, par le président tchadien Idriss Déby et le panel de l’Ua à N’Djamena et Nouakchott. Dans la nuit du vendredi dernier, les rebelles de Ouattara ont attaqué la centrale thermique d’Azito (Abidjan). Hier, ils ont pris la ville de Toulepleu à plusieurs centaines de kilomètres de San Pedro, le 2ème port de Côte d’Ivoire. Les rebelles, l’Onuci, la France et certains pays de la Cedeao sont toujours dans une logique de belligérance en Côte d’Ivoire. A Bouaké, fief de la rébellion armée pro-Ouattara, le Burkina Faso de Blaise Compaoré continue d’armer les rebelles en armes lourdes et de leur fournir des mercenaires. L’Onuci et la Licorne jouent toujours leur rôle d’espionnes pour les rebelles en indiquant les positions de l’armée régulière ivoirienne. L’Onuci transporte les rebelles pour les positionner dans les différentes localités à attaquer. Elle s’est même dotée de 2 hélicoptères de type MI-24 pour «appuyer» officieusement la rébellion armée sur terrain. C’est dire que la recherche de la paix n’a pas encore gagné les esprits chez Ouattara et ses alliés. A preuve, Alassane Ouattara a lancé, vendredi, un appel à ses partisans qui sèment la violence à Abidjan à tenir fermes, car, «dans peu de temps, nous aurons la victoire». Ensuite, cette invitation adressée à Gbagbo et Ouattara concerne aussi, curieusement, le professeur Paul Yao-N’Dré, président du Conseil constitutionnel. Pourquoi Yao-N’Dré et Laurent Gbagbo ensemble, alors que Youssouf Bakayako n’a pas été également invité. Les experts du panel ont séjourné pendant 72 h à Abidjan (du 6 au 10 février dernier) pour mener leur enquête. Pourquoi Yao-N’Dré ? Ils ont interrogé le président du Conseil constitutionnel qui leur a fourni toutes les preuves qu’ils ont demandées relativement à la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Même son de cloche pour les 4 chefs d’Etat qui étaient en Côte d’Ivoire du 21 au 23 février dernier. Le rapport des experts du panel est disponible. Les 5 chefs d’Etat l’ont depuis le 20 février dernier. Pourquoi alors inviter Paul Yao-N’Dré à une autre réunion hors du pays ? Que dira-t-il de nouveau à Addis-Abeba qu’il n’a pas déjà confié au panel de l’Ua et aux experts ? Veut-on, sans doute, rendre impossible la constatation de la vacance du pouvoir en cas de coup fourré contre Gbagbo et Yao-N’Dré hors du pays ? Les 5 chefs d’Etat du panel disposent de tous les éléments pour régler la crise post électorale en Côte d’Ivoire dans le respect de la vérité. Qu’est-ce qui les empêche de rencontrer Gbagbo et Ouattara à la Fondation Houphouet-Boigny pour la paix de Yamoussoukro, par exemple, pour associer à leur mission un symbole fort ? Après quoi, ils pourraient informer le Cps à Addis-Abeba. Si c’est la paix et la vérité que l’on recherche pour la Côte d’Ivoire, la réunion du panel de l’Ua avec les deux acteurs ivoiriens peut se tenir en terre ivoirienne. Et puis, le CPS peut se réunir, le 10 mars, sans les acteurs ivoiriens. De tristes exemples Enfin, le dernier indice, plusieurs dirigeants africains ont souvent payé de leur vie en se rendant à des invitations bizarres du même genre. Sans que cela n’émeuve personne à travers le monde. On a encore en mémoire, par exemple, la disparition du président rwandais Juvénal Habyarimana dans la soirée du 6 avril 1994 qui fut l’élément déclencheur du génocide des Tutsis et Hutus modérés. L’avion de type Falcon 50 qui le ramenait d’Arusha, en Tanzanie, où il venait de participer à un sommet consacré aux crises burundaise et rwandaise, a été frappé par un tir de missile sol-air. Le président Cyprien Ntaryamira du Burundi a été également tué, ainsi que plusieurs hauts responsables du Rwanda et du Burundi. Et pourtant leur avion avait amorcé sa phase d`atterrissage sur l`aéroport de Kigali. Les circonstances exactes et les responsabilités de cet attentat n`ont jamais été élucidées. La France, l’Onu à travers la Minuar, la Belgique, le Burundi et l’Ouganda ont joué des rôles abjects dans le drame rwandais. Les soldats français de l’opération Turquoise ont été accusés d’avoir armé les extrémistes hutus. Plus de dix ans après le génocide rwandais, l’opinion publique internationale apprendra, stupéfaite que la boîte noire de l’avion de Juvénal Habyarimana se trouvait caché dans le bureau du secrétaire général de l’Onu qui était à l’époque du drame, l’Egyptien Boutros-Boutros Ghali. Qui était «parrainé» par la France. Le Ghanéen Kofi Annan, successeur des années plus tard de Boutros Ghali à la tête de l’Onu, a été ébranlé par cette révélation. Il a décliné toute responsabilité de sa part dans cette affaire. On saura aussi que Juvénal Habyarimana n’était pas favorable à la guerre ethnique dans son pays et qu’il s’opposait à ce qui se tramait contre les Tutsis. Autre exemple, Ange-Félix Patassé, chef de l’Etat de la République centrafricaine, fait face à une rébellion armée soutenue par la France. Le 15 mars 2003, il revenait d’un sommet africain goupillé de toutes pièces, confient des sources informées, par Paris. Son avion a été empêché d’atterrir à l’aéroport de Bangui que contrôlaient les soldats français. Le coup d’Etat ainsi accomplit, la rébellion armée conduite par l’actuel président-général François Bozizé a pris le pouvoir. Ange-Félix Patassé a été contraint à l’exil. Quand on sait que le schéma de l’exil «doré» avait été proposé au président Gbagbo par la France les Etats-Unis et le Nigeria, les «parrains» d’Alassane Dramane Ouattara, on comprend aisément certains empressementsn
Didier Depry et Robert Krassault
Didier Depry et Robert Krassault