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Société Publié le jeudi 9 juin 2011 | L’expression

Université de Cocody et d’Abobo-Adjamé : Vers une année blanche

© L’expression Par Prisca
Crise post-électorale: les ruines de l`université d`Abobo-Adjamé après les affrontements armés entre FDS et "commando invisible"...
Mardi 22 mars 2011. Abidjan. Photo: l`université d`Abobo-Adjamé, après les violents affrontements des 13 et 14 mars 2011.
Dans les universités d’Abobo-Adjamé et de Cocody, les années académiques se chevauchent. Pendant que certains s’acheminaient vers la fin de l’année académique 2008-2009, d’autres terminaient les cours de l’année 2009-2010. Avec la rentrée universitaire 2011-2012 prévue pour octobre 2011, l’on tend inexorablement vers des années blanches au supérieur.

La décision a été prise par le gouvernement. Depuis le 21 avril, les
Universités d’Abobo-Adjamé, de Cocody et les résidences universitaires
sont fermées. Et depuis lors, enseignants du supérieur et étudiants se
trouvent loin de ces différents temples du savoir. Mais tous, ainsi que
la quasi-totalité des populations ont une préoccupation commune:
à quand la reprise des cours dans nos universités publiques? Les
nouvelles autorités, ne voulant pas d’une année académique blanche,
il y a lieu de poser la question suivante : les cours peuvent-ils reprendre
actuellement dans nos universités publiques ? Certainement non au
regard de l’état des lieux après la guerre qu’a vécue la Côte d’Ivoire.
A Cocody comme à Abobo-Adjamé, tout est désert. Toute chose
que confirme un élément de la Force républicaine de Côte d’Ivoire
(Frci). Posté à l’entrée de l’université de Cocody, en face de l’Ecole
nationale de police, cet homme en arme qui veut nous refuser l’accès
à cette structure universitaire nous apprend qu’il n’y a personne à
l’université. «Ce n’est pas la peine d’insister pour passer. Tout a été
détruit et il n’y a personne à l’administration. Ce sont les étudiants
de l’Ens (Ecole normale supérieure) et de l’Ensea (Ecole nationale de
statistique et d’économie appliquée) que nous laissons entrer pour

suivre leurs cours», explique le soldat que nous parvenons à convaincre.
Une fois sur le site, la désolation est grande!

Du matériel volé …

Le premier regard sur les bureaux de la présidence de l’université en dit
long sur le passage des pilleurs. La quasi-totalité des portes ont été
fracassées. Selon une source proche de cette hiérarchie, tous les
services (service du président, les deux vice-présidents, le secrétaire
général, le secrétaire général adjoint, le contrôleur budgétaire, la
direction des services financiers, …) ont été visités et vidés de leurs
matériels informatique et bureautique. De nombreux documents
informatiques trainent au sol. Les bureaux du service de la comptabilité
centrale, abritant le service informatique, ont été saccagés et les
machines emportées. «Et cela a une conséquence grave et notoire sur
les opérations du traitement informatique des salaires des personnels.
En attendant, les opérations sont faites de façon manuelle», précise
notre source qui révèle que le coffre fort de l’université, à la direction
des services financiers, a été emporté, ainsi que tout le stock du
magasin des fournitures de bureau de la présidence. Le standard et
l’agence comptable sont détruits ainsi que la scolarité centrale. Le
matériel informatique de ce service n’a pas été épargné par les pilleurs.
Heureusement, une source proche de ce service affirme que les
données ont été sauvegardées. «Les serveurs ont été sauvegardés et
sécurisés par un des vice-présidents de l’université », avoue notre
source proche de la présidence. Au centre médico-social, tout est sens
dessus-dessous. Les équipements ont été saccagés et le matériel
emporté. Du coté de la Direction des ressources humaines, point

d’ordinateur. Dans les Unités de formation et de recherche(Ufr), la
plupart des bureaux des enseignants et du personnel de
l’administration ont été pillés. Les ordinateurs et les livres emportés. Du
coté de l’université d’Abobo-Adjamé où les mercenaires du président
sortant Laurent Gbagbo ont séjourné pendant plus de trois mois, c’est
le désastre. La scolarité n’existe plus que de nom. Le bâtiment abritant
ce service est décoiffé. A la bibliothèque centrale, les livres éparpillés à
même le sol. A l’intérieur de cette maison, les casiers sont vides. Le seul
ouvrage qui y était encore le 30 mai, jour de notre passage était celui
de Pierre Vergnaud, intitulé ‘’L’idée de la nationalité et de la libre
disposition des peuples dans ses rapports avec l’idée de l’Etat’’. Du coté
des laboratoires, c’est la désillusion. En plus des plafonds de ces salles
qui servaient de cache d’arme, selon des sources aux Frci (les plafonds
sont encore ouverts), les chambres froides ont toutes été éventrées.
Les pilleurs s’en sont pris aux bâtiments des services contrôle
budgétaire, administratif et financier où ils ont cassés les portes. Non
contents de cela, ces personnes sans foi ni loi ont fracassé les portes
des bureaux.

…à la destruction des services

Ils ont emporté les ordinateurs avant de tout mettre en vrac! Quant au
service informatique de ce temple, les pyromanes ont choisi d’y mettre
le feu. Des dégâts qui inquiètent quant à la reprise cours. «On ne sait
pas quand est-ce qu’on va reprendre les cours. On nous a fait savoir que
les dossiers et les informations relatives aux étudiants ont été détruits.
On redoute le pire et il est probable qu’on ait une année blanche»,

désespère K. Hyppolite, étudiant en licence d’anglais. Un avis partagé
par un enseignant de l’Ufr Biosciences. Les ordinateurs ont été
emportés et à l’heure actuelle, on ne peut affirmer avec certitude qui
est étudiant et qui ne l’est pas. La mémoire de l’université a été
emportée dans les pillages et dans la bataille. On se dirige avec
certitude vers une année blanche même si la ministre affirme le
contraire», révèle un enseignant sous le couvert de l’anonymat. Sans
vouloir abonder dans le sens de l’année blanche, le Pr Traoré Flavien,
porte-parole de la Coordination nationale des enseignants du supérieur
et chercheurs (Cnec) fait le constat des dégats. «La quasi-totalité des
bureaux ont été pillés, les portes ont été fracturées et tout le matériel
informatique a été emporté. Le communiqué qui a décidé de la
fermeture n’ayant pas été précis, les enseignants et le personnel
administratif et technique ont regagné leurs domiciles avec les
documents qu’ils ont trouvés dans leurs bureaux. Aujourd’hui donc, il
n’y a pratiquement plus d’administration et d’enseignants sur les
universités de Cocody et d’Abobo Adjamé. Dans ces conditions, il est
difficile d’envisager une reprise et à cet effet, nous avons eu des
rencontres avec le directeur de cabinet du ministère de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche scientifique afin de négocier une
réparation rapide des bureaux pour que les enseignants puissent
regagner leurs bureaux avec leurs documents pour reconstituer les
listings et envisager une rentrée dans les meilleures conditions »,
souhaite-t-il. Des vœux qui même s’ils sont réalisés, servirait tout juste
pour l’université de Cocody. Car au niveau de l’université sœur d’Abobo
Adjamé, le président fait une autre lecture de la situation. Dans une
interview accordée il y a un mois à une revue mensuelle, le Pr Gourène
Germain mettait le pied dans le plat: « L’université de par les points

sensibles a été détruite à 70%. Il n’y a plus de mémoire de tous les
diplômes de la formation, et la base de données des étudiants depuis
que l’université existe a été détruite. Toute la mémoire sur papier,
toutes les archives, tout a été détruit. Donc, la mémoire papier n’existe
plus. Généralement, quand ce genre de phénomène se passe, on se
rabat sur la mémoire électronique. Le bâtiment du service informatique
a été visé et la mémoire virtuelle et électronique a aussi été détruite.
Aujourd’hui, concrètement, l’université d’Abobo-Adjamé n’existe plus.
Nous servons de base de données à la Faculté de médecine en
odontostomatologie. Ces étudiants, une fois à l’extérieur de la Côte
d’Ivoire, nous demandent d’authentifier leurs diplômes. Aujourd’hui, il
n’y a plus de possibilité, plus de références, plus de bases de données.
Nous ne pouvons plus authentifier les diplômes. Tous ceux qui ont eu
des diplômes à l’Université d’Abobo-Adjamé doivent commencer à
s’interroger. En plus de cela, il y a le service financier où tout a été
détruit. C’est pour cela je parlais des points les plus sensibles de
l’université qui ont été détruits. Le centre de calcul qui est un point
aussi sensible, a été détruit. J’ai trouvé les carcasses de certains
serveurs de l’université. Ils ont pris soin de les démonter. Cela montre
qu’il y a quelque chose qui était visé et là, je ne comprends pas du
tout». Et le premier responsable de cette université d’ajouter : «On
peut envoyer des milliards de Fcfa aujourd’hui, pour acheter tout le
matériel, mais où trouver la base de données sur papier et la base de
donnée électronique? Depuis la création de l’université d’Abobo-
Adjamé en 1996, depuis qu’elle a été coupée du cordon ombilical avec
l’université de Cocody, nous avons nos archives à part. Avant 1996, on
peut trouver des archives, mais à partir de 1996, on ne peut plus
trouver de données puisque tout a été détruit. L’université de Bouaké

est sinistrée. Mais le sinistre de d’Abobo-Adjamé est plus grave. Ce ne
sont pas les bâtiments, mais des points clés de cette institution qui ont
été détruits». Au-delà du matériel qui a été détruit, intéressons-nous à
l’état d’avancement des cours puisque comme le disent certains
enseignants, ‘’Ce qui a été détruit, c’est du matériel. Si nous avons
d’autres locaux où dispenser les cours, nous pourrons rattraper le
retard’’. Malheureusement au niveau également des cours, rien ne
rassure. A Cocody comme à Abobo-Adjamé, rares sont les Ufr qui ont
pu débuter l’année universitaire 2010-2011. Pour la quasi-totalité des
filières, les étudiants étaient dans l’attente des résultats de la 1ère ou
de la deuxième session de l’année universitaire 2009-2010, ou alors les
enseignants étaient en train d’achever les cours.

Etat d’avancement des cours

Au niveau de l’Ufr des Sciences des structures, de la matière et de la
technologie (Ssmt), les cours de l’année universitaire 2009-2010, selon
les enseignants, avaient débuté en juin 2010 et sont terminés. Mais
l’année 2010-2011 n’avaient pas encore débuté. A l’Ufr Biosciences,
l’année académique 2009-2010 a pris fin le 5 décembre 2010 et la
nouvelle année académique était prévue pour janvier 2011. A l’Ufr
Langue, Littérature et Civilisation (Llc), les cours de l’année académique
2009-2010 dans tous les départements devaient prendre fin en
décembre 2010 pour que la nouvelle année débute en janvier 2011.
Mais ça n’a pas été le cas, et les enseignants affirment que 80% des
cours ont été achevés. Même les Ufr des Sciences médicales,
d’odontostomatologie et des sciences pharmaceutiques qui d’ordinaire

étaient à jour observent aujourd’hui un retard dans les cours. Dans ces
3 Ufr, l’année universitaire 2009-2010 a pris fin, mais l’année 2010-2011
a pu débuter seulement en pharmacie. A l’Ufr des Sciences juridiques
administratives et politiques (Sjap), les cours sont terminés pour
l’année 2009-2010. Pareil au département des arts. Pour les Ufr de
Siences économiques, de Criminologie, de Sciences de l’homme et de la
société (Shs), les cours de l’année 2009-2010 sont en train d’être
achevés. A l’exception de l’Institut socio-anthropologique et de
développement (Isad) et l’Institut de géographie tropicale (Igt), des
filières de l’Ufr Shs qui sont à jour dans les cours, toutes les autres
filières observent un retard à des degrés divers. Les enseignants
précisent que si des sites leurs sont trouvés, en deux ou trois mois,
l’année universitaire 2009-2010 pourra être sauvée. «C’est vrai que nos
bureaux ont été cassés et beaucoup de choses ont été emportées. Mais
les enseignants sont motivés et si des sites nous sont dégagés, en 2 ou 3
mois, nous pourrons achever les cours», affirme Baha Bi Youzan Daniel,
doyen de l’Ufr Shs. A l’université d’Abobo-Adjamé, comme à Cocody, la
situation est variable d’une Ufr à une autre. «Certaines filières au sein
des Ufr n’ont pas encore achevé l’année académique 2008-2009. Mais
la majorité s’acheminait vers la fin de l’année académique 2009-2010»,
affirment en substance les enseignants de cet institut. Sans vouloir être
pessimiste, le Pr Coulibaly Lassina de cette université avoue qu’il est
improbable d’absorber en 3 ou 4 mois toutes ces années. L’enseignant
propose plutôt que soient trouvées des stratégies pour capitaliser les
acquis des étudiants. Et le Pr Traoré de proposer « que ceux qui
peuvent terminer l’année soit autorisée à le faire et que ceux qui ne
peuvent pas préparent une nouvelle rentrée. C’est-à-dire que ceux qui
ne peuvent pas parce qu’ils ont à peine entamé le premier semestre,

seront obligés de déclarer une année blanche. Par contre, pour ceux qui
sont en fin de programmes, il faut qu’on puisse les laisser terminer
avant la nouvelle année. Mais même si on fixe une nouvelle rentrée, il
faut prendre deux dispositions importantes. A savoir que l’on règle le
manque de salles de cours pour les différentes Ufr et la pénurie
d’enseignant au supérieur. Mais en attendant la prise de ces
dispositions, certains enseignants sont fermes. «Le gouvernement a
prévu la rentrée académique 2011-2012 pour octobre 2011. Et nous
savons tous qu’en trois mois l’on ne peut pas achever une année
scolaire. Pour la majorité des Ufr, trois mois permettront de terminer
l’année académique 2008-2009 pour certains, et 2009-2010 pour
d’autres. Mais l’année 2010-2011 reste non encore entamée pour la
majorité des Ufr. Pour les Ufr qui l’ont entamé, si elles peuvent la
terminer avant octobre, le gouvernement doit pouvoir leur faire ce
privilège. Et pour les autres, il faut avoir le courage de déclarer l’année
blanche», affirme sous le sceau de l’anonymat le directeur d’un des
instituts de l’université de Cocody. Un avis partagé par le Dr Diawara
Adama, maître assistant à l’université de Cocody. Selon cet enseignant,
il serait mieux de déclarer une fois pour de bon l’année blanche ‘’pour
que l’on puisse remettre le compteur à zéro au niveau de l’Université’’.
De nombreux enseignants craignent pour la perte de la valeur de nos
diplômes si cette responsabilité n’est pas prise par l’Etat. «L’Etat ne
veut certes pas d’année blanche, mais la réalité du terrain l’impose. Il
faut donc qu’il y ait le courage de le déclarer pour les Ufr où l’on ne
peut rien. Sans vouloir se prononcer, une source proche du ministère
de tutelle précise que la rentrée académique 2011-2012 est prévue
pour octobre 2011 pour toutes les Ufr. Ce qui sous-entend que ceux qui
n’auront pas validé entre temps leur année académique entamée

courent vers l’année blanche ou les années blanches. Les constats sont
là, et l’on attend la décision du ministère de l’enseignement supérieur.

Touré Yelly
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