Le Conseil Constitutionnel et la Commission Nationale des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH-CI) partie des institutions ou autorités administratives indépendantes du pays. La particularité de ces deux structures clés, c’est qu’elles sont dirigées par un couple, M. Francis Wodié pour le Conseil constitutionnel et Mme Victorine Wodié, pour la CNDHCI. Si l’époux, Francis Wodié doit veiller au respect de la Constitution ivoirienne, il doit aussi contrôler la commission dirigée par son épouse, Victorine. Ce contrôle peut-il se faire de façon impartiale, sans conflit d’intérêt entre M. et Mme Wodié ? Cette question a été posée à des Hommes de Droits, qui pensent qu’il ne devrait pas y avoir, en principe de conflits d’intérêt. Et pourtant …
Institution ivoirienne établie par la loi nº 94-438 du 16 août 1994 qui en fixe la composition, l'organisation, les attributions et le fonctionnement, le Conseil Constitutionnel veille à la régularité des principales élections et référendums. Il se prononce sur la conformité à la Constitution des Lois et de certains Règlements, avant leur entrée en vigueur et intervient également dans certaines circonstances de la vie parlementaire et publique. Le Conseil Constitutionnel est la juridiction suprême en matière électorale. Ses décisions sont sans appel, une institution de l'État prévue au Titre VI nouveau de la Constitution. Contrairement au président du CNDH-CI, avant son entrée en fonction, le Président du Conseil Constitutionnel prête serment devant le Président de la République, en ces termes : «Je m’engage à bien et fidèlement remplir ma fonction, à l’exercer en toute indépendance et en toute impartialité dans le respect de la Constitution, à garder le secret des délibérations et des votes, même après la cessation de mes fonctions, à ne prendre aucune position publique dans les domaines politique, économique ou social, à ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence du Conseil Constitutionnel». Francis Wodié, professeur agrégé de droit constitutionnel et doyen honoraire de l’Unité de formation et de recherche (Ufr) des sciences juridiques de Cocody est le nouveau ‘‘gendarme’’ constitutionnel, depuis le 25 juillet 2011, date à laquelle il a été nommé par le Président Alassane Ouattara, pour le respect strict des lois en Côte d’Ivoire et a prêté serment devant lui, le jeudi 4 août de la même année. Son épouse Victorine Wodié dirige la Commission nationale des droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH-CI), depuis 2005, mais la mise en place de cette commission remonte à mars 1992, date à laquelle les recommandations du séminaire organisé par le centre des Droits de l'Homme à Paris en Octobre 1991 sont approuvées par la commission des Droits de l'Homme. Malgré son statut de présidente d’Institution, Mme Wodié ne prête pas serment devant le Président de la République. Parce que la commission qu’elle dirige, la seule d’ailleurs qui existe en matière de Droit de l’Homme en Afrique de l’Ouest, ne figure pas pour l’instant dans la Constitution ivoirienne. Cette situation qui a longtemps été déplorée par Mme Victorine Wodié, n’empêche cependant pas la CNDH-CI à mener des activités classiques de défense et de protection des Droits de l’Homme. L’une de ses activités majeures est incontestablement l’assistance qu’elle accorde chaque jour aux différentes victimes de violations des Droits de l’Homme, sans aucune discrimination, à travers des visites sur le terrain pour toucher du doigt les réalités en matière de Droits de l’Homme. Etant aux premières lignes en matière de Droit de l’Homme de l’Etat de droit et des libertés publiques en Côte d’Ivoire, Francis et Victorine ont une lourde responsabilité dans la défense des Droits de tous les citoyens ivoiriens.
De l’éventualité d’un conflit d’intérêt
Pour N’gouan Patrick, le coordonnateur de la Convention de la Société civile de Côte d’Ivoire (CSCI), les missions de ces deux institutions étant bien distinctes, « il ne saurait y avoir de chevauchement » dans l’exercice des tâches confiées à chacun des membres du couple Wodié. Le président de la Coalition ivoirienne pour la Cour pénale internationale (CI-CPI), Ali Ouattara, pense qu’il faut éviter de faire des amalgames dans les attributions du Conseil constitutionnel et de la CNDH-CI. «Il faut éviter de faire des amalgames. Les deux institutions n’ont pas les mêmes missions. C’est vrai que dans sa composition, la Commission Nationale des Droits de l’Homme n’est pas parfaite, puisqu’elle est composée des partis politiques présents à la table-ronde de Linas Marcoussis, alors que l’institution devrait être totalement indépendante. Mais, on serait plus à l’aise de juger le mandat de Mme Wodié qui prend fin dans un an, si elle avait eu les moyens de travailler comme on l’attendait», explique-t-il, d’autant plus que la Commission nationale des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire est sous la tutelle du ministère ivoirien de la Justice et n’a donc aucune autonomie financière. «Quant au professeur Wodié qui entame un mandat, c’est trop tôt de le juger. Mais, connaissant l’homme pour son intégrité morale, il sait dissocier les affaires de couple des affaires professionnelles. D’ailleurs, leur engagement politique n’a pas eu d’impact sur leur vie de couple et ils continuent de vivre sous le même toit», fait-il remarquer.
Les préalables de Kabran Appiah
Professeur de Droit à l’Université d’Abidjan, le ministre Kabran Appiah, estime, pour sa part, que la nomination de Francis Wodié à la tête du Conseil Constitutionnel et de son épouse en qualité de présidente de la Commission nationale des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire, ne saurait constituer un problème en soi, le vrai débat étant ailleurs.
«Normalement, cela ne devrait pas poser de problème, mais l’objection est plus politique qu’elle n’est juridique. Je ne pense pas qu’il y ait incompatibilité absolue que Francis Wodié soit nommé président du Conseil Constitutionnel et que son épouse soit présidente de la Commission nationale des Droits de l’Homme. De toutes les façons, le problème est ailleurs et c’est de savoir si M. Wodié était régulièrement le président du Conseil Constitutionnel. Les Ivoiriens ont tendance à aller chercher les problèmes les moins importants pour en faire des sujets graves, or le problème grave, c’est déjà de supprimer le mandat des gens qui ont un mandat constitutionnel. La question qu’on doit se poser c’est, est-ce que les institutions fonctionnent normalement ? C’est cette question que j’ai posée au Président Ouattara. J’ai lu son intention d’instaurer l’Etat de Droit, de faire fonctionner la Justice et personne ne peut être contre de telles belles intentions. Mais, il faut que ces intentions soient traduites par des actes conformes à la Constitution. Est-ce que le débat qui a lieu en ce moment est purement juridique ou est-ce qu’il est surtout politique ? Les politiques sont d’accord pour le fait accompli, mais les juristes sont interpellés dans leur métier. Le Procureur de la République qui inculpe un Président de la République, c’est quelque chose d’assez spécial, non ?! Il faut laisser tomber les faux débats et se poser la question suivante : Francis Wodié est-il à sa place ? Je pense que tout commence par là. Si vous commencez par un acte fondateur qui lui-même est sujet à caution, quel crédit juridique donnera-t-on aux actes subsidiaires ? Si on admet qu’on peut tout faire désormais contre le Droit en Côte d’Ivoire, c’est un point de vue, une option. Seulement, il ne faut pas mélanger tout. Soit on est dans la Constitution, soit on est en dehors de la Constitution, mais on ne peut être à la fois dedans et dehors. Si on choisit d’être dans la Constitution, alors l’ordonnancement juridique doit être cohérent. Si par contre on choisit d’être en dehors de la Constitution, là aussi il y a une autre cohérence que le juriste ne sait plus apprécier, tant qu’il n’est pas dans son domaine de définition du Droit. Soit on est dans le domaine de définition de la Constitution, ou bien dans celui de la victoire politique, ce que je comprends aussi, car il y a un adage qui dit : « Malheur aux vaincus ». Les vaincus qui doivent donc s’attendre à toutes les sentences politiques suivent leur défaite. Je ne me plaindrai pas si les vainqueurs disent : « Nous sommes les vainqueurs, nous appliquons donc la loi du vainqueur ». Cela me paraît logique, mais qu’ils ne prétendent pas dire : « Nous sommes en train d’appliquer la Constitution ». Parce qu’en ce moment, nous les juristes, nous sommes perturbés », indique Kabran Appiah.
Les regards tournés vers les Wodiés
Francis et Victorine Wodié sont donc sur la sellette, tout en sachant pertinemment que le Président Alassane Ouattara est très intransigeant sur la question de la bonne gouvernance. Lors de sa prestation de serment, le 4 août dernier, le président du Conseil Constitutionnel avait reçu un mandat clair de la part du chef de l’Etat, rétablir l’image du Conseil Constitutionnel, mais surtout renforcer la crédibilité de l’institution, en servant l’intérêt général. Une mission délicate, en somme, puisque l’épée de Damoclès de Ouattara est sur la tête de Francis Wodié et aussi de son épouse. Ils n’ont pas droit à l’erreur.
Réalisé par Dosso Villard, Olivier Dion : Coll NE
Institution ivoirienne établie par la loi nº 94-438 du 16 août 1994 qui en fixe la composition, l'organisation, les attributions et le fonctionnement, le Conseil Constitutionnel veille à la régularité des principales élections et référendums. Il se prononce sur la conformité à la Constitution des Lois et de certains Règlements, avant leur entrée en vigueur et intervient également dans certaines circonstances de la vie parlementaire et publique. Le Conseil Constitutionnel est la juridiction suprême en matière électorale. Ses décisions sont sans appel, une institution de l'État prévue au Titre VI nouveau de la Constitution. Contrairement au président du CNDH-CI, avant son entrée en fonction, le Président du Conseil Constitutionnel prête serment devant le Président de la République, en ces termes : «Je m’engage à bien et fidèlement remplir ma fonction, à l’exercer en toute indépendance et en toute impartialité dans le respect de la Constitution, à garder le secret des délibérations et des votes, même après la cessation de mes fonctions, à ne prendre aucune position publique dans les domaines politique, économique ou social, à ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence du Conseil Constitutionnel». Francis Wodié, professeur agrégé de droit constitutionnel et doyen honoraire de l’Unité de formation et de recherche (Ufr) des sciences juridiques de Cocody est le nouveau ‘‘gendarme’’ constitutionnel, depuis le 25 juillet 2011, date à laquelle il a été nommé par le Président Alassane Ouattara, pour le respect strict des lois en Côte d’Ivoire et a prêté serment devant lui, le jeudi 4 août de la même année. Son épouse Victorine Wodié dirige la Commission nationale des droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH-CI), depuis 2005, mais la mise en place de cette commission remonte à mars 1992, date à laquelle les recommandations du séminaire organisé par le centre des Droits de l'Homme à Paris en Octobre 1991 sont approuvées par la commission des Droits de l'Homme. Malgré son statut de présidente d’Institution, Mme Wodié ne prête pas serment devant le Président de la République. Parce que la commission qu’elle dirige, la seule d’ailleurs qui existe en matière de Droit de l’Homme en Afrique de l’Ouest, ne figure pas pour l’instant dans la Constitution ivoirienne. Cette situation qui a longtemps été déplorée par Mme Victorine Wodié, n’empêche cependant pas la CNDH-CI à mener des activités classiques de défense et de protection des Droits de l’Homme. L’une de ses activités majeures est incontestablement l’assistance qu’elle accorde chaque jour aux différentes victimes de violations des Droits de l’Homme, sans aucune discrimination, à travers des visites sur le terrain pour toucher du doigt les réalités en matière de Droits de l’Homme. Etant aux premières lignes en matière de Droit de l’Homme de l’Etat de droit et des libertés publiques en Côte d’Ivoire, Francis et Victorine ont une lourde responsabilité dans la défense des Droits de tous les citoyens ivoiriens.
De l’éventualité d’un conflit d’intérêt
Pour N’gouan Patrick, le coordonnateur de la Convention de la Société civile de Côte d’Ivoire (CSCI), les missions de ces deux institutions étant bien distinctes, « il ne saurait y avoir de chevauchement » dans l’exercice des tâches confiées à chacun des membres du couple Wodié. Le président de la Coalition ivoirienne pour la Cour pénale internationale (CI-CPI), Ali Ouattara, pense qu’il faut éviter de faire des amalgames dans les attributions du Conseil constitutionnel et de la CNDH-CI. «Il faut éviter de faire des amalgames. Les deux institutions n’ont pas les mêmes missions. C’est vrai que dans sa composition, la Commission Nationale des Droits de l’Homme n’est pas parfaite, puisqu’elle est composée des partis politiques présents à la table-ronde de Linas Marcoussis, alors que l’institution devrait être totalement indépendante. Mais, on serait plus à l’aise de juger le mandat de Mme Wodié qui prend fin dans un an, si elle avait eu les moyens de travailler comme on l’attendait», explique-t-il, d’autant plus que la Commission nationale des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire est sous la tutelle du ministère ivoirien de la Justice et n’a donc aucune autonomie financière. «Quant au professeur Wodié qui entame un mandat, c’est trop tôt de le juger. Mais, connaissant l’homme pour son intégrité morale, il sait dissocier les affaires de couple des affaires professionnelles. D’ailleurs, leur engagement politique n’a pas eu d’impact sur leur vie de couple et ils continuent de vivre sous le même toit», fait-il remarquer.
Les préalables de Kabran Appiah
Professeur de Droit à l’Université d’Abidjan, le ministre Kabran Appiah, estime, pour sa part, que la nomination de Francis Wodié à la tête du Conseil Constitutionnel et de son épouse en qualité de présidente de la Commission nationale des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire, ne saurait constituer un problème en soi, le vrai débat étant ailleurs.
«Normalement, cela ne devrait pas poser de problème, mais l’objection est plus politique qu’elle n’est juridique. Je ne pense pas qu’il y ait incompatibilité absolue que Francis Wodié soit nommé président du Conseil Constitutionnel et que son épouse soit présidente de la Commission nationale des Droits de l’Homme. De toutes les façons, le problème est ailleurs et c’est de savoir si M. Wodié était régulièrement le président du Conseil Constitutionnel. Les Ivoiriens ont tendance à aller chercher les problèmes les moins importants pour en faire des sujets graves, or le problème grave, c’est déjà de supprimer le mandat des gens qui ont un mandat constitutionnel. La question qu’on doit se poser c’est, est-ce que les institutions fonctionnent normalement ? C’est cette question que j’ai posée au Président Ouattara. J’ai lu son intention d’instaurer l’Etat de Droit, de faire fonctionner la Justice et personne ne peut être contre de telles belles intentions. Mais, il faut que ces intentions soient traduites par des actes conformes à la Constitution. Est-ce que le débat qui a lieu en ce moment est purement juridique ou est-ce qu’il est surtout politique ? Les politiques sont d’accord pour le fait accompli, mais les juristes sont interpellés dans leur métier. Le Procureur de la République qui inculpe un Président de la République, c’est quelque chose d’assez spécial, non ?! Il faut laisser tomber les faux débats et se poser la question suivante : Francis Wodié est-il à sa place ? Je pense que tout commence par là. Si vous commencez par un acte fondateur qui lui-même est sujet à caution, quel crédit juridique donnera-t-on aux actes subsidiaires ? Si on admet qu’on peut tout faire désormais contre le Droit en Côte d’Ivoire, c’est un point de vue, une option. Seulement, il ne faut pas mélanger tout. Soit on est dans la Constitution, soit on est en dehors de la Constitution, mais on ne peut être à la fois dedans et dehors. Si on choisit d’être dans la Constitution, alors l’ordonnancement juridique doit être cohérent. Si par contre on choisit d’être en dehors de la Constitution, là aussi il y a une autre cohérence que le juriste ne sait plus apprécier, tant qu’il n’est pas dans son domaine de définition du Droit. Soit on est dans le domaine de définition de la Constitution, ou bien dans celui de la victoire politique, ce que je comprends aussi, car il y a un adage qui dit : « Malheur aux vaincus ». Les vaincus qui doivent donc s’attendre à toutes les sentences politiques suivent leur défaite. Je ne me plaindrai pas si les vainqueurs disent : « Nous sommes les vainqueurs, nous appliquons donc la loi du vainqueur ». Cela me paraît logique, mais qu’ils ne prétendent pas dire : « Nous sommes en train d’appliquer la Constitution ». Parce qu’en ce moment, nous les juristes, nous sommes perturbés », indique Kabran Appiah.
Les regards tournés vers les Wodiés
Francis et Victorine Wodié sont donc sur la sellette, tout en sachant pertinemment que le Président Alassane Ouattara est très intransigeant sur la question de la bonne gouvernance. Lors de sa prestation de serment, le 4 août dernier, le président du Conseil Constitutionnel avait reçu un mandat clair de la part du chef de l’Etat, rétablir l’image du Conseil Constitutionnel, mais surtout renforcer la crédibilité de l’institution, en servant l’intérêt général. Une mission délicate, en somme, puisque l’épée de Damoclès de Ouattara est sur la tête de Francis Wodié et aussi de son épouse. Ils n’ont pas droit à l’erreur.
Réalisé par Dosso Villard, Olivier Dion : Coll NE