Enseignante-chercheur à l’Université d’Abidjan-Cocody, experte en Sociologie et en management, le Pr Ténin Touré-Diabaté est en phase avec la décision du Chef de l’Etat portant à septembre 2012, la date de réouverture des universités et résidences universitaires d’Abidjan. Dans cette interview, l’ex-représentante-résident de diverses organisations du système des Nations Unies dans des pays rendus vulnérables par la guerre comme le Rwanda, le Burundi et le Congo, salue « une solution judicieuse et éclairée » destinée à remettre en l’état une université ivoirienne, appelée à être, selon ce Commandeur dans l’ordre du mérite de l’Education nationale, la clé de voûte du développement post-crise.
Le monde universitaire national dont vous êtes un acteur depuis plus de deux décennies est enfin situé sur la date de réouverture des universités fixée à septembre 2012. Que vous inspire cette décision annoncée par le Chef de l’Etat ?
Pour apprécier véritablement cette décision, il convient de s’intéresser à la situation de l’université ivoirienne. Avions-nous une université en Côte d’Ivoire ces dernières années ? La réponse est négative. Nous avions une université qui n’existait que de nom. Nous avions en Côte d’Ivoire une université sans vision, sans morale, qui, dans son fonctionnement et son évolution, a vu ses canons d’excellence ébranlés par divers maux et dysfonctionnements. L’enseignement allait à vau-l’eau. Il fallait remettre à l’endroit l’éthique et la morale. Tout ce qui touche le mental doit être gardé comme la prunelle de nos yeux. Nous réclamions donc à cor et à cri une réhabilitation. Et ce processus devrait être d’abord moral. Une université, c’est le lieu de la construction, je dirai même de la finalisation de la construction d’un individu en tant que ressource humaine et en tant que citoyen d’une nation. L’université est donc ouverte parce qu’elle permet l’échange intellectuel, le débat des idées. L’université fonctionne parce qu’elle permet l’ouverture d’un pays à l’humanité entière à travers la diffusion de la connaissance dans la sérénité et la convivialité. Mais chez nous, l’université était ouverte pour être tout simplement la pépinière de la violence, pour être un champ de bataille et un terreau de la médiocrité et de la tricherie. Nous les enseignants, qui devrons apporter la lumière de la connaissance, assistions désarmés à la déliquescence de notre université. Il fallait réagir. Il fallait une onde de choc, il fallait choquer pour réveiller notre monde universitaire dans toute sa composante. Le Chef de l’Etat a agi dans ce sens avec sa décision de maintenir nos universités d’Abidjan fermées jusqu’en septembre 2012. A mon avis, c’est une solution judicieuse et éclairée.
Si on vous suit bien, il ne s’agit pas d’un problème…
Absolument. La date de septembre 2012 annoncée par le Président de la République suite à une analyse cohérente de la situation qui lui a été présentée par le ministre de tutelle, Cissé Bacongo, n’est pas un problème. Perdre même deux ans pour repenser notre système national éducatif ne serait pas une mauvaise décision. Je rappelle que la violence avait pignon sur rue depuis le primaire jusqu’au supérieur en passant par le secondaire. Le Président de la République, SEM Alassane Ouattara, qui a une étude prospective 2040 sur la Côte d’Ivoire, travaille pour la renaissance de notre pays à cet horizon. Mais quelle renaissance peut-on avoir à cette échéance avec une université malade ? Quel type d’Ivoiriens avons-nous besoin de former ? Quelle formation pour quel citoyen ivoirien ? C’est de cela qu’il s’agit. Il faut se poser ces questions pour comprendre qu’il était temps de réhabiliter le mental de l’étudiant qui était la frayeur. L’étudiant dans notre pays était devenu synonyme de milice, de violence, de médiocrité et de tricherie. Sans vous le cacher, il y avait des entreprises qui refusaient d’embaucher les étudiants sortis de nos universités. Les étudiants qui ne savaient pas où aller étaient contraints à passer les nuits dans des amphis. Pendant ce temps, des non étudiants occupaient les cités universitaires. Les amphis étaient remplis dès 5 heures du matin par les étudiants parce qu’il n’y avait pas de places pour tous. Fort heureusement, avec la bonne lecture du ministre Cissé Bacongo, on revient à la planification de l’université dans son entité, dans son aménagement et dans son management. Le cadre de l’intelligentsia doit être salubre. Or, nos universités étaient insalubres. Nos universités étaient devenues un lieu d’affaires pour ceux qui s’imposaient par la force et la violence. C’étaient les plus forts qui avaient droit à la parole. Un étudiant de la Fesci pouvait frapper son enseignant et il n’y avait rien comme sanction si ce n’était que de revenir le lendemain narguer le maître. Dans ce décor, les plus faibles devaient subir. C’était cela l’université d’Abidjan. Il faut savoir s’arrêter et repartir.
Vous avez dépeint un état des lieux particulièrement sombre. Mais, rien n’indique que les problèmes relevés auront leurs réponses d’ici septembre 2012…
Cette date n’a pas été prise dans le vide. Il y a une planification qui a été faite. Et il est heureux de constater que la Côte d’Ivoire, sous Ouattara, renoue avec la planification qui se conjugue dans tous les Etats modernes. Qui dit développement durable, dit planification. Qu’allez-vous faire avec 45.000, 50.000 étudiants dans une université qui n’a que 7000 places ? Est-ce que nous voulons véritablement construire un Ivoirien nouveau ? Si oui, nous devons faire cet effort de mettre en place les instances d’un développement durable. Il ne suffit pas d’ouvrir l’université et démarrer politiquement les enseignements alors qu’on n’est pas prêt. Il s’agit de responsabiliser les parents d’élèves. Tous, nous avons été témoins de l’ambiance malsaine autour de nos universités. Nous sommes restés passifs devant une université qui fonctionnait sur le faux et la violence. C’est une décision sage. Le Chef de l’Etat a refusé en réalité la politique de l’autruche. Il fallait d’abord choquer pour mettre chaque acteur du monde universitaire devant ses responsabilités et ensuite assumer en fermant l’université. C’est ce qui a été fait et je m’en réjouis.
En quoi une décision qui choque est-elle judicieuse ?
Il y a plusieurs leçons à tirer de cette date. Je relève par exemple qu’il ne faut pas faire plaisir pour faire plaisir ou vouloir tirer un profit politique instantané d’une décision qui engage le futur d’un Etat. En apprenant la date de septembre 2012, chacun s’est posé la question suivante : pourquoi cette longue attente ? Et en cherchant les réponses, chacun médite sur nos universités et sur les actions à mener pour ne plus en arriver à cette dérive. C’est cela le message. Certes, nous savons que tous les enfants n’ont pas les mêmes opportunités d’aller étudier à l’extérieur ou dans les universités privées. Mais je crois que nous devons assumer ces responsabilités avec le gouvernement et faire en sorte que l’attente que certains estiment longue soit plutôt à terme merveilleuse. La décision vise à nous réconcilier avec la maxime que la récompense doit être au bout de l’effort. Le Chef de l’Etat a été bien inspiré tout comme son ministre de l’Enseignement supérieur. J’ai effectué une visite sur les chantiers et j’ai vu les travaux qui s’effectuent actuellement. J’ai eu à travailler pour le compte de certaines agences du système des Nations Unies dans des pays qui ont connu des situations similaires de guerre. J’ai connu et vécu cette situation de fermeture des structures éducatives. Il faut donc se féliciter de l’engagement de nos dirigeants à trouver les meilleures réponses aux problèmes posés dans un délai qui, pour moi, est raisonnable. D’abord, il faut choquer. Cela a été fait. Par la suite, il faut rétablir l’équité et la justice sociale dans nos universités et résidences universitaires en vue de donner à chaque Ivoirien une chance de réussir avec courage et responsabilité. L’étudiant doit être responsable, il doit se forger une personnalité dans la construction d’un pays émergeant dont nous rêvons tous. Mais, cela ne doit pas être un rêve étant donné que c’est possible si nous suivons le gouvernement qui entend miser sur le capital humain qui est au cœur du développement d’un pays. Si les efforts sont suivis, nous allons atteindre le cap d’un pays émergeant à l’horizon 2040.
Il y a un contingent de bacheliers de quatre années scolaires qui va être particulièrement pénalisé par cette décision. Est-il possible pour vous qui êtes enseignant, de rattraper le temps perdu ?
Je n’aime pas le mot rattraper. J’aime plutôt le mot restructurer. Quand vous restructurez le mental d’un pays, vous restructurez tout. C’est une question de choix politique. Mais aussi et surtout de choix du développement. Un pays émergeant se fait sur la base des ressources humaines. Des pays qui ont connu des crises similaires ont réussi à se positionner dans le rang des Etats émergeants. Pourquoi pas nous ? C’est possible si on arrive à donner la chance à tous les enfants de ce pays de faire des études supérieures dans une université ivoirienne nouvelle, transformée qui affronte et relève les défis du développement post-crise. Aujourd’hui, plus que par le passé, il nous faut réhabiliter le capital humain en Côte d’Ivoire. Il faut que nos ressources humaines soient le socle du développement post-crise, la clé de voûte d’une Côte d’Ivoire nouvelle, fierté de l’Afrique.
Réalisée par M Tié Traoré
Le monde universitaire national dont vous êtes un acteur depuis plus de deux décennies est enfin situé sur la date de réouverture des universités fixée à septembre 2012. Que vous inspire cette décision annoncée par le Chef de l’Etat ?
Pour apprécier véritablement cette décision, il convient de s’intéresser à la situation de l’université ivoirienne. Avions-nous une université en Côte d’Ivoire ces dernières années ? La réponse est négative. Nous avions une université qui n’existait que de nom. Nous avions en Côte d’Ivoire une université sans vision, sans morale, qui, dans son fonctionnement et son évolution, a vu ses canons d’excellence ébranlés par divers maux et dysfonctionnements. L’enseignement allait à vau-l’eau. Il fallait remettre à l’endroit l’éthique et la morale. Tout ce qui touche le mental doit être gardé comme la prunelle de nos yeux. Nous réclamions donc à cor et à cri une réhabilitation. Et ce processus devrait être d’abord moral. Une université, c’est le lieu de la construction, je dirai même de la finalisation de la construction d’un individu en tant que ressource humaine et en tant que citoyen d’une nation. L’université est donc ouverte parce qu’elle permet l’échange intellectuel, le débat des idées. L’université fonctionne parce qu’elle permet l’ouverture d’un pays à l’humanité entière à travers la diffusion de la connaissance dans la sérénité et la convivialité. Mais chez nous, l’université était ouverte pour être tout simplement la pépinière de la violence, pour être un champ de bataille et un terreau de la médiocrité et de la tricherie. Nous les enseignants, qui devrons apporter la lumière de la connaissance, assistions désarmés à la déliquescence de notre université. Il fallait réagir. Il fallait une onde de choc, il fallait choquer pour réveiller notre monde universitaire dans toute sa composante. Le Chef de l’Etat a agi dans ce sens avec sa décision de maintenir nos universités d’Abidjan fermées jusqu’en septembre 2012. A mon avis, c’est une solution judicieuse et éclairée.
Si on vous suit bien, il ne s’agit pas d’un problème…
Absolument. La date de septembre 2012 annoncée par le Président de la République suite à une analyse cohérente de la situation qui lui a été présentée par le ministre de tutelle, Cissé Bacongo, n’est pas un problème. Perdre même deux ans pour repenser notre système national éducatif ne serait pas une mauvaise décision. Je rappelle que la violence avait pignon sur rue depuis le primaire jusqu’au supérieur en passant par le secondaire. Le Président de la République, SEM Alassane Ouattara, qui a une étude prospective 2040 sur la Côte d’Ivoire, travaille pour la renaissance de notre pays à cet horizon. Mais quelle renaissance peut-on avoir à cette échéance avec une université malade ? Quel type d’Ivoiriens avons-nous besoin de former ? Quelle formation pour quel citoyen ivoirien ? C’est de cela qu’il s’agit. Il faut se poser ces questions pour comprendre qu’il était temps de réhabiliter le mental de l’étudiant qui était la frayeur. L’étudiant dans notre pays était devenu synonyme de milice, de violence, de médiocrité et de tricherie. Sans vous le cacher, il y avait des entreprises qui refusaient d’embaucher les étudiants sortis de nos universités. Les étudiants qui ne savaient pas où aller étaient contraints à passer les nuits dans des amphis. Pendant ce temps, des non étudiants occupaient les cités universitaires. Les amphis étaient remplis dès 5 heures du matin par les étudiants parce qu’il n’y avait pas de places pour tous. Fort heureusement, avec la bonne lecture du ministre Cissé Bacongo, on revient à la planification de l’université dans son entité, dans son aménagement et dans son management. Le cadre de l’intelligentsia doit être salubre. Or, nos universités étaient insalubres. Nos universités étaient devenues un lieu d’affaires pour ceux qui s’imposaient par la force et la violence. C’étaient les plus forts qui avaient droit à la parole. Un étudiant de la Fesci pouvait frapper son enseignant et il n’y avait rien comme sanction si ce n’était que de revenir le lendemain narguer le maître. Dans ce décor, les plus faibles devaient subir. C’était cela l’université d’Abidjan. Il faut savoir s’arrêter et repartir.
Vous avez dépeint un état des lieux particulièrement sombre. Mais, rien n’indique que les problèmes relevés auront leurs réponses d’ici septembre 2012…
Cette date n’a pas été prise dans le vide. Il y a une planification qui a été faite. Et il est heureux de constater que la Côte d’Ivoire, sous Ouattara, renoue avec la planification qui se conjugue dans tous les Etats modernes. Qui dit développement durable, dit planification. Qu’allez-vous faire avec 45.000, 50.000 étudiants dans une université qui n’a que 7000 places ? Est-ce que nous voulons véritablement construire un Ivoirien nouveau ? Si oui, nous devons faire cet effort de mettre en place les instances d’un développement durable. Il ne suffit pas d’ouvrir l’université et démarrer politiquement les enseignements alors qu’on n’est pas prêt. Il s’agit de responsabiliser les parents d’élèves. Tous, nous avons été témoins de l’ambiance malsaine autour de nos universités. Nous sommes restés passifs devant une université qui fonctionnait sur le faux et la violence. C’est une décision sage. Le Chef de l’Etat a refusé en réalité la politique de l’autruche. Il fallait d’abord choquer pour mettre chaque acteur du monde universitaire devant ses responsabilités et ensuite assumer en fermant l’université. C’est ce qui a été fait et je m’en réjouis.
En quoi une décision qui choque est-elle judicieuse ?
Il y a plusieurs leçons à tirer de cette date. Je relève par exemple qu’il ne faut pas faire plaisir pour faire plaisir ou vouloir tirer un profit politique instantané d’une décision qui engage le futur d’un Etat. En apprenant la date de septembre 2012, chacun s’est posé la question suivante : pourquoi cette longue attente ? Et en cherchant les réponses, chacun médite sur nos universités et sur les actions à mener pour ne plus en arriver à cette dérive. C’est cela le message. Certes, nous savons que tous les enfants n’ont pas les mêmes opportunités d’aller étudier à l’extérieur ou dans les universités privées. Mais je crois que nous devons assumer ces responsabilités avec le gouvernement et faire en sorte que l’attente que certains estiment longue soit plutôt à terme merveilleuse. La décision vise à nous réconcilier avec la maxime que la récompense doit être au bout de l’effort. Le Chef de l’Etat a été bien inspiré tout comme son ministre de l’Enseignement supérieur. J’ai effectué une visite sur les chantiers et j’ai vu les travaux qui s’effectuent actuellement. J’ai eu à travailler pour le compte de certaines agences du système des Nations Unies dans des pays qui ont connu des situations similaires de guerre. J’ai connu et vécu cette situation de fermeture des structures éducatives. Il faut donc se féliciter de l’engagement de nos dirigeants à trouver les meilleures réponses aux problèmes posés dans un délai qui, pour moi, est raisonnable. D’abord, il faut choquer. Cela a été fait. Par la suite, il faut rétablir l’équité et la justice sociale dans nos universités et résidences universitaires en vue de donner à chaque Ivoirien une chance de réussir avec courage et responsabilité. L’étudiant doit être responsable, il doit se forger une personnalité dans la construction d’un pays émergeant dont nous rêvons tous. Mais, cela ne doit pas être un rêve étant donné que c’est possible si nous suivons le gouvernement qui entend miser sur le capital humain qui est au cœur du développement d’un pays. Si les efforts sont suivis, nous allons atteindre le cap d’un pays émergeant à l’horizon 2040.
Il y a un contingent de bacheliers de quatre années scolaires qui va être particulièrement pénalisé par cette décision. Est-il possible pour vous qui êtes enseignant, de rattraper le temps perdu ?
Je n’aime pas le mot rattraper. J’aime plutôt le mot restructurer. Quand vous restructurez le mental d’un pays, vous restructurez tout. C’est une question de choix politique. Mais aussi et surtout de choix du développement. Un pays émergeant se fait sur la base des ressources humaines. Des pays qui ont connu des crises similaires ont réussi à se positionner dans le rang des Etats émergeants. Pourquoi pas nous ? C’est possible si on arrive à donner la chance à tous les enfants de ce pays de faire des études supérieures dans une université ivoirienne nouvelle, transformée qui affronte et relève les défis du développement post-crise. Aujourd’hui, plus que par le passé, il nous faut réhabiliter le capital humain en Côte d’Ivoire. Il faut que nos ressources humaines soient le socle du développement post-crise, la clé de voûte d’une Côte d’Ivoire nouvelle, fierté de l’Afrique.
Réalisée par M Tié Traoré