Peu de faits significatifs ayant marqué l’avènement au pouvoir dans des conditions que lui-même s’est empressé de qualifier de « calamiteuses », et la fin tristement humiliante du camarade socialiste échappent à l’imaginaire de l’écrivain Venance Konan. Lui qui vient fraîchement de faire son entrée dans le prestigieux giron des figures emblématiques de la littérature africaine en rapportant le grand prix littéraire d’Afrique noire. Venance Konan, soucieux de consigner en encre noire, avant que cela ne tombe dans le confort de l’oubli, les soubresauts et autres convulsions sociaux politiques qui ont tourmenté le peuple ivoirien et qui conduit au pogrom, sinon à la dime de sang de trois mille morts, à la faveur de la crise postélectorale, vient de mettre à la disposition des amoureux du livre « Le Rebelle et le Camarade Président ». Un roman de 280 pages qui pourfend à la manière d’un caricaturiste le règne très mouvementé de l’ancien président Laurent Gbagbo. A travers un jeu d’anagramme et d’inversion de paradigmes lexicaux des noms de ses personnages, Venance Konan met en scène les acteurs qui incarnaient la crise militaro-politique qui a duré une décennie. La lecture de cette œuvre intitulée « Le rebelle et le camarade Président » fait chuchoter les murmures des nombreux coups fourrés et foirés des acteurs de la scène politique ivoirienne. Des tractations des salons feutrés des capitales africaines, aux revirements politiques, et autres soulèvements des populations manipulées à souhait en passant se laissent aisément découvrir. Le marigot politique ivoirien de ces dix dernières années où tous les coups étaient permis reste donc la charpente de l’œuvre que Venance Konan propose à ses lecteurs. Il s’amuse de temps à autres à tourner en dérision des pratiques très peu conseillées du « Camarade Président » qui à la faveur de la crise militaro-politique du 19 septembre 2002 s’est contenté, à son corps défendant, d’être à la tête de la partie utile du pays ; c’est-à-dire le Sud. « Le Camarade Président était arrivé au pouvoir à la suite d’un de ces revirements de l’histoire dont seule l’Afrique a le secret. Le camarade avait été le premier opposant du pays, lorsque, sous la pression de la rue et aussi de la communauté internationale, le pays était ouvert à la démocratie. Il y a quelques années de cela, on l’appelait le Christ de Vava, parce que lorsqu’il créa son parti politique ses partisans le présentèrent comme une sorte d’incarnation de Jésus-Christ venu redresser les chemins tortueux, réparer les torts faits au malheureux du pays. Mais contrairement au Christ Nazareth, il aimait les femmes. Il avait des maîtresses partout dans le pays. Il transpirait beaucoup et de ce fait, il portait toujours au cou une serviette pour s’éponger … » (P21). Dans cette construction en jeu de miroir qu’offre Venance, des situations très réalistes s’illuminent par endroit : « Lorsque le Christ de Vava se lançait dans sa campagne présidentielle, sa femme qui s’était refugié dans la religion depuis que son mari avait commencé à la délaisser pour des femmes de plus en plus jeune, lui avait conseillé d’aller se faire bénir par le prophète Dago 1er» (P25). Sur cette lancée, l’auteur apporte des retouches aux faits, en l’occurrence la mort du général Robert Guéi, que les Ivoiriens appellent avec le sobriquet fort câlin de Papa Noël. « Après des journées d’émeutes, quelques soldats de la tribu du Christ de Vava de retournèrent contre le général Noël et ils furent rejoints par les soldats originaires du nord du pays. Ils allèrent chercher tout tremblant le Christ de Vava dans sa cachette et l’installèrent tout hébété au pouvoir. Le Général Noël prit la fuite. Quelques jours après, son corps criblé de balles fut découvert au bord d’une route qui longeait une lagune…». Quelques faiblesses se constatent quant à la fidélité à la chronologie des faits essentiels et référentiel de la trame l’œuvre de Venance. En effet, en se référant au référent de la trame de l’œuvre, la mort du Général Robert Guéi n’intervient pas quelques jours après la prise du pouvoir par le Camarade Président qui n’est rien d’autre que le camarade socialiste Laurent Gbagbo. Malgré tout, c’est tout de même, un ouvrage admirable autant par certaines trouvailles dans l’écriture libre et imaginative que par l’interrogation à laquelle il renvoie à travers l’aventure rocambolesque du Camarade Président. Un ouvrage à découvrir ou à redécouvrir pour mieux comprendre la triste fin du règne de Laurent Gbagbo. Transi de faits réels et poignants, le roman retrace donc à travers, ce festin de mots sélects, les méandres de la crise sans précédent qui a secoué la Côte d’Ivoire.
Moussa Kéita
Moussa Kéita