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Société Publié le mardi 12 février 2013 | Le Patriote

Interview / Les confidences d’une ex-exciseuse : “J’ai détruit la vie de beaucoup de filles” L’excision continue d’être une triste réalité dans les contrées ivoiriennes

© Le Patriote Par DR
Justice: des condamnations prononcées au Tribunal de Katiola pour des mutilations génitales
Photo: la section du tribunal de Katiola, en juillet 2012
Selon le dernier rapport du ministère de la Solidarité, de la Famille de la Femme et de l’Enfant, 38% des femmes en Côte d’Ivoire en sont victimes. Pourtant, cette pratique viole le droit à l’intégrité physique et à la santé maternelle des femmes. Certaines femmes excisées rencontrent des difficultés lors de l’enfantement. D’autres, une fois excisées, ne peuvent plus réussir leur vie sentimentale. C’est le cas de notre interviewée, une ancienne exciseuse vivant à Odienné. Elle nous explique pourquoi elle a décidé d’abandonner la pratique. La ville d’Odienné étant une petite localité où personne ne passe inaperçue, nous avons décidé de recueillir son témoignage sous le couvert de l’anonymat. Car elle donne des informations relatives à sa vie privée.

Le Patriote : Comment êtes-vous devenue exciseuse ?

SF : J’ai commencé à exciser à l’âge de 15 ans. J’ai aujourd’hui 46 ans. Je l’ai héritée de ma grand-mère paternelle dont je porte le nom. C’est elle qui m’a initiée à la pratique. Elle a trouvé que parmi ces petits enfants, j’étais la plus éveillée. Aussi, a-t-elle estimé que je pouvais recevoir cela comme héritage.

LP : Avec quel instrument excisiez-vous les filles ?

SF : Avec le couteau que m’a légué ma grand-mère. C’est un couteau qui traverse le temps. On ne le lave pas, on ne l’aiguise pas, on ne le met pas au feu non plus. Lorsque les génies décident du jour de l’excision, je retrouve le couteau enrôlé dans un morceau de tissus blanc au chevet de mon lit. Auparavant, le couteau ne disparaissait pas. Mais depuis que j’ai eu des enfants, souvent ces génies font disparaître le couteau. Car ils ne peuvent pas donner plusieurs choses à la fois à une seule personne. En fait, comme c’est un don de ma grand-mère, ils ne pouvaient pas me le prendre définitivement. Raison pour laquelle ils faisaient quelques fois disparaître le couteau. Ce couteau était également une protection pour moi. Tant qu’il était dans ma maison, les sorts des sorciers ne m’atteignaient pas. Mieux, il me permettait de lire l’avenir. Je savais d’avance beaucoup de choses qui devaient se produire. J’en informais les concernés et des sacrifices nécessaires à faire.

LP : En général, quel était l’âge des filles que vous excisiez ? Est-ce que tout se passait bien?

SF : je n’excisais pas les bébés. J’excisais les enfants à partir de 13 ans, ce, jusqu’à 15 ans. Pendant tout le temps que j’étais exciseuse, j’ai eu à deux reprises des problèmes. Habituellement quand je coupe ce que je dois couper (Ndlr : le clitoris), le sang ne coule pas. Mais dans ces deux cas, les enfants ont abondamment saigné. Cela est dû au fait que des sorciers voulaient profiter de l’occasion pour me démystifier. Heureusement, les enfants ne sont pas morts. Et ces gens se découvrent à la fin. Moi, j’ai fait comprendre que l’excision n’est pas mon métier. C’est juste un héritage que j’entretien. Parfois, lorsque mes génies ne son pas d’accord, je ne peu exciser car lorsque je prends le couteau, j’ai les mains qui commencent à trembler. Lorsque cela se passe ainsi, je laisse tomber.

LP : Combien gagniez-vous en excisant les enfants ?

SF : Moi j’ai été initiée par ma grand-mère. Elle m’a transmise toute sa connaissance. C’est différent de quelqu’un qui a appris la pratique pour en faire son fonds de commerce. Je suis une commerçante de bois de chauffe et de charbon de bois. L’excision, c’est pour respecter une tradition voulue par ma grand-mère et ses génies. Je n’excisais que sur autorisation des génies. Lorsque j’excisais une fille, ses parents me donnaient 200FCFA et un morceau de savon. C’est ce que je prenais. Idem pour ma grand-mère. En tout cas, c’est ce que je prenais jusqu’à ce que j’arrête la pratique.

LP : Outre le savon et les 200 FCFA, de quoi bénéficiez-vous ?

SF : Les parents des excisées organisaient une fête. Le septième jour de l’excision, les filles portent un uniforme et viennent me saluer puisque tout s’est bien passé. Lorsqu’elles arrivent, mes voisins viennent également m’offrir des présents. C’est comme un mariage.

LP : Que faisiez-vous avec la partie du corps coupée ?

SF : Lorsque je me retrouvais seule, après le départ des gens, je mettais la partie sectionnée dans un petit linge blanc et je l’enterrais, toute seule, loin des regards. Cela se fait de la même manière que lors de la mise sous terre du placenta. Dieu aime l’être humain. Il n’est donc pas bon de laisser traîner la chair humaine, ni même le sang humain.

LP : Il se raconte que cette partie coupée est utilisée mystiquement par les exciseuses ?

SF : Non. A ma connaissance, cela ne se fait pas à Odienné. Mais lors de ma formation, j’ai appris que certaines exciseuses, dans d’autres régions du pays, l’utilisaient sur le plan mystique.

LP : Vu toute la considération que vous aviez dans votre entourage, pourquoi avez-vous abandonné l’excision ?

SF : Deus raisons fondamentales m’ont poussé à abandonner la pratique. La première, c’est que j’ai eu dix enfants, dont quatre filles. Une seule a été excisée. Lorsque que mon fils ainé est arrivé en classe de troisième, il m’a interpellé sur les conséquences néfastes de l’excision. Je ne suis pas allée à l’école. Donc je n’ai pas connaissance des lois votées dans le pays. Un jour il m’a dit : «Maman, pardon, arrête d’exciser les filles. Sinon un jour, ils vont t’arrêter. Car une loi a été votée contre l’excision». Fort de l’insistance de mon fils, j’ai commencé à ne plus exciser. Mais ce qui m’a vraiment amené à abandonner complètement cette pratique, ce sont les images que j’ai vue et les explications entendues lors d’une séance de sensibilisation organisée par une ONG à Odienné. A travers les images, j’ai vu le mal que j’avais causé et dont je souffrais également. Ma grand-mère m’a excisée à l’âge de 12 ans et à 15 ans, elle m’a initiée à la pratique. Donc dès que j’ai vu l’image des conséquences de cette pratique, et entendu les explications de l’agent sensibilisateur, j’ai arrêté automatiquement l’excision. Et j’ai commencé à comprendre tout doucement le mal qui me rongeait. Alors qu’au départ, je ne savais pas que cela était une conséquence de mon excision. J’ai pleuré quand je m’en suis rendu compte. Je faisais donc du mal aux petites filles sans le savoir. J’ai regretté toutes les excisions que j’ai eue à faire. J’ai détruit la vie de beaucoup de filles.

LP : Est-ce à l’hôpital qu’on vous a dit que votre mal était la conséquence de l’excision ?

SF : Non. Chaque fois que je rentrais à la maison, après une séance de sensibilisation, je me couchais sur le lit pour regarder mon sexe. Les images qu’on montrait et surtout les explications correspondaient au mal que j’avais. C’est ce qui m’a poussé à laisser tomber rapidement la pratique. Car j’avais transmis mon mal aux autres sans le savoir

LP : De quel mal s’agit-il exactement ?

SF : Mon mari a deux épouses. Je suis la première. Chaque fois que c’est mon tour de cuisine et que mon mari doit passer la nuit avec moi, je n’ai pas envie de lui. C’est toujours comme ça. Depuis que je suis mariée, je n’ai jamais eu envie de mon homme. Je ne suis jamais allée trouver un jour mon mari pour lui dire que j’ai envie d’avoir des rapports intimes avec lui. Je pensais que c’était un problème de mari de nuit. Je pensais que mes génies ne voulaient que j’aie des rapports avec un autre homme. Alors que c’était à cause de l’excision. Je faisais du mal aux filles. Vraiment, je regrette tout le mal que j’ai fait. Quand j’y pense, je me mets à pleurer. L’ignorance est une maladie. Lorsqu’on n’a pas été à l’école, on commet beaucoup d’actes regrettables. On ne connaît pas souvent la différence entre le mal et le bien.

LP : Depuis que vous avez arrêté l’excision, les génies continuent-ils de vous protéger ?

SF : Non. Ils ont disparu. Ils ne viennent plus. Le jour même où j’ai décidé d’arrêter la pratique, mon propre couteaux avec lequel j’excisais m’a blessé en plein sommeil sans que je ne sache comment. C’est mystique. Regardez mon doigt. Elle nous montre la cicatrice qui déforme son majeur droit. Malgré cela, j’ai arrêté l’excision.

LP : Et vous n’avez pas été combattue par celles qui continuent la pratique ?

SF : Depuis l’avènement des ONG sensibilisatrices, on n’entend plus tellement parler d’excision à Odienné. Cela fait cinq ans que j’ai arrêté l’excision. Dans mon quartier, nous étions deux exciseuses. Toutes les deux, nous avons bénéficié à quatre reprises d’une formation grâce à deux associations de femmes. Nous avons arrêté ensemble la pratique. Depuis ce temps, il n’y a plus d’excision de jeunes filles dans notre quartier. Et cela ne va même plus se faire.

LP : Pourquoi ?

SF : Si nous prenons une femme en train d’exciser une fille, cette femme et la famille de l’enfant excisées auront affaire à moi. Depuis que j’ai été formée, je connais la démarche à adopter en pareille circonstance. Je vais alerter les autorités, les responsables des ONG. Pour moi, il n’est plus question de gâcher la vie des petites filles. Aujourd’hui, je prends la parole dans les assemblées de femme pour sensibiliser les femmes. Je me rends même dans des localités éloignées d’Odienné. Lorsque je finis de parler, de nombreuses femmes avouent qu’elles ont le mal que je viens de décrire et qu’elles souffrent en silence car ne pouvant exprimer tout ce qu’elles ressentent. Pour les convaincre, je parle de mon cas précis. Et j’insiste pour dire que l’excision a gâché ma vie de foyer.

LP : Comment ?

SF : Je n’ai jamais pu avoir une relation épanouie avec mon mari. Deux de mes enfants ne vont pas à l’école à cause de cela. Car, lorsque tu ne peux satisfaire ton mari au lit, il ne s’occupe pas de toi et de ta progéniture.

Pourquoi dit-on que telle femme est la préférée de son mari ?

C’est parce qu’elle le satisfait au lit. Moi j’étais toujours en conflit avec mon mari. Je n’arrive pas à le satisfaire au lit. Il n’a donc pas trop d’égard à mon endroit. Il est vrai qu’il me donne à manger, il me parle. Mais le hic, c’est les rapports au lit. Ma coépouse qui n’a pas été excisée peut être de cuisine trois à quatre fois dans la semaine. Notre mari va dormir chez elle. Quant à moi, je suis de cuisine une à deux fois par semaine. Mes enfants sont aussi à ma charge. C’est moi qui m’occupe de leur scolarité. Lorsqu’un de mes enfants est arrivé au CM2, je n’ai pas pu m’acquitter de sa scolarité et il a arrêté l’école.

LP : Quelle a donc été la réaction de votre mari lorsque vous avez arrêté l’excision ?

SF : Il m’a demandé pourquoi j’ai arrêté cette pratique. Je lui ai répondu que je venais d’apprendre que l’excision était à la base de mon problème avec lui. Surtout le fait que je n’ai jamais eu envie d’un homme. Je lui ai même présenté mes excuses. Car je pensais que c’était un problème de génie alors que tout cela était consécutif à l’excision. Il m’a répondu que lui aussi était dans l’ignorance. Ce qui l’amenait à utiliser des médicaments pour chasser les génies en question. Pour lui si on connaît désormais la cause, c’est tant mieux. Aussi m’a-t-il demandé ce que nous pouvons faire pour guérir mon mal. J’ai répondu que je ne pensais pas qu’il puisse avoir un remède. (Sa gorge se noue. Nous mettons fin à l’interview).

Réalisée par Dao Maïmouna
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