Le ministère de la Culture et de la Francophonie organise, en collaboration avec celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, du 13 au 15 mai prochain à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, un colloque international d’hommage à Mme Henriette Dagri-Diabaté intitulé « La question du leadership féminin : histoire et actualité». A 48 heures de cet événement, le Pr Yacouba Konaté, Coordonnateur de ce colloque, situe dans cet entretien ses enjeux et explique l’importance que représente Mme Diabaté pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique.
Le Patriote : Professeur, quels sont les enjeux de ce séminaire?
Pr Yacouba Konaté : Le continent a toujours eu des personnalités qui ont créé leurs proverbes. Et après on dit que c’est un proverbe akan ou encore un proverbe senoufo. Cela ne veut pas dire que les Senoufo se sont réunis sous l’arbre à palabres pour créer des proverbes. C’est un Senoufo qui, un jour, parle et puis tout le monde prend le proverbe et ça circule. Tout cela pour dire que Mme Diabaté est une personnalité qui est de ce registre là, c’est-à-dire des personnes qui créent une sphère, une ère qui donne à penser et ouvre sur le futur. Pour moi, c’est une expérience que je suis heureux de vivre parce que pour plusieurs raisons, elle mérite la célébration qui est faite. Pour revenir à la question, les enjeux sont d’ordre scientifique. Mais je crois qu’avant le scientifique, il y a l’enjeu d’ordre social. Pour moi, avec Mme Diabaté, il y a eu un miracle africain. Les filles de son époque avaient de très minces chances d’arriver au Cepe, puis au Bepc, ensuite au Bac et enfin au Doctorat. C’est pour ça que je parle de miracle. Mettre une fille à l’école à cette époque, ce n’était pas évident. Le premier enjeu est d’ordre social en sens ce qu’il indique que dans des conditions extrêmement difficiles et improbables, des filles sont arrivées à êtres des femmes intellectuelles, qui vont devenir des sortes de boussoles pour notre génération.
LP : Et le deuxième enjeu ?
Pr YK : Il est d’ordre politique d’autant que Mme Diabaté est une boussole, car elle est la première femme à diriger un parti politique en Côte d’Ivoire. Ce que je retiens, c’est la grosse leçon d’humilité et de loyauté qu’elle a eue vis-à-vis du président Ouattara. A un moment des contradictions politiques que la Côte d’Ivoire a connues, plusieurs observateurs du monde politique avaient recommandé au RDR de renoncer à la candidature de M. Ouattara pour jouer la carte de Mme Diabaté. Je parle de la conjoncture 99-2000. Je ne crois pas trahir un secret que M. Ouattara a même demandé à un moment donné à Mme Diabaté de se préparer pour être la candidate de son parti. Elle a eu le courage de lui dire que si on l’a refusé, ils trouveront une autre raison pour la refuser aussi. Elle a ajouté que ce qui faisait qu’il lui faisait cette proposition faisait partie des contradictions qu’ils devaient résoudre pour que justement leur combat arrive à son terme. Et elle a refusé de se présenter estimant que cela allait compliquer la question. C’est pourquoi, je relève la question de loyauté. C’est vraiment la première grande valeur qu’elle incarne à mes yeux. Entre le moment où le RDR est créé et celui où il gagne les élections, il y a eu beaucoup d’appels du pied, les arguments de toutes sortes y compris en espèces sonnantes et trébuchantes lui demandant d’arrêter de suivre ce monsieur. Je ne veux pas rentrer dans les détails. Mais, je sais que des personnalités de très haut rang lui ont fait des démarches, qui lui ont donné beaucoup à réfléchir. A la fin de la réflexion, elle a dit qu’il fallait qu’on aille au bout et que c’est cela qui était mieux pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique.
LP : En plus d’être une grande femme politique, Mme Diabaté est aussi une grande intellectuelle…
Pr YK : Effectivement. Et ce colloque a également des enjeux qui sont d’ordre intellectuel. La première Mme Diabaté que j’ai rencontrée, c’était la prof, une jolie femme dans une jolie voiture et qui en plus est prof à un haut niveau. C’était notre tantie qui avait ceci de très encourageant qu’elle ne nous tutoyait pas, ne nous prenait pas de haut. Elle nous traitait comme un collègue alors que ceux qu’on appelait les mandarins n’acceptaient pas qu’on soit assistants sur le même campus qu’eux. Il y a aussi cette offre de collégialité qu’elle a toujours su faire et qui fait qu’elle reste une femme toujours très humble qui préfère demander l’avis de deux, trois ou quatre personnes sur un sujet, alors qu’elle a elle-même son avis, avant de prendre sa décision. C’est une grande leçon que j’ai apprise très tôt avec elle. Et puis, l’enjeu est aussi pour moi culturel, puisque c’est une femme de culture. Son père était photographe, elle-même est historienne. Elle a été une très grande ministre de la culture, je pense que tout le monde connaît le travail qu’elle a abattu. Pour les jeunes, il faut rappeler qu’elle a fait le Masa, les Grapholies, initié le Palais de la Culture, construit la clôture du Musée. C’est encore sous Mme Diabaté que l’INA (Institut National des Arts) est devenu un établissement d’enseignement supérieur. Entre 1990 et 1993, il a fallu conduire tout ce train de ce reformes. Ça a été une période fantastique. Il y a également toute la question scientifique pure. Elle en tant que fille du sud et historienne était très préoccupée par la manière dont l’histoire des pays lagunaires peut avoir une lisibilité aussi grande que celle des pays de la Savane. Pour nous qui sommes du grand Nord, il y a une toute une histoire écrite et documentée, avec les empires. Mais celle des peuples du sud forestier ou lagunaire n’est pas encore documentée, construite. Elle a donc été préoccupée par cette question. Sa thèse, qui vient d’être éditée, porte sur le royaume sanwi. Pour l’écrire, elle a dû faire des recherches dans le domaine de l’histoire orale, qui était à la fois un sujet de discussion mais aussi une préoccupation pour tous les chercheurs de sa génération. Pour moi, elle a fait des enquêtes qui valent leur pesant d’or. Je fais par exemple au département de philosophie un cours sur les cosmogonies africaines. Je cherche des récits sur l’origine du monde dans les grands groupes ethniques de la Côte d’Ivoire. Mais, c’est chez elle que j’ai obtenu le récit qui raconte la création du monde la plus probante que je vais étudier comme l’origine du monde chez les Bétés, les Sénoufos. Voilà un peu quelques-uns des enjeux.
LP : Quels sont les intellectuels qui ont confirmé leur présence à ce colloque ?
Pr YK : Six viendront de France entre autres Marc Augé, Mme Claude Hélène Perrot, Youssouf Tata Cissé, Bruno Jailly… Mme Salimata Salambéré viendra aussi de la France, même si elle représente le Burkina Faso. A part Bruno Jailly, tous les autres sont des collègues de Mme Henriette Dagri Diabaté ou des gens qu’elle a rencontrés pendant son cursus scolaire et universitaire. D’Afrique viendront le PrAlbert Tevoedjre, Alfred Mondanou, un géographe mondialement connu du Bénin, le ministre Abdoulaye Bathily et Penda M’Bow du Sénégal. Cette dernière est une grande historienne. Pour moi, c’est la meilleure connaisseuse de l’islam que je connais. Il y aura aussi Tierno Bah qui est un historien, auteur de travaux très remarqués.
LP : Combien de communication y aura-t-il ?
Pr. YK : Nous aurons en moyenne huit communications par séance. Et si on multiplie par cinq séances, ça fait quarante communications. Mais, il faut savoir qu’elles s’organiseront ainsi que les débats autour de trois axes. Le premier, c’est « Henriette Dagri-Diabaté, sa trajectoire et son ?uvre », le deuxième c’est « Le statut de l’oralité dans la recherche historique contemporaine », et le troisième, «La question du leadership féminin dans l’Afrique d’hier à aujourd’hui».
Réalisée par Y. Sangaré
Le Patriote : Professeur, quels sont les enjeux de ce séminaire?
Pr Yacouba Konaté : Le continent a toujours eu des personnalités qui ont créé leurs proverbes. Et après on dit que c’est un proverbe akan ou encore un proverbe senoufo. Cela ne veut pas dire que les Senoufo se sont réunis sous l’arbre à palabres pour créer des proverbes. C’est un Senoufo qui, un jour, parle et puis tout le monde prend le proverbe et ça circule. Tout cela pour dire que Mme Diabaté est une personnalité qui est de ce registre là, c’est-à-dire des personnes qui créent une sphère, une ère qui donne à penser et ouvre sur le futur. Pour moi, c’est une expérience que je suis heureux de vivre parce que pour plusieurs raisons, elle mérite la célébration qui est faite. Pour revenir à la question, les enjeux sont d’ordre scientifique. Mais je crois qu’avant le scientifique, il y a l’enjeu d’ordre social. Pour moi, avec Mme Diabaté, il y a eu un miracle africain. Les filles de son époque avaient de très minces chances d’arriver au Cepe, puis au Bepc, ensuite au Bac et enfin au Doctorat. C’est pour ça que je parle de miracle. Mettre une fille à l’école à cette époque, ce n’était pas évident. Le premier enjeu est d’ordre social en sens ce qu’il indique que dans des conditions extrêmement difficiles et improbables, des filles sont arrivées à êtres des femmes intellectuelles, qui vont devenir des sortes de boussoles pour notre génération.
LP : Et le deuxième enjeu ?
Pr YK : Il est d’ordre politique d’autant que Mme Diabaté est une boussole, car elle est la première femme à diriger un parti politique en Côte d’Ivoire. Ce que je retiens, c’est la grosse leçon d’humilité et de loyauté qu’elle a eue vis-à-vis du président Ouattara. A un moment des contradictions politiques que la Côte d’Ivoire a connues, plusieurs observateurs du monde politique avaient recommandé au RDR de renoncer à la candidature de M. Ouattara pour jouer la carte de Mme Diabaté. Je parle de la conjoncture 99-2000. Je ne crois pas trahir un secret que M. Ouattara a même demandé à un moment donné à Mme Diabaté de se préparer pour être la candidate de son parti. Elle a eu le courage de lui dire que si on l’a refusé, ils trouveront une autre raison pour la refuser aussi. Elle a ajouté que ce qui faisait qu’il lui faisait cette proposition faisait partie des contradictions qu’ils devaient résoudre pour que justement leur combat arrive à son terme. Et elle a refusé de se présenter estimant que cela allait compliquer la question. C’est pourquoi, je relève la question de loyauté. C’est vraiment la première grande valeur qu’elle incarne à mes yeux. Entre le moment où le RDR est créé et celui où il gagne les élections, il y a eu beaucoup d’appels du pied, les arguments de toutes sortes y compris en espèces sonnantes et trébuchantes lui demandant d’arrêter de suivre ce monsieur. Je ne veux pas rentrer dans les détails. Mais, je sais que des personnalités de très haut rang lui ont fait des démarches, qui lui ont donné beaucoup à réfléchir. A la fin de la réflexion, elle a dit qu’il fallait qu’on aille au bout et que c’est cela qui était mieux pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique.
LP : En plus d’être une grande femme politique, Mme Diabaté est aussi une grande intellectuelle…
Pr YK : Effectivement. Et ce colloque a également des enjeux qui sont d’ordre intellectuel. La première Mme Diabaté que j’ai rencontrée, c’était la prof, une jolie femme dans une jolie voiture et qui en plus est prof à un haut niveau. C’était notre tantie qui avait ceci de très encourageant qu’elle ne nous tutoyait pas, ne nous prenait pas de haut. Elle nous traitait comme un collègue alors que ceux qu’on appelait les mandarins n’acceptaient pas qu’on soit assistants sur le même campus qu’eux. Il y a aussi cette offre de collégialité qu’elle a toujours su faire et qui fait qu’elle reste une femme toujours très humble qui préfère demander l’avis de deux, trois ou quatre personnes sur un sujet, alors qu’elle a elle-même son avis, avant de prendre sa décision. C’est une grande leçon que j’ai apprise très tôt avec elle. Et puis, l’enjeu est aussi pour moi culturel, puisque c’est une femme de culture. Son père était photographe, elle-même est historienne. Elle a été une très grande ministre de la culture, je pense que tout le monde connaît le travail qu’elle a abattu. Pour les jeunes, il faut rappeler qu’elle a fait le Masa, les Grapholies, initié le Palais de la Culture, construit la clôture du Musée. C’est encore sous Mme Diabaté que l’INA (Institut National des Arts) est devenu un établissement d’enseignement supérieur. Entre 1990 et 1993, il a fallu conduire tout ce train de ce reformes. Ça a été une période fantastique. Il y a également toute la question scientifique pure. Elle en tant que fille du sud et historienne était très préoccupée par la manière dont l’histoire des pays lagunaires peut avoir une lisibilité aussi grande que celle des pays de la Savane. Pour nous qui sommes du grand Nord, il y a une toute une histoire écrite et documentée, avec les empires. Mais celle des peuples du sud forestier ou lagunaire n’est pas encore documentée, construite. Elle a donc été préoccupée par cette question. Sa thèse, qui vient d’être éditée, porte sur le royaume sanwi. Pour l’écrire, elle a dû faire des recherches dans le domaine de l’histoire orale, qui était à la fois un sujet de discussion mais aussi une préoccupation pour tous les chercheurs de sa génération. Pour moi, elle a fait des enquêtes qui valent leur pesant d’or. Je fais par exemple au département de philosophie un cours sur les cosmogonies africaines. Je cherche des récits sur l’origine du monde dans les grands groupes ethniques de la Côte d’Ivoire. Mais, c’est chez elle que j’ai obtenu le récit qui raconte la création du monde la plus probante que je vais étudier comme l’origine du monde chez les Bétés, les Sénoufos. Voilà un peu quelques-uns des enjeux.
LP : Quels sont les intellectuels qui ont confirmé leur présence à ce colloque ?
Pr YK : Six viendront de France entre autres Marc Augé, Mme Claude Hélène Perrot, Youssouf Tata Cissé, Bruno Jailly… Mme Salimata Salambéré viendra aussi de la France, même si elle représente le Burkina Faso. A part Bruno Jailly, tous les autres sont des collègues de Mme Henriette Dagri Diabaté ou des gens qu’elle a rencontrés pendant son cursus scolaire et universitaire. D’Afrique viendront le PrAlbert Tevoedjre, Alfred Mondanou, un géographe mondialement connu du Bénin, le ministre Abdoulaye Bathily et Penda M’Bow du Sénégal. Cette dernière est une grande historienne. Pour moi, c’est la meilleure connaisseuse de l’islam que je connais. Il y aura aussi Tierno Bah qui est un historien, auteur de travaux très remarqués.
LP : Combien de communication y aura-t-il ?
Pr. YK : Nous aurons en moyenne huit communications par séance. Et si on multiplie par cinq séances, ça fait quarante communications. Mais, il faut savoir qu’elles s’organiseront ainsi que les débats autour de trois axes. Le premier, c’est « Henriette Dagri-Diabaté, sa trajectoire et son ?uvre », le deuxième c’est « Le statut de l’oralité dans la recherche historique contemporaine », et le troisième, «La question du leadership féminin dans l’Afrique d’hier à aujourd’hui».
Réalisée par Y. Sangaré