Le 31 mai prochain, le moratoire accordé, par le Conseil national de la presse (CNP), aux entreprises de presse pour qu’elles se mettent en règle vis- à- vis de la loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire, arrive à expiration. Pour se prononcer sur les dispositions que prendra l’organe de régulation de la presse écrite, après cette date, M Raphaël Lakpé (Président du CNP) a bien voulu nous a accorder cette interview. Ici, il explique l’obligation qu’ont les entreprises de presse à respecter la loi, à appliquer la Convention collective. Il exhorte surtout les journalistes à faire preuve de professionnalisme pour une presse crédible en Côte d’Ivoire.
Le Patriote : Le moratoire accordé aux entreprises de presse pour se mettre en règle vis-à-vis de la loi arrive à expiration le 31 mai prochain. A la fin de ce moratoire, que va-t-il se passer concrètement ?
Raphael Oré Lakpé : Nous allons faire le point. Le collège des Conseillers va se réunir en session ordinaire ou extraordinaire pour analyser les différents cas les uns après les autres. Après cela, l’on saura quelles sont les entreprises de presse dignes de ce nom, c’est-à-dire celles qui répondent à tous les critères édictés par la loi. Lorsqu’on aura fini de faire le point, nous allons rendre publique la liste de ces entreprises de presse qui auront les qualités requises pour rester sur le marché.
LP : A vous entendre, l’on se demande si vous allez aboutir à la fermeture des entreprises de presse qui ne seront pas en conformité avec la loi ?
ROL : Nous n’allons pas interdire ou faire disparaître des entreprises, mais nous allons demander à celles qui ne sont pas en règle de se mettre en conformité avec la loi. Nous n’allons pas les fermer parce que nous n’avons pas le pouvoir de le faire, mais nous pouvons décider de la suspension de certains titres dont les maisons éditrices ne sont pas en règle, le temps de s’organiser pour se mettre en conformité avec la loi. Notre souci est d’avoir, sur le marché, des journaux adossés à des entreprises organisées et bien structurées. C’est d’ailleurs, une des missions premières du Conseil national de la presse, c’est l’objectif que nous visons.
LP : Mais, ce manque de coercition du CNP qui n’a pas le pouvoir de fermer les entreprises qu’on pourrait qualifier de hors-la-loi, ne constitue-t-il pas une faiblesse de votre structure qui donnera l’occasion à des responsables d’entreprises de ruser indéfiniment avec vous ?
ROL : Personne ne pourra ruser avec nous. Il est bien vrai que nous n’avons pas le pouvoir de fermer une entreprise de presse, parce qu’une maison d’édition n’a pas que pour activité de mettre sur le marché un journal ! Par contre, les journaux dont les entreprises de presse ne sont pas en règle ne seront plus sur le marché. Ces maisons d’édition qui ne répondent pas aux critères édictés par la loi pour mettre un journal sur le marché ne pourront pas le faire. Elles peuvent faire autre chose mais pas dans le domaine du journalisme. C’est la raison pour laquelle nous disons que nous n’allons pas fermer des entreprises de presse. A compter du 31 mai, après la session du collège des Conseillers du CNP, on ne retrouvera sur le marché ivoirien que des titres dont les entreprises seront reconnues comme étant légalement constituées et fonctionnant comme il se doit. Donc on aura affaire à des entreprises qui existent effectivement. Dans tous les cas, il n’y aura ni faiblesse, ni laxisme de notre part. Nous allons exercer le pouvoir que nous avons, au regard de la loi, de ne permettre que la parution des journaux en règle. Ce pouvoir, nous allons l’exercer sans faiblesse. Au lieu donc de chercher à ruser avec nous, les responsables des entreprises de presse ont intérêt à se mettre en règle, à jouer franc jeu.
LP : Le Président, s’agissant de la Convention collective de la presse, il revient que des responsables d’entreprises de presse rusent avec la loi en arrimant quelques employés seulement à la convention et à la CNPS ; en regroupant plusieurs services en un seul pour être en conformité, de façon stricte, avec la loi.
ROL : Ces responsables d’entreprises ne peuvent pas ruser avec nous. Parce que nous leur demandons des documents et c’est sur la base de ces documents que nous travaillons. Par exemple si une entreprise indique que ses employés sont déclarés à la CNPS, nous lui réclamons les numéros d’immatriculation des employés et la déclaration individuelle des salaires annuels (DISA), et nous avons la possibilité de vérifier l’authenticité de ces documents auprès de la CNPS et c’est ce que nous allons faire. Avec tout un mécanisme mis en place, nous ne voyons pas comment un chef d’entreprise pourrait ruser avec le CNP. Nous resterons vigilants et les chefs d’entreprises ont intérêt à ne pas faire de fausses déclarations.
LP : Vous êtes une icône dans le milieu de la presse, aujourd’hui l’on parle de la morosité dans le secteur de la presse ivoirienne. Quelle est votre avis sur ce jugement ?
ROL : A l’issue de la première évaluation que nous avons faite du fonctionnement des entreprises de presse, nous avons constaté que beaucoup d’entreprises de presse sont dans l’informel et cela nous a beaucoup chagriné. C’est cet aspect des choses que nous voulons corriger d’abord. Nous voulons avoir affaire à des entreprises professionnelles. Aussi, pour ce qui est de la régulation professionnelle tant du point de vue organisationnel que rédactionnel. C’est vrai que pour ce qui est du contenu des journaux des efforts sont faits, nous avons noté des progrès mais, nous estimons qu’il reste beaucoup à faire. Les journalistes, s’ils sont animés de bonne volonté, peuvent travailler convenablement et faire en sorte qu’on retrouve sur le marché de la presse, des journaux de qualité. Au départ, c’était difficile, parce qu’il y avait des journaux et des journalistes qui exerçaient complètement en dehors des règles de la profession. Au fil du temps, il y a des améliorations. Ces progrès, il faut les encourager, les renforcer et c’est pour cela que le CNP fait beaucoup de sensibilisation, nous ne faisons pas que sanctionner. Très souvent, nous rencontrons les responsables des rédactions, les animateurs des rédactions pour échanger avec eux, leur indiquer ce qui ne va pas et ce qu’ils doivent faire pour améliorer le contenu des journaux. En somme, la situation n’est pas très satisfaisante, mais il n’y a pas à désespérer. L’Etat lui-même, à travers le Fonds de soutien au développement de la presse (FSDP) et ses différents appuis, aide à cela.
LP : La question est sur presque toutes les lèvres. Faut-il payer aujourd’hui les journalistes ivoiriens à la convention pour qu’on ait une presse crédible ?
ROL : La loi exige le respect de la Convention collective. Ce n’est plus comme avant où quelqu’un, rien qu’en promettant de créer une entreprise de presse met un titre sur le marché. La nouvelle loi exige que le promoteur s’engage à respecter la Convention collective. Nous pensons que l’application de la convention est un élément essentiel de la signature que les promoteurs d’entreprise de presse ont déposée chez le Procureur de la République. Quand quelqu’un se lance dans un projet et qu’il sait les obligations qui sont les siennes, à notre sens, il doit pouvoir les honorer. Il ne faut pas tricher avec la loi, il faut s’organiser, se restructurer pour faire face aux exigences de la loi, c’est ce que nous souhaitons pour les entreprises de presse.
LP : A ce jour, y a-t-il des entreprises de presse que l’on pourrait qualifier de "premiers de la classe" dans le respect de la loi ?
ROL : Elles ne sont pas nombreuses, mais elles existent quand- même. C’est pour cela que nous les encourageons et par la même occasion, nous lançons un appel aux autres pour que ces entreprises qui montrent l’exemple soient suivies. Sur une vingtaine d’entreprises, le pourcentage de celles qui appliquent la convention collective n’est pas élevé et nous voulons participer au renforcement et à l’augmentation du taux de ces entreprises qui respectent et appliquent effectivement la convention collective. Il ne faut pas oublier aussi que le salaire, c’est un contrat entre un employeur et un employé, donc, à l’intérieur de la convention, nous estimons qu’il y a encore beaucoup de possibilités, les deux parties en présence devraient pouvoir discuter en tenant compte de la réalité de l’entreprise, parce que l’essentiel est aussi que l’entreprise puisse exister, si celle- ci n’est plus, on ne peut parler d’application de la convention !
LP : Qu’est- ce que cela signifie concrètement ?
ROL : Nous souhaitons que les promoteurs, les gestionnaires des entreprises de presse fassent en sorte que les journalistes et l’ensemble des travailleurs du secteur des médias soient convenablement rétribués. Là-dessus, un chef d’entreprise m’a répondu que si on donnait un salaire de 500 mille francs à un journaliste, on n’était pas sûr d’obtenir le résultat escompté. Cela veut dire que quelque part, il y a des problèmes de rémunération, mais il y a également la volonté et la moralité des journalistes et à ce niveau, il y a un travail à faire. Mais essayons déjà de bien payer les journalistes et nous verrons.
LP : Justement à ce sujet, presque toutes les entreprises de presse sont adossées à des partis politiques ou des promoteurs qui sont des membres influents de certaines formations politiques. N’est-ce pas ce fait- là qui constitue un obstacle à l’avènement d’une presse libre et professionnelle en Côte d’Ivoire ?
ROL : C’est une situation qui existe, c’est une réalité. Nous sommes de ceux qui estiment que ce n’est pas parce qu’on a une carte de parti politique en poche qu’on est forcément un mauvais journaliste. On peut être militant avéré et reconnu, et être identifié et reconnu comme un bon journaliste. Il y a eu des exemples ici. Mais, il est vrai que beaucoup de journalistes ivoiriens réagissent, actuellement plus, comme des militants de partis politiques que des professionnels du métier. C’est malheureusement le problème de la presse ivoirienne.
Souvenez- vous qu’en 1990, les premiers journaux de la presse privée qui sont apparus à l’occasion de ce que l’on a appelé "le Printemps de la presse" étaient tous adossés à des partis politiques. Malheureusement, l’habitude est restée, on est encore dans le domaine de la passion, on ne prend pas de recul par rapport aux événements, on réagit en lieu et place des hommes politiques. Quand il y a un discours, les journalistes sont les premiers à donner la réplique alors que les premiers concernés sont les responsables des partis politiques. Cela fait que la presse ivoirienne est foncièrement marquée. Au début c’était peut-être une bonne chose, mais, maintenant ça commence à devenir une plaie. A l’époque, les journalistes étaient pour la plupart des diplômés d’école ou des professionnels expérimentés, à présent ce n’est plus totalement le cas. Il faut que les journalistes s’asseyent pour réfléchir davantage sur leur profession, faire en sorte qu’ils respectent les règles de leur profession afin que la presse ne soit plus indexée comme étant l’acteur principal des crises en Côte d’Ivoire, mais qu’elle constitue le levain de la cohésion sociale. Tout dépend de la volonté de chaque journaliste à exercer le métier selon les canons de la profession qu’il a embrassée.
LP : Que répondez- vous à ceux qui disent que le nombre de journaux sur le marché est trop pour la population ivoirienne
ROL : Il y a trop de journaux sur le marché ivoirien en effet. Dans les grands pays occidentaux ou les grandes démocraties, il y a seulement deux ou trois titres nationaux. Mais ici, pour ce qui est des quotidiens seulement, on a une vingtaine de titres, pour un marché qui est rétrécis et une population qui ne lit pas beaucoup. Ce qui fait que le gâteau est petit et chacun reçoit une part très infime. Il y a vraiment des efforts à faire. Avoir un journal pour se faire appeler DP (Directeur de publication) ou PDG (Président directeur général) est bien, mais la pléthore de titres ne permet pas à la Côte d’Ivoire d’avoir une presse de qualité. Selon nos informations, le plus gros tirage de la presse ivoirienne est seulement de 20 ou 25 mille exemplaires, c’est trop peu ! A ce niveau, ce que nous pourrions conseiller, c’est par exemple, un regroupement de titres, cela est possible. Mieux- vaut avoir affaire à de grandes rédactions, avec deux ou trois titres, qu’à une multitude de journaux avec des entreprises plus ou moins de qualité. C’est un problème dont il faut chercher la solution. Il faut que chacun tue son égo et accepte de s’associer à d’autres pou être fort sur le marché. Voyez, même au niveau de la distribution, les crieurs (les petits revendeurs) n’ayant que deux bras ne peuvent que brandir deux titres, ce qui fait qu’il y a des journaux qu’on ne voit jamais dans la rue parce que n’ayant jamais été brandis par le crieur et le lecteur ne sait pas que ces journaux existent.
LP : Vous êtes l’un des pionniers dans le milieu de la presse. Quelle est votre contribution dans l’assainissement et la professionnalisation de la presse ?
ROL : La question que nous nous posons souvent est de savoir si nos cadets nous écoutent ? Ils ne sont pas nombreux à écouter les ainés que nous sommes, c’est là le problème. Sinon, l’apport des anciens est très important. Au sein des différentes rédactions, si on pouvait avoir au moins un ancien pour ne serait- ce, qu’encadrer ceux qui arrivent, ce ne serait pas une mauvaise chose, dans la mesure où la plupart de ceux qui embrassent la profession aujourd’hui, ne passent pas forcément par des écoles de formation en journalisme. Ils sortent des universités ou des écoles et arrivent directement dans les rédactions. A ce stade- là, s’ils rencontrent un ancien qui peut les encadrer, ce serait une excellente chose. Nous dirons aux cadets de ne jamais refuser une formation. Le journalisme est un métier qui s’apprend, à l’école ou dans les rédactions. Il a des règles qu’il faut connaître et respecter.
Réalisée par Jean- Antoine Doudou
Le Patriote : Le moratoire accordé aux entreprises de presse pour se mettre en règle vis-à-vis de la loi arrive à expiration le 31 mai prochain. A la fin de ce moratoire, que va-t-il se passer concrètement ?
Raphael Oré Lakpé : Nous allons faire le point. Le collège des Conseillers va se réunir en session ordinaire ou extraordinaire pour analyser les différents cas les uns après les autres. Après cela, l’on saura quelles sont les entreprises de presse dignes de ce nom, c’est-à-dire celles qui répondent à tous les critères édictés par la loi. Lorsqu’on aura fini de faire le point, nous allons rendre publique la liste de ces entreprises de presse qui auront les qualités requises pour rester sur le marché.
LP : A vous entendre, l’on se demande si vous allez aboutir à la fermeture des entreprises de presse qui ne seront pas en conformité avec la loi ?
ROL : Nous n’allons pas interdire ou faire disparaître des entreprises, mais nous allons demander à celles qui ne sont pas en règle de se mettre en conformité avec la loi. Nous n’allons pas les fermer parce que nous n’avons pas le pouvoir de le faire, mais nous pouvons décider de la suspension de certains titres dont les maisons éditrices ne sont pas en règle, le temps de s’organiser pour se mettre en conformité avec la loi. Notre souci est d’avoir, sur le marché, des journaux adossés à des entreprises organisées et bien structurées. C’est d’ailleurs, une des missions premières du Conseil national de la presse, c’est l’objectif que nous visons.
LP : Mais, ce manque de coercition du CNP qui n’a pas le pouvoir de fermer les entreprises qu’on pourrait qualifier de hors-la-loi, ne constitue-t-il pas une faiblesse de votre structure qui donnera l’occasion à des responsables d’entreprises de ruser indéfiniment avec vous ?
ROL : Personne ne pourra ruser avec nous. Il est bien vrai que nous n’avons pas le pouvoir de fermer une entreprise de presse, parce qu’une maison d’édition n’a pas que pour activité de mettre sur le marché un journal ! Par contre, les journaux dont les entreprises de presse ne sont pas en règle ne seront plus sur le marché. Ces maisons d’édition qui ne répondent pas aux critères édictés par la loi pour mettre un journal sur le marché ne pourront pas le faire. Elles peuvent faire autre chose mais pas dans le domaine du journalisme. C’est la raison pour laquelle nous disons que nous n’allons pas fermer des entreprises de presse. A compter du 31 mai, après la session du collège des Conseillers du CNP, on ne retrouvera sur le marché ivoirien que des titres dont les entreprises seront reconnues comme étant légalement constituées et fonctionnant comme il se doit. Donc on aura affaire à des entreprises qui existent effectivement. Dans tous les cas, il n’y aura ni faiblesse, ni laxisme de notre part. Nous allons exercer le pouvoir que nous avons, au regard de la loi, de ne permettre que la parution des journaux en règle. Ce pouvoir, nous allons l’exercer sans faiblesse. Au lieu donc de chercher à ruser avec nous, les responsables des entreprises de presse ont intérêt à se mettre en règle, à jouer franc jeu.
LP : Le Président, s’agissant de la Convention collective de la presse, il revient que des responsables d’entreprises de presse rusent avec la loi en arrimant quelques employés seulement à la convention et à la CNPS ; en regroupant plusieurs services en un seul pour être en conformité, de façon stricte, avec la loi.
ROL : Ces responsables d’entreprises ne peuvent pas ruser avec nous. Parce que nous leur demandons des documents et c’est sur la base de ces documents que nous travaillons. Par exemple si une entreprise indique que ses employés sont déclarés à la CNPS, nous lui réclamons les numéros d’immatriculation des employés et la déclaration individuelle des salaires annuels (DISA), et nous avons la possibilité de vérifier l’authenticité de ces documents auprès de la CNPS et c’est ce que nous allons faire. Avec tout un mécanisme mis en place, nous ne voyons pas comment un chef d’entreprise pourrait ruser avec le CNP. Nous resterons vigilants et les chefs d’entreprises ont intérêt à ne pas faire de fausses déclarations.
LP : Vous êtes une icône dans le milieu de la presse, aujourd’hui l’on parle de la morosité dans le secteur de la presse ivoirienne. Quelle est votre avis sur ce jugement ?
ROL : A l’issue de la première évaluation que nous avons faite du fonctionnement des entreprises de presse, nous avons constaté que beaucoup d’entreprises de presse sont dans l’informel et cela nous a beaucoup chagriné. C’est cet aspect des choses que nous voulons corriger d’abord. Nous voulons avoir affaire à des entreprises professionnelles. Aussi, pour ce qui est de la régulation professionnelle tant du point de vue organisationnel que rédactionnel. C’est vrai que pour ce qui est du contenu des journaux des efforts sont faits, nous avons noté des progrès mais, nous estimons qu’il reste beaucoup à faire. Les journalistes, s’ils sont animés de bonne volonté, peuvent travailler convenablement et faire en sorte qu’on retrouve sur le marché de la presse, des journaux de qualité. Au départ, c’était difficile, parce qu’il y avait des journaux et des journalistes qui exerçaient complètement en dehors des règles de la profession. Au fil du temps, il y a des améliorations. Ces progrès, il faut les encourager, les renforcer et c’est pour cela que le CNP fait beaucoup de sensibilisation, nous ne faisons pas que sanctionner. Très souvent, nous rencontrons les responsables des rédactions, les animateurs des rédactions pour échanger avec eux, leur indiquer ce qui ne va pas et ce qu’ils doivent faire pour améliorer le contenu des journaux. En somme, la situation n’est pas très satisfaisante, mais il n’y a pas à désespérer. L’Etat lui-même, à travers le Fonds de soutien au développement de la presse (FSDP) et ses différents appuis, aide à cela.
LP : La question est sur presque toutes les lèvres. Faut-il payer aujourd’hui les journalistes ivoiriens à la convention pour qu’on ait une presse crédible ?
ROL : La loi exige le respect de la Convention collective. Ce n’est plus comme avant où quelqu’un, rien qu’en promettant de créer une entreprise de presse met un titre sur le marché. La nouvelle loi exige que le promoteur s’engage à respecter la Convention collective. Nous pensons que l’application de la convention est un élément essentiel de la signature que les promoteurs d’entreprise de presse ont déposée chez le Procureur de la République. Quand quelqu’un se lance dans un projet et qu’il sait les obligations qui sont les siennes, à notre sens, il doit pouvoir les honorer. Il ne faut pas tricher avec la loi, il faut s’organiser, se restructurer pour faire face aux exigences de la loi, c’est ce que nous souhaitons pour les entreprises de presse.
LP : A ce jour, y a-t-il des entreprises de presse que l’on pourrait qualifier de "premiers de la classe" dans le respect de la loi ?
ROL : Elles ne sont pas nombreuses, mais elles existent quand- même. C’est pour cela que nous les encourageons et par la même occasion, nous lançons un appel aux autres pour que ces entreprises qui montrent l’exemple soient suivies. Sur une vingtaine d’entreprises, le pourcentage de celles qui appliquent la convention collective n’est pas élevé et nous voulons participer au renforcement et à l’augmentation du taux de ces entreprises qui respectent et appliquent effectivement la convention collective. Il ne faut pas oublier aussi que le salaire, c’est un contrat entre un employeur et un employé, donc, à l’intérieur de la convention, nous estimons qu’il y a encore beaucoup de possibilités, les deux parties en présence devraient pouvoir discuter en tenant compte de la réalité de l’entreprise, parce que l’essentiel est aussi que l’entreprise puisse exister, si celle- ci n’est plus, on ne peut parler d’application de la convention !
LP : Qu’est- ce que cela signifie concrètement ?
ROL : Nous souhaitons que les promoteurs, les gestionnaires des entreprises de presse fassent en sorte que les journalistes et l’ensemble des travailleurs du secteur des médias soient convenablement rétribués. Là-dessus, un chef d’entreprise m’a répondu que si on donnait un salaire de 500 mille francs à un journaliste, on n’était pas sûr d’obtenir le résultat escompté. Cela veut dire que quelque part, il y a des problèmes de rémunération, mais il y a également la volonté et la moralité des journalistes et à ce niveau, il y a un travail à faire. Mais essayons déjà de bien payer les journalistes et nous verrons.
LP : Justement à ce sujet, presque toutes les entreprises de presse sont adossées à des partis politiques ou des promoteurs qui sont des membres influents de certaines formations politiques. N’est-ce pas ce fait- là qui constitue un obstacle à l’avènement d’une presse libre et professionnelle en Côte d’Ivoire ?
ROL : C’est une situation qui existe, c’est une réalité. Nous sommes de ceux qui estiment que ce n’est pas parce qu’on a une carte de parti politique en poche qu’on est forcément un mauvais journaliste. On peut être militant avéré et reconnu, et être identifié et reconnu comme un bon journaliste. Il y a eu des exemples ici. Mais, il est vrai que beaucoup de journalistes ivoiriens réagissent, actuellement plus, comme des militants de partis politiques que des professionnels du métier. C’est malheureusement le problème de la presse ivoirienne.
Souvenez- vous qu’en 1990, les premiers journaux de la presse privée qui sont apparus à l’occasion de ce que l’on a appelé "le Printemps de la presse" étaient tous adossés à des partis politiques. Malheureusement, l’habitude est restée, on est encore dans le domaine de la passion, on ne prend pas de recul par rapport aux événements, on réagit en lieu et place des hommes politiques. Quand il y a un discours, les journalistes sont les premiers à donner la réplique alors que les premiers concernés sont les responsables des partis politiques. Cela fait que la presse ivoirienne est foncièrement marquée. Au début c’était peut-être une bonne chose, mais, maintenant ça commence à devenir une plaie. A l’époque, les journalistes étaient pour la plupart des diplômés d’école ou des professionnels expérimentés, à présent ce n’est plus totalement le cas. Il faut que les journalistes s’asseyent pour réfléchir davantage sur leur profession, faire en sorte qu’ils respectent les règles de leur profession afin que la presse ne soit plus indexée comme étant l’acteur principal des crises en Côte d’Ivoire, mais qu’elle constitue le levain de la cohésion sociale. Tout dépend de la volonté de chaque journaliste à exercer le métier selon les canons de la profession qu’il a embrassée.
LP : Que répondez- vous à ceux qui disent que le nombre de journaux sur le marché est trop pour la population ivoirienne
ROL : Il y a trop de journaux sur le marché ivoirien en effet. Dans les grands pays occidentaux ou les grandes démocraties, il y a seulement deux ou trois titres nationaux. Mais ici, pour ce qui est des quotidiens seulement, on a une vingtaine de titres, pour un marché qui est rétrécis et une population qui ne lit pas beaucoup. Ce qui fait que le gâteau est petit et chacun reçoit une part très infime. Il y a vraiment des efforts à faire. Avoir un journal pour se faire appeler DP (Directeur de publication) ou PDG (Président directeur général) est bien, mais la pléthore de titres ne permet pas à la Côte d’Ivoire d’avoir une presse de qualité. Selon nos informations, le plus gros tirage de la presse ivoirienne est seulement de 20 ou 25 mille exemplaires, c’est trop peu ! A ce niveau, ce que nous pourrions conseiller, c’est par exemple, un regroupement de titres, cela est possible. Mieux- vaut avoir affaire à de grandes rédactions, avec deux ou trois titres, qu’à une multitude de journaux avec des entreprises plus ou moins de qualité. C’est un problème dont il faut chercher la solution. Il faut que chacun tue son égo et accepte de s’associer à d’autres pou être fort sur le marché. Voyez, même au niveau de la distribution, les crieurs (les petits revendeurs) n’ayant que deux bras ne peuvent que brandir deux titres, ce qui fait qu’il y a des journaux qu’on ne voit jamais dans la rue parce que n’ayant jamais été brandis par le crieur et le lecteur ne sait pas que ces journaux existent.
LP : Vous êtes l’un des pionniers dans le milieu de la presse. Quelle est votre contribution dans l’assainissement et la professionnalisation de la presse ?
ROL : La question que nous nous posons souvent est de savoir si nos cadets nous écoutent ? Ils ne sont pas nombreux à écouter les ainés que nous sommes, c’est là le problème. Sinon, l’apport des anciens est très important. Au sein des différentes rédactions, si on pouvait avoir au moins un ancien pour ne serait- ce, qu’encadrer ceux qui arrivent, ce ne serait pas une mauvaise chose, dans la mesure où la plupart de ceux qui embrassent la profession aujourd’hui, ne passent pas forcément par des écoles de formation en journalisme. Ils sortent des universités ou des écoles et arrivent directement dans les rédactions. A ce stade- là, s’ils rencontrent un ancien qui peut les encadrer, ce serait une excellente chose. Nous dirons aux cadets de ne jamais refuser une formation. Le journalisme est un métier qui s’apprend, à l’école ou dans les rédactions. Il a des règles qu’il faut connaître et respecter.
Réalisée par Jean- Antoine Doudou