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Art et Culture Publié le lundi 22 juillet 2013 | Le Patriote

Interview / Amédée Assi (Président du GEPCI) : “Nous voulons 6 mois d’impression gratuite”

Le processus d'assainissement du secteur de la presse, enclenché par le CNP (Conseil National de la Presse), est en marche. Certaines entreprises de presse ont été suspendues, d'autres mises en demeure. Dans cet entretien, le Président du GEPCI (Groupement des Editeurs de Presse de Côte d'Ivoire), Amédée Assi, explique les difficultés des entreprises de presse et plaident pour un appui conséquent de l'Etat. Aussi lève t-il toute équivoque quant à l'application de la Convention collective, qui fixe le salaire des journalistes professionnels et des professionnels de la communication.

Le Patriote : Le Conseil National de la Presse a entrepris depuis quelques semaines une vaste opération d'assainissement du secteur des médias. Sur la question, le GEPCI a été très peu bavard. Est-ce à dire que le processus vous fâche ?
Amédée Assi : Pas du tout. Bien au contraire, le GEPCI a approuvé très tôt la démarche du CNP et l'accompagné. Et aujourd'hui, le GEPCI se réjouit des résultats obtenus. Effectivement, il était temps que notre secteur connaisse un véritable assainissement, pour voir entre les entreprises de presse sur le marché, celles qui étaient à même de continuer l'activité et celles qui devaient mettre la clé sous le paillasson. C'est comme cela la vie. Beaucoup de personnes veulent mener une activité, mais parfois on n'a pas les moyens et les ressources humaines et autres pour pouvoir le faire. Donc, pour nous, l'action du CNP est salutaire et la bienvenue.

LP : En tant que patron des patrons de presse, comment expliquez-vous que certaines entreprises aient fonctionné pendant de longues années dans l'informel pendant que leurs journaux sortaient tranquillement et qu'elles employaient des journalistes ?
AA : Vous savez, toute chose a un commencement. Par le passé, pour créer un journal, il fallait juste faire une déclaration chez le Procureur et le journal sortait. Et depuis 2004, la loi nous fait désormais obligation, avant de lancer un journal sur le marché, de créer une entreprise de presse, avec un capital social. En réalité, il n'y a que 8 ans que les choses se passent ainsi, car la loi a été appliquée à partir de 2005. Et à cette période, il ne faut pas l'oublier, nous étions en crise avec une division de fait du pays. Actuellement, on sort à peine de la crise postélectorale où les entreprises de presse ont été durablement touchées. Nos journaux ne se vendaient ni à Bouaké ni à Korhogo, encore moins à Man. De plus, les activités économiques avaient pris un coup à tel point que la publicité était devenue rare dans nos journaux. C'était donc une situation difficile pour notre secteur. Et les entreprises, qui avaient voulu être à jour, n'avaient peut-être pas les moyens de le faire, parce que tout ce qu'imposait la loi demandait forcément de l'argent. C'est pourquoi, le CNP a donné un moratoire de deux mois à celles qui n'étaient pas en règle pour qu'elles se mettent en conformité avec la loi. C'est ainsi que plus de la moitié des entreprises de presse ont pu se conformer aux dispositions légales. C'est un peu tout cela qui explique cette situation.

L.P : Dans ce contexte difficile, certains patrons de presse ont pu quand même se mettre en règle. Ne pensez-vous que les autres ont quelque part fait preuve de mauvaise foi, en pensant toujours prospérer dans l'informel ?
AA : Non, je ne le crois pas. Je vais vous donner un exemple. Un patron de presse a fourni presque tous les documents exigés, sauf son bilan, pour une raison simple. En fait, il a eu des problèmes informatiques à son niveau et a contacté un expert comptable qui était en train de faire son bilan quand le délai de dépôt des dossiers a expiré. On ne dira pas que ce patron est de mauvaise foi. Le CNP a appliqué la loi dans sa rigueur. Les entreprises qui avaient ne serait-ce qu'un défaut ont été mises en demeure, celles qui avaient des handicaps plus profonds ont été suspendues. Il y a peut-être pour certains de la mauvaise foi, mais dans l'ensemble je pense que c'est plutôt des problèmes de gestion liés à la situation économique que nous avons connue et non la mauvaise foi. Je précise que le Chef de l'Etat a reconnu lui-même en 2012 que le secteur avait été sinistré et aussi dit que l'Etat allait injecter des ressources massives dans notre milieu dans le cadre du PND ( Programme National de Développement) 2012-2015 pour que notre secteur puisse revivre. C'est une situation réelle, reconnue par le chef de l'Etat lui-même et pour lequel, on ne peut pas dire qu'on a voulu faire preuve de mauvaise foi.

LP : Après la première phase de ce processus d'assainissement du secteur des médias, combien d'entreprises de presse sont-elles aujourd'hui en règle?
AA : Je n'ai pas le nombre exact en tête. Car, le CNP continue de délibérer régulièrement et le nombre des entreprises en règle augmente de semaine en semaine. Je pense qu'elles sont une trentaine à se conformer à la loi. Et tous les membres du GEPCI, environ une quinzaine de personnes, sont en règle. Ce qu'il faut savoir, c'est que beaucoup d'entreprises ont fait l'effort de se mettre en règle. Toutefois, quelques-unes nous ont carrément dit qu'elles n'étaient plus en mesure de respecter les règles en vigueur. Elles ont dû par elles-mêmes arrêter leurs activités. Elles ont donc été sérieuses.

L.P : Le CNP va bientôt passer à une autre phase de cette opération d'assainissement du secteur des médias en exigeant l'application de la Convention collective. Les syndicats de la presse estiment que les patrons de presse rechignent à l'appliquer. Qu'en pensez-vous ?
AA : Les syndicats sont dans leur rôle en disant qu'ils veulent une application totale et entière de la Convention. Cela ne m'étonne pas. Par contre, ce qui m'étonne, c'est quand les syndicats sortent de leur rôle, en faisant des affirmations insultantes à l'égard des éditeurs. Quand par exemple, pour ne pas le citer, M. Glodé Francelin du SAAPPCI (Syndicat Autonome des Agents de la Presse Privée de Côte d'Ivoire) va jusqu'à dire que les entreprises de presse prétendent qu'elles ne peuvent pas appliquer la Convention parce que l'Etat ne leur apporte pas l'aide qu'il faut, ou encore que les patrons de presse ont créé leurs entreprises et comptent seulement sur l'Etat pour pouvoir fonctionner, ce n'est pas juste. Ce que nous demandons aux syndicats, c'est qu'eux et nous, nous mettions ensemble pour demander que l'Etat nous aide. Et quand je le dis, je m'appuie sur la loi qui régit la presse. L'article 99 est très clair. Il stipule que l'Etat apporte une aide à la diffusion et à la distribution. Cela veut dire que c'est une obligation pour l'Etat de nous aider aussi bien au niveau de la distribution que de la diffusion. L'article 101 dit que l'Etat apporte une aide budgétaire directe aux entreprises de presse légalement constituées. Maintenant que nous sommes constitués légalement, nous demandons à l'Etat de nous donner une aide directe. En quoi cela doit-il émouvoir les syndicats ? En quoi cela les gêne t-il ? Je ne comprends pas pourquoi ils s'opposent à ce que nous demandions cette aide. Les partis politiques sont des entreprises privées. Pourtant, l'Etat leur donne de l'argent. Pourquoi n'en ferait-il pas pour les entreprises de presse ? Autant que les partis politiques, la presse est utile pour la Côte d'Ivoire. Partout ailleurs, l'Etat apporte une aide à la presse. Même la grande France l'a fait. Quand il y a eu les Etats généraux de la presse en France, l'Etat a accordé aux entreprises de ce secteur près de 600 millions d'euros par an. Il a ensuite pris des mesures pour inciter les Français à s'abonner à un journal de leur choix. Au Maroc, le Royaume octroie chaque année 2 milliards de FCFA eux entreprises de presse. Pourquoi s'émeut-on alors chez nous quand les éditeurs demandent à l'Etat de satisfaire aux obligations contenues dans la loi. C'est un droit pour nous.

L.P : Estimez-vous alors que l'Etat n'en fait pas assez pour vous ?
AA : Non. Nous avons rencontré récemment Mme le ministre de la Communication. Et dans nos doléances, nous avons souhaité que l'Etat puisse ratifier les conventions de Florence et de Nairobi. Lesquelles sont appliquées aujourd'hui dans le monde entier par les pays développés. Et cela aide la presse à pouvoir vivre parce qu'elle peut faire des achats avec des taux de fiscalité très bas. Nous voulons surtout que l'Etat applique ces deux conventions, pour que nous ayons des exonérations fiscales importantes comme cela se fait un peu ailleurs. Si cela est fait, on peut en retour tout nous demander. Mais, quand cela n'est pas fait, on ne peut pas dire que nous sommes des personnes qui demandons trop à l'Etat. Sur ces questions, beaucoup d'informations fausses sont véhiculées dans la presse. Quand par exemple, le SG du SAAPPCI dit que l'an dernier les entreprises de presse ont eu trois mois d'impression gratuite, ce n'est pas vrai. Nous avons eu plutôt deux mois et cela correspond à 15 millions de FCFA par entreprise. Pour un quotidien comme Le Patriote ou Le Nouveau Réveil, cela ne fait à peine que 10 jours d'impression. Certes, l'Etat a fait des efforts, je remercie au passage le Président du Conseil de gestion du FDSP (Fonds de Développement et de Soutien à la Presse), mais cela ne signifie pas que les problèmes des entreprises de presse sont résolus.

L.P : Concrètement, combien attendez-vous de l'Etat comme appui ?
AA : Nous voulons 6 mois d'impression pour l'ensemble des journaux de Côte d'Ivoire. Nous demandons aussi l'application de la Convention de Florence, qui nous permettra d'avoir des exonérations fiscales importantes, dans le fonctionnement de nos entreprises. Nous demandons aussi que l'Etat et ses démembrements puissent répartir équitablement la manne financière de ses publicités, comme cela se fait dans beaucoup de pays. Par exemple, quand l'Etat communique dans la presse, il faudrait que tous les journaux constitués légalement puissent bénéficier de cette publicité. Qu'on en donne un peu plus à Fraternité Matin, le quotidien pro-gouvernemental), je comprends, mais que tout le monde en reçoive. Nous voulons également que l'Etat nous aide à recouvrer les sommes importantes qu'on nous doit. L'Etat et des annonceurs nous doivent 400 millions de FCFA, au titre des insertions publicitaires. Au moment où on nous demande de faire face à des charges salariales et sociales, il faudrait qu'on ait progressivement les moyens de pouvoir le faire. Un journal vit de deux sources de revenus : les ventes et la publicité. Quand les ventes ne sont pas très bonnes comme c'est le cas actuellement et qu'on réussit à avoir de la publicité, comment voulez-vous que nous réussissions à vivre si ces publicités ne sont pas payées. Tout cela explique le fait que notre secteur soit encore dans une situation difficile. Le jour où les ventes vont monter comme on l'espère, et qu'on aura le paiement régulier des insertions publicitaires, que l'Etat aura ratifié la convention de Florence, et nous aura apporté l'aide prévue par la loi, vous verrez des entreprises de presse costaudes et solides, qui pourront faire beaucoup pour leurs employés. Mais déjà, sans attendre l'Etat, nous appliquons la Convention, avec l'indice 1400. Et en 2013, nous sommes prêts à passer à 1600, avant d'atteindre le cap de 1800 en 2014. Et en 2015, nous irons à 1900. Autre chose importante : d'ici la fin de l'année, le GEPCI s'engage à trouver une assurance maladie groupe pour nos travailleurs. Le secteur va ainsi connaître un bond en avant, mais ce bond on ne peut le faire, si trop de pesanteurs nous maintiennent encore dans la précarité. Pour nous éditeurs, il n'est pas question d'être les bourreaux de nos travailleurs. Parce que sans travailleurs, il n'y a pas d'entreprise. Mais également, sans employeur, il n'y a pas d'entreprise. Nous sommes donc tellement liés que nous devons nous unir pour mener le combat qu'il faut afin que l'Etat comprenne que notre presse est toujours dans la sinistrose.

LP : Les syndicats disent également que les salaires dont il est question aujourd'hui sont largement dépassés, et qu'il faudrait au minimum 1 million de FCFA au journaliste ivoirien comme salaire. Que leur répondez-vous?
AA : L'équation est simple. Si le travailleur estime aujourd'hui qu'il a droit à un million, je suis d'accord à payer le million. Mais, il y a deux choses que je lui fais remarquer. Est-ce qu'il a le sentiment que l'entreprise qui l'emploie peut lui payer ce salaire ? S'il pense que le journal avec ses ventes et ses recettes publicitaires peut le faire, nous estimons qu'il n'y a pas de problèmes. Si le travailleur touche un million, le DG aura aussi un salaire digne de son rang, c'est-à-dire, 4 ou 5 millions de FCFA. Il est clair que la masse salariale va monter facilement jusqu'à 10 voire 15 millions de FCFA. Combien d'entreprises de presse peuvent aujourd'hui payer mensuellement 15 millions de salaires, sans oublier le loyer et les autres charges locatives ? Très peu. Si cela est possible, nous sommes prêts à le faire. Et si l'Etat satisfait nos doléances, pourquoi pas ? Nous pourrons même donner 2 millions de salaire au travailleur. Il y a donc un lien à faire entre les capacités réelles des entreprises et la masse salariale.

LP : En attendant, le CNP va vous faire obligation prochainement d'appliquer la Convention. Comment appréhendez-vous cette seconde étape de ce processus, tant attendue par vos travailleurs ?
AA : Les entreprises de presse se sont déjà engagées à appliquer la Convention avec le taux de 1600. Nous attendons simplement de nous réunir avec le CNP et les syndicats, pour que cela soit effectif. Les entreprises de presse ont pris conscience qu'il faut qu'elles le fassent. Maintenant, il est clair que cela va être difficile avec la situation que nous vivons. Nous ne pourrons pas tenir cet engagement très longtemps. Si l'Etat ne fait pas ce que nous demandons, il risque très vite d'y avoir des problèmes dans nos entreprises. Beaucoup d'entreprises risquent de fermer. Et comme l'Etat n'a pas pour ambition de fermer les entreprises de presse, il est toujours bon que nous puissions trouver les voies et moyens pour que justement nous puissions payer ce qu'il faut. Toutefois, à ce niveau, je ne suis pas inquiet. Le président Alassane Ouattara nous a montrés qu'il est un homme de parole, il s'est engagé à nous aider de manière très forte. Nous pensons qu'il va tenir ses engagements. Et déjà le ministre de la Communication a échangé avec nous sur l'aide que l'Etat pourrait nous apporter. Le Chef de l'Etat veut appuyer la presse. Il a vraiment cette volonté très nette de donner un grand de pouce à notre secteur.

Et nous pensons que les ressources du Chef de l'Etat vont venir. Devant la Nation entière, il a promis inscrire dans le PND, les moyens nécessaires pour que nous puissions rebondir. Nous ne sommes donc pas inquiets. Bien au contraire, nous pensons que 2013 va être pour nous un point de départ, et à partir de 2014, nous aurons une presse économique viable. J'insiste là-dessus. Que l'Etat nous impose un cahier de charges de sorte que les entreprises de presse qui seront respectueuses des règles établies, puissent continuer à avoir l'aide de l'Etat. Que celles qui se distingueront par des contenus qui froissent notre code d'éthique et de déontologie puissent être écartées, de même que celles qui ne respecteront pas leurs engagements. Nous sommes donc pour que notre secteur soit structuré.

Réalisée par Y. Sangaré
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