A la différence de ses homologues de pays africains tels que le Sénégal, le Bénin ou encore la Guinée, la société civile ivoirienne peine à s’imposer comme un véritable contre-pouvoir.
“La société civile ivoirienne peine à s’imposer parce que son influence est contrebalancée par la classe politique qui l’a presque phagocytée». Cette analyse qu’a bien voulu partager avec nous, le doctorant Mamadou Konaté, est certes un bout de vérité mais, dans les faits, elle suffit largement pour caricaturer la situation de la société civile, ces vingt dernières années. C’est à l’avant-veille de la réintroduction du multipartisme que les premières organisations, spécialisées dans la promotion et la défense des droits de l’Homme, voient le jour en Côte d’Ivoire. Elles sont créées et dirigées par des universitaires proches des milieux syndicaux. Quand le paysage politique se libéralise, la plupart des acteurs de cette société civile se retrouvent en première ligne du combat pour mettre fin au règne de l’ancien parti unique, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) de Félix Houphouet-Boigny. Ils sont donc très proches du principal parti de l’opposition. Quand disparaît le premier président ivoirien et que sort des entrailles du Pdci, le Rassemblement des républicains (Rdr), l’environnement se libéralise aussi pour la société civile. Les nouveaux arrivants parlent presque le même langage que le nouveau parti, d’obédience libérale. Eux aussi, selon la conjoncture et presque comme dans une maison à plusieurs chambres, passent de la défense des droits de l’Homme ou de la promotion de la démocratie, à la politique. Mais, plus que les jeux de chaises musicales, c’est à la fois la rivalité et les accointances avec les politiques, qui finissent par les décrédibiliser, aux yeux des populations. «Dès lors qu’on a compris leurs jeux, on ne pouvait plus, raisonnablement les suivre, sans épouser le combat politique qui sous-tend leurs actions», raconte François N’gala, ancien étudiant à la faculté (devenue aujourd’hui une Ufr), de droit de l’université de Cocody. «Certes, c’étaient nos maîtres, mais puisque ce sont eux qui nous ont ouvert les yeux, nous ne pouvions pas les suivre, aveuglement», fait remarquer l’enseignant de français. «Nous qui n’étions pas intéressés par la politique, nous nous sommes mis de côté», témoigne Martine Kouadio, elle aussi enseignante de français. Ce que confirme le juriste et politologue Julien Kouao. «La fragilité ou l’impuissance de la société civile ivoirienne procède, d’abord, de sa consubstantialité. En effet, la société civile se définit par rapport et par opposition à la société politique. Celle-ci agit, celle-là réagit. La société civile s’analyse, donc, en un contre-pouvoir. Elle est, aujourd’hui, une exigence de la gouvernance démocratique. De ce qui précède, la classe politique ivoirienne, allergique à la critique voire à la contradiction, s’est empressée de phagocyter la société civile en créant plusieurs associations dans divers domaines. Les associations de défense de droits de l’Homme, les syndicats, les associations confessionnelles, pour ne citer que ceux-là, ne sont que les branches civiles des partis politiques», décrypte-il. Mais, il n’y a pas que cela qui rend la société civile ivoirienne presque aphone, si l’on en croit notre spécialiste. «Sur le plan médiatique, les Ong n’ont pas assez d’espace pour mieux s’exprimer. L’existence d’une seule télévision, l’interdiction d’émission politique sur les radios communautaires et la mainmise des partis politiques sur la presse écrite sont des facteurs qui participent à la déconstruction de la société civile, s’ils ne la rendent pas aphone», poursuit M. Kouao, ajoutant que la situation est liée «enfin, à la méconnaissance, par les acteurs de la société civile du but de celle-ci. En effet, les Ong poursuivent un but non lucratif, c’est du volontariat. Or, chez nous, les gens créent des Ong pour se faire de l’argent. Et l’argent, malheureusement en Côte d’Ivoire, seuls les acteurs politiques en ont assez. Aussi, les animateurs de la société civile s’empressent d’aller vers eux pour leur faire allégeance». Que répondent les acteurs de la société civile à tout cela ? Le débat est ouvert l
Marc Dossa
“La société civile ivoirienne peine à s’imposer parce que son influence est contrebalancée par la classe politique qui l’a presque phagocytée». Cette analyse qu’a bien voulu partager avec nous, le doctorant Mamadou Konaté, est certes un bout de vérité mais, dans les faits, elle suffit largement pour caricaturer la situation de la société civile, ces vingt dernières années. C’est à l’avant-veille de la réintroduction du multipartisme que les premières organisations, spécialisées dans la promotion et la défense des droits de l’Homme, voient le jour en Côte d’Ivoire. Elles sont créées et dirigées par des universitaires proches des milieux syndicaux. Quand le paysage politique se libéralise, la plupart des acteurs de cette société civile se retrouvent en première ligne du combat pour mettre fin au règne de l’ancien parti unique, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) de Félix Houphouet-Boigny. Ils sont donc très proches du principal parti de l’opposition. Quand disparaît le premier président ivoirien et que sort des entrailles du Pdci, le Rassemblement des républicains (Rdr), l’environnement se libéralise aussi pour la société civile. Les nouveaux arrivants parlent presque le même langage que le nouveau parti, d’obédience libérale. Eux aussi, selon la conjoncture et presque comme dans une maison à plusieurs chambres, passent de la défense des droits de l’Homme ou de la promotion de la démocratie, à la politique. Mais, plus que les jeux de chaises musicales, c’est à la fois la rivalité et les accointances avec les politiques, qui finissent par les décrédibiliser, aux yeux des populations. «Dès lors qu’on a compris leurs jeux, on ne pouvait plus, raisonnablement les suivre, sans épouser le combat politique qui sous-tend leurs actions», raconte François N’gala, ancien étudiant à la faculté (devenue aujourd’hui une Ufr), de droit de l’université de Cocody. «Certes, c’étaient nos maîtres, mais puisque ce sont eux qui nous ont ouvert les yeux, nous ne pouvions pas les suivre, aveuglement», fait remarquer l’enseignant de français. «Nous qui n’étions pas intéressés par la politique, nous nous sommes mis de côté», témoigne Martine Kouadio, elle aussi enseignante de français. Ce que confirme le juriste et politologue Julien Kouao. «La fragilité ou l’impuissance de la société civile ivoirienne procède, d’abord, de sa consubstantialité. En effet, la société civile se définit par rapport et par opposition à la société politique. Celle-ci agit, celle-là réagit. La société civile s’analyse, donc, en un contre-pouvoir. Elle est, aujourd’hui, une exigence de la gouvernance démocratique. De ce qui précède, la classe politique ivoirienne, allergique à la critique voire à la contradiction, s’est empressée de phagocyter la société civile en créant plusieurs associations dans divers domaines. Les associations de défense de droits de l’Homme, les syndicats, les associations confessionnelles, pour ne citer que ceux-là, ne sont que les branches civiles des partis politiques», décrypte-il. Mais, il n’y a pas que cela qui rend la société civile ivoirienne presque aphone, si l’on en croit notre spécialiste. «Sur le plan médiatique, les Ong n’ont pas assez d’espace pour mieux s’exprimer. L’existence d’une seule télévision, l’interdiction d’émission politique sur les radios communautaires et la mainmise des partis politiques sur la presse écrite sont des facteurs qui participent à la déconstruction de la société civile, s’ils ne la rendent pas aphone», poursuit M. Kouao, ajoutant que la situation est liée «enfin, à la méconnaissance, par les acteurs de la société civile du but de celle-ci. En effet, les Ong poursuivent un but non lucratif, c’est du volontariat. Or, chez nous, les gens créent des Ong pour se faire de l’argent. Et l’argent, malheureusement en Côte d’Ivoire, seuls les acteurs politiques en ont assez. Aussi, les animateurs de la société civile s’empressent d’aller vers eux pour leur faire allégeance». Que répondent les acteurs de la société civile à tout cela ? Le débat est ouvert l
Marc Dossa