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Société Publié le lundi 4 novembre 2013 | Le Patriote

Interview / M. Sy Savané Moriferé, président de la coordination des fonctionnaires victimes des précomptes abusifs : “On doit nous prélever un tiers de notre salaire et non les deux tiers”

Le phénomène des usuriers, plus connu sous le nom de margouillat fait des victimes chez les fonctionnaires ivoiriens. Par les agissements de ces ‘‘margouillats’’, des fonctionnaires dorment dans les gares routières car n’ayant plus de main mise sur leurs comptes. Ils ne peuvent plus faire face à leurs charges. Devant l’ampleur de la situation, une coordination a été mise sur pied. Le président de la coordination, Sy Savané Moriferé, nous explique dans cet entretien comment plusieurs fonctionnaires sont tombés dans le piège de ces personnes sans scrupule.
Le Patriote : Pourquoi avez-vous senti le besoin de mettre en place une coordination des fonctionnaires victimes des précomptes abusifs ?
Sy Savané Moriferé : Nos collègues souffrent de cette situation. Avant la création de la coordination, j’ai vu un bulletin de salaire. Quelqu’un qui a 600 000 FCFA de salaire brut dont 596 000 de brut imposable, il est viré sur son compte, 39 000 FCFA. J’ai vu ce bulletin à la mosquée du Plateau et je me suis dit qu’il fallait qu’on arrête l’hémorragie. J’ai voulu savoir qui en était l’auteur. C’était mentionné plusieurs fois 970 : greffier d’Abidjan. Le monsieur avait près de 41 précomptes sur son salaire. Nous avons donc voulu tirer sur la sonnette d’alarme. C’est ainsi que la coordination a été mise sur pied. Au départ, c’était un collectif, ensuite il s’est métamorphosé en coordination.

LP : Quelle catégorie de fonctionnaires avez- vous au sein de ce collectif ?
SSM : Nous sommes à peu près 5000 fonctionnaires victimes. Il s’agit de tous les fonctionnaires, mais principalement les enseignants. Pourquoi les enseignants sont les plus nombreux ? Parce que dans le corps de la Fonction publique, ce sont les enseignants qui sont les mieux rémunérés. Donc on se dit que comme le salaire est assez consistant, on peut se permettre de prendre des crédits par-ci par-là.

LP : Vous vous dites victimes de précomptes abusifs. De quoi s’agit-il exactement ?
SSM : Le précompte, c’est ce qu’on prend sur un salaire avant de faire le virement. Cela, à la suite des engagements personnels du fonctionnaire. Mais qu’est-ce qui se passe en réalité ? Avec cette brèche qui est ouverte, des individus mal intentionnés s’y engouffrent et prennent tous les deux tiers du salaire du fonctionnaire. En principe, même si le fonctionnaire a contracté un crédit, on prélève cela sur un tiers de son salaire et les deux tiers lui sont versés. Mais comme nous sommes dans un engrenage qu’on ne maîtrise pas, les gens vont au-delà des deux tiers qui doivent revenir aux fonctionnaires. C’est ce qui engendre tous les problèmes que vous connaissez. Des fonctionnaires qui n’arrivent pas à faire face à leurs charges fixes, des femmes qui sont parties, des enfants qui ne vont plus à l’école, d’autres qui dorment à la belle étoile, car vidés de leurs maisons, etc.

LP : Mais, si vous contractez vos crédits dans un cadre réglementaire cela ne se produirait pas ?
SSM : Oui, c’est vrai. Mais, je vous donne un exemple. Moi je suis fonctionnaire. Il peut arriver qu’avant la fin de mois des soucis financiers se présentent à moi. Ils peuvent être estimés soit à 20 000 ou 25 000 FCFA pour résoudre un problème ponctuel. Mais comme je ne peux pas aller à ma banque parce que je suis en dépassement, je me dirige vers une personne X pour lui soumettre mon problème. Elle me remet l’argent en question, mais me conduit d’abord dans une maison, appelée maison de crédit. Une fois sur les lieux, elle vous propose une marchandise dont la valeur est estimée à 500 000FCFA, mais avec les intérêts, la marchandise revient à 700 000 FCFA. Lorsque que cela vous sied, elle vous donne les 25 000Fcfa demandés. Elle vous donne des documents à signer. C’est à partir de là que commence vos ennuis. Car une fois le document signé, cette personne prend une ordonnance à la justice. Et lorsque l’ordonnance arrive au Trésor, l’on commence à vous précompter. Le problème c’est que le fonctionnaire peut aller dans plusieurs maisons de ce genre. Et c’est ainsi que se met en place l’engrenage. Le cercle vicieux est là.

LP : Mais, vous sollicitez un crédit de 25000 FCFA. L’usurier vous propose une marchandise de 700 000 FCFA et vous l’acceptez ! N’êtes-vous pas complice de l’arnaque ?
SSM : Effectivement, nous sommes complices. Mais le problème est que nous avons un problème pressant. Et comme le dit le proverbe, rien ne peut remplacer l’argent si ce n’est l’argent. Nous avons un problème que seul l’argent peut résoudre. Et puis, ces gens nous rassurent en disant que si nous avons d’autres engagements, ils peuvent patienter. C’est ainsi que nous tombons dans leur piège. Mais une fois que l’ordonnance est prise, on est étonné de voir qu’on nous précompte cela, en plus des anciens crédits contractés depuis des années. Souvent le même crédit est multiplié par quatre, donc un précompte excessif.

LP : Depuis la mise en place de la coordination, n’avez-vous pas cherché à savoir qui sont ces gens qui abusent de vous et comment sont-ils organisés ?
SSM : C’est une mafia organisée qui met en place un génocide programmé. On ne sait ni où se trouve la tête ni où se trouve la queue. Mais nous pouvons dire que ces usuriers sont en aval et en amont. Il y a une complicité, notamment là où sont faits nos précomptes.

LP : Que fait donc votre coordination ?
SSM : Notre coordination a pour mission de restaurer la dignité du fonctionnaire. Cela, en faisant en sorte que dans un premier temps, les deux tiers de nos salaires nous soient restitués. Ensuite, nous interpellons les autorités du Trésor. Avec la mise sur pied de cette coordination, nous savons que nous mettons nos vies en danger, car nous menaçons des intérêts. Mais cela ne nous effraie pas.

LP : Vous avez rencontré récemment le ministre de la Famille, de la femme et de l’enfant, Anne Désirée Ouloto, pour demander l’aide de l’Etat. Qu’attendez-vous de l’Etat ?
SSM : Nous souhaitons que l’Etat interpelle les autorités du Trésor. Nous voulons également que le président de la République se saisisse de la question. Au Sénégal, le même phénomène existait. Le Président Abdoulaye Wade a mis fin à cela. Vu la souffrance des fonctionnaires par rapport à la ponction que les salaires subissaient à la source, il a demandé de faire le total de tout ce que les fonctionnaires sénégalais avaient contracté auprès de ces usuriers. Ensuite, il a transformé cela en dette intérieure de l’Etat qu’il a épongée par la suite, en l’incluant dans le budget de l’année suivante. Donc actuellement, les bulletins des fonctionnaires sénégalais sont blancs. Ensuite, l’Etat sénégalais a assaini le Trésor. La justice s’est mise aux trousses de ces usuriers. Nous voulons donc que l’Etat ivoirien mène des enquêtes pour savoir qui est à la base de cela. Ensuite faire en sorte que le Trésor applique la règle de la quotité cessible en donnant les deux tiers du salaire au fonctionnaire. Cela est possible. Déjà, grâce aux activités que nous avons menées et notre rencontre avec la ministre Anne Ouloto, le Trésor a appliqué les textes. Certains de nos collègues ont donc eu des virements. Moi qui vous parle, cela faisait quatre mois (juin, juillet, août, septembre) que je n’avais pas eu de virement. Mais au mois d’octobre, grâce à nos actions, mon virement est passé. Certains ont fait 10 mois, d’autres 12 mois sans virement. Notre crainte c’est que le Trésor n’a pas été précis sur la durée de ces améliorations alors que nous souhaitons que cela se fasse sur une longue période, afin que le fonctionnaire-enseignant puisse retrouver sa dignité et retourner en classe pour donner décemment des cours.

Réalisée par Dao Maïmouna
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