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Art et Culture Publié le vendredi 29 novembre 2013 | Abidjan.net

1ère Edition du FESTACI : le professeur Simon Pierre Ekanza présente la richesse culturelle du peuple Agni

© Abidjan.net Par M. A.
Lancement officiel de la 1ère édition du Festival Agni Côte d`Ivoire (FESTACI)
Jeudi 28 novembre 2013. Abidjan. Dans le cadre du lancement officiel de la 1ère édition du Festival Agni Côte d`Ivoire (FESTACI), une conférence publique sur la culture du peuple Agni a été dite par le professeur Simon Pierre Ekanza.
A la faveur du lancement de la première édition du festival Agni Côte d’Ivoire (FESTACI), le professeur Simon Pierre Ekanza a prononcé, le jeudi 29 novembre, une conférence publique intitulée « la richesse culturelle du peuple Agni dans l’émergence d’une Côte d’Ivoire nouvelle ». Nous vous proposons le résumé de son intervention.

La Côte-d’Ivoire est une et indivisible, mais elle est composée de régions qui ont, chacune, leur unité. Nous sommes Ivoiriens, mais nous sommes aussi Baoulé, Bété, Gouro, Wobè, Agni. Nous avons tous une petite patrie dont nous aimons les paysages familiers, les costumes, les coutumes, la langue, les chansons, les danses, et dont nous sommes fiers. Aimer ce terroir, la terre de nos ancêtres, notre petite patrie, rien n’est plus légitime, rien n’est plus naturel, rien n’est plus propre à fortifier l’amour de la Côte-d’Ivoire, notre patrie commune. L’unité de la nation et la diversité des régions ou cultures sont indissociables pour permettre aux différentes sociétés de la nation d’exister sans conflit. Chaque groupe ethnique de l’Etat-nation, ayant ses propres caractéristiques et des valeurs distinctes, apporte sa contribution au trésor commun de la culture nationale. La vraie richesse de nos régions ne se confond pas à l’accumulation de la richesse économique et matérielle ; elle s’identifie, d’abord et avant tout, au patrimoine culturel commun, légué par nos prédécesseurs. Toutes les populations ivoiriennes dont le peuple Agni, sont dotées, chacune, d’un patrimoine culturel.
Quel est le patrimoine spécifique du peuple Agni ? Quels sont les voies et moyens susceptibles de le vivifier et de le perpétuer ? Ce sont là les axes principaux de mon exposé. Mais auparavant, il convient de nous interroger sur l’identité du peuple Agni. Qui sont les Agni et d’où viennent-ils ? Car l’histoire, elle aussi, est un élément fondamental de la richesse culturelle.
L’HISTOIRE, TRAME DE LA CULTURE
Tous les groupes Agni de Côte-d’Ivoire, sans exception, partagent en commun des traits culturels propres, prétendent être de la même origine et se réclament d’un même ancêtre commun, Ano Asoman, dont les ascendants lointains sont venus d’Anyuanyuan, une localité située dans le nord du Ghana actuel. Il hérite de la « Chaise » (au sens de trône) de Nanan BE, le premier de la lignée des rois Agni. Cette chaise se trouve aujourd’hui dans le Moronou.
Néanmoins, la célébrité d’Ano Asoman lui vient d’ailleurs : il est considéré comme le fondateur d’Ebrosa, royaume du Sud-ouest du Ghana, où sera édifiée à la fin du XVIIe siècle, en souvenir du premier Anyuanyuan, l’agglomération aux « cent carrefours » de même nom. C’est là qu’Ano Asoman va rassembler, autour de lui, toutes les populations des Etats voisins opprimés par le Denkyira au sommet de sa puissance. Ano Asoman incarne alors l’âme de la résistance au joug dominateur et oppressif du Denkyira. Il participe activement, aux côtés de l’allié Asante, aux préparatifs et à la bataille de Feyase (1701), dont l’issue sera fatale au Denkyira. La victoire sur le Denkyira représente l’acte fondateur de l’unité du peuple Agni. Ano Asoman devient alors un héros, non seulement politique, mais aussi culturel, à qui l’on attribue, par exemple, l’invention de l’igname, de l’abusuan (famille matrilinéaire), du mariage, et de bien d’autres institutions sociales spécifiques aux Agni.
LES TRAITS CULTURELS AGNI
Quels sont donc les traits culturels, distinctifs des Agni, et que faire pour les ressusciter et les perpétuer ? Ils sont de trois ordres : matériel, social et spirituel.
1. Le niveau matériel
Le premier niveau de la culture se résume à la vie matérielle, répétitive et routinière, « nappe d’histoire stagnante » qui se confond avec la vie rurale. Elle appartient à tous les groupes ethniques, cependant elle diverge d’un groupe à l’autre, d’une société à l’autre, le contraste tenant certes à l’environnement climatique, végétal et aux propriétés du sol, mais surtout aux différentes options des hommes, opérées à travers l’histoire pour l’une ou l’autre des productions ; celles-ci deviennent dès lors dominantes dans l’économie. Pour la totalité des groupes Agni, l’igname et l’or constituent, hier comme aujourd’hui, les productions privilégiées
De tous les vivriers, l’igname demeure, sans conteste, la plus prisée. Ce tubercule, qui fit probablement son apparition dans le monde Agni à un moment critique pour sauver le peuple de la famine, est intimement associé à l’histoire sociale et culturelle des Akan, et singulièrement du peuple Agni. Selon certaines traditions, l’apparition de l’igname dans le monde Agni est attribuée à Ano Asoman. On ne prête qu’aux riches. Les réfugiés étant devenus excessivement nombreux autour du fondateur de l’Ebrosa, du temps où il était préoccupé d’asseoir et d’étendre son pouvoir, il ne serait pas étonnant qu’il y ait eu, au cours de cette période précise, augmentation, progrès et diffusion de la production de ce tubercule. Cette progression bénéfique, entraînant un mieux-être, fût-il momentané, a pu marquer la mémoire collective, qui en a attribué la paternité au père de la nation Agni.
Même si l’igname n’occupe aujourd’hui qu’une place limitée dans l’alimentation de l’Agni, elle continue de tenir une place privilégiée dans un certain nombre de cérémonies dont la fête des ignames, qui revêt, en pays Agni, un faste somptueux : la fête de l’igname est l’occasion d’un ressourcement identitaire, faisant apparaître au grand jour les multiples réseaux de liens divers dans lesquels est inséré chaque individu. Tout en exprimant la gratitude des vivants à l’égard de ceux qui les ont précédés, et envers les puissances protectrices du peuple, la fête de l’igname donne lieu également au renouvellement des contrats unissant l’homme aux puissances invisibles, et l’homme aux autres hommes.
L’or est le deuxième élément, dans l’ordre de désignation, de la culture matérielle Agni. L’or a joué un rôle important dans cette société, aussi bien avant qu’après la migration, dans les échanges commerciaux avec les Européens installés dans le golfe de Guinée, dans le choix du site des villages édifiés après l’exode, et a été particulièrement un élément de convoitise à l’origine de multiples conflits. Outre sa dimension économique, il convient de souligner aussi l’aspect religieux du métal précieux, incluant sacrifices, offrandes et interdits.
2. Les structures sociopolitiques
Les autres éléments culturels se situent aux niveaux des structures sociales et politiques. La société Agni est une société extrêmement complexe, à dominante matrilinéaire. L’unité de base de la société est l’abusuan (lignage ou grande famille), composé de tous ceux qui se réclament d’une ancêtre commune, nommée et connue. Tout individu, dans cette société, est considéré comme appartenant au groupe social de sa mère. C’est cette parenté fondée sur l’appartenance à une communauté matrilinéaire, qui préside aux rapports entre les hommes de la collectivité. C’est à elle qu’on se réfère pour déterminer la dignité, l’authenticité, le statut social d’un individu, pour décider de la transmission du patrimoine matériel et de la plupart des charges de commandement. Ce régime, original et complexe, dont ces quelques mots sont loin d’en épuiser le contenu, est l’une des caractéristiques essentielles de la culture Agni.
Il faut ajouter cependant que, malgré l’importance de l’abusuan, on ne peut omettre le rôle important joué par la filiation paternelle ; d’où la complexité de cette société. Les manifestations de la filiation paternelle se lisent à plusieurs niveaux de la vie sociale, des liens spirituels à l’obligation de résidence patrilocale imposée au fils, en passant par le droit de tutelle du père jusqu’au droit d’héritage du sèpuan (restes d’une cour en ruines). Toutefois, la parenté paternelle est vécue comme secondaire. « Elle est une réalité sans nom » comme l’écrit l’historienne H. Diabaté. En effet, il n’existe pas chez les Agni, de terme spécifique pour identifier le clan paternel ; on le désigne de l’appellation générique de siè, c’est-à-dire, les « pères », le clan des pères, contrairement à la parenté maternelle, abusuan ou afilié dans le Sanvi.
A l’issue de la migration, plusieurs lignages se mettent ensemble pour constituer un sous-groupe, caractérisé par une assise territoriale à tendance politique, selon le modèle étatique antérieurement connu. Ainsi émergent le Sanvi, l’Indénié, le Moronou et les autres sous-groupes. Si la centralisation fut extrêmement forte dans le Sanvi, en raison des circonstances historiques, elle le fut à un degré moindre dans l’Indénié. Ailleurs, les sous-groupes subsisteront sous forme de micro-Etats jusqu’à la colonisation, jaloux de leur autonomie.
3. Les valeurs d’ordre intellectuel et spirituel
Mais la culture Agni ne se limite pas à ces traits distinctifs de nature matérielle et sociopolitique, elle est inscrite dans ce que le peuple a de plus profond, lié à son histoire, se confondant aux valeurs les plus profondes, auxquelles il demeure intimement attaché, et que trahissent son langage, ses chansons, mais aussi ses gestes et comportements, livrés le plus souvent sous une forme élégante et esthétique. L’ensemble de ces valeurs d’ordre intellectuel et spirituel, donc invisibles, sont à considérer comme des biens culturels, à inscrire au patrimoine du peuple. A cela s’ajoutent les danses, les œuvres d’art et le Ja, recueil d’objets et de témoignages concrets du passé.
C’est l’ensemble de ce trésor culturel que la génération actuelle est appelée à sauvegarder, vivifier et à perpétuer, à travers des expositions, des festivals comme celui que nous espérons voir le jour incessamment dans le Moronou.

Pr. Simon-Pierre Ekanza


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