Paralysé depuis le déclenchement de la crise militaire, le réseau des Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC) renaît. Nous avons rencontré M. Eric Weber, coordonnateur du programme à l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Il explique ici les enjeux de ce retour et dévoile les projets futurs pour la culture de la lecture.
Le Patriote : Vous avez visité le réseau des Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC). Il y a eu la guerre et ce réseau avait cessé de fonctionner. Quel est l’état des lieux actuellement?
Eric Weber: Il faut d’abord rappeler d’où nous avons trouvé la situation. Il y a un an, nous avions fait une étude de faisabilité. C’était une requête de l’Etat ivoirien qui avait demandé à la Francophonie d’accompagner la Côte d’Ivoire pour la réhabilitation du réseau CLAC. Nous avions visité chaque centre et on avait constaté des dégâts. Les CLAC n’étaient pas fonctionnels et la plupart était dans un état de délabrement avancé. Mais, nous avions vraiment été très impressionnés par la motivation et l’engagement des populations à voir ces centres réhabilités. La mission a donc été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme de la part des autorités et des populations. Il y avait beaucoup de témoignages de personnes qui avaient bénéficié des CLAC au moment où ils étaient fonctionnels. Il y a eu un vrai soulagement de voir que le ministère de la Culture et de la Francophonie revenait pour remettre le réseau des CLAC sur pied. On revient un an après. Là, je dois vous avouer que nous sommes très impressionnés. Je dirige les CLAC depuis un grand nombre d’années, j’ai une certaine expérience. Je dois vous avouer que c’est la première fois qu’on parvient à pareils résultats. D’habitude, on prévoyait, après une étude de faisabilité, deux voire trois missions de validation. Ici, il n’y en aura qu’une parce que l’ensemble des bâtiments a été validé. Les travaux ont été bien faits. On est devant des localités qui sont fin prêtes pour accueillir le programme.
LP : Combien de CLAC compte le réseau ivoirien ?
E.W. : A l’heure actuelle, Il y en a dix. Avec le ministre de la Culture de la Francophonie (Maurice Bandaman), on a une vision un peu plus ambitieuse, dans la mesure où du côté de la Francophonie, ce qui nous intéresse, c’est d’accompagner la Côte d’Ivoire dans la mise en place d’un réseau national de lecture publique. En tout cas, le besoin a été exprimé de mettre en place une politique de bibliothèques publiques dans le pays pour un tas de raisons : elles ont un impact sur l’éducation, sur la cohésion sociale. Il y a des CLAC qui ont été développés en Côte d’Ivoire et qui ont prouvé qu’ils avaient des résultats de fréquentation au-delà de ce qu’on constate en Europe. Donc, il y a un concept, des outils qui ont fait leurs preuves. Donc, l’idée, c’est dans un premier temps de réhabiliter ce premier réseau, dans un second temps, c’est de permettre à la Côte d’Ivoire d’étendre le réseau des CLAC dans le cadre de la mise en place d’un Centre national dédié exclusivement à la gestion et à la création de bibliothèques publiques en Côte d’Ivoire. La seconde étape, très rapidement, c’est l’extension de ce réseau sous la tutelle d’un Centre ivoirien pour la lecture et les animations culturelles, ce sont des Centres ivoiriens pour la lecture publique et l’animation culturelle (CILPAC).
L.P. : Pourquoi sont-ils tous situés au Nord ?
E.W. : C’est une raison historique, d’abord. Le réseau a été créé au Nord, c’était au début des années 1990. C’était à la demande des autorités ivoiriennes. Ce n’est pas la Francophonie qui décide où on installe les CLAC. A l’époque, c’était une des régions où le taux de scolarisation et d’alphabétisation posait le plus de problèmes. C’est ce qui explique qu’ils soient installés là-bas.
L.P. : En terme d’indicateurs, avez-vous des chiffres pour évaluer l’impact de ces CLAC sur la jeunesse avant la guerre?
E.W. : Nous avons fait des études. Dans d’autres pays tels que Madagascar, Mali, Haïti, il a été démontré qu’une bibliothèque publique dans une localité avait un impact important sur le taux de réussite. Par exemple à Madagascar, entre le moment où il n’y avait pas de CLAC et au moment où il y en a, on a quadruplé le taux de réussite au Bac. Au Burkina Faso, on l’a multiplié par deux. On a aussi amélioré la qualité de l’enseignement. Parce que des enseignants viennent se ressourcer et rechercher de la matière dans les CLAC. En Côte d’Ivoire, on n’a pas fait d’études d’impact. Nous avions des statistiques de fréquentation, parce que le réseau ivoirien était un réseau pilote. Il y a eu des responsables des pays comme le Burundi qui sont venus se former en Côte d’Ivoire, parce que le réseau était très fréquenté et performant. Beaucoup de témoignages disent que suite à la fermeture des CLAC, le taux de réussite a beaucoup baissé. Nous avons les chiffres de Tafiré et de bien d’autres localités. Il y a eu un impact a contrario, des effets négatifs quand les CLAC ont fermé.
L.P. : Les CLAC sont-ils un bras de la Francophonie ou une nécessité pour les pouvoirs publics ivoiriens, de pouvoir les instaurer ?
E.W. : Dans tous les pays, c’est d’abord un programme national soutenu par la Francophonie. Nous avons dernièrement fait une étude poussée dans 21 pays qui bénéficient du programme pour savoir quels étaient les montants précis des contreparties nationales. Une fois que le réseau est en place, on a 80 % d’investissements nationaux et 20% de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Les parts nationales, ce sont les salaires et c’est le ministère qui les apporte en équipements. La Francophonie, elle, vient pour le renouvellement des ouvrages, le recyclage des animateurs, mais, quel que soit le pays, le CLAC doit être perçu comme un programme national de développement de bibliothèques publiques.
L.P. : Vous avez demandé que les locaux soient réhabilités par les collectivités. Cela a été fait. A quoi peut-on s’attendre en termes d’équipement?
E.W. : Il y a une évolution. Ce qui a fait la force du programme, c’est que la sélection des ouvrages a toujours été faite exclusivement en fonction des besoins du pays et des localités concernées. Nous sommes les seuls à avoir cette préoccupation. Nous sommes pointilleux sur la sélection des ouvrages. Par rapport aux CLAC de deuxième génération, il y a une évolution. Il y a beaucoup plus de littérature africaine surtout des ouvrages aux programmes scolaires. On a aussi développé l’appui aux enseignants avec des livres de psychologie, sociologie, méthodologie. Quand je regarde les archives, les CLAC de Côte d’Ivoire ont commencé avec 1250 titres. Cette fois, nous allons commencer avec plus de 2000 titres sélectionnés pour le pays.
L.P. : Existe-t-il vraiment une culture francophone africaine que les CLAC ont pour vocation de promouvoir?
E.W. : Oui. Notre souci premier est de promouvoir, en Côte d’Ivoire, les auteurs ivoiriens. Mais, dès qu’on dénichera des auteurs ivoiriens qu’on veut mettre à la disposition des CLAC en Côte d’Ivoire, vous les retrouverez un an plus tard au Mali, au Burkina pour en faire un fonds régional. Vous allez trouver ici des auteurs haïtiens ou mauriciens. On retrouvera à l’Ile Maurice des auteurs ivoiriens. Il y a un exemple. Le ministre de la Culture du Bénin s’est rendu à l’Ile Maurice et y a retrouvé un de ses livres. Il y a un rayon de littérature francophone africaine qui se met en place.
L.P. : Comment va se faire la gestion au quotidien de ces CLAC ?
E.W. : Le principe de base se fait à trois niveaux. Il y a la gestion au niveau de la localité, au niveau du ministère et ce que l’OIF peut apporter. Mais, d’abord et avant tout, le CLAC est géré par les compétences nationales. Personne de l’OIF ne vient faire quoi que ce soit. Le responsable du réseau est formé. Nous avons transféré nos compétences aux cadres nationaux. Le CLAC est géré par des personnes issues de la collectivité. Le travail des animateurs est supervisé par un Comité de gestion qui est l’émanation de la localité avec les représentants des différents secteurs d’activités. Le responsable du Comité de gestion, c’est le maire ou son représentant désigné. Cela signifie que le règlement intérieur et le type d’activités sont transmis au comité de gestion. Chaque CLAC a des statistiques de fréquentation qu’il remplit en cinq exemplaires : un pour le maire, un pour le ministère, un pour la Francophonie et un pour le prêt. Nous avons trente ans d’expérience donc nous savons ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Nous avons un mode d’emploi qui est relativement précis : la gratuité d’accès, les horaires, la façon d’accueillir les gens, l’utilisation des jeux audiovisuels tout cela est très cadré. Et quand on fait la formation des animateurs, nous donnons des consignes relativement précises. A la formation d’ailleurs des animateurs, seront associés les représentants de la mairie et les maires, s’ils le veulent, qui viennent pour un débriefing où on pourra leur présenter le mode d’emploi remis aux animateurs, la façon selon laquelle vous souhaitez que cela fonctionne etc. Il y a donc un contrôle du Comité de gestion sur le fonctionnement du CLAC. Et puis, une fois par mois, le Coordonnateur national fait une tournée pour voir si tout fonctionne bien. A l’OIF, nous venons faire une évaluation une fois tous les deux ans.
L.P. : Il y a des demandes pressantes de collectivités, ailleurs qu’au Nord. Y a-t-il des projets pour des villes du Sud, du Centre par exemple ?
E.W. : C’est cela l’enjeu en réalité. Si on se limite seulement à dix CLAC dans le Nord ça n’a pas de sens, puisqu’on travaille à l’échelle du pays. La plus belle réalisation pour nous, le ministre de tutelle est partant pour cela, c’est de donner à la Côte d’Ivoire, la possibilité de créer d’autres bibliothèques publiques. Dès le départ, nous sommes dans l’optique d’essayer dix CLAC supplémentaires sous une autre formule, dans des villes plus importantes et là, c’est l’Etat qui décide de l’architecture que cela peut avoir. Je fais un parallèle au Burundi, avec le coordonateur national où on a créé d’abord dix CLAC avant de créer huit autres. L’Etat burundais a énormément investi dans la création des bibliothèques et l’apport du Burundi est tellement important que ça nous permet de refaire encore le projet avec une trentaine de CLAC. Ce n’est plus un financement exclusivement de l’OIF, il y a un financement national et en fin d’année, le Burundi va se retrouver avec une trentaine de CLAC. On constate que la Côte d’Ivoire a une ambition dans ce sens.
L.P.: Pour ceux qui ont été réhabilités, à quand la fourniture des équipements et le redémarrage des activités ?
E.W. : La pression a changé de camp ! Je suis impressionné de voir que tout est prêt au niveau des collectivités. Nous avons établi, au niveau de l’OIF, un calendrier. J’avais fixé l’inauguration à novembre l’année prochaine. On met désormais la priorité sur la Côte d’Ivoire. Notre objectif, c’est d’inaugurer le réseau avant le début de la saison des pluies, à l’échéance avril-mai. Nous sommes en train de faire les équipements et préparer la formation.
L.P. : Quel est le rapport entre la lecture et l’animation culturelle?
E.W.: La lecture est une animation. Le livre, dans nos pays, est un produit assez rare qui n’attire pas les gens. L’idée au départ, c’est d’associer la bibliothèque à l’animation culturelle qui est très facilement accessible avec des projections de films, la musique, des jeux, du théâtre etc., pour que les gens fréquentent les centres. Ça se fait de façon naturelle, puisque dans la bibliothèque, on aura des jeux. C’est ce qu’on appelle une bibliothèque déconstipée. Ce ne sera pas une bibliothèque où il y a un silence total. Il n’y a pas de distinction, ce sera un endroit où le jeune va commencer la lecture par le jeu ou la lecture d’une bande dessinée ou un roman de jeunesse. C’est cela aussi l’innovation de CLAC. L’animation qu’on y met, c’est aussi pour que le Centre soit fréquenté.
L.P. : Pensez-vous que la normalité est revenue ? Les équipements que vous allez mettre à la disposition des CLAC seront en sécurité ?
E.W. : Oui ! Je dois même vous avouer que c’est une question qui ne nous a pas traversé l’esprit. A aucun moment, nous n’avons pu percevoir une autre préoccupation. On a du matériel qui coûte cher, que ce soit en Belgique ou dans tout autre pays. Ce n’est pas une préoccupation pour nous. Nous avons fait la tournée en toute sérénité. Et puis, on sent que les choses bougent dans le bon sens. Je suis impressionné en revoyant Korhogo et je ne vous cache pas mon impression de revenir par l’autoroute. On sent qu’il y a de l’animation. Aussi les maires qu’on a rencontrés, ce sont des gens qui en veulent avec des conseillers motivés. C’est une belle mission, avec de beaux résultats, que nous avons menée.
L.P. : Quelle est, selon vous, l’avenir de la Francophonie dans des pays où il y a une forte poussée de la culture anglophone ?
E.W.: Il est radieux. Dans le domaine de la lecture publique qui est le mien, tant qu’il y aura des CLAC, l’avenir de la Francophonie en Côte d’Ivoire sera radieux.
Réalisée par Charles Sanga —Coll : Jean-Antoine Doudou
Le Patriote : Vous avez visité le réseau des Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC). Il y a eu la guerre et ce réseau avait cessé de fonctionner. Quel est l’état des lieux actuellement?
Eric Weber: Il faut d’abord rappeler d’où nous avons trouvé la situation. Il y a un an, nous avions fait une étude de faisabilité. C’était une requête de l’Etat ivoirien qui avait demandé à la Francophonie d’accompagner la Côte d’Ivoire pour la réhabilitation du réseau CLAC. Nous avions visité chaque centre et on avait constaté des dégâts. Les CLAC n’étaient pas fonctionnels et la plupart était dans un état de délabrement avancé. Mais, nous avions vraiment été très impressionnés par la motivation et l’engagement des populations à voir ces centres réhabilités. La mission a donc été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme de la part des autorités et des populations. Il y avait beaucoup de témoignages de personnes qui avaient bénéficié des CLAC au moment où ils étaient fonctionnels. Il y a eu un vrai soulagement de voir que le ministère de la Culture et de la Francophonie revenait pour remettre le réseau des CLAC sur pied. On revient un an après. Là, je dois vous avouer que nous sommes très impressionnés. Je dirige les CLAC depuis un grand nombre d’années, j’ai une certaine expérience. Je dois vous avouer que c’est la première fois qu’on parvient à pareils résultats. D’habitude, on prévoyait, après une étude de faisabilité, deux voire trois missions de validation. Ici, il n’y en aura qu’une parce que l’ensemble des bâtiments a été validé. Les travaux ont été bien faits. On est devant des localités qui sont fin prêtes pour accueillir le programme.
LP : Combien de CLAC compte le réseau ivoirien ?
E.W. : A l’heure actuelle, Il y en a dix. Avec le ministre de la Culture de la Francophonie (Maurice Bandaman), on a une vision un peu plus ambitieuse, dans la mesure où du côté de la Francophonie, ce qui nous intéresse, c’est d’accompagner la Côte d’Ivoire dans la mise en place d’un réseau national de lecture publique. En tout cas, le besoin a été exprimé de mettre en place une politique de bibliothèques publiques dans le pays pour un tas de raisons : elles ont un impact sur l’éducation, sur la cohésion sociale. Il y a des CLAC qui ont été développés en Côte d’Ivoire et qui ont prouvé qu’ils avaient des résultats de fréquentation au-delà de ce qu’on constate en Europe. Donc, il y a un concept, des outils qui ont fait leurs preuves. Donc, l’idée, c’est dans un premier temps de réhabiliter ce premier réseau, dans un second temps, c’est de permettre à la Côte d’Ivoire d’étendre le réseau des CLAC dans le cadre de la mise en place d’un Centre national dédié exclusivement à la gestion et à la création de bibliothèques publiques en Côte d’Ivoire. La seconde étape, très rapidement, c’est l’extension de ce réseau sous la tutelle d’un Centre ivoirien pour la lecture et les animations culturelles, ce sont des Centres ivoiriens pour la lecture publique et l’animation culturelle (CILPAC).
L.P. : Pourquoi sont-ils tous situés au Nord ?
E.W. : C’est une raison historique, d’abord. Le réseau a été créé au Nord, c’était au début des années 1990. C’était à la demande des autorités ivoiriennes. Ce n’est pas la Francophonie qui décide où on installe les CLAC. A l’époque, c’était une des régions où le taux de scolarisation et d’alphabétisation posait le plus de problèmes. C’est ce qui explique qu’ils soient installés là-bas.
L.P. : En terme d’indicateurs, avez-vous des chiffres pour évaluer l’impact de ces CLAC sur la jeunesse avant la guerre?
E.W. : Nous avons fait des études. Dans d’autres pays tels que Madagascar, Mali, Haïti, il a été démontré qu’une bibliothèque publique dans une localité avait un impact important sur le taux de réussite. Par exemple à Madagascar, entre le moment où il n’y avait pas de CLAC et au moment où il y en a, on a quadruplé le taux de réussite au Bac. Au Burkina Faso, on l’a multiplié par deux. On a aussi amélioré la qualité de l’enseignement. Parce que des enseignants viennent se ressourcer et rechercher de la matière dans les CLAC. En Côte d’Ivoire, on n’a pas fait d’études d’impact. Nous avions des statistiques de fréquentation, parce que le réseau ivoirien était un réseau pilote. Il y a eu des responsables des pays comme le Burundi qui sont venus se former en Côte d’Ivoire, parce que le réseau était très fréquenté et performant. Beaucoup de témoignages disent que suite à la fermeture des CLAC, le taux de réussite a beaucoup baissé. Nous avons les chiffres de Tafiré et de bien d’autres localités. Il y a eu un impact a contrario, des effets négatifs quand les CLAC ont fermé.
L.P. : Les CLAC sont-ils un bras de la Francophonie ou une nécessité pour les pouvoirs publics ivoiriens, de pouvoir les instaurer ?
E.W. : Dans tous les pays, c’est d’abord un programme national soutenu par la Francophonie. Nous avons dernièrement fait une étude poussée dans 21 pays qui bénéficient du programme pour savoir quels étaient les montants précis des contreparties nationales. Une fois que le réseau est en place, on a 80 % d’investissements nationaux et 20% de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Les parts nationales, ce sont les salaires et c’est le ministère qui les apporte en équipements. La Francophonie, elle, vient pour le renouvellement des ouvrages, le recyclage des animateurs, mais, quel que soit le pays, le CLAC doit être perçu comme un programme national de développement de bibliothèques publiques.
L.P. : Vous avez demandé que les locaux soient réhabilités par les collectivités. Cela a été fait. A quoi peut-on s’attendre en termes d’équipement?
E.W. : Il y a une évolution. Ce qui a fait la force du programme, c’est que la sélection des ouvrages a toujours été faite exclusivement en fonction des besoins du pays et des localités concernées. Nous sommes les seuls à avoir cette préoccupation. Nous sommes pointilleux sur la sélection des ouvrages. Par rapport aux CLAC de deuxième génération, il y a une évolution. Il y a beaucoup plus de littérature africaine surtout des ouvrages aux programmes scolaires. On a aussi développé l’appui aux enseignants avec des livres de psychologie, sociologie, méthodologie. Quand je regarde les archives, les CLAC de Côte d’Ivoire ont commencé avec 1250 titres. Cette fois, nous allons commencer avec plus de 2000 titres sélectionnés pour le pays.
L.P. : Existe-t-il vraiment une culture francophone africaine que les CLAC ont pour vocation de promouvoir?
E.W. : Oui. Notre souci premier est de promouvoir, en Côte d’Ivoire, les auteurs ivoiriens. Mais, dès qu’on dénichera des auteurs ivoiriens qu’on veut mettre à la disposition des CLAC en Côte d’Ivoire, vous les retrouverez un an plus tard au Mali, au Burkina pour en faire un fonds régional. Vous allez trouver ici des auteurs haïtiens ou mauriciens. On retrouvera à l’Ile Maurice des auteurs ivoiriens. Il y a un exemple. Le ministre de la Culture du Bénin s’est rendu à l’Ile Maurice et y a retrouvé un de ses livres. Il y a un rayon de littérature francophone africaine qui se met en place.
L.P. : Comment va se faire la gestion au quotidien de ces CLAC ?
E.W. : Le principe de base se fait à trois niveaux. Il y a la gestion au niveau de la localité, au niveau du ministère et ce que l’OIF peut apporter. Mais, d’abord et avant tout, le CLAC est géré par les compétences nationales. Personne de l’OIF ne vient faire quoi que ce soit. Le responsable du réseau est formé. Nous avons transféré nos compétences aux cadres nationaux. Le CLAC est géré par des personnes issues de la collectivité. Le travail des animateurs est supervisé par un Comité de gestion qui est l’émanation de la localité avec les représentants des différents secteurs d’activités. Le responsable du Comité de gestion, c’est le maire ou son représentant désigné. Cela signifie que le règlement intérieur et le type d’activités sont transmis au comité de gestion. Chaque CLAC a des statistiques de fréquentation qu’il remplit en cinq exemplaires : un pour le maire, un pour le ministère, un pour la Francophonie et un pour le prêt. Nous avons trente ans d’expérience donc nous savons ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Nous avons un mode d’emploi qui est relativement précis : la gratuité d’accès, les horaires, la façon d’accueillir les gens, l’utilisation des jeux audiovisuels tout cela est très cadré. Et quand on fait la formation des animateurs, nous donnons des consignes relativement précises. A la formation d’ailleurs des animateurs, seront associés les représentants de la mairie et les maires, s’ils le veulent, qui viennent pour un débriefing où on pourra leur présenter le mode d’emploi remis aux animateurs, la façon selon laquelle vous souhaitez que cela fonctionne etc. Il y a donc un contrôle du Comité de gestion sur le fonctionnement du CLAC. Et puis, une fois par mois, le Coordonnateur national fait une tournée pour voir si tout fonctionne bien. A l’OIF, nous venons faire une évaluation une fois tous les deux ans.
L.P. : Il y a des demandes pressantes de collectivités, ailleurs qu’au Nord. Y a-t-il des projets pour des villes du Sud, du Centre par exemple ?
E.W. : C’est cela l’enjeu en réalité. Si on se limite seulement à dix CLAC dans le Nord ça n’a pas de sens, puisqu’on travaille à l’échelle du pays. La plus belle réalisation pour nous, le ministre de tutelle est partant pour cela, c’est de donner à la Côte d’Ivoire, la possibilité de créer d’autres bibliothèques publiques. Dès le départ, nous sommes dans l’optique d’essayer dix CLAC supplémentaires sous une autre formule, dans des villes plus importantes et là, c’est l’Etat qui décide de l’architecture que cela peut avoir. Je fais un parallèle au Burundi, avec le coordonateur national où on a créé d’abord dix CLAC avant de créer huit autres. L’Etat burundais a énormément investi dans la création des bibliothèques et l’apport du Burundi est tellement important que ça nous permet de refaire encore le projet avec une trentaine de CLAC. Ce n’est plus un financement exclusivement de l’OIF, il y a un financement national et en fin d’année, le Burundi va se retrouver avec une trentaine de CLAC. On constate que la Côte d’Ivoire a une ambition dans ce sens.
L.P.: Pour ceux qui ont été réhabilités, à quand la fourniture des équipements et le redémarrage des activités ?
E.W. : La pression a changé de camp ! Je suis impressionné de voir que tout est prêt au niveau des collectivités. Nous avons établi, au niveau de l’OIF, un calendrier. J’avais fixé l’inauguration à novembre l’année prochaine. On met désormais la priorité sur la Côte d’Ivoire. Notre objectif, c’est d’inaugurer le réseau avant le début de la saison des pluies, à l’échéance avril-mai. Nous sommes en train de faire les équipements et préparer la formation.
L.P. : Quel est le rapport entre la lecture et l’animation culturelle?
E.W.: La lecture est une animation. Le livre, dans nos pays, est un produit assez rare qui n’attire pas les gens. L’idée au départ, c’est d’associer la bibliothèque à l’animation culturelle qui est très facilement accessible avec des projections de films, la musique, des jeux, du théâtre etc., pour que les gens fréquentent les centres. Ça se fait de façon naturelle, puisque dans la bibliothèque, on aura des jeux. C’est ce qu’on appelle une bibliothèque déconstipée. Ce ne sera pas une bibliothèque où il y a un silence total. Il n’y a pas de distinction, ce sera un endroit où le jeune va commencer la lecture par le jeu ou la lecture d’une bande dessinée ou un roman de jeunesse. C’est cela aussi l’innovation de CLAC. L’animation qu’on y met, c’est aussi pour que le Centre soit fréquenté.
L.P. : Pensez-vous que la normalité est revenue ? Les équipements que vous allez mettre à la disposition des CLAC seront en sécurité ?
E.W. : Oui ! Je dois même vous avouer que c’est une question qui ne nous a pas traversé l’esprit. A aucun moment, nous n’avons pu percevoir une autre préoccupation. On a du matériel qui coûte cher, que ce soit en Belgique ou dans tout autre pays. Ce n’est pas une préoccupation pour nous. Nous avons fait la tournée en toute sérénité. Et puis, on sent que les choses bougent dans le bon sens. Je suis impressionné en revoyant Korhogo et je ne vous cache pas mon impression de revenir par l’autoroute. On sent qu’il y a de l’animation. Aussi les maires qu’on a rencontrés, ce sont des gens qui en veulent avec des conseillers motivés. C’est une belle mission, avec de beaux résultats, que nous avons menée.
L.P. : Quelle est, selon vous, l’avenir de la Francophonie dans des pays où il y a une forte poussée de la culture anglophone ?
E.W.: Il est radieux. Dans le domaine de la lecture publique qui est le mien, tant qu’il y aura des CLAC, l’avenir de la Francophonie en Côte d’Ivoire sera radieux.
Réalisée par Charles Sanga —Coll : Jean-Antoine Doudou